"Etroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie, et il en est peu qui le trouvent (Mt 7, 14). Sans doute convient-il de bien comprendre l'image de cette porte étroite, qui ne peut pas être une porte fermée sur le salut, ou le signe d'une sélectivité rigoureuse de la part du gardien à l'entrée, qui vérifierait soigneusement les mérites de chacun avant de le laisser pénétrer dans le Royaume de Dieu. Elle est étroite, la porte du salut, parce qu'elle est exactement à ma taille, ni plus, ni moins. Pour passer, je dois abandonner tout ce reste qui m'encombre, mon péché bien sûr, mais aussi mes protections, mes suffisances, mes obsessions, mes assurances, pour me placer tout entier sous le regard de Dieu, en cette présence de Dieu qui est le salut et la vie éternelle. Mais on n'efface pas si facilement la peur, spécialement cette peur de Dieu qui ronge le coeur de l'homme depuis le péché d'Adam. Alors Jésus lui-même nous donne le moyen d'échapper à une telle inquiétude : Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés (Mt 7, 1), promet-il un instant plus tôt.
Les récits concernant les premiers moines d'Egypte, les fameux Pères du désert [...] rapportent le cas d'un vieux moine du désert [...] qui, de notoriété publique, n'était pas un grand ascète. Pas forcément un grand pécheur non plus, mais un moine médiocre, dont la sainteté n'impressionnait pas grand monde. Après des années de cette vie négligente, le voilà qui tombe gravement malade, et les frères s'assemblent autour du mourant, qu'ils trouvent en petite forme, certes, mais parfaitement tranquille à l'idée du jugement divin qui l'attend. Les frères s'inquiètent un peu de ce manque de lucidité et essaient de le pousser à un salutaire repentir de dernière minute : est-il si sûr de n'avoir rien sur la conscience ? Une dernière confession ne serait-elle pas opportue, en tout cas purdente, avant de se trouver face à son créateur ? Le mourant comprend leur souci à son égard et les rassure : "Si je suis si tranquille, leur dit-il, ce n'est pas parce que je crois avoir mérité le ciel ; c'est parce que le Christ a dit : Ne jugez pas, et voius ne serez pas jugés. Or je n'ai pas fait grand-chose de bien dans ma vie, mais jamais je n'ai jugé qui que ce soit ; aussi ai-je confiance dans la miséricorde de Dieu". Les frères venus pour pousser à sa conversion à l'article de la mort en repartent donc un peu honteux de l'avoir eux-mêmes jugé, et surtout édifiés.[...]...ce que savait surtout le vieux père du désert, c'est que le temps que nous passons à juger, nous ne le passons pas à aimer ; que la distance d'observation et de réflexion que nous mettons pour juger fait de notre frère un objet d'observation, au lieu d'être un appel, une prétention vivante à mon amour et à mon servuce ; que ce jugement occupe en moi un espace où devrait simplement germer et croître le Royaume de Dieu."
(Adrien Candiard : Sur la montagne. L'aspérité et la grâce, Cerf, 2023, pp. 96-100).
Aphraate le Sage persan (IVe siècle)
Philoxène de Mabboug (VIe siècle)
Théophile d'Antioche (2e siècle)
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