A la découverte des Pères de l'Eglise...

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Extraits

Aelred de Rievaulx, abbé

"Si nous voulons [...] connaître la paix quand [le Christ] reviendra, efforçons-nous d'accueillir avec foi et amour sa venue passée. Demeurons fidèlement dans les oeuvres qu'il nous manifesta et nous enseigna alors. Nourrissons en nos coeurs l'amour du Seigneur, et par l'amour le désir afin que, lorsqu'il viendra, le désiré des nations, nous puissions porter les yeux sur lui en toute confiance." (Sermon I sur la venue du Seigneur, in Lectionnaire pour les dimanches et fêtes de Jean-René Bouchet, Cerf, 1994, pp. 44)

Ambroise

Une autre hymne d'Ambroise : une prière du soir :

"Dieu créateur de tous les êtres
et régent des cieux, qui revêts
le jour de lumière éclatante,
la nuit des grâces du sommeil
pour que le repos nous détende,
rende nos membres au travail,
soulage nos coeurs fatigués,
dénoue nos chagrins anxieux,
le chant de notre hymne te rend grâces
pour ce jour déjà terminé,
te prie au lever de la nuit ;
aide-nous à tenir nos voeux.
Que le fond des coeurs te célèbre,
que la voix qui chante t'acclame,
que te chérisse un chaste amour
et que l'âme sobre t'adore !
Puissent, lorsque la nuit profonde
de sa noirceur clora le jour,
la foi ignorer les ténèbres,
et la nuit resplendir de foi !
Ne laisse point l'âme dormir ;
puisse la faute s'endormir !
la foi, chaste et rafraîchissante,
tempérer l'ardeur du sommeil !
Dépouillé des pensées mauvaises,
que le fond des coeurs rêve à toi,
sans que la ruse de l'Envieux
éveille, effarés, ceux qui dorment !"

Ambroise de Milan : Hymnes IV, Cerf 1992, pp. 236-238).

"Splendeur de la gloire du Père
Lumière née de la Lumière
Source vive de clarté
Jour illuminant le jour

Vrai soleil éclatant, descends sur nous
Brille d’un éclat sans fin
Fais luire dans nos coeurs
Les rayons de l’Esprit divin

Qu'il nous donne de chanter le Père
Père de gloire éternelle
Père de grâce puissante
Qui éloigne notre faute

Qu'il donne force à nos actes
Qu'il terrasse l'ennemi
Et qu'il nous donne dans les épreuves
La grâce pour agir

Qu'il dirige notre intelligence
Qu'il garde notre corps
Que notre foi soit ardente
Qu'elle soit simple et sans détour

Que le Christ soit notre nourriture
La foi notre breuvage
Que la sobre ivresse de l'Esprit
Soit la joie de ce jour

Que ce jour s’écoule joyeux
Son matin c’est la pureté
Qu’à midi brille la foi
Qui vaincra les ombres du soir

Comme le soleil brille à nos yeux
Avec l’aurore viennent vers nous
Le Fils, tout entier dans le Père
Et le Père, tout entier dans le Fils."

(Ambroise de Milan Hymnes)

[Les Hymnes d'Ambroise sont publiées notamment dans la Collection Patrimoines-Christianisme, Editions du Cerf, 2008, 704 p. : ouvrage où l'on trouvera plusieurs autres chants et poèmes d'Ambroise, révélant la splendeur de la vie en Dieu pour le croyant qu'il fut.]

"Le Seigneur Jésus t'a donné un enseignement divin sur la bonté du Père, qui sait donner de bonnes choses, afin que tu les demandes à celui qui est bon. Il t'a invité à prier attentivement et fréquemment, non pas pour que ta prière se prolonge dans l'ennui, mais pour qu'elle se renouvelle dans l'assiduité. Lorsque la prière est trop longue, elle se répand bien souvent dans le vide mais lorsqu'elle devient rare, la négligence nous envahit.
Ensuite il avertit que, si tu demandes pardon pour toi-même, tu songes à l'accorder le plus possible aux autres afin d'appuyer ta demande par l'éloquence de ta conduite. L'Apôtre aussi enseigne à prier sans colère ni dispute afin que ta prière ne connaisse ni trouble ni interruption. Il nous enseigne aussi à prier en tout lieu, puisque le Seigneur dit : Entre dans ta chambre.
Mais comprends bien qu'il ne s'agit pas de la chambre formée de murs où ton corps va s'enfermer. Il s'agit de la chambre qui est en toi, où sont enfermées tes pensées, où demeurent tes sentiments. Cette chambre de ta prière est partout avec toi, et partout elle est dans un secret qui n'a pas d'autre témoin que Dieu.
Apprends qu'il faut prier avant tout pour le peuple, c'est-à-dire pour tout le corps, pour tous les membres de ta Mère, et c'est la marque de la charité mutuelle dans l'Eglise. Car, si tu demandes seulement pour toi, ta demande ne vaudra que pour toi. Et si chacun prie seulement pour soi, celui qui prie est moins agréable à Dieu que celui qui intercède pour les autres. Mais si chacun prie pour tous, tous alors prient pour chacun.
En conclusion, si tu demandes pour toi seulement, tu seras seul [...] à demander pour toi. Mais si tu demandes pour tous, tous demanderont pour toi. Et en effet, toi-même tu es en tous.
Ainsi, c'est un grand profit que les pières de chacun obtiennent pour chacun les suffrages du peuple entier. Il n'y a en cela aucune prétention, mais une plus grande humilité, et un fruit plus abondant."
(Commentaire sur Caïn et Abel, I, 9, 34. 38-39, [CSEL, 32], tiré du Livre des Jours, Office romain des Lectures, 1976, pp. 1119-1120).

"Il est normal que tous ceux qui veulent être crus fournissent les raisons de croire. Aussi l’ange qui annonçait les mystères, pour l’amener à croire par un précédent, a-t-il annoncé à Marie, une vierge, la maternité d’une femme âgée et stérile, montrant ainsi que Dieu peut tout ce qui lui plaît.
Dès qu’elle l’eut appris, Marie, non par manque de foi en la prophétie, mais dans l’empressement de la joie, se dirigea vers les montagnes. Désormais remplie de Dieu, pouvait-elle ne pas s’élever en hâte vers les hauteurs ? Les lents calculs sont étrangers à la grâce de l’Esprit Saint.
Et tout de suite se manifestent les bienfaits de l’arrivée de Marie et de la présence du Seigneur : car quand Elisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle, et elle fut remplie de l’Esprit Saint (Lc 1, 4). Remarque le choix et la précision de chaque mot. Elisabeth a la première entendu la voix, mais Jean a le premier ressenti la grâce : celle-là suivant l’ordre de la nature a entendu, celui-ci a tressailli sous l’effet du mystère ; elle a perçu l’arrivée de Marie, lui celle du Seigneur : la femme celle de la femme, l’enfant celle de l’enfant. Elles parlent grâce ; eux la réalisent au-dedans et abordent le mystère de la miséricorde au profit de leurs mères ; et par un double miracle, les mères prophétisent sous l’inspiration de leurs enfants."
(Traité sur l’Evangile de St Luc, II, 19.22-23, SC 45 bis, p. 81-82)

"Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable (Lc 4, 1-2). Il y a lieu ici de se rappeler comment le premier Adam fut chassé du paradis dans le désert pour remarquer comment le second Adam revint du désert au paradis. Voyez comment les dommages se réparent suivant leur enchaînement et comment les bienfaits divins se renouvellent en reprenant leurs propres traces. Une terre vierge a donné Adam, le Christ est né de la Vierge ; celui-là fut fait à l’image de Dieu, celui-ci est l’Image de Dieu ; celui-là fut placé au-dessus de tous les animaux sans raison, celui-ci au dessus de tous les vivants ; par une femme la folie, par une vierge la sagesse ; la mort par un arbre, la vie par la croix […] Adam est au désert, au désert le Christ ; car il savait où trouver le condamné pour dissiper son égarement et le ramener au paradis. […] Mais du moment qu’au paradis, il avait, faute de guide, perdu la route qu’il suivait, comment, au désert, eût-il pu, sans guide, retrouver la route perdue ?"
(Traité sur l’Evangile de St Luc, IV, 7 ; SC 45 bis, p. 153).

"J'ai attendu, attendu le Seigneur. Où peut-on aparler ainsi en toute propriété de termes, sinon dans l'évangile ? Voici que nous arrive Celui que nous attendions. L'ombre de la Loi ne nous recouvre plus de son brouillard ; la vérité resplendit. Le Christ-lumière est survenu ; il a écouté favorablement la supplication des siens. Il nous a tirés d'un abîme de misères et d'un bourbier fangeux. Le gouffre de nos péchés nous retenait immergés ; tout notre être d'homme y était collé. Notre âme ne pouvait pas s'en arracher ; l'infamie, sans cesse accrue, l'avait écrasée."
"Merci au Seigneur Jésus, au Fils unique de Dieu, à notre rédempteur. Pour nous remettre tous nos péchés, il est descendu du ciel ; il nous a tirés de l'abîme et de la fange de ce monde, du marais boueux, et aussi de ce corps de mort. En sa chair il a établi solidement les pieds intérieurs de notre âme. Ainsi, fortifiés par la parole de Dieu et délivrés par la croix où souffrit le corps du Seigneur, nous pouvons marcher, non plus dans l'humiliation du déshonneur, mais dans l'état de pécheurs pardonnés. Celui qui a été fortifié, enraciné dans le Christ, aime à se rappeler que ses pieds ont été solidement établis sur le Roc. C'est bien ce que dit l'Apôtre : "Ils buvaient à un rocher qui les suivait ; et ce Rocher était le Christ" (1 Co 10, 4). Le rocher, du fait qu'il suit ceux qui ont soif, rend solides ceux qui trébuchent. Ainsi, l'eau ne manque pas à ceux qui nont soif, ni un appui pour ceux qui glissent."
(Commentaire du Psaume 39, 2).

"...Pierre suivait de loin... Il est bien vrai qu'il suivait de loin, étant déjà si près de renier [Jésus], car il n'aurait pas pu le renier s'il s'était attaché étroitement au Christ. Mais peut-être devons-nous l'admirer de ne pas avoir abandonné le Seigneur tout en ayant peur : sa chute est le sort commun, son repentir vient de la foi. Pierre nie au lieu où le Christ est emprisonné, où Jésus est enchaîné... Il faisait froid... Il faisait froid en ce lieu où Jésus n'était pas reconnu, où il n'y avait personne qui vît la lumière, où l'on reniait le feu qui consume. Il faisait froid pour le coeur, non pour le corps. Aussi bien Pierre se tenait auprès du feu car il avait le coeur transi... L'erreur de Pierre est un enseignement pour les justes, l'achoppement de Pierre est le roc de tous. C'est le même Pierre qui a chancelé sur la mer, mais a marché. Pierre chancelant est plus ferme que notre fermeté. Tomber lui a été meilleur que pour d'autres rester debout : mieux lui a valu tomber puisque le Christ l'a relevé. Jésus le regarda : aussi bien ceux-là pleurent que Jésus regarde. Regarde-nous, Seigneur Jésus, pour que nous sachions pleurer notre péché. Que nous imitions Pierre qui dit ailleurs à trois reprises : Seigneur, tu sais que je t'aime, car ayant renié trois fois, il confesse trois fois ; il a renié dans la nuit et a confessé le Seigneur au grand jour."
(Traité sur l'Evangile de St Luc, traduit in J.R. Bouchet, 1994 : Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes, pp. 174-176).

"Il y a un fleuve qui s'écoule dans les hommes de Dieu comme un torrent (Is 66, 12), fleuve dont l'impétuosité réjouit l'âme pacifique et tranquille.
Celui qui recueille en lui-même l'eau des montagnes, ou qui puise celle des fontaines, se met à la répandre lui aussi comme une nuée. Remplis de cette eau ton coeur et ton esprit pour que ta terre s'humecte, irriguée par ses propres sources. Or, c'est par une lecture intelligente qu'on se remplit l'esprit ; et celui qui est rempli peut irriguer les autres. C'est dans ce sens que l'Ecriture dit : Quand les nuages sont gonflés de pluie, ils se déversent sur la terre (Qo 11, 3). Que ta parole abondante coule donc avec transparence et clarté. Tu verseras ainsi aux oreilles de ton peuple un enseignement plein de douceur. Séduit par la grâce de tes paroles, il te suivra volontiers là où tu le conduis."
(Ambroise de Milan : Lettre d'Ambroise à Constance 2, 1...7 in Magnificat, n° 253, déc. 2013, pp. 108-109).

"Que toujours soit dans ton coeur et ta bouche la méditation de la sagesse ; que ta langue énonce le jugement ; que la loi de ton Dieu soit dans ton coeur (cf. Ps 36, 30-31). C'est pourquoi l'Ecriture te dit : Répète ces enseigneemnts quand tu es assis dans ta maison, ou en marchant sur la route, quand tu t'endors, quand tu t'éveilles (Dt 6, 7). Ainsi, proférons le Seigneur Jésus, puisque c'est lui-même qui est la Sagesse, lui-même qui est la Parole et le Verbe de Dieu. Car il est encore écrit : Ouvre la bouche à la parole de Dieu (Pr 31, 8).K Il exhale, émet le Seigneur Jésus, celui qui prononce ses discours et médite ses paroles. Exprimons-le toujours : lui-même. Quand nous parlons sagesse, c'est lui ; quand nous parlons vertu, c'est lui ; quand nous parlons justice, c'est lui ; quand nous parlons paix, c'est lui ; quand nous parlons vérité, c'est lui." (Commentaire du psaume 36, 65-66).

"Que [Jésus] ait fait de la boue et qu'il en ait enduit les yeux de l'aveugle, cela ne signifie rien d'autre que ceci: avec la boue qu'il lui applique, il a rendu à la santé ce même homme qu'il avait façonné avec de la boue (cf. Gn 2,7). Cela signifie aussi que notre chair tirée de la boue reçoit la lumière de la vie éternelle par les mystères du baptême. Toi aussi, approche-toi de Siloé, c'est-à-dire de celui qui est l'Envoyé du Père, puisque tu connais cette parole : Ma doctrine n'est pas la mienne, mais la doctrine de celui qui m'a envoyé (Jn 7,17). Que le Christ te lave, pour que tu voies. Viens au baptême, c'est justement l'époque; viens vite, afin de pouvoir dire, toi aussi: Je suis allé, je me suis lavé, et j'ai vu ; et pour que tu dises, toi aussi : J'étais aveugle et j'ai vu ; pour que tu dises, toi aussi, comme celui qui vient d'être inondé par la lumière: La nuit est finie, le jour est tout proche (Rm 13, 12)."
(Lettre 80, 1-6, PL 16, 1271-1272).

"La bonté du Christ est grande : presque tous ses noms, il les a donnés à ses disciples. Je suis la lumière du monde (Jn 8, 12) ; et pourtant, ce nom dont il se glorifie, il l'a octroyé à ses disciples en disant : Vous êtes la lumière du monde (Mt 5, 14). Je suis le pain vivant (Jn 6, 5) ; et, nous tous, nous sommes un seul pain (1 co 10, 17). Je suis la vraie vigne (Jn 15, 1) ; et il te dit : Je t'ai planté comme une vigne fructueuse, toute vraie (Jr 2, 21). Le Christ est pierre - ils buvaient de la pierre spirituelle qui les accompagnait, et la pierre c'était le Christ (1 Co 10, 4) -, il n'a pas non plus refusé la grâce de ce nom à son disciple, si bien qu'il est Pierre aussi, parce qu'il aura de la pierre la solidité constante, la fermeté dans la foi.
Efforce-toi donc d'être pierre à ton tour ; dès lors cherche la pierre non pas au-dehors, mais en toi. Ta pierre, c'est ton action ; ta pierre, c'est ton esprit. C'est sur cette pierre que se construit ta demeure, pour que nulle bourrasque des esprits mauvais ne la puisse renverser. Ta pierre, c'est la foi ; et la foi est le fondement de l'Eglise."
(Traité sur l'Evangile de Luc, VI, 94-99 [extraits] d'après SC, 45bis, pp. 263-265).

"La création du monde est totalement terminée quand l'homme est là, qui porte en lui le pouvoir sur tous les êtres vivants, qui récapitule dans son corps l'univers et reflète la beauté de toute la création. Trouvons alors le repos comme Dieu se reposa, après tout l'ouvrage qu'il avait fait (Gn 2, 2). Il reposa à l'intérieur de l'homme, dans son esprit et dans sa volonté, car il avait créé l'homme doté de la raison et fait selon son image, un être qui cherche ce qui est bon, tendu vers les dons gratuis de l'amour de Dieu.
Je remercie le Seigneur, notre Dieu, qui a créé un tel être dans lequel il pouvait se reposer. Le ciel, il l'a créé : mais je ne lis pas qu'il s'y reposait. La terre, il l'a créée, mais je ne lis pas qu'il s'y reposait. Le soleil et la lune et les étoiles, il les a créés ; là non plus, je ne lis pas qu'il s'y reposait. Mais je lis qu'il a créé l'homme et qu'il s'y reposait puisqu'il avait en lui une créature à laquelle il pouvait pardonner les péchés." (Ambroise : Commentaire des Six jours de la création, 6, 75).

"Les richesses nous sont étrangères, parce qu'elles sont en dehors de notre nature [...]. Ne soyons pas esclaves des biens extérieurs, puisque nous ne devons connaître d'autre Seigneur que le Christ..." (Traité sur l'Evangile de Luc, VII).

"L'histoire éduque, la loi enseigne, la prophétie annonce, la réprimande châtie, la morale persuade : dans le livre des psaumes, on trouve l'avancement de tous et comme un remède pour la santé du genre humain. Il suffit de les lire pour avoir de quoi guérir les blessures de sa souffrance par un remède approprié. Il suffit de vouloir les considérer pour découvrir, comme dans un gymnase ouvert à toutes les âmes et comme dans un stade consacré à l'exercice des vertus, les différents genres de combats qui nous attendent, et l'on peut y choisir celui auquel on se juge le plus apte et par lequel on remportera plus facilement la couronne." (Commentaire sur le Psaume 1, 4.7.8)

"Le Seigneur est venu au baptême, car il s'est fait tout pour vous : Pour les sujets de la Loi, il a été circoncis afin de gagner les sujets de la Loi ; à ceux qui étaient sans loi, il s'est associé en partageant leur repas afin de gagner ceux qui vivaient sans loi. Pour les infirmes, il s'est fait infirme par la souffrance du corps afin de les gagner. Enfin, il s'est fait tout à tous, pauvre pour les pauvres, riche pour les riches, pleurant avec ceux qui pleurent, affamé avec les affamés, altéré avec les altérés, large avec ceux qui sont dans l'abondance. Il est en prison avec le pauvre, avec Marie il pleure, avec les Apôtres il mange, avec la Samaritaine il a soif, au désert il a faim pour que la nourriture savourée par le premier homme en sa prévarication fût expiée par le jeûne du Seigneur. C’est à notre détriment qu’Adam a rassasié sa faim de la science du bien et du mal ; c’est pour notre profit que le Christ a enduré la faim." (Ambroise, Traité sur l'Evangile de Luc, PL, col. 1613-1614, in Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes de Jean-René Bouchet, pp. 110-111).

"N'ayons pas peur si nous avons gaspillé en plaisirs terrestres le patrimoine de dignité spirituelle que nous avons reçu. Le Père a remis au Fils le trésor qu'il avait. la fortune de la foi ne s'épuise jamais. Aurait-on tout donné, on possède tout, n'ayant pas perdu ce que l'on a donné. Ne redoute pas que le Père refuse de t'accueillir : car "Dieu ne prend pas plaisir à la perte des vivants" (Sag., I, 13). Il viendra en courant au-devant de toi, il se penchera sur toi — car "le Seigneur redresse ceux qui sont brisés" (Ps. 145, 8) — il te donnera le baiser, qui est gage de tendresse et d'amour, il te fera donner robe, anneau, chaussures. Tu en es encore à craindre un affront, il te rend ta dignité. Tu as peur du châtiment, il te donne un baiser. Tu as peur des reproches, il te prépare un festin." (Traité sur l’Evangile de St Luc, PL 15, col. 1755 sq)

"Qu'est-ce donc que voir Dieu ? Ne me le demandez pas ; demandez à l'évangile, demandez au Seigneur lui-même ; ou plutôt, écoutez-le : "Philippe, dit-II, celui qui m'a vu a vu aussi le Père qui m'a envoyé. Comment peux-tu dire : Montrez-nous le Père ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ?" (Jn, XIV, 9-10). Non certes que l'on voie les corps l'un dans l'autre, ou les esprits l'un dans l'autre ; mais ce Père est le seul que l'on voie dans son Fils, comme ce Fils dans son Père. On ne voit pas l'un dans l'autre, en effet, des personnages dissemblables ; mais du moment qu'il y a unité d'opération et d'activité, on voit et le Fils dans le Père et le Père dans le Fils. "Les œuvres que j'accomplis, dit-II, Lui aussi les accomplit" (cf. Jn, V, 19). On voit Jésus dans ses œuvres ; dans les œuvres du Fils on voit aussi le Père. On a vu Jésus en voyant le mystère qu'il accomplit en Galilée (Jn, II, 9) ; car personne, sinon le Maître du monde, ne peut transformer les éléments. Je vois Jésus quand je lis qu'il enduisit de boue les yeux de l'aveugle et lui rendit la vue (Jn, IX, 6) : je reconnais là Celui qui a façonné de boue l'homme et lui a donné le souffle de vie, la lumière pour voir. Je vois Jésus quand II pardonne les péchés ; car "personne ne peut remettre les péchés que Dieu seul" (Mc, II, 5, 7). Je vois Jésus quand Il ressuscite Lazare, et les témoins oculaires ne l'ont pas vu. Je vois Jésus, je vois aussi le Père quand je lève les yeux au ciel, quand je les tourne vers la mer, quand je les ramène sur la terre ; car "ses perfections invisibles sont aperçues et saisies au moyen des objets créés" (Rom., I, 20)." (Traité sur l'Evangile de Saint Luc, I)

"L'attention force la porte de la vérité. Ainsi donc obéissons aux préceptes du ciel ; car ce n'est pas en vain qu'il fut dit à l'homme, à l'exclusion de tout animal : "A la sueur de ton front tu mange-ras ton pain" (Gen., III, 19). Pour les autres animaux, naturellement dépourvus de raison, Dieu a ordonné à la terre d'assurer leur pâture ; pour l'homme seul et afin qu'il exerce la raison dont il est doué, le travail devient la loi de la vie. Puisqu'il ne se contente pas de la pâture des autres animaux, puisqu'il ne lui suffit pas des espèces fruitières, nourriture commune assurée à tous, mais qu'il recherche les mets délicats et variés, fait venir ses délices des pays d'outre-mer, glane ses délices dans les flots, il ne doit pas refuser, demandant sa vie au travail, d'endurer un moment de travail pour la vie éternelle. Celui donc qui vient prendre part aux luttes de ces saintes recherches, qui dépose les soucis de la vie présente exposée à l'erreur et, dépouillé de tout mal, champion du bien, les membres de l'âme imprégnés de l'huile de l'Esprit, se mêle aux luttes pour la vérité, méritera sans aucun doute la récompense sans fin des saintes couronnes. Car "le bon travail porte d'illustres fruits" (Sag., III, 15) et plus nombreux sont les combats, plus riche est la couronne des vertus." (Ambroise de Milan, Traité sur l'Évangile de saint Luc, Prologue)

"L'histoire éduque, la loi enseigne, la prophétie annonce, la réprimande châtie, la morale persuade : dans le livre des psaumes, on trouve l'avancement de tous et comme un remède pour la santé du genre humain. Il suffit de les lire pour avoir de quoi guérir les blessures de la souffrance par un remède approprié. Il suffit de vouloir les considérer pour découvrir, comme dansun gymnase ouvert à toutes les âmes et comme dans un stade consacré à l'exercice des vertus, les différents genres de combats qui nous attendent, et l'on peut y choisir celui auquel on se juge le plus apte et par lequel on remportera plus facilement la couronne." (Commentaire sur le psaume 1, 7, in Livre des Jours, Office romain des lectures, 1976, p. 722)

"Courons comme les cerfs vers la source des eaux ; la soif ressentie par David, que notre âme la ressente aussi. Quelle est cette source ? Ecoute David qui le dit : En toi est la source de la vie. Que mon âme dise à cette source : Quand pourrai-je venir et paraître devant ta face ? Car la source, c'est Dieu." (Sermon sur la fuite du monde, 9, 52)

"N'en crois donc pas seulement les yeux de ton corps : on voit mieux ce qui ne se voit pas, parce que cela est provisoire, et ceci éternel. On distingue mieux ce qui n'est pas saisi par les yeux, mais découvert par l'esprit et l'âme." (Traité sur les Mystères, 12)

"Si tu demandes pour toi seulement, tu seras seul [...] à demander pour toi. Mais si tu demandes pour tous, tous demanderont pour toi. Et en effet, toi-même tu es en tous." Commentaire sur Caïn et Abel, 1, 9, 39)

Anastase du Sinaï

"Aujourd’hui le Seigneur a vraiment été vu sur la montagne ; aujourd’hui la nature depuis Adam, jadis créée semblable à Dieu mais obscurcie par les figures informes des idoles, a été transfigurée en l’ancienne beauté de l’homme créé à l’image et ressemblance de Dieu (Gn 1, 26) ; aujourd’hui sur le mont Thabor est mystérieusement apparue la condition de la vie future et du Royaume de joie ; aujourd’hui, sur la montagne, les hérauts antiques de l’ancienne et de la nouvelle alliance se sont rassemblés de façon extraordinaire autour de Dieu, porteurs d’étonnants mystères ; aujourd’hui, sur le mont Thabor, le mystère de la croix qui vivifie par la mort a été esquissé : tout comme il fut crucifié entre deux hommes sur le mont du Crâne, ainsi apparut-il divinement entre Moïse et Elie."
(Sermon sur la Transfiguration, 5-6, in L’année en fêtes, Migne, Paris, 2000, p. 487)

"C'est [...] vers la montagne qu'il faut nous hâter, j'ose le dire, comme l'a fait Jésus qui, là comme dans le ciel, est notre guide et notre avant-coureur. Avec lui nous brillerons pour les regards spirituels, nous serons renouvelés et divinisés dans les structures de notre âme et, avec lui, comme lui, nous serons transfigurés, divinisés pour toujours et transférés dans les hauteurs..." (Anastase du Sinaï Homélie sur la Transfiguration).

André de Crète

"Par où commencerai-je à déplorer les actions de ma vie et quels seront, ô Christ, les premiers accents de ce chant de peine ? Accorde-moi, dans ta miséricorde, le pardon de mes péchés.
Emule du premier Adam dans les voies de la transgression, je me suis vu dépouillé de mon Dieu, privé du Royaume éternel et de sa joie par mon péché. Si Adam, pour avoir violé un seul de tes commandements, a été en toute justice chassé du jardin d'Eden, que dois-je subir, ô Sauveur, moi qui transgresse constamment tes paroles de vie ?
Toi le potier qui façonne l'argile, tu m'as dispensé, ô créateur, une chair et des os et tu m'as animé d'un souffle de vie. Aujourd'hui, ô Rédempteur et Juge, ne repousse pas ma pénitence. J'ai péché plus que tous les autres hommes ; contre toi, toi seul, j'ai péché. Cependant, toi mon Sauveur, prends en pitié l'oeuvre de tes mains.
J'ai mis en pièces le premier vêtement que tu m'avais tissé, ô mon Créateur, et depuis me voilà gisant dans ma nudité.
J'ai essayé de me couvrir d'un vêtement déchiré, oeuvre du serpent qui m'a séduit, et me voilà couvert de honte.
J'ai perdu ma beauté première ; le péché a cousu pour moi des tuniques de peau après m'avoir dépouillé de la robe tissée par Dieu lui-même.
J'ai enfoui dans l'abîme de mes passions la beauté de mon image primitive. Ô mon Dieu, cherche-moi et retrouve-moi, telle la drachme perdue." (André de Crète, Grand Canon de Carême, d'après Jean-René Bouchet, 1994, Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes, Cerf, pp. 103-104).

"C'est ainsi que nous préparerons le chemin au Christ : nous n'étendrons pas des vêtements ou des rameaux inanimés, des branches d'arbres qui vont bientôt se faner, et qui ne réjouissent le regard que peu de temps*. Notre vêtement, c'est sa grâce, ou plutôt c'est lui tout entier que nous avons revêtu : Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ. C'est nous-mêmes que nous devons, en guise de vêtements, déployer sous ses pas." (Homélie pour le dimanche des Rameaux, Homélie 9).

*Allusion à l'Evangile de Matthieu par exemple qui rapporte à propos de l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, avant sa Passion : "Les disciples allèrent donc et, faisant comme leur avait ordonné Jésus, ils amenèrent l'ânesse et l'ânon. Puis ils disposèrent sur eux leurs manteaux et Jésus s'assit dessus. Alors les gens, en très nombreuse foule, étendirent leurs manteaux sur le chemin; d'autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient le chemin.(Mt 21, 6-8)

"Après avoir réduit la loi en servitude, il y a joint harmonieusement la grâce. Il n'a pas mélangé ni confondu les propriétés de l'une avec celles de l'autre ; mais, d'une façon divine, il a changé ce qu'il pouvait y avoir dans la loi de pénible, de servile et de tyrannique, en ce qui est léger et libre dans la grâce. Ainsi nous ne vivons plus sous l'esclavage des éléments du monde, comme dit l'Apôtre, nous ne sommes plus asservis au joug de la lettre de la loi." (Homélie de S André de Crète pour la Nativité de la Sainte Mère de Dieu, Hom. I)

Anonymes

"Lorsque les païens nous entendent dire, comme une parole de Dieu : Quelle reconnaissance pouvez-vous attendre, si vous aimez ceux qui vous aiment ? Mais on vous sera reconnaissant si vous aimez vos ennemis et ceux qui vous détestent. Oui, lorsqu'ils entendent ces paroles, ils admirent cette extrême bonté. Mais lorsqu'ils voient que nous n'aimons pas ceux qui nous détestent et même pas ceux qui nous aiment, ils se moquent de nous, et le nom de Dieu est blasphémé.
Ainsi donc, mes frères, si nous faisons la volonté de Dieu notre Père, nous appartiendrons à l'Eglise primordiale, à l'Eglise spirituelle, qui fut créée avant le soleil et la lune. Mais si nous ne faisons pas la volonté du Seigneur, nous relèverons de ce passage de l'Ecriture : Ma maison est devenue une caverne de bandits. Préférons donc appartenir à l'Eglise de la vie, afin d'être sauvés."
(d'une Homélie du IIe siècle, 13, 2-14, 5 : auteur inconnu, mais attribuée souvent à St Clément de Rome, citée in Livre des jours, AELF, 1976, pp. 1253-1254).

" … Les Chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. Ce n’est pas à l’imagination ou aux rêveries d’esprits agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils ne se font pas comme tant d’autres, les champions d’une doctrine humaine. Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveaux-nés. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche. Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois." (A Diognète, V, 1-10) [auteur anonyme de la fin du 2e siècle]

"La bonté divine, frères très chers, nous invite, pour le salut de nos âmes, aux joies de la béatitude éternelle, comme vous l'avez entendu dans la lecture qui nous occupe, où l'Apôtre disait : Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur Les joies du monde tendent à la tristesse ; mais les joies conformes à la volonté de Dieu attirent aux biens durables et éternels ceux qui y persévèrent. C'est pourquoi l'Apôtre ajoute : Je le répète, réjouissez-vous." Homélie ancienne sur la Lettre aux Philippiens, 4, 4 [attribuée à St Ambroise ?])

Anselme

"Je te prie, mon Dieu, fais que je te connaisse, que je t'aime, que de toi je reçoive la joie. Et si je ne le peux en cette vie jusqu'à la plénitude, du moins que je progresse de jour en jour jusqu'au moment où cela viendra jusqu'à la plénitude. Seigneur, tu m'ordonnes par ton Fils ou plutôt tu me conseilles de demander et tu me promets d'obtenir "que notre joie soit pleine". Je te demande, Seigneur, ce que tu nous conseilles par notre admirable conseiller : puissé-je recevoir ce que tu promets par ta vérité, "que ma joie soit pleine". Que cependant mon esprit médite cela, que ma langue le dise. Que mon coeur l'aime, que ma bouche en parle. Que mon âme en soit affamée, que ma chair en ait soif, que toute ma substance le désire, jusqu'à ce que "j'entre dans la joie de mon Seigneur" (cf. Mt 25, 21) qui est "Dieu trine et un", béni pour tous les siècles. Amen"
(Proslogion, XXVI).

"Mon intelligence demeure impuissante devant ta lumière ; elle est trop éclatante. L'œil de mon âme est incapable de la recevoir, et il ne supporte même pas de rester longtemps fixé sur elle. Mon regard est blessé par son éclat, dépassé par son étendue ; il se perd dans son immensité et reste confondu devant sa profondeur.
O lumière souveraine et inaccessible ! O vérité totale et bienheureuse ! Que tu es donc loin de moi, et pourtant je suis si près de toi. Tu échappes presque entièrement à ma vue, tandis que je suis, moi, tout entier sous ton regard.
En tout lieu rayonne la plénitude de ta présence, et je ne te vois pas. C'est en toi que j'agis et que j'ai l'existence, pourtant je ne puis atteindre jusqu'à toi. Tu es en moi, tu es tout alentour de moi et je ne puis te percevoir.
Je t'en prie, mon Dieu, fais que je te connaisse, fais que je t'aime pour que ma joie soit en toi. Et si je ne le peux pleinement en cette vie, puissé-je du moins y progresser tous les jours, jusqu'à parvenir à la plénitude. Qu'en cett vie ta connaissance croisse en moi, et qu'elle soit achevée au dernier jour ; que grandisse en moi ton amour et qu'il soit parfait dans la vie à venir, pour que ma joie, déjà grande ici-bas en espérance, soit alors achevée dans la réalité.
(Proslogion, 14, 16, 26)

"[Seigneur] enseigne-moi à te chercher et montre-toi quand je te cherche ; car je ne puis te chercher si tu ne me l'enseignes, ni te trouver si tu ne te montres. En mon désir, puissé-je te chercher, et, dans ma recherche, te désirer ; dans mon amour, puissé-je te trouver et, en te trouvant, t'aimer." (Entretien sur l'existence de Dieu, Proslogion 1)

"Et maintenant, homme de rien, fuis un moment tes occupations, cache-toi un peu de tes pensées tumultueuses. Rejette maintenant tes pesants soucis, et remets à plus tard tes tensions laborieuses. Vaque quelque peu à Dieu, et repose-toi quelque peu en Lui. Entre dans la cellule de ton âme, exclus tout hormis Dieu et ce qui t'aide à le chercher ; porte fermée, cherche-le." (Proslogion, chapitre I)

Aphraate le Sage Persan (IVe siècle)

"La foi se compose de maintes choses et s'auréole de maintes couleurs, car elle est semblable à un édifice construit de multiples matériaux et son édifice s'élève jusqu'en haut. La fondation, c'est la base de tout l'édifice. Si quelqu'un accède à la foi, il est posé sur la pierre, c'est-à-dire notre Seigneur Jésus le Messie. Son édifice ne sera pas ébranlé par les flots, ni endommagé par les vents, il ne tombera pas, renversé par les tempêtes, car son édifice s'élève sur le roc de la vraie pierre (cf. Mt 7, 24).
Quand tout son édifice est élevé, qu'il est parvenu au faîte et achevé, il devient maison et temple d'habitation pour le Messie. Quand la maison est devenue maison d'habitation, l'homme commence alors à se préoccuper de ce qui est demandé par celui qui habite l'édifice. Pour que la maison devienne sa demeure, on lui demande le jeûne pur, établi sur la foi ; on lui demande la prière pure, reçue dans la foi ; lui est nécessaire l'amour, monté sur la foi ; il lui faut aussi les aumônes, données avec la foi ; qu'il demande l'humilité, aimable avec la foi. Ce sont les oeuvres demandées par le roi Messie, qui habite dans les hommes construits par de telles oeuvres."
(Exposés I, 1-3, SC 340, Cerf, 1988, pp. 208-211).

Apophtegmes des Pères

"Sainte Synclétique dit : "De même qu'un trésor découvert est bientôt dépensé, de même disparaît une vertu que l'on fait connaître en la publiant. Car, comme la cire fond à l'approche du feu, ainsi l'âme se dissipe-t-elle du fait des louanges et perd-elle sa vigueur."
Elle dit encore : "De même qu'il n'est pas possible d'être en même temps plante et graine, de même nous est-il impossible, tant que nous sommes entourés de la gloire mondaine, de porter un fruit céleste."
Un vieillard dit : "Celui qui manifeste et rend publiques ses bonnes actions est semblable à celui qui sème à la surface de la terre, les oiseaux du ciel viennent et mangent la semence ; mais celui qui cache sa façon de vivre, c'est comme s'il semait dans des sillons en terre, il fera une abondante récolte""
(Apophtegmes des Pères, extraits Collection systématique, VIII, 24-25.30, "Sources chrétiennes" n° 387, pp. 417-421).

Athanase d'Alexandrie

"Comme un musicien qui accorde sa lyre et rapproche habilement les sons graves des notes aiguës, et les moyens des autres, pour exécuter une seule mélodie, ainsi la sagesse de Dieu, tenant l’univers comme une lyre, rapproche les êtres qui sont dans l’air de ceux qui sont sur terre, et ceux qui sont dans les cieux de ceux qui sont dans l’air ; adaptant l’ensemble aux parties, et menant tout par son commandement et sa volonté, il produit dans la beauté et l’harmonie, un monde unique et un seul ordre du monde […] Tous les êtres selon leur nature, tiennent de lui la vie et la subsistance, et il réalise une harmonie admirable et vraiment divine.
Pour faire comprendre par un exemple une si grande chose, représentons ce que nous venons de dire à l’image d’un chœur nombreux. Ce chœur est composé de différents exécutants, hommes, enfants, femmes et vieillards, et jeunes gens. Et au signe d’un seul chef, chacun chante selon sa nature et sa capacité, l’homme avec une voix d’homme, l’enfant comme un enfant, le vieillard comme un vieillard, le jeune homme comme un jeune homme et tous exécutent une seule harmonie."
(Traité contre les païens, 42-43 ; voir SC 18 bis, pp.193-195).

"Le livre des psaumes a une certaine grâce propre et réclame une attention toute spéciale. Outre ce qu'il possède de commun avec les autres ouvrages de la Bible, il a en propre de receler tous les mouvements de l'âme, ses changements et ses redressements, convenablement exprimés et montrés... A celui qui court après la vertu et veut savoir comment Notre Seigneur s'est conduit durant sa vie mortelle, ce livre divin rappelle en priorité ce que sont les mouvements de l'âme... Dans l'affliction, sa lecture apporte une grande consolation; dans la tentation et la persécution, on en tire une plus grande résistance et l'on est protégé par le Seigneur qui a protégé l'auteur du psaume... Dans le péché, on rentre en soi-même et l'on renonce; sans péché, on se trouve dans la joie parce qu'on tend vers les biens qui nous sont offerts. Dans la lutte, le chant des psaumes procure la force... Qu'ils soient aussi l'objet de ton occupation; lis-les avec sagesse et tu pourras, conduit par l'Esprit, comprendre le sens propre de chacun. Tu imiteras la vie des saints qui, portés par la vie de Dieu, ont écrit ces textes." (Lettre à Marcellin)

Augustin

"Nous ne devons pas en effet souhaiter qu'il y ait des malheureux pour avoir l'occasion d'accomplir des oeuvres de miséricorde. Tu donnes du pain à qui a faim : mais mieux vaudrait que nul n'ait faim et que tu n'aies personne à qui donner ! Tu vêts qui est nu : plût au ciel que tous fussent vêtus et que cette nécessité ne se fît pas sentir ! Tu ensevelis un mort : plaise au ciel quev vienne enfin cette vie où personne ne meure ! Tu apaises des différends : plaise au ciel qu'un jour règne cette paix de l'éternelle Jérusalem, où nul n'est en désaccord ! Tous ces services, en effet, répondent à des nécessités. Supprime les malheureux : les oeuvres de miséricorde cesseront. Les oeuvres de miséricorde cesseront, est-ce à dire que l'ardeur de la charité s'éteindra ? Plus authentique est l'amour que tu portes à un homme heureux, qui n'a que faire de tes dons ; plus pur sera cet amour, et bien plus sincère. Car, en rendant service à un malheureux, peut-être désires-tu t'élever en face de lui, et veux-tu qu'il soit ton obligé, lui qui est à l'origine de ton bienfait. Il était dans le besoin, tu lui as donné une part de ton bien : parce que toi tu donnes, tu sembles supérieur à celui à qui tu donnes. Souhaite qu'il soit ton égal : en sorte que vous soyez l'un et l'autre sous la dépendance de celui auquel on ne peut rien donner."
(Commentaire de la première Epître de saint Jean, VIII, 5, SC n° 75, p. 349).

"Jetez vos filets." Il ne dit ni à droite ni à gauche, mais seulement : "Jetez vos filets.". Car s'il disait "à gauche", il donnerait à entendre seulement les méchants, et "à droite", seulement les bons. En ne disant ni à droite ni à gauche, il donne à entendre les bons et les méchants. Telle est maintenant l'Eglise, pleine de méchants et de bons. Une multitude remplit l'Eglise, mais il arrive que cette multitude pèse lourd et conduise presque au naufrage. La multitude des gens qui vivent mal désoriente ceux qui vivent bien, elle les met en un tel désarroi que celui qui vit bien se prend pour un imbécile, quand il en voit d'autres vivre mal.
La barque crie qu'elle enfonce sous le poids de la multitude, comme si le bateau lui-même émettait cette parole : La lassitude me prend à la vue des pécheurs qui abandonnent ta loi (Ps 118, 53). Même si tu enfonces, prends garde de ne pas sombrer. Maintenant il faut supporter les méchants et non s'en séparer. Nous chanterons au Seigneur sa miséricorde et sa justice (Ps 100, 1). La miséricorde est offerte d'abord, le jugement aura lieu plus tard, la séparation se fera au jugement. Pour l'instant, que l'homme de bien m'écoute et devienne meilleur. Que le méchant m'écoute aussi et devienne bon. Voici le temps de la pénitence, non de la sentence."
(Sermons pour la Pâque, Sermons 250, 2, SC 116, Cerf, 1966, pp. 313-315.)

Augustin évoque ci-dessous le récit de la Genèse, quand Dieu retire à l'homme une "côte" pour former la femme (Genèse 2, 21-24).

« Dieu aurait pu enlever un peu de chair à l’homme pour en faire la femme, et il semble que cette manière d’agir aurait été plus en harmonie avec ce qui était fait. Il s’agissait en effet de former le sexe faible, et cette faiblesse aurait dû être formée de la chair plutôt que des os, car les os sont ce qu’il y a de plus solide dans notre corps. Mais Dieu n’a pas enlevé de la chair pour en former la femme, il a enlevé un os et de cet os la femme a été formée, et dans le corps d’Adam cet os a été remplacé par de la chair. Dieu pouvait lui remettre un nouvel os, il pouvait, pour former la femme, enlever de la chair, et non une côte. Qu’a-t-il donc symbolisé ? La femme a été formée d’une côte, comme étant forte ; Adam a été transformé en chair, comme étant faible. Il s’agit du Christ et de l’Eglise, sa faiblesse est notre force. ».
(Homélies sur l'Evangile de Jean, XV, 8, p. 769 du vol. 71 de la Bibliothèque aubgustinienne, DDB).

"Voilà du bois de chêne, un habile artisan voit ce bois non taillé, coupé dans la forêt ; ce bois lui plaît ; je ne sais ce qu'il veut en faire, mais il n'aime pas ce bois pour qu'il demeure tel quel. Son art lui fait voir ce que ce bois peut devenir, son amour ne va pas au bois brut : il aime ce qu'il en fera, non le bois brut. C'est ainsi que Dieu nous a aimés quand nous étions pécheurs. Il nous a aimés pécheurs ; il dit en effet : Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades... (Mt 9, 12). Nous a-t-il aimés pécheurs pour que nous demeurions pécheurs ?
Toi de même, tu vois ton ennemis s'opposer à toi, se déchaîner contre toi, t'accabler de paroles mordantes, se rendre rude par ses affronts, te poursuivre de sa haine ? Mais tu es attentif au fait qu'il est homme. Tu n'aimes pas en lui ce qu'il est, mais ce que tu veux qu'il soit.. Donc quand tu aimes ton ennemi, tu aimes un frère.
Cherche la raison pour laquelle le Christ te dit d'aimer tes ennemis (cf. Mt 5, 44). Est-ce pour qu'ils demeurent à jamais tes ennemis ? S'il te prescrit de les aimer pour qu'ils demeurent tes ennemis, tu les hais, tu ne les aimes pas. Vois comment lui-même les a aimés : non pour qu'ils restent ses persécuteurs, comme le montrent ses paroles : Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (Luc23,34).Vouloir qu'ils soient changés, c'était, d'ennemis qu'ils étaient, daigner faire d'eux des frères."
(Augustin d'Hippone : Homélie sur la Première Lettre de Jean, IV, 9 ; SC 75, 1994, pp. 203-205).

"Vous n'avez pas besoin d'enseignement (1 Jn 2, 27). Mais alors que faisons-nous, frères, nous qui nous efforçons de vous instruire ? Si l'onction de l'Esprit vous instruit de tout, notre travail est pratiquement sans objet !
Considérez là un grand mystère, mes frères : le son de nos paroles frappe vos oreilles, le maître est au-dedans. Ne pensez pas que l'on apprenne quelque chose d'un autre homme. Nous aurons beau éveiller votre attention par le bruit de nos voix, si celui qui vous instruit n'est pas en vous, vain sera le bruit de nos paroles. D'ailleurs, frères, en voulez-vous la preuve ? N'avez-vous pas tous entendu ce sermon ? Combien sortiront d'ici sans avoir rien appris ? Pour ce qui me revient, j'ai parlé à tous ; mais ceux à qui cette onction ne parle pas intérieurement, ceux que l'Esprit Saint n'instruit pas au-dedans, s'en vont sans avoir rien appris. Les enseignements extérieurs sont tout au plus un soutien, un rappel. La chaire de celui qui instruit les coeurs se trouve dans le ciel.
Voilà pourquoi il dit lui-même dans l'Evangile : Ne vous faites pas appeler "maître" sur la terre : vous n'avez qu'un seul Maître, le Christ (Mt 23, 8-10). Que lui-même vous parle donc au-dedans !"
(Commentaire sur la Première lettre de Jean, III, 13).

"Le Seigneur jugera l'univers entier dans l'équité, et les peuples dans la vérité." Quelle équité, quelle vérité ? Il rassemblera ses élus pour juger avec lui, et séparera les autres. Il placera les uns à droite, les autres à gauche. Quoi de plus conforme à la vérité, à la justice, que de réduire à n'attendre du souverain aucune miséricorde, ceux qui n'ont voulu faire aucune miséricorde avant son avènement ? Mais ceux qui auront voulu faire miséricorde, seront jugés avec miséricorde. Il sera dit à ceux de droite : "Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde [Mt 25, 34]". Et le Sauveur énumère les oeuvres de miséricorde : "J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire [Mt 25, 30]" ; et le reste. Que doit-il reprocher à ceux de gauche ? De n'avoir point voulu faire miséricorde. Et où vont-ils ? "Allez au feu éternel [Mt 25, 41]". Cette parole sévère produira un immense gémissement. Mais que nous dit un autre psaume ? "La mémoire du juste ne périra point, et il ne craindra point la parole terrible [Ps 111, 7]". Quelle est cette parole terrible ? "Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges [Mt 25, 41]". Or, celui qui se réjouira d'entendre la parole de bénédiction, n'aura pas à craindre la parole terrible. Comment se réjouiront-ils de la parole de bénédiction ? Venez, bénis de mon Père". Quelle parole ne craindront-ils point ? "Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges".
Voilà la justice, voilà la vérité. Il jugera l'univers entier dans la justice, et les peuples dans la vérité". Parce que tu es injuste, le juge ne sera-t-il pas juste ? Parce que tu es menteur, la vérité cessera-t-elle d'être vraie ? Si tu veux obtenir miséricorde, sois miséricordieux avant son avènement : pardonne si l'on t'a offensé, donne de ton abondance. Et de qui viennent les dons, sinon de lui ? Donner ton bien serait une largesse ; donner du sien est une restitution. "Qu'as-tu donc que tu n'aies pas reçu ? [1 co 4, 7]". Ainsi voilà les hosties agréables à Dieu, la miséricorde, l'humilité, la confession, la paix, la charité. Voilà ce que nous apportons, afin d'attendre en sécurité l'avènement du souverain juge, "qui jugera l'univers entier dans l'équité, et les peuples dans sa vérité".
(Discours sur le Psaume 95, 15).

"Vous le savez, frères bien-aimés, c'est à partir de ses propres erreurs, lors de la passion de son Sauveur, que le bienheureux Pierre a progressé, et c'est après avoir renié le Seigneur qu'il est devenu meilleur auprès du Seigneur. Car il a été rendu plus fidèle après avoir pleuré sur la foi qu'il avait perdue, et c'est pourquoi il a reçu une grâce plus grande que celle qu'il avait rejetée. Il s'est vu confier le troupeau pour le protéger comme un bon berger : de la sorte, lui qui auparavant avait été faible pour lui-même, il devait devenir un soutien pour tous, et lui qui, interrogé, avait succombé à la tentation, il devait établir les autres dans la stabilité de la foi. Et enfin, il est appelé la "pierre" des Eglises pour la solidité de sa piété, comme le dit le Seigneur : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise (Mt 16, 18).
Ce nom de "Pierre" lui est donné parce que, le premier, il posa parmi les nations les fondements de la foi (cf. 1 Co 3, 10) et que comme un rocher indestructible, il supporte les assises et l'ensemble de l'oeuvre chrétienne. C'est pour sa piété qu'il est appelé Pierre, et c'est pour sa puissance que le Seigneur est dit "pierre" lui aussi, comme le dit l'Apôtre : Ils buvaient à une pierre spirituelle qui les suivait, et cette pierre, c'était le Christ (1 Co 10, 4). Oui, il mérite de partager un même nom avec le Christ, lui qui mérite de partager son oeuvre. Car c'est pour la même maison que Pierre pose les fondations, que Pierre plante, que le Seigneur donne l'accroissement, que le Seigneur assure l'irrigation (cf. 1 Co 3, 6-8). Pierre progresse donc à partir des tentations, il se réjouit dans les larmes, il grandit dans les périls."

(Sermon 192 sur la Chaire de saint Pierre, 1 [PL 39, 2102], traduction inédite de Guillaume Bady pour Magnificat, n° 295, juin 2017, pp. 59-60).

"Mes frères, interrogez-vous bien vous-mêmes ; faites l'inspection de vos greniers intérieurs. Voyez, examinez ce que vous possédez en fait de charité et accroissez ce que vous allez trouver. Faites attention à un pareil trésor pour être riches au-dedans. De tout ce qui est d'un grand prix, on dit : c'est cher ; et ce n'est pas un vain mot. Remarquez les vocables du langage usuel. On dit : cet objet est plus cher que cet autre. Que veut dire : il est plus cher, sinon : il a plus de prix ? Si on dit "plus cher" ce qui a plus de prix, qu'y a-t-il de plus cher que la charité, mes frères ? Réfléchissons ; quel est son prix, où le trouver ?
Le prix du blé, c'est ta monnaie ; le prix d'une terre, ton argent ; le prix d'une perle, ton or ; le prix de la charité, c'est toi ! Tu cherches comment te procurer une terre, une pierre précieuse, une bête de somme. Tu cherches de quoi les acheter et tu cherches chez toi. Si tu veux posséder la charité, c'est toi qu'il faut chercher, toi, qu'il faut trouver. Pourquoi crains-tu de te donner ? As-tu peur d'être détruit ? Au contraire, si tu ne te donnes pas, c'est alors que tu te perds. La charité en personne parle par la Sagesse et elle te dit - ne prends pas peur de ce qu'elle te dit - : "Donne-toi toi-même".
Si quelqu'un voulait te vendre une terre, il te dirait : donne-moi ton or. Veut-on te vendre autre chose ? on te dit : donne moi ta monnaie ; donne-moi ton argent. Ecoute ce que la charité te dit par la bouche de la Sagesse : "Mon fils, donne-moi ton coeur" (Pr 23, 26). "Donne-moi", dit-elle. Quoi ? - Ton coeur, mon fils". Il allait mal quand il était sous tes ordres, quand il était à ton service : les babioles l'attiraient, ainsi que les amours légères et dangereuses. Ote-le de là. - Où l'emportes-tu ? où le mets-tu ? - Donne-moi ton coeur, dit-elle. Qu'il soit à moi : il ne sera pas perdu pour toi. Vois s'il a voulu te laisser la faculté de t'aimer si tu en as envie, Celui qui te dit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit" (Mt 22, 37). Que va-t-il rester de ton coeur, de ton âme, de ton esprit pour t'aimer toi-même ? "Tout", dit-il ; il te réclame tout entier, Celui qui t'a fait. Ne t'attriste pas comme s'il ne demeurait plus en toi aucune source de joie. Il faut "qu'Israël se réjouisse" - non en lui-même - mais "en celui qui l'a fait".
(Sermon 34 sur le Psaume 149, 4, 7 in Les psaumes commentés par les Pères, "Migne, "Les Pères dans la foi", pp. 319-320).

"Tes œuvres passées, avant que tu aies la foi, ou bien n'existaient pas, ou bien, si elles paraissaient bonnes, étaient vaines. En effet, si elles n'existaient pas, tu étais comme un homme sans pieds ou comme un homme aux pieds paralysés incapable de marcher, et, si elles paraissaient bonnes avant que tu aies la foi, tu courais, certes, mais, en courant hors du chemin, tu t'égarais plutôt que tu n'approchais du but. Il nous faut donc courir et courir sur le chemin. Celui qui court hors du chemin court en vain, ou plutôt il court au devant de la peine : il s'égare d'autant plus qu'il court hors du chemin. Quel est le chemin sur lequel nous courons ? Le Christ a dit : Je suis le Chemin (Jn, 14, 6)."
(Commentaire sur la Première Lettre de Jean, 10, 1).

"Que serons-nous donc, quand nous le verrons ? Quelle promesse nous a été faite ? Nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est. La langue dit ce qu'elle peut ; le reste, c'est au cœur de le comprendre. En comparaison de Celui qui est, qu'a pu dire Jean lui-même ? et que pouvons-nous dire, nous, hommes, qui sommes si loin d'égaler ses mérites ?
Revenons donc à cette onction du Christ, revenons à cette onction qui nous enseigne au-dedans ce que nous ne pouvons pas exprimer ; et puisque vous ne pouvez voir dès maintenant, que vos efforts se résolvent en désir.
Toute la vie du vrai chrétien est un saint désir. Sans doute, ce que tu désires, tu ne le vois pas encore : mais le désir te rend capable, quand viendra ce que tu dois voir, d'être comblé.
Supposons que tu veuilles remplir quelque objet en forme de poche et que tu saches la surabondance de ce que tu as à recevoir ; tu étends cette poche, sac, outre, ou tout autre objet de ce genre ; tu sais combien grand est ce que tu as à y mettre, et tu vois que la poche est étroite : en l'étendant, tu en augmentes la capacité. De même, Dieu, en faisant attendre, étend le désir ; en faisant désirer, il étend l'âme ; en étendant l'âme, il la rend capable de recevoir.
Désirons donc, mes frères, parce que nous devons être comblés. Voyez Paul, étendant la contenance de son âme, pour être capable de saisir ce qui est à venir ; il dit en effet : Ce n'est pas que je l'aie déjà saisi ou que j'aie déjà atteint la perfection : pour moi, frères, je ne pense pas l'avoir saisi. - Que fais-tu alors en cette vie, si tu ne penses pas l'avoir saisi ? - Une seule chose compte : Oubliant ce qui est en arrière, je m'étends vers ce qui est en avant, tendu de tout mon être vers le but pour atteindre le prix auquel Dieu m'a appelé d'en haut.. Il dit qu'il s'étend et il dit qu'il tend de tout son être vers le but à atteindre. Il se sentait trop étroit pour saisir ce que l'oeil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté au coeur de l'homme. Telle est notre vie : nous exercer en désirant. Or un saint désir nous exerce d'autant plus que nous avons détaché nos désirs de l'amour du monde. Nous l'avons déjà dit précédemment : vide à fond ce qui doit être rempli. Le bien doit remplir ton âme, déverse le mal. Suppose que Dieu veuille te remplir de miel : si tu es plein de vinaigre, où mettre le miel ? Il faut répandre le contenu du vase ; il faut purifier le vase lui-même ; il faut le purifier, fût-ce à force de peiner, à force de frotter, pour le rendre apte à recevoir cette réalité mystérieuse. Que, cette réalité, nous n'arrivions pas à lui donner son vrai nom, que nous la nommions or, que nous la nommions vin, quelque nom que nous donnions à ce qui ne peut être nommé, quelque nom que nous prétendions lui donner, son nom est Dieu. Et quand nous disons "Dieu", que disons-nous ? Ces deux syllabes [Deus en latin], est-ce là seulement ce à quoi nous aspirons ? Tout ce que nous pouvons dire est donc au-dessous de la réalité ; étendons-nous vers lui, afin que, lorsqu'il viendra, il nous remplisse. Car nous lui serons semblables quand nous le verrons tel qu'il est."
(Commentaire sur la 1ère Lettre de Jean, 4, 6).

"Beaucoup de gens, bien qu'ils ignorent sa naissance virginale, croient que le Seigneur Christ est un homme, né d'un homme, amis comme ennemis ont cru que le Christ a été crucifié et qu'il est mort. Ils ne l'ont pas connu ressuscité, si ce n'est ses seuls amis. Pourquoi donc ?
Le Seigneur Christ qui a voulu naître, qui a voulu mourir, s'est proposé de ressusciter ; c'est là ce qui fonde notre foi. Car dans notre condition, la condition humaine, nous connaissons deux choses : le naître et le mourir. Pour nous apprendre aussi ce que nous ne connaissions pas, le Seigneur a reçu ce que nous connaissions. Il s'est accoutumé à notre pays, à notre condition mortelle où l'on est accoutumé à naître et à mourir. On en a si bien l'habitude que ce qui ne peut être dans les cieux ne cesse pas sur la terre. Mais ressusciter et vivre éternellement, qui le savait ?
Cette nouveauté, celui qui vient de Dieu l'apporte dans notre pays. Il se fait homme pour l'homme. Merveilleuse compassion ! Il se fait homme, celui qui fit l'homme.
Il nous dit en quelque sorte : "Ne craignez pas le mal de mourir, mais craignez de mal vivre. Tout homme craint ce que personne n'évitera, et ne fait pas ce qu'il peut faire. Ne pas mourir, tu ne peux le faire, mais vivre bien, tu le peux."
(Sermon Morin Guelferbytanus 12, in 2000 ans d'homélies, année B, Socéval, Perpignan, 2001, pp. 132-133).

"Le nom même d'Adam signifie l'univers selon la langue grecque. Il comprend en effet quatre lettres : A, D, A et M. Or, en grec, le nom de chacune des quatre parties du monde commence par l'une de ces quatres lettres : l'orient se dit "Anatolê", l'occident "Dysis", le nord "Arctos" et le midi "Mesêmbria" ; ce qui fait "Adam". Adam est donc répandu maintenant sur toute la surface de la terre. Jadis concentré en un seul lieu, il est tombé et, se brisant en quelque sorte, il a rempli de ses débris tout l'univers. Mais la miséricorde divine a rassemblé de partout les fragments, elle les a fondus au feu de sa charité, elle a reconstitué leur unité brisée. C'est là une oeuvre que cet Ouvrier sait faire : que nul n'en désespère donc. Oeuvre immense, il est vrai, mais songez quel est l'Ouvrier. Il refait ce qu'il avait fait : il reforme ce qu'il avait formé."
(Explication du Psaume 95, 15, cité in H. de Lubac : Catholicisme, Cerf, Paris, 1947, pp. 332-333).

"Le Seigneur aime la miséricorde et le jugement [Ps 32, 5]. Aimez-les, puisque Dieu les aime. Appliquez-vous, mes frères. C'est maintenant le temps de la miséricorde, ensuite viendra celui du jugement. Pourquoi est-ce aujourd'hui celui de la miséricorde ? C4est que maintenant, il appelle ceux qui se détournent de lui et pardonne à ceux qui se tournent vers lui ; c'est qu'il attend avec patience que les pécheurs se convertissent ; c'est qu'après leur conversion il oublie le passé, il promet l'avenir, il stimule la lenteur, il console dans l'affliction, il enseigne ceux qui sont studieux, il vient en aide à ceux qui combattent ; il n'abandonne aucun de ceux qui sont dans la peine et qui crient vers lui ; il nous donne ce que nous devons lui offrir en sacrifice et nous met en main de quoi l'apaiser. Qu'un temps si précieux de miséricorde ne passe point pour nous, mes frères, qu'il ne s'écoule point inutilement pour nous ! [...]
C'est donc maintenant le temps de la miséricorde que doit suivre le temps du jugement. Toutefois, mes frères, gardez-vous de croire que ces deux attributs puissent être séparés en Dieu. Il semble, en effet, qu'ils soient contradictoires et que la miséricorde ne devrait pas se réserver le jugement, comme le jugement devrait se faire sans miséricorde. Mais Dieu est tout-puissant, et dans sa miséricorde il exerce la justice, comme dans ses jugements il n'oublie pas la miséricorde."
(Discours sur les Psaumes, 32, 10-11, Cerf, 2007, pp. 371-372)

"...Pour que personne n'en vienne à penser que, seuls, le Père et le Fils, sans le Saint-Esprit, font leur demeure chez ceux qui les aiment, qu'on se rappelle ce qui a été dit plus haut de l'Esprit Saint : Le monde ne peut pas le recevoir parce qu'il ne le voit pas et qu'il ne le connaît pas, mais, vous, vous le connaîtrez parce qu'il demeure chez vous et qu'il sera en vous [Jn, 14, 17]. Vous le voyez, le Saint-Esprit fait, avec le Père et le Fils, sa demeure dans les saints, c'est-à-dire à l'intérieur d'eux, comme Dieu dans son temple. Le Dieu Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, viennent à nous tandis que nous venons à eux, ils viennent en nous secourant, nous venons en leur obéissant, ils viennent en nous illuminant, nous venons en les contemplant, ils viennent en nous comblant, nous venons en accueillant leurs dons de telle sorte que la vision que nous avons d'eux n'est pas pour nous extérieure, mais intérieure, et que leur demeure en nous n'est pas transitoire, mais éternelle."
(Homélies sur l'Evangile de Jean, Tract. 76, 4).

"Il importe peu, en professant la foi qui conduit à Dieu, que l'on adopte tel ou tel genre de vie, pourvu qu'il ne soit pas contraire aux préceptes divins. Quant aux trois genres de vie : loisir, action, union des deux, chacun est libre, la foi étant sauve, d'adopter celui qu'il veut pour parvenir ainsi aux récompenses éternelles, l'important est de ne pas perdre de vue ce que l'amour de la vérité nous fait conserver et ce que le devoir de la charité nous fait sacrifier. Mais on ne doit pas vivre dans le loisir au point d'oublier au cours de ce loisir le souci d'être utile au prochain, ni dans l'activité, au point de négliger la recherche de la contemplation de Dieu. Dans le loisir, ce n'est pas le désoeuvrement qu'on doit aimer, mais la recherche ou la découverte de la vérité, pour y faire des progrès, sans refuser de partager avec autrui ce qu'on aurait trouvé. Dans l'action, ce n'est pas aux dignités de cette vie ni au pouvoir qu'il faut s'attacher, car tout est vanité sous le soleil (Qo 1, 14) : c'est à l'oeuvre elle-même, accomplie dans l'exercice de ces dignités et de ce pouvoir, pourvu qu'elle soit droite et utile, c'est-à-dire capable de contribuer, selon le plan divin, au salut des autres."
(La Cité de Dieu, 19, 19, Bibliothèque Augustinienne, n° 37, pp. 135-137).

"Dieu n'a pas été obligé de faire tout ce qu'il a fait, mais il a fait tout ce qu'il a voulu (Ps 134, 6). La cause de tout ce qu'il a fait, c'est sa volonté. Toi, tu te fais une maison, parce que si tu ne veux pas la faire, tu resteras sans logement, la nécessité t'oblige à te faire une maison, non la libre volonté. Dieu, lui, a agi par bonté. Il n'a eu besoin d'aucune des choses qu'il a faites.
Trouvons-nous quelque chose que nous fassions par libre volonté ? Oui, quand nous louons Dieu par amour. Car tu agis par libre volonté quand tu aimes ce que tu loues, tu ne le fais pas par nécessité, mais parce qu'il te plaît de le faire. Aussi Dieu a-t-il plu aux justes et aux saints de Dieu, même quand il les châtiais. Alors qu'il déplaisait à tous les injustes, à eux il a plu. Les châtiments, les peines, les labeurs, les blessures, la pauvreté même ne les empêchèrent pas de louer Dieu, il ne leur a pas déplu, même quand il les éprouvait.
Tel est l'amour gratuit, qui n'entend point recevoir de salaire, car ton plus grand salaire, ce sera Dieu lui-même, que tu aimes gratuitement. Et tu dois aimer sans cesser de le désirer, lui, plutôt qu'un salaire, car lui seul te comble. C'est ainsi que Philippe le désirait quand il dit : Montre-nous le Père et cela nous suffit (Jn 14, 8). Il avait raison, car en cela nous agissons par libre volonté, puisque c'est par libre volonté que nous devons agir et que c'est avec joie et par amour que nous agissons."
(Commentaire sur le psaume 134, 11 ; trad. de Guillaume Bady in Magnificat, n° 257, mai 2014, p. 246).

"Dans les premiers temps, l'Esprit-Saint descendait sur les croyants et ils se mettaient à parler en langues qu'ils n'avaient point apprises, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer. Ces signes avaient alors leur raison d'être. Il convenait en effet que l'Esprit-Saint fût figuré par ce don de toutes les langues, puisque l'Evangile de Dieu, par le moyen de toutes ces langues, devait se répandre sur toute la terre. Le signe a été donné, puis il est passé. Attend-on maintenant, de ceux auxquels on impose les mains afin qu'ils reçoivent le Saint-Esprit, qu'ils se mettent à parler en langues ? Et lorsque nous imposons les mains à ces baptisés, chacun d'entre vous s'attend-il à ce qu'ils se mettent à parler en langues ? Faute de voir s'accomplir ce prodige, lequel d'entre vous aurait l'esprit assez mal tourné pour dire : Ils n'ont pas reçu le Saint-Esprit, car, s'ils l'avaient reçu, ils parleraient en langues comme cela s'est vu jadis ? Si donc la présence du Saint-Esprit n'est plus attestée aujourd'hui par des miracles, que faire, à quoi reconnaître qu'on a reçu le Saint-Esprit ?
Que chacun interroge son coeur ! S'il aime son frère, l'Esprit-Saint demeure en lui..."
(Commentaire de la Première Epitre de S. Jean, VI, 10, Sources Chrétiennes n° 75, p. 299)

"Quand Jésus a promis d'aller dans sa demeure guérir le serviteur du centurion, celui-ci a répondu : Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri {Mt 8, 8]. En se disant indigne, il se montre digne - digne non seulement que le Christ entre dans sa maison, mais aussi dans son coeur
Car ce n'aurait pas été pour lui un grand bonheur si le Seigneur Jésus était entré dans sa maison sans être dans son coeur. En effet, le Christ, maître en humilité par son exemple et ses paroles, s'est assis à table dans la demeure d'un pharisien orgueilleux, nommé Simon. Mais bien qu'il ait été à sa table, il n'était pas dans son coeur : Là, le Fils de l'Homme n'avait pas où reposer sa tête [Lc 9, 58]. Au contraire, ici il n'entre pas dans la maison du centurion, mais il possède son coeur.
C'est donc la foi jointe à l'humilité que le Seigneur loue chez ce centurion. Quand celui-ci dit : Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, le Seigneur répond : En vérité, je vous le dis, je n'ai pas trouvé une telle foi en Israël [Mt 8, 10]. Le Seigneur était venu au peuple d'Israël selon la chair, pour chercher d'abord dans ce peuple sa brebis perdue [cf. Lc 15, 4]. Nous autres, en tant qu'hommes, nous ne pouvons pas mesurer la foi des hommes. C'est celui qui voit le fond des coeurs, celui que personne ne trompe, qui a témoigné de ce qu'était le coeur de cet homme, entendant sa parole pleine d'humilité et lui donnant en retour une parole qui guérit."
(Sermon 62, in 2000 ans d'homélies, Année 1, Socéval, Perpignan, p. 80)

"Dirigeant mes efforts d'après la règle de foi, autant que je l'ai pu, autant que tu m'as donné de le pouvoir, je t'ai cherché ; j'ai désiré voir par l'intelligence ce que je croyais ; j'ai beaucoup étudié et beaucoup peiné. Seigneur mon Dieu, mon unique espérance, exauce-moi de peur que, par lassitude, je ne veuille plus te chercher, mais fais que toujours je cherche ardemment ta face. Ô toi ! donne-moi la force de te chercher, toi qui m'as fait te trouver et qui m'as donné l'espoir de te trouver de plus en plus. Devant toi est ma force et ma faiblesse : garde ma force, guéris ma faiblesse. Devant toi est ma science et mon ignorance : là où tu m'as ouvert, accueille-moi quand je veux entrer ; là où tu m'as fermé, ouvre-moi quand je viens frapper. Que ce soit de toi que je me souvienne, toi que je comprenne, toi que j'aime ! Augmente en moi ces trois dons, jusqu'à ce que tu m'aies réformé tout entier."
(La Trinité XV, 28, 51).

"Malheureuse condition de la nature humaine ! Lorsqu'Eve rapporta ce que lui avait dit le serpent, elle fut aussitôt écoutée. Nous devons donc admirer ici les desseins pleins de bonté de notre Seigneur : le Seigneur Jésus Christ a voulu que sa résurrection fût annoncée d'abord par des femmes. C'est par le sexe féminin que l'homme est tombé, c'est par le sexe féminin qu'il se relève de sa chute ; car c'est une vierge qui a enfanté le Christ, et c'est une femme qui la première annonce sa résurrection ; si donc c'est par une femme que nous avons reçu la mort, c'est par une femme aussi que nous recevons la vie."
(Sermon 232, 2, in Magnificat, n° 209, avril 2010, pp. 86-87).

"Dieu créateur de l’univers, accorde-moi d’abord de bien te prie,
ensuite de me rendre digne que tu m’exauces,
   et enfin d’être sauvé par toi.
Dieu par qui tout ce qui n’existerait pas par soi-même tend à exister,
Dieu qui ne laisse même pas périr les choses qui se détruisent l’une l’autre,
Dieu qui à partir de rien as créé le monde
   dont les yeux de tous perçoivent l’extrême beauté,
Dieu qui, aux rares hommes qui vont trouver refuge auprès de ce qui est vraiment,
   montres que le mal n’est rien,
Dieu par qui l’univers, même avec ses défauts, reste parfait,
Dieu grâce à qui dans les moindres choses n’existe aucun désaccord,
   puisque le pire s’harmonise avec le meilleur,
Dieu qu’aime tout ce qui peut aimer,
   consciemment ou inconsciemment,
C’est toi que j’invoque, Dieu-Vérité,
   en qui, par qui et grâce à qui est vrai tout ce qui est vrai."
Homélie 121 sur l’Evangile de Jean, BA 75, pp. 355-359.

"Se présentant aux regards dans la faiblesse de la chair et demeurant caché selon la majesté divine, notre Seigneur Jésus Christ dit à ceux qui avaient cru en lui quand il parlait : Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples, car celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé, et vous connaîtrez la Vérité qui vous est cachée maintenant et qui vous parle et la Vérité vous délivrera. Ce mot : vous délivrera, le Seigneur l'a tiré du mot de liberté : il délivre ne signifie en effet rien d'autre au sens propre que : il rend libre. De même que sauver ne signifie rien d'autre que rendre sauf, que guérir ne signifie rien d'autre que rendre sain, qu'enrichir ne signifie rien d'autre que rendre riche, ainsi délivrer ne signifie rien d'autre que rendre libre. Cette signification est plus claire dans le mot grec, car selon l'usage du latin nous disons la plupart du temps qu'un homme est délivré alors qu'il ne s'agit pas de sa liberté, mais de sa santé, comme on dit de quelqu'un qu'il est délivré de sa maladie ; c'est le langage habituel, ce n'est pas pourtant le terme propre. Mais le Seigneur a choisi ce mot : La Vérité vous délivrera de telle sorte qu'en grec personne ne puisse douter qu'il ait parlé de la liberté." (Homélies sur l'Evangile de Jean, Tr. 41, 1)

"Jésus donc, fatigué par la route, s'était assis au bord du puits. C'était environ la sixième heure. Déjà commencent les mystères. Car ce n'est pas sans raison que Jésus est fatigué ; car ce n'est pas sans raison qu'est fatiguée la Force de Dieu : car ce n'est pas sans raison qu'est fatigué celui qui refait les forces des fatigués ; car ce n'est pas sans raison qu'est fatigué celui dont l'abandon cause nos fatigues, dont la présence nous réconforte. Jésus cependant est fatigué, et il est fatigué par la route ; il s'assied, et il s'assied au bord du puits, et c'est à la sixième heure qu'il s'assied, fatigué. Tous ces détails signifient quelque chose, ils veulent indiquer quelque chose ; ils nous rendent attentifs, ils nous exhortent à frapper. Qu'il nous ouvre donc lui-même, et à nous comme à vous, celui qui a daigné nous exhorter en disant : Frappez et l'on vous ouvrira. C'est pour toi que Jésus est fatigué par la route. Nous trouvons Jésus qui est la Force même, et nous trouvons Jésus qui est faible. Jésus fort et faible, fort car au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu ; il était au commencement auprès de Dieu. Veux-tu voir à quel point ce Fils de Dieu est fort ? Tout par lui a été fait et sans lui rien n'a été fait, et sans peine il a tout fait. Qu'y a-t-il donc de plus fort que celui par qui, sans peine, tout a été fait ? Veux-tu connaître sa faiblesse ? Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous. La force du Christ t'a créé, la faiblesse du Christ t'a recréé. La force du Christ a donné l'existence à ce qui n'était pas, la faiblesse du Christ a préservé de la mort ce qui était. Il nous a créés par sa force, il nous a recherchés par sa faiblesse.
[...] Vient une femme. Figure de l'Eglise qui n'était pas encore justifiée, mais qui allait bientôt le devenir, car telle sera l'oeuvre de la parole. Elle vient sans rien savoir, elle le rencontre, et il s'entretient avec elle. [...] Ecoutons-nous donc en elle, reconnaissons-nous en elle et en elle rendons grâce à Dieu pour nous. Elle était une figure en effet, et non pas la réalité ; et parce qu'elle-même offrait par avance une figure, elle est aussi devenue réalité. Car elle a cru en celui qui nous la proposait comme figure. Elle vient donc puiser de l'eau. Elle était venue simplement puiser de l'eau, comme les hommes ou les femmes ont coutume de le faire...."
(Homélie XV sur l'Evangile de Jean, 6-10, extraits).

"Louons Dieu, mes frères, et par la voix, et par l'intelligence, et par les bonnes actions ; et d'après l'exhortation du psaume [Ps 149], chantons-lui un cantique nouveau. Car c'est ainsi qu'il commence : "Chantez au seigneur un nouveau cantique" [Ps 149, 1]. Le vieux cantique est celui du vieil homme, le nouveau cantique, celui de l'homme nouveau [...] Et ce cantique est celui de la paix, le cantique de l'amour. Quiconque se sépare de l'assemblée des saints, ne chante pas le cantique nouveau. Il s'attache en effet à la haine qui est antique, et non à l'amour qui est nouveau. Que trouvons-nous dans l'amour nouveau, sinon la paix, le lien d'une société sainte, une union spirituelle, un édifice de pierres vivantes ? Où rencontrer cela ? Non point dans un seul endroit, mais dans l'univers entier. [...] celui qui ne chante pas avec toute la terre, ne chante point un cantique nouveau, quelles que soient les paroles qui sortente de sa bouche. A quoi bon écouter le son de la voix, quand je connais la pensée ? Mais vous, dira-t-on, connaissez-vous la pensée ? Les actes me l'apprennent. [...] Il est beaucoup de pensées qui demeurent dans notre intérieur : mais il en est beaucoup qui passent dans nos oeuvres, et qui deviennent évidentes pour les hommes [...]
"Qu'ils chantent ses louantes au son du tambour et du psaltérion". Pourquoi choisir ici le tambour et le psaltérion ? Afin qu'on ne loue pas Dieu de la voix seulement, mais aussi par les oeuvres. Chanter sur le tambour ou sur le psaltérion, c'est joindre la main à la voix. De même pour toi, lorsque tu chantes l'Alleluia, si ta main donne le pain à celui qui a faim, revêt celui qui est nu, donne l'hospitalité à l'étranger, l'action est en accord avec les paroles. Tu as pris la harpe en main, et les doigts et la langue sont en harmonie. Ne passons pas sous silence la signification mystérieuse du tambour et du psaltérion. Le tampour est formé d'une peau tendue, le psaltérion de cordes tendues aussi. L'un et l'autre de ces instruments désignent la chair crucifiée. Il chantait admirablement sur le tambour et sur le psaltérion, celui qui disait : "Le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde" [Ga 6, 14]. Or il l'engage à prendre le psaltérion et le tambour, celui qui aime le cantique nouveau, et qui te donne cette leçon : "Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il renonce à soi-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive." [Mt 16, 24]. Qu'il ne quitte pas le psaltérion, ne quitte point le tambour, qu'il s'étende sur le bois et desséche la convoitise de la chair. Plus les cordes sont tendues, plus le son en est aigu. Que dit saint Paul, afin de rendre un son plus aigu sur le psaltérion ? "J'oublie ce qui est en arrière, je m'étends vers ce qui est devant moi, poursuivant la palme de la vocation éternelle" [Ph 3, 13-14] L'Apôtre s'étendait pour ainsi dire, et sous le doigt du Christ il rendait le son harmonieux de la vérité. "Chantez ses louanges sur le psaltérion et sur le tambour.""
(Augustin, Discours sur le Ps 149, 1 ; 2 ; 8).

"L'Eglise connaît deux vies qui lui ont été enseignées et recommandées par Dieu. La première est représentée par Pierre, la seconde par Jean. La première s'écoule tout entière ici-bas jusqu'à la fin de ce siècle et elle y trouve sa fin, la seconde ne s'accomplira qu'après la fin de ce siècle, mais dans le siècle futur elle n'aura pas de fin. C'est pourquoi il est dit au premier : Suis-moi et il est dit à l'autre : Je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne (Jn 21, 23).
Ces deux vies, Pierre et Jean en ont été respectivement la figure, mais tous les deux ont marché temporellement par la foi dans la vie d'ici-bas et tous les deux jouiront éternellement par la vision de la vie du ciel. C'est donc pour tous les saints qui appartiennent inséparablement au Corps du Christ, afin de les diriger dans cette vie si orageuse, que Pierre, le premier des apôtres, a reçu les clefs du royaume des cieux pour lier et délier les péchés, et c'est pour tous les saints également, afin qu'ils parviennent au havre de paix de la mystérieuse vie future, que l'évangéliste a reposé sur la poitrine du Christ, car ce n'est pas Pierre seul en effet, mais toute l'Eglise qui lie et délie l es péchés, et ce n'est pas non plus Jean seul qui a bu à la source de la poitrine du Seigneur ce qu'il proclamerait par sa prédication, mais c'est le Seigneur lui-même qui a répandu par tout l'univers l'Evangile."
(Augustin : Homélie 124 sur l'Evangile de Jean, 5 et 7)

"Souvenez-vous de la femme de Loth [Gn 19, 26]. Elle regarda en arrière cette Sodome dont elle était délivrée, elle demeura à l'endroit où elle avait tourné la tête : elle doit y demeurer afin de servir de leçon à tous ceux qui passeront en ces lieux. Donc une fois délivrés de cette Sodome, de notre vie passée, ne regardons plus en arrière [...] que nul ne regarde en arrière, ne trouve sa joie dans sa vie passée, ne se détourne de ce qui est en avant, pour retourner à ce qu'il a quitté. Qu'il hâte sa course jusqu'à ce qu'il soit arrivé ; ce ne sont point nos pieds qui se hâtent, mais l'ardeur de nos désirs. Que nul, tant qu'il est en cette vie, ne dise qu'il est arrivé. Qui peut se flatter d'être aussi parfait que saint Paul ? Et pourtant il a dit :Mes frères, je ne pense pas encore être arrivé au but ; tout ce que je sais, c'est que, oubliant tout ce qui est derrière moi, je m'avance vers ce qui est avant moi, pour atteindre le but et la palme à laquelle Dieu m'a appelé d'en haut, en Jésus-Christ [Ph 3, 13-14]. Voilà Paul qui court encore, et toi, tu te croirais arrivé ?" (Discours sur le Psaume 83, 4).

"Les richesses et les hautes dignités, les grandeurs de ce genre par lesquelles se croient heureux les mortels qui n'ont jamais connu la vraie félicité, que peuvent-elles donner de bon, puisque mieux vaut ne pas en avoir besoin que d'y briller, et qu'on est bien plus tourmenté de la crainte de les perdre qu'on ne l'était du désir d'y parvenir? Ce n'est point par de tels biens que les hommes deviennent bons, mais ceux qui le sont devenus d'ailleurs changent en biens ces richesses périssables par le bon usage qu'ils en font. Là ne sont donc pas les vraies consolations, elles sont plutôt là où est la vraie vie ; car il est nécessaire que l'homme devienne heureux par ce qui le rend bon."
(Lettre à Proba, 3).

"Dieu est amour (1 Jn 4, 8). Pourquoi aller et courir au plus haut des cieux, au plus profond de la terre, à la recherche de celui qui est tout près de nous, si nous voulons être tout près de lui ?
Que personne ne dise : "Je ne sais quoi aimer." Qu'il aime son frère, il aimera ce même amour. Il connaît mieux en effet l'amour dont il aime, que son frère qu'il aime. Et voilà dès lors que Dieu lui est mieux connu que son frère : beaucoup mieux connu, parce que plus présent ; mieux connu, parce que plus intérieur ; mieux connu, parce que plus certain. Embrasse le Dieu amour et tu embrasseras Dieu par amour. C'est ce même amour qui associe tous les bons anges et tous les serviteurs de Dieu par le lien de la sainteté et qui nous unit mutuellement ensemble, eux et nous, en nous unissant à lui qui est au-dessus de nous. Plus nous sommes exempts de l'enflure de l'orgueil, plus nous sommes pleins d'amour. Et de quoi est-il plein, sinon de Dieu, celui qui est plein d'amour ?"
(La Trinité, VIII, VII, 11 - VIII, 12, BA 16, DDB, pp.63).

"Louez le Seigneur (Ps 148, 1) ! Mais louez-le de tout vous-mêmes, c'est-à-dire non seulement de la langue, mais de la voix, mais aussi de toute votre conscience, dans toute votre vie, dans tous vos actes. Nous louons Dieu dans l'Eglise, maintenant que nous y sommes assemblés ; et que chacun se retire chez soi, il semble dès lors interrompre cette louange. Mais qu'il ne cesse de bien vivre, et il ne cesse de louer Dieu. Cesser de louer Dieu, c'est t'écarter de la justice, et de tout ce qui lui plaît. Si jamais tu ne t'éloignes du bien, la langue peut bien se taire, mais ta vie est un chant, et Dieu a l'oreille sur ton coeur.
De même, en effet, que notre oreille entend notre voix, de même l'oreille de Dieu entend nos pensées. Or il est impossible que les actes d'un homme soient mauvais quand ses pensées sont saines. Car l'action vient de la pensée, et nul ne peut rien faire au-dehors ni mouvoir les membres de son corps, si la pensée ne l'a ordonné tout d'abord. Ainsi en est-il des ordres que donne l'empereur dans l'intérieur de son palais, et qui se répandent par tout l'Empire romain et s'accomplissent visiblement dans les provinces. Ainsi chaque homme a en soi-même un empereur qui siège dans son coeur. S'il est bon, il ordonne le bien, et le bien se fait ; s'il est mauvais, il ordonne le mal, et c'est le mal qui se fait. Que le Christ y siège, et alors que pourra-t-il ordonner, sinon le bien ?"
(Augustin :Discours sur les Psaumes, 148, 2).

"Celui qui dit : Ne rabachez pas dans vos prières (Mt 6, 7), dit aussi : Demandez et vous recevrez (Mt 7, 7). Il veut que pour recevoir tu demandes, que pour trouver tu cherches, que pour entrer tu frappes. - Mais pourquoi donc, si notre Père sait ce qu'il nous faut, pourquoi demander ? pourquoi chercher ? pourquoi frapper ? à quoi bon nous fatiguer à prier, à chercher, à frapper pour instruire celui qui connaît nos besoins ? - Ailleurs encore nous relevons une parole analogue du Seigneur : Il faut toujours prier et ne jamais se lasser (Lc 18, 1). - S'il faut prier toujours, pourquoi dit-il : Ne rabâchez pas ? Comment prier sans cesse et finir ma prière promptement ? D'un côté tu m'ordonnes de finir vite, de l'autre, de prier toujours et de ne jamais me lasser. Que signifie ce mystère ? - Pour le pénétrer, demande, cherche, frappe. Car s'il est couvert de voiles, ce n'est point pour te narguer, mais pour te stimuler.
Nous devons donc, frères, nous exciter à la prière, nous comme vous. Car nous n'avons qu'une espérance dans les maux innombrables du temps présent, celle de frapper par la prière, celle de croire et de graver dans nos coeurs la conviction que notre Père ne nous donne pas ce qu'il sait ne pas nous convenir. Ce que tu désires, tu le sais bien ; mais ce qui t'est profitable, lui seul le sait." (Augustin : Sermon 80 "De la prière", 2).

"Quant à toi, progresse avec l’Ecriture qui n’abandonne pas ta faiblesse et qui, maternellement, ralentit le pas pour marcher à ton rythme ; elle parle un langage qui, par sa sublimité, se rit des orgueilleux, par sa profondeur effraie ceux qui la scrutent, par sa vérité nourrit les grands, par son affabilité entretient les petits." (La Genèse au sens littéral, V, 3, 6)

"Tu nous as faits orientés vers toi
et [...] notre coeur est sans repos
tant qu'il ne repose pas en toi."
(Confessions I, i, 1)

"Qu’ils écoutent, qu’ils viennent à toi, qu’ils apprennent de toi à être doux et humbles, ceux qui recherchent ta miséricorde et ta vérité, en vivant pour toi, pour toi et non pour eux. Qu’il entende cela celui qui peine et qui est chargé, qui ploie sous son fardeau jusqu’à ne point oser lever les yeux vers le ciel, le pécheur qui se frappe la poitrine et n’approche que de loin (Lc 18, 13). Qu’il entende le centurion qui n’était pas digne que tu entres sous son toit (Mt 8, 8). Qu’il entende Zachée, le chef des publicains, quand il rend au quadruple le fruit coupable de ses péchés (Lc 19, 2-8). Qu’elle entende la femme qui avait été pécheresse dans la ville et qui répandait d’autant plus de larmes à tes pieds qu’elle avait été plus éloignée de tes pas (Lc 7, 37-38). Qu’ils entendent, les femmes de mauvaise vie et les publicains qui, dans le Royaume des Cieux, précèdent les scribes et les pharisiens Mt 21, 31). Qu’ils entendent les malades de toute sorte dont on te faisait un grief d’avoir été le convive, grief de soi-disant bien portants qui ne cherchaient pas de médecin alors que tu étais venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs à la pénitence (Mt 9, 11-13). Tous ceux-là, quand ils se tournent vers toi, deviennent facilement doux et humbles devant toi, au souvenir de leur vie pleine d’iniquité et de ta miséricorde pleine de pardon, car là où le péché a abondé, la grâce a surabondé [Rm 5, 20]". (Augustin : De la sainte virginité, XXXVI, 36 ; in Bibliothèque Augustienne III - "De l’ascétisme chrétien", p. 269).

"Pour faire le mal, tu fuis le public, tu rentres chez toi où nul ennemi ne te verra ; tu évites même chez toi les endroits les plus exposés, qui seraient le plus en vue ; tu vas dans le lieu le plus secret, encore là tu redoutes un témoin, tu te renfermes dans ton coeur, pour y méditer à l’aise : mais Dieu pénètre plus avant que ton coeur. En quelque lieu que tu fuies, Dieu s’y trouve. Comment te fuir toi-même ? Ne te suivras-tu point partout où tu iras ? Mais lorsque Dieu est plus en toi que toi-même, où fuir un Dieu irrité, sinon en s’abritant sous sa miséricorde ? Tu n’as donc point à fuir ; veux-tu lui échapper ? Fuis en lui-même..." (Augustin : Discours sur les Psaumes, 74, 9).

"Dieu se fait tout pour toi, car il est pour toi la somme de tout ce que tu aimes [...] Si tu as faim, il est ton pain ; si tu as soif, il est ton eau ; si tu es au milieu des ténèbres, il est ta Lumière car il demeure incorruptible ; si tu es nu, il est le vêtement d’immortalité qui te couvrira [...] Tout peut être dit de Dieu mais rien n’est dit qui soit digne de Dieu. Rien de plus étendu que cette indigence : tu cherches un nom convenable, et tu ne le trouves pas ; tu cherches à dire quelque chose, et tous les noms se présentent. » (Augustin : Homélies sur l’Evangile de Jean, Tract. XIII, 5 ; BA 71, pp. 683).

"... la terre ne peut être vue, si elle n’est éclairée par la lumière. Pareillement ces démonstrations que nous livre la science, quiconque les comprend ne peut douter de leur absolue vérité ; mais il faut croire qu’on ne saurait les comprendre, si elles ne recevaient les rayons d’un autre soleil qui leur est propre." (Augustin : Les Soliloques, I ; viii, 15).

"Jésus lui répondit : Si tu savais le don de Dieu et quel est celui qui te dit : Donne-moi à boire, c'est toi peut-être qui l'en aurais prié et il t'aurait donné de l'eau vive. Jésus demande à boire et il promet à boire. Il est dans le besoin comme celui qui acceptera, et il est dans l'abondance comme celui qui rassasiera.[...] Le don de Dieu, c'est l'Esprit Saint. Mais Jésus parle encore à cette femme à mots couverts, et peu à peu il entre dans son coeur. Peut-être même l'instruit-il déjà. Quoi de plus suave en effet et de plus bienveillant que cette exhortation. [...] Il tient jusqu'ici son esprit en suspens. On appelle communément eau vive celle qui sort de la source. Car on ne donne pas ce nom d'eau vive à l'eau de pluie qu'on recueille dans des réservoirs ou dans des citernes. Et même s'il s'agit d'une eau qui provient d'une source mais qui est recueillie dans un réservoir, où la source elle-même ne coule pas, cette interruption du courant fait que l'eau se trouve pour ainsi dire séparée de la source et on ne parle pas alors d'eau vive. L'eau vive est celle qu'on puise jaillissant de la source..." (Augustin, Homélies sur l'Evangile de Jean, Tractatus XV, 12).

"Un corps, en vertu de son poids, tend à son lieu propre.
Le poids ne va pas forcément en bas mais au lieu propre.
Le feu tend vers le haut, la pierre vers le bas :
Ils sont menés par leur poids, ils s’en vont à leur lieu.
L’huile versée sous l’eau s’élève au-dessus de l’eau ;
L’eau versée sur l’huile s’enfonce au-dessous de l’huile :
Ils sont menés par leur poids, ils s’en vont à leur lieu.
S’il n’est pas à sa place, un être est sans repos :
Qu’on le mette à sa place et il est en repos.

Mon poids, c’est mon amour ;
C’est lui qui m’emporte où qu’il m’emporte.
Le don de toi nous enflamme et nous emporte en haut ;
Il nous embrase et nous partons
Nous montons les montées qui sont dans notre cœur
Et nous chantons le cantique des degrés.

Ton feu, ton bon feu nous embrase et nous partons,
Puisque nous partons en haut vers la paix de Jérusalem,
Puisque j’ai trouvé ma joie dans ceux qui m’ont dit :
Nous partirons pour la maison du Seigneur.
Là nous placera la bonne volonté
De sorte que nous ne voulions plus autre chose
Qu’y demeurer éternellement."
(Confessions XIII, ix, 10)

"Qu'il t'arrive quelque bien qui te réjouisse, cela dure un jour, mais le lendemain ce bien qui faisait ta joie est passé. [...] Quel que puisse être ce bien qui fait ta joie, c'est en effet un bien qui passe. Si au contraire, tu mets en Dieu ta joie, tu entendras l'Ecriture qui te dit : "Que Dieu soit tes délices" [Ps 34,4] Ta joie sera d'autant plus solide que celui qui fait ta joie est immuable. [...] Nul ne saurait t'enlever Dieu si tu ne l'abandonnes le premier..." (Augustin : Homélies sur les Psaumes 144, 3)

"Un ordre correct du symbole demandait [...] qu'à la Trinité succédât l'Eglise, comme à l'habitant sa maison, à Dieu son temple, au fondateur sa cité. Eglise qu'il faut prendre ici dans sa totalité, non pas seulement dans celle de ses parties qui voyage sur la terre en louant "depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher" le nom du Seigneur (cf. Ps 112, 3) et après son vieil esclavage chante "un cantique nouveau" (Ap. 5, 9), mais encore dans celle du ciel, qui fut toujours attachée à Dieu depuis le jour de sa création et n'éprouva jamais le malheur d'une chute. Cette Eglise bienheureuse, qui se compose des saints anges, vient en aide comme il convient à la partie d'elle-même qui voyage [encore sur la terre]. L'une et l'autre, en effet, qui seront unies dans la possession de l'éternité, le sont dès maintenant par le lien de la charité." (Enchiridion, 15, 56)

"Que mon lecteur, là où il partage ma certitude, marche avec moi ; là où il partage mon doute, qu'il cherche avec moi ; là où il reconnaît son erreur, qu'il revienne à moi ; là où il reconnaît la mienne, qu'il m'en détourne. C'est ainsi que nous avancerons ensemble sur la voie de la charité, tendant vers Celui dont il est dit : "Cherchez toujours son visage" (Ps 104, 4)" (La Trinité, I, 3, 5)

"C'est en figure que le Seigneur a chassé du Temple les hommes qui cherchaient leurs propres intérêts, c'est-à-dire qui allaient au Temple pour vendre et pour acheter. Mais si ce Temple était une figure, il est évident que le corps du Christ, qui est le vrai Temple dont l'autre était une image, renferme aussi des acheteurs et des vendeurs, c'est-à-dire des gens qui recherchent leurs propres intérêts, non ceux de Jésus-Christ." (Enn. in Ps. 130).

"Que ta joie soit d'écouter Dieu ; que la nécessité seule t'engage à parler ; et tu ne seras point le grand parleur que l'on ne saurait diriger. Pourquoi vouloir parler, sans vouloir écouter ? Toujours être dehors, sans jamais rentrer en toi-même ? Celui qui t'instruit est dans ton coeur ; mais, pour toi, instruire c'est sortir de toi-même pour parler à ceux qui sont au dehors. Or, c'est à l'intérieur que nous écoutons la vérité, et nous parlons à ceux qui sont au dehors de notre coeur. Dire en effet que nous avons dans le coeur ceux à qui nous pensons, c'est dire que nous en avons une certaine image intérieure. Car s'ils étaient au-dedans de nous, ils sauraient ce qui est dans notre coeur, et ils n'auraient aucun besoin de notre parole. Mais si tu aimes l'action du dehors, crains aussi l'orgueil du dehors, crains de ne pouvoir entrer par la porte étroite...
N'aimons donc point ce qui est au dehors, mais ce qui est à l'intérieur. Mettons notre joie dans l'intérieur ; quant à l'extérieur, subissons-le, mais dégageons-en notre volonté..." (Homélie sur le psaume 139, 15).

"Dans son voyage ici-bas, notre vie ne peut pas échapper à l'épreuve de la tentation, car notre progrès se réalise par notre épreuve ; personne ne se connaît soi-même sans avoir été éprouvé, ne peut être couronné sans avoir vaincu, ne peut vaincre sans avoir combattu, et ne peut combattre s'il n'a pas rencontré l'ennemi et les tentations." (Homélie sur le Psaume 60, 3).

"L'homme, avant de croire au Christ n'est pas en route, il erre. Il cherche sa patrie mais il ne la connaît pas. Que veut dire : il cherche sa patrie ? Il recherche le repos, il cherche le bonheur. Demande à un homme s'il veut être heureux, il te répondra affirmativement sans hésiter. Le bonheur est le but de toutes nos existences." (Sermon Mai, 12, d'après Hamman, Saint Augustin prie les Psaumes)

"Nous sommes invités à chanter au Seigneur un chant nouveau. L'homme nouveau connaît ce chant nouveau. Le chant est affaire de joie et, si nous y réfléchissons plus attentivement, il est affaire d'amour. Donc, celui qui sait aimer la vie nouvelle sait chanter le chant nouveau. Qu'est-ce que la vie nouvelle ? Nous y sommes invités à cause du chant nouveau. Car tout appartient au même royaume : l'homme nouveau, le chant nouveau, le testament nouveau. Donc l'homme nouveau chantera le chant nouveau et appartiendra au testament nouveau." (Homélie sur le psaume 149)

"Quand aujourd'hui sont passés les sept jours de la semaine, le huitième jour redevient le premier d'une semaine nouvelle ; ainsi, quand seront écoulés et terminés les sept âges de ce siècle où tout passe, nous rentrerons dans cette immortalité bienheureuse d'où l'homme s'est laissé tomber. Aussi est-ce le huitième jour que finit la fête des nouveaux-baptisés. Aussi est-ce en multipliant sept par sept que l'on obtient quarante-neuf pour arriver à cinquante en y ajoutant cette unité qui recommence tout. On sait que ce n'est pas sans des raisons mystérieuses que jusqu'à la Pentecôte on solennise ce nombre de cinquante [...] Mais en attendant et jusqu'à ce que nous parvenions à ce repos heureux, maintenant que nous nous fatiguons en quelque sorte durant la nuit, puisque nous ne voyons rien de ce que nous espérons, maintenant que nous marchons dans le désert pour arriver à la Jérusalem du ciel, à cette terre promise où coulent le lait et le miel, maintenant que les tentations ne cessent pas de nous assaillir, appliquons-nous à faire le bien. Ayons toujours près de nous un remède, pour guérir nos blessures de chaque jo ur. Ce remède n'est-il pas dans les bonnes oeuvres de miséricorde ? Veux-tu, en effet, obtenir de Dieu miséricorde? Exerce la miséricorde. Si tu refuses , tout homme que tu es, d'être humain envers ton semblable, Dieu refusera à son tour de te rendre divin, c'est-à-dire de t'accorder cette incorruptible immortalité qui fait de nous des dieux."
(Sermon CCLIX "Pourle dimanche de l'octave de Pâques : sur les oeuvres de miséricorde", 2-3)

"Enfin, je n'aime que vous, je ne veux suivre que vous, je ne cherche que vous, je suis disposé à ne servir que vous ; vous seul avez droit de me commander, je désire être à vous. Commandez, je vous conjure, prescrivez tout ce que vous voudrez; mais guérissez et ouvrez mon oreille pour que j'entende votre voix; guérissez et ouvrez mes yeux, pour que je puisse apercevoir les signes de votre volonté. Eloignez de moi la folie, afin que je vous connaisse. Dites-moi où je dois regarder pour vous voir, et j'ai la confiance d'accomplir fidèlement tout ce que vous m'ordonnerez." (Les Soliloques, 1, 5)

"Homme, éveille-toi : pour toi, Dieu s'est fait homme. Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera. Pour toi, je le répète, Dieu s'est fait homme.
Tu serais mort pour l'éternité, s'il n'était né dans le temps. Tu n'aurais jamais été libéré de la chair du péché, s'il n'avait pris la ressemblance du péché. Tu serais victime d'une misère sans fin, s'il ne t'avait fait cette miséricorde. Tu n'aurais pas retrouvé la vie, s'il n'avait pas rejoint ta mort. Tu aurais succombé, s'il n'était allé à ton secours. Tu aurais péri, s'il n'était pas venu." (Sermon pour Noël - Sermon 185).

"Si la foi disparaît, la prière s'éteint. Qui pourrait, en effet, prier pour demander ce qu'il ne croit pas ? Voici donc ce que l'Apôtre dit en exhortant à prier : Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés. Puis, pour montrer que la foi est la source de la prière et que le ruisseau ne peut couler si la source est à sec, il ajoute : Or, comment invoquer le Seigneur sans avoir d'abord cru en lui (Rm 10,13-14)? Croyons donc pour pouvoir prier et prions pour que la foi, qui est au principe de notre prière, ne nous fasse pas défaut. La foi répand la prière, et la prière, en se répandant, obtient à son tour l'affermissement de la foi." (Sermon 115, 1).

"Veux-tu savoir ce qu'est le corps du Christ? écoute l'Apôtre, voici ce qu'il écrit aux fidèles : "Or vous êtes le corps du Christ et ses membres (I Co 12, 27)". Mais si vous êtes le corps et les membres du Christ, n'est-ce pas votre emblème qui est placé sur la table sacrée, votre emblème que vous recevez, à votre emblème que vous répondez Amen, réponse qui témoigne de votre adhésion ? On te dit : Voici le corps du Christ. Amen, réponds-tu. Pour rendre vraie ta réponse, sois membre de ce corps.
[…] Pourquoi sous l'apparence du pain? [...] voici encore comment s'exprimait [l'Apôtre] en parlant de ce sacrement : "Quoiqu'en grand, nombre, nous sommes un seul pain, un seul corps (I Co, 10, 17)". Comprenez et soyez heureux. O unité ! ô vérité ! ô piété ! ô charité ! "Un seul pain". Quel est ce pain? "Un seul corps". Rappelez-vous qu'un même pain ne se forme pas d'un seul grain, mais de plusieurs. Au moment des exorcismes, vous étiez en quelque sorte sous la meule; au moment du baptême, vous deveniez comme une pâte ; et on vous a fait cuire en quelque sorte quand vous avez reçu le feu de l'Esprit-Saint. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. " (Sermon 272 sur l'Eucharistie)

"L’amour du Seigneur Jésus a renouvelé même les justes d’autrefois, les patriarches et les prophètes, comme il a renouvelé plus tard les saints Apôtres ; c’est lui qui renouvelle maintenant les nations païennes et qui, de tout le genre humain, dispersé sur toute la surface de la terre, suscite et rassemble le peuple nouveau…" (Homélies sur l’Evangile de Jean, 65, 1-2)

"Bien des choses peuvent avoir l’apparence du bien, qui ne procèdent pas, à la racine, de la charité. Les épines aussi ont des fleurs : il y a des actes qui paraissent durs, qui paraissent cruels ; mais ils visent à corriger, inspirés par la charité. Une fois pour toutes t’est donc donné ce court précepte : Aime et fais ce que tu veux ; si tu te tais, tais-toi par amour ; si tu parles, parle par amour ; si tu corriges, corrige par amour ; si tu pardonnes, pardonne par amour ; aie au fond du cœur la racine de l’amour : de cette racine il ne peut rien sortir que de bon." (Augustin, Commentaire sur la 1ère Epître de Jean, tract. VII, 8)

"Cherche où est le mérite, où est le motif, où est la justice pour que, fils d’hommes nous devenions fils de Dieu, et vois si tu découvres autre chose que la grâce." (Sermon 185 pour Noël)

"Confesser la foi, en effet, c'est dire ce que tu as dans ton coeur, mais si tu as une chose dans ton coeur et que tu en dises une autre, tu parles, tu ne fais pas une confession de foi. C'est donc par le coeur que l'on croit dans le Christ..." (Homélies sur l'Evangile de Jean, Tr. 26, 2)

"Le Christ, notre Seigneur, qui a offert en souffrant pour nous ce qu'il avait reçu en naissant de nous, établi grand prêtre pour l'éternité, a institué le sacrifice de son corps et de son sang. Car son corps percé par la lance a laissé couler l'eau et le sang par lesquels il a remis nos péchés. Vous souvenant de cette grâce, opérant votre salut avec crainte et tremblement, car c'est Dieu qui opère en vous, vous vous approchez pour participer à cet autel. Reconnaissez dans le pain ce qui a été pendu à la croix, dans le calice ce qui a coulé du côté ouvert." (Sermon sur le sacrement de l'autel adressé aux néophytes).

"Courage donc, mes frères : "Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en haut où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu, ayez le goût des choses d’en haut, non de celles de la terre." C’est dans les cieux que Jésus-Christ, notre fondement, a été placé pour nous engager à construire dans cette direction notre demeure. Dans les constructions terrestres, dont les matériaux tendent toujours à descendre, nous posons les fondations dans le bas. Pour nous, au contraire, la pierre fondamentale est placée dans le haut pour nous attirer par le poids de la charité." (Sermon 337)

"Dans son voyage ici-bas, notre vie ne peut pas échapper à l'épreuve de la tentation, car notre progrès se réalise par notre épreuve ; personne ne se connaît soi-même sans avoir été éprouvé, ne peut être couronné sans avoir vaincu, ne peut vaincre sans avoir combattu, et ne peut combattre s'il n'a pas rencontré l'ennemi et les tentations." (Homélie sur le psaume 60, 2)

"J'aime, dis-tu, mais par quel chemin dois-je suivre ? Si le Seigneur ton Dieu t'avait dit : Je suis la Vérité et la Vie, dans ton désir de la vérité, dans ta poursuite de la Vie, tu chercherais de suite le chemin pour parvenir à ces biens et tu te dirais : C'est un grand bien que la Vérité, c'est un grand bien que la Vie ; si seulement il existait un chemin pour mener mon âme jusque-là ! Tu cherches par où aller ? Ecoute celui qui dit en premier lieu : Je suis le Chemin. Avant de te dire où aller, il a commencé par te dire par où aller : Je suis, dit-il, le Chemin ; où mène ce Chemin ? Et la Vérité et la Vie [Jn 14, 6]. Il t'a dit d'abord par où aller, il t'a dit ensuite où aller : Je suis le Chemin, je suis la Vérité, je suis la Vie. Demeurant auprès du Père, il est la Vérité et la Vie ; en se revêtant de la chair, il s'est fait le Chemin. Il ne t'est pas dit : Travaille pour chercher le chemin qui te mènera à la Vérité et à la Vie ; non, ce n'est pas là ce qui t'est dit. Lève-toi, paresseux, le Chemin est venu lui-même jusqu'à toi et il t'a réveillé de ton sommeil, toi qui dormais, si du moins il t'a réveillé ; Lève-toi et marche [Jn 5, 8]. Tu essaies peut-être de marcher et tu ne peux pas parce que tes pieds te font mal. Pourquoi les pieds te font-ils mal ? Ont-ils couru sous les ordres de l'avarice à travers des terrains raboteux ? Mais le Verbe de Dieu a guéri aussi les boiteux. Regarde, dis-tu, j'ai les pieds en bon état, mais je ne vois pas le chemin. Il a aussi illuminé les aveugles." (Homélies sur l'Evangile de Jean, Tr 34, 9, pp. 139-141 (Bibliothèque Augustinienne, 73A).

"Donne-moi quelqu'un qui aime, et il sentira la vérité de ce que je dis. Donne-moi un homme tourmenté par le désir, donne-moi un homme passionné, donne-moi un homme en marche dans ce désert et qui a soif, qui soupire après la source de l'éternelle patrie, donne-moi un tel homme, il saura ce que je veux dire." (Homélies sur l’Evangile de Jean, Tract. XXVI, 4).

"J’ai interrogé la terre et elle a dit : "Ce n’est pas moi." Et tout ce qui est en elle a fait le même aveu. J’ai interrogé la mer, les abîmes, les êtres vivants qui rampent. Ils ont répondu : "Nous ne sommes pas ton Dieu ; cherche au-dessus de nous." J’ai interrogé les brises qui soufflent ; et tous les espaces aériens ont dit avec ceux qui les habitent : "Anaximène se trompe : je ne suis pas Dieu." J’ai interrogé le ciel, le soleil, la lune, les étoiles : "Nous non plus nous ne sommes pas le Dieu que tu cherches", disent-ils.
Et j’ai dit à tous les êtres qui entourent les portes de ma chair : "Dites-moi sur mon Dieu, puisque vous vous ne l’êtes pas, dites-moi sur lui quelque chose." Ils se sont écriés d’une voix puissante : "C’est lui même qui nous a faites." Mon interrogation c’était mon attention ; et leur réponse, leur beauté." (Les Confessions, X, vi, 9)

"'Des soldats vinrent donc et rompirent les jambes de ceux qui avaient été crucifiés avec Jésus. S'approchant de Jésus, ils virent qu'il était déjà mort. Ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l'un des soldats lui ouvrit le côté de sa lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau.' L'Evangéliste a choisi à dessein cette dernière expression : il n'a pas dit : 'un des soldats le frappa', ou 'le blessa' ou une autre expression de ce type ; il dit 'un des soldats lui ouvrit le côté', pour nous apprendre qu'il ouvrait d'une certaine manière la porte de la vie. De là coulèrent les sacrements de l'Eglise sans lesquels on n'accède pas à la vie qui est la vie véritable. Ce sang a été versé pour la rémission des péchés. Cette eau se mêle à la boisson salutaire. Elle est un bain qui purifie et une boisson rafraîchissante." (120e Homélie sur l'Evangile de Jean, 2)

"Nous louons Dieu maintenant, quand nous sommes rassemblés dans l'église ; lorsque chacun s'en va chez soi, il semble cesser de le louer. S'il ne cesse pas de bien vivre, il loue Dieu continuellement. Ta louange ne cesse que lorsque tu te détournes de la justice et de ce qui plaît à Dieu. Car si tu ne te détournes jamais de la vie vertueuse, ta bouche est muette, mais ta vie est une acclamation et Dieu prête l'oreille au chant de ton coeur. Comme nos oreilles entendent nos voix, c'est ainsi que Dieu entend nos pensées." (Enaratione in Psalmos, 148, 2)

"L'homme, avant de croire au Christ n'est pas en route, il erre. Il cherche sa patrie mais il ne la connaît pas. Que veut dire : il cherche sa patrie ? Il recherche le repos, il cherche le bonheur. Demande à un homme s'il veut être heureux, il te répondra affirmativement sans hésiter. Le bonheur est le but de toutes nos existences.
Mais où est la route, où trouver le bonheur, voilà ce que les hommes ignorent. Ils errent. Errer est déjà une recherche. Mais le Christ nous a remis sur la bonne route : en devenant ses fidèles par la foi, nous ne sommes pas encore parvenus à la patrie, mais nous marchons déjà sur la route qui y mène. L'amour de Dieu, l'amour du prochain sont comme les pas que nous faisons sur cette route." (Sermon Mai, 12, extraits, d'après Hamman : Saint Augustin prie les Psaumes)

"Où donc t'ai-je trouvé, Seigneur, pour apprendre à te connaître ? Avant que je te connaisse, tu n'étais pas encore dans ma mémoire. Où donc t'ai-je trouvé, pour te connaître, si ce n'est en toi, au-dessus de moi ? Aucun espace dans tout cela : nous nous éloignons, nous nous approchons de toi, rien de cela n'est dans l'espace. C'est partout, ô Vérité, que tu sièges pour tous ceux qui viennent te consulter, et tu réponds en même temps à tous ceux qui te consultent sur des questions différentes.
Tu réponds clairement, mais tous ne t'entendent pas clairement. Tous te consultent sur ce qu'ils veulent, mais ils n'entendent pas toujours la réponse qu'ils veulent. Le meilleur de tes serviteurs n'est pas celui qui se soucie de t'entendre dire ce qu'il veut ; c'est plutôt celui qui veut ce que tu lui dis." (Les Confessions, X, 26).

"Il n'est pas défendu ni inutile de prier longtemps, lorsque'on en a le loisir, c'est-à-dire lorsque cela n'empêche pas d'autres occupations bonnes et nécessaires, bien que, en accomplissant celles-ci, on doive toujours prier, comme je l'ai dit, par le désir. Car si l'on prie un peu longtemps, ce n'est pas, comme certains le pensent, une prière de bavardage. Parler abondamment est une chose, aimer longuement en est une autre [...] La prière ne doit pas comporter beaucoup de paroles, mais beaucoup de supplication, si elle persiste dans une fervente attention. Car beaucoup parler lorsqu'on prie, c'est traiter une affaire indispensable avec des paroles superflues. Beaucoup prier, c'est frapper à la porte de celui que nous prions par l'activité insistante et religieuse du coeur... (Lettre à Proba sur la prière, 9, 18 - 10, 20)

"Par certains passages des Ecritures, comme par les yeux fermés de Dieu, les fils des hommes sont exercés à chercher ; et au contraire, par certains passages clairs, comme par les yeux ouverts de Dieu, ils sont illuminés afin d'être dans la joie. Cette fermeture et cette ouverture, fréquentes dans les livres saints, sont comme les paupières de Dieu qui interrogent, c'est-à-dire qui éprouvent les fils des hommes, ceux qui, par l'obscurité des matières, ne sont pas fatigués mais exercés, et, par la connaissance, ne sont pas enflés d'orgueil mais affermis." (Enarationes in Psalmos, X, 8)

"Qu'elles empoignent votre coeur les Paroles de Dieu. Et que celui qui vous possède garde jalousement sa possession, c'est-à-dire vos esprits, pour qu'ils ne s'évadent pas ailleurs. Que chacun de vous soit ici tout entier, non pas ailleurs, c'est-à-dire tout entier dans la Parole de Dieu qui retentit sur la terre, afin que cette parole l'emporte, et le fasse quitter terre. Car si Dieu est avec nous, c'est afin que nous soyons avec lui." (Enarationes in Psalmos, 145, 1)

"Jean était la voix, mais le Seigneur au commencement était la Parole. Jean, une voix pour un temps ; le Christ, la Parole au commencement, la Parole éternelle.
Enlève la parole, qu'est-ce que la voix ? Là où il n'y a rien à comprendre, c'est une sonorité vide. La voix sans la parole frappe l'oreille, elle n'édifie pas le coeur.[...]
Il est difficile de distinguer la parole de la voix, et c'est pourquoi on a pris Jean pour le Christ. On a pris la voix pour la parole ; mais la voix s'est fait connaître afin de ne pas faire obstacle à la parole. Je ne suis pas le Messie, ni Elie, ni le Prophète. On lui réplique : Qui es-tu donc ? Il répond : Je suis la voix qui crie à travers le désert : Préparez la route pour le Seigneur. La voix qui crie à travers le désert, c'est la voix qui rompt le silence. Préparez la route pour le Seigneur, cela revient à dire : Moi, je retentis pour faire entrer le Seigneur dans le coeur ; mais il ne daignera pas y venir, si vous ne préparez pas la route..." (Sermon pour la Nativité de Jean-Baptiste, Sermon 293, 3).

"Qu'est-ce qui caractérise le chant nouveau, sinon un amour nouveau ? Chanter est le fait de celui qui aime. Ce qui permet de chanter, c'est la ferveur d'un saint amour." (Sermon 336, 1, 6 sur la Dédicace d'une Eglise)

"... Dieu vous disant : Demandez ce que vous désirez, qu'allez-vous lui demander ? Faites effort de tout votre esprit, lâchez la bride à votre avarice, étendez, élargissez votre convoitise, autant que vous le pourrez ; car ce n'est pas le premier venu, c'est le Dieu Tout-Puissant qui vous dit : demandez ce que vous désirez. Si vous aimez des propriétés, vous désirerez toute la terre, de sorte que tous ceux qui naîtront soient vos fermiers ou vos serviteurs. Et que ferez-vous, lorsque vous posséderez toute la terre ? Vous demanderez la mer, bien que vous ne puissiez y vivre. Dans ce genre d'avarice, les poissons seront mieux partagés que vous ; à moins que vous ne possédiez aussi les îles de la mer. Mais passez outre, demandez encore le domaine des airs, quoique vous ne puissiez pas voler. Etendez vos désirs jusqu'au ciel ; dites que le soleil, la lune et les étoiles vous appartiennent, parce que celui qui a fait toutes ces choses vous a dit : demandez ce que vous désirez. Cependant, vous ne trouverez rien qui ait plus de prix, vous ne trouverez rien qui soit meilleur que celui qui a fait toutes ces choses. Demandez donc celui qui les a faites, et en lui et par lui vous posséderez tout ce qu'il a fait. Toutes ces choses sont d'un haut prix, parce que toutes sont belles, mais qu'y a-t-il de plus beau que lui ? Elles sont fortes, mais qu'y a-t-il de plus fort que lui ? Et il n'est rien qu'il donne plus volontiers que lui-même. Si vous trouvez quelque chose de meilleur, demandez-le. Si vous demandez autre chose, vous lui ferez injure, et vous vous ferez tort à vous même, en lui préférant sa créature, alors que le créateur aspire à se donner lui-même à vous." (Enar. in Ps., 34, 12 - 1er discours).

"Propose-toi l'amour [de Dieu] comme fin à laquelle tu rapporteras tout ce que tu diras ; et, quoi que tu racontes, raconte-le de telle manière que ton auditeur en entendant croie, en croyant espère, et en espérant aime. (De catechizandis rudibus, 4, 8)

"Chantez avec la voix, chantez avec le cœur, chantez avec la bouche, chantez par toute votre vie : Chantez au Seigneur un chant nouveau. Vous cherchez comment chanter celui que vous aimez ? Car, sans aucun doute, tu veux chanter celui que tu aimes. Tu cherches quelles louanges lui chanter ? Vous avez entendu : Chantez au Seigneur un chant nouveau. Vous cherchez où sont ses louanges ? Sa louange est dans l'assemblée des fidèles. La louange de celui que l'on veut chanter, c'est le chanteur lui-même.
Vous voulez dire les louanges de Dieu ? Soyez ce que vous dites. Vous êtes sa louange, si vous vivez selon le bien." (Commentaire sur le Ps 149 - Livre des Jours, p. 378)

"La compréhension est la récompense de la foi. Ne cherche donc pas à comprendre pour croire, mais crois afin de comprendre, parce que si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas [Is 7, 9]." (Augustin : Homélies sur l'Evangile de Jean, Tract. XXIX, 6, p. 707).

"Toute la vie du vrai chrétien est un saint désir. Sans doute, ce que tu désires, tu ne le vois pas encore : mais le désir te rend capable, quand viendra ce que tu dois voir, d'être comblé . Supposons que tu veuilles remplir quelque objet en forme de poche et que tu saches la surabondance de ce que tu as à recevoir ; tu étends cette poche, sac, outre, ou tout autre objet de ce genre ; tu sais combien grand est ce que tu as à y mettre, et tu vois que la poche est étroite : en l'étendant, tu en augmentes la capacité. De même, Dieu, en faisant attendre, étend le désir ; en faisant désirer, il étend l'âme ; en étendant l'âme, il la rend capable de recevoir. Désirons donc, mes frères, parce que nous devons être comblés." (Sermon sur la 1ère Lettre de Jean, 4, 6)

"Croyez pour mériter de comprendre. La foi doit précéder l'intelligence pour que l'intelligence soit la récompense de la foi." (Sermon 139, 1, 1).

"Quand le Christ viendra "et, comme dit encore l'Apôtre Paul, mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et fera paraître les intentions des coeurs pour que chacun reçoive de Dieu la louange qui lui revient, alors, avec la présence d'une telle lumière du jour, les lampes ne seront plus nécessaires. On ne nous lira plus la prophétie, on n'ouvrira plus le livre de l'Apôtre, nous ne réclamerons plus le témoignage de Jean, nous n'aurons plus besoin de l'Evangile lui-même. Toutes les Ecritures nous seront retirées, alors qu'elles brillaient pour nous comme des lampes dans la nuit de ce monde, pour que nous ne demeurions pas dans l'obscurité." (Augustin : Homélies sur l'Evangile de Jean, XXXV, 8)

"Le Seigneur n'avait pas dit : Vous serez libres, mais : La Vérité vous délivrera [Jn 8, 32]" ( Homélies sur l'Evangile de Jean, Tr. 41, 2)

Basile de Césarée (appelé aussi Basile le Grand)

"Toute l’Ecriture est inspirée par Dieu et utile » (2 Tm 3, 16) : L’Esprit-Saint l’a écrite pour que, comme dans une pharmacie pour les âmes ouverte à tous, nous choisissions le remède de la maladie propre à chacun. Car « la médecine, dit-il, apaise de grandes fautes » (Qo 10, 4).
Les Prophètes enseignent donc une chose, les livres historiques une autre, la Loi une autre, et une autre encore le genre d’exhortation des Proverbes. Mais le livre des Psaumes, lui, rassemble ce que chacun a d’utile. Il prophétise l’avenir, rappelle l’histoire passée, fixe les lois de la vie, enseigne ce qu’il faut faire. En un mot, c’est comme un cellier à l’usage de tous où sont rangés les bons enseignements, utile à chacun selon ce que son application y découvrira. Car il guérit complètement les vieilles blessures des âmes, il assure à celui qui vient d’être blessé une rapide amélioration, rend la santé au malade et protège celui qui est sain. En un mot, dans la mesure du possible, il enlève les passions qui prolifèrent de mille manières sur les âmes, au cours de la vie des hommes. Et il le fait avec une certaine séduction harmonieuse et joyeuse qui fait naître de sages pensées.
Car lorsque l’Esprit Saint voit que la race des hommes est bien difficile à conduire vers la vertu, et que notre penchant au plaisir nous fait négliger complètement la voie droite, que fait-il ? Il mélange à ses enseignements le charme de la mélodie, pour que par la douceur et l’agrément de ce que nous entendons, nous recevions sans nous en apercevoir un profit de ces paroles. Ainsi font les sages médecins quant ils donnent à boire aux malades les plus amères des potions : souvent ils enduisent la tasse de miel. Ainsi ont été conçues pour nous ces mélodies harmonieuses des psaumes : tandis que ceux qui sont enfants par l’âge, ou petits par leur conduite, pensent à ce qu’ils chantent, du même coup ils éduquent leurs âmes à la vérité. Car un enseignement des apôtres ou des prophètes s’échappe facilement après avoir été fixé un jour dans la mémoire de bien des étourdis, mais les paroles des psaumes, on les chante à la maison, elles circulent sur le marché ; et s’il arrive que la colère transforme complètement quelqu’un en bête sauvage, dès qu’on commence à lui chanter un psaume, la mélodie chasse l’irritation de son âme.
Le psaume est la tranquillité des âmes, l’arbitre qui fait la paix, calmant le tumulte et le flot agité des pensées. D’un côté, il adoucit les irritations de l’âme, et de l’autre, il réprime son laisser-aller. Le psaume forme des liens d’amitié, il rétablit l’union, réconcilie les ennemis. En effet, qui pourrait encore tenir pour ennemi celui avec qui il s’adresse à Dieu d’une seule voix ? Ainsi le chant des psaumes assure le plus grand des biens, la charité ; il fait comprendre que la concorde est comme un lien pour s’unir, il rassemble le peuple dans l’harmonie d’un seul chœur.
Le psaume met en fuite les démons, il attire l’aide des anges. Arme dans les terreurs de la nuit, il repose des fatigues du jour. Sécurité des enfants, il est l’ornement des adultes, la consolation des vieillards, la parure la plus convenable des femmes. Il habite les déserts, assure la sagesse aux assemblées. Formation des commençants, il fait avancer les progressants, soutient les parfaits ; c’est la voix de l’Eglise. C’est lui qui rend les fêtes joyeuses ; il crée cette tristesse qui est l’oeuvre des Anges, un mode de vie céleste, un encens spirituel.
Ô sage dessein du Maître qui a imaginé tout à la fois de nous faire chanter et de nous apprendre ce qui est utile ! Par là, en effet, les enseignements sont mieux imprimés dans l’intelligence. Car ce que tu apprends par contrainte, d’ordinaire ne reste pas, mais ce qui est reçu avec charme et plaisir s’établit en quelque sorte avec plus de persistance dans nos âmes.
Pourquoi n’en apprends-tu rien ? Ce livre n’offre-t-il pas un étalage magnifique de courage ? N’est-il pas un précis de justice, la splendeur de la prudence, la perfection de la sagesse ? N’indique-t-il pas la manière de faire pénitence, la mesure de la patience ? Ne contient-il pas tous les biens possibles ? Là, se trouve la théologie parfaite, la prédiction de la venue du Christ dans la chair, la menace du jugement, l’espoir de la résurrection, la crainte des châtiments, les promesses de la gloire, la révélation des mystères. Tout est mis en réserve dans le livre des Psaumes, comme dans un grand cellier ouvert à tous. "
("Sur le Psaume I", 1-2), in Magnifiez le Seigneur avec moi !, Foi Vivante, n° 387, Cerf, 1997, pp. 41-45).

"Les puits souvent vidés donnent une eau de meilleure qualité. Négligés, leurs eaux croupissent. La richesse qui reste en place est inutile. Qu'elle bouge et circule, elle devient féconde et sert à tous. Comme elle est puissante, la louange des obligés, ne la dédaigne pas ! Comme il est important, le salaire que dispense le juste juge, n'en doute pas ! Garde à l'esprit en toutes circonstances l'exemple du riche réprouvé qui se faisait le gardien des biens déjà là et s'inquiétant de ceux qu'il espérait sans savoir s'il serait vivant le lendemain, commettait le jour même les péchés du lendemain (cf. Lc 12, 16-21)
Quels commandements tu méprises, toi dont l'amour de l'argent a bouché les oreilles ! Tu ne sais dire qu'une parole : "Je n'ai rien, je ne vais pas donner, je suis pauvre." Pauvre, oui, tu l'es, et dépourvu de tout bien. Tu es pauvre d'amour, pauvre d'humanité, pauvre de foi envers Dieu, pauvre d'espérance éternelle. Offre à à tes frères une part de ce que mangent les vers. Partage aujourd'hui avec l'indigent ce qui demain va pourrir.
Si chacun ne se réservait que ce qui satisfait ses nécessités, et laissait le surplus aux indigents, personne ne serait riche, personne ne serait pauvre, personne miséreux."
(Homélie 6, 5-7, dans Riches et pauvres dans l'Eglise ancienne, Lettres chrétiennes 2, pp. 112-114).

"Je pense que l'exercice de l'amour envers Dieu est semblable à cette échelle que vit un jour le bienheureux Jacob, qui d'une part était en terre, au ras du sol, mais d'autre part s'élevait plus haut que le ciel lui-même (voir Gn 28, 12). Ainsi ceux qui s'engagent dans une vie vertueuse doivent d'abord mettre le pied sur les premiers degrés, de là monter toujours sur les degrés suivants jusqu'à ce que, petit à petit, ils arrivent aussi haut que la nature humaine peut monter.
Donc, comme en montant sur le premier degré d'une échelle, on quitte la terre, ainsi pour vivre comme Dieu le désire, le début du progrès est de se séparer du mal. Du reste, un parfait repos est plus facile que n'importe quelle action. Par exemple : "Tu ne tueras pas", "Tu ne commettras pas l'adultère", "Tu ne voleras pas" (Ex 20, 13-15), demande un repos et l'absence de mouvement. Mais ceci : "Aime ton prochain comme toi-même" (Mt 19, 19) et : "Vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres" (Mt 19, 21), ou : Si quelqu'un te demande de faire mille pas, fais-en deux mille ave lui" (Mt 5, '1), voilà des actions dignes d'un athlète et qui exigent pour les accomplir une âme déjà forte. Comme est admirable la sagesse de Celui qui, par les choses les plus faciles et les plus simples, nous conduit à la perfection !"
("Sur le Psaume 1", in Magnifiez le Seigneur avec moi !, "Foi vivante", n° 387, 1997, pp. 49-50).

"Ecoute, ma fille, et vois, et incline ton oreille ; oublie ton peuple, et la maison de ton père, et le Roi désirera ta beauté : car c'est lui ton Seigneur, et on l'adorera." (Psaume 44, 11-12)
"Ecoute ma fille, et vois et incline ton oreille. L'Eglise est invitée à écouter et à garder les commandements. Et par le nom qu'il lui donne, Dieu l'admet à sa familiarité, l'appelant sa "fille". C'est comme s'il la faisait son enfant par la charité. Ecoute ma fille et vois. Par ce mot : "vois", il lui apprend à exercer son intelligence à la contemplation. Considère la création, lui dit-il, en te servant de l'ordre que tu vois en elle, monte ensuite jusqu'à la contemplation du Créateur.
Ensuite faisant fléchir le cou élevé de sa jactance, Incline ton oreille, dit-il. Ne cours pas après les mythes venus de l'extérieur, mais reçois l'humble voix de la parole évangélique. Incline ton oreille vers cette doctrine ; telle qu'elle est pour oublier tes mauvaises habitudes et les enseignements de ton père. Aussi : Oublie ton peuple et la maison de ton père. Car "tout homme qui pèche est né du diable (1 Jean 3, 8). Rejette-moi, dit-il, les enseignements du démon et de toutes sortes de moeurs dissolues. Si je t'ai appelée "ma propre fille", c'est pour que tu haïsses ton premier père qui t'a engendrée pour ta perte. Car si par l'oubli, tu effaces les taches de ses enseignements pervers**, ayant recouvré ta propre beauté, tu apparaîtras désirable au Roi, ton Epoux.
Car c'est lui ton Seigneur et on l'adorera. Il souligne la nécessité de l'obéissance par ces mots : "C'est lui ton Seigneur". "On l'adorera", c'est-à-dire toutes les créatures car "au nom de Jésus tout genou fléchira, au ciel, sur terre et dans les enfers" (Ph 2, 10)."

** Au temps où Basile écrit, l'Eglise est confrontée à de nombreuses hérésies, et à de nombreuses croyances et pratiques païennes.

(Magnifiez le Seigneur avec moi !, "Sur le Psaume 44" ; Foi vivante, n° 387, Cerf, 1997, pp. 127-129).

""Magnifiez le Seigneur avec moi" (Ps 33, 4). Que le choeur s'associe celui qui s'accorde avec lui, pour louer le Seigneur. Qu'aucun homme turbulent, qu'aucun homme agité, qu'aucun de ceux dont l'âme est aiguillonnée par les passions de la chair ne me soit adjoint. Mais vous, les doux, vous qui avez acquis la fermeté et la stabilité de l'âme, vous qui avez secoué paresse et somnolence pour faire votre devoir, "magnifiez le Seigneur avec moi".
Il magnifie le Seigneur celui qui d'un grand coeur et d'un esprit joyeux et allègre supporte des épreuves pour l'amour de Dieu. Il le magnifie aussi celui qui, avec une grande intelligence et par des méditations approfondies, observe les grandeurs de la création, de sorte qu'à partir de la grandeur et la beauté des créatures il contemple leur Auteur. Car plus quelqu'un pénètre les raisons pour lesquelles ont été créés les êtres et selon lesquelles ils sont régis, plus il contemple la magnificence du Seigneur ; il glorifie alors le Seigneur autant qu'il le peut.
Lors donc qu'une seule intelligence et l'application d'un seul homme ne suffisent pas, en raison du peu de temps qu'il a, pour saisir les grandeurs de Dieu, qu'il s'associe tous les hommes doux en une communauté, pour participer tous ensemble à cette oeuvre.
De fait, il faut faire complètement trêve aux bruits de l'extérieur, établissant un grand calme dans le tribunal secret du coeur, et se jeter ainsi dans la contemplation de la Vérité. Ecoute celui qui avoue sa faute. Que dit-il ? "Mon oeil a été troublé par la colère" (Ps 6, 8). Et ce n'est pas seulement la colère, mais aussi le mauvais désir, la vaine gloire et l'envie qui enténèbrent l'oeil de l'âme ; d'une manière générale toutes les passions sont prorpres à enténébrer et à fausser le discernement de l'âme. Et comme il n'est pas possible qu'un oeil trouble saisisse de façon nette ce qu'il voit, de même un coeur troublé ne peut s'appliquer à contempler la vérité. Il faut donc s'éloigner des affaires du monde et ne pas introduire dans l'âme des pensées étrangères, ni par les yeux, ni par les oreilles, ni par quelque autre sens. Car ces combats qui naissent de l'orgueil de la chair remplissent notre intérieur de tumultes incessants et de divions irréconciliables."
("Sur le Psaume 33", 3 (3), in Magnifiez le Seigneur avec moi, Foi vivante,387, Cerf, 1997, pp.96-98).

"Et nous faisons nos prières debout le jour un et premier de la semaine, mais nous n’en connaissons pas tous la raison. Car ce n’est pas seulement parce que, ressuscités avec le Christ, nous aspirons aux choses célestes, mais en nous tenant debout lors de la prière le jour de la Résurrection nous rappelons aussi à notre esprit la grâce qui nous a été accordée, mais aussi que ce jour un et premier de la semaine est l’image du siècle à venir. C’est justement ainsi qu’il est le début [de tous] les jours, Moïse parle à son sujet non pas du "premier jour", mais d’"un jour". Étant donné que ce jour revient régulièrement, il est à la fois un et huitième, manifestant par lui-même le jour vraiment un et huitième que le psalmiste rappelle dans les titres de certains psaumes, et qui représente par lui-même l’état qui suivra notre temps présent, ce jour sans fin, sans nuit, sans succession, l’éternité sans terme et toujours nouvelle. Il est donc nécessaire que l’Église enseigne à tous ceux qui se trouvent en son sein de faire leurs prières en se tenant debout, afin que par le continuel rappel de cette vie sans fin, nous ne négligions point les moyens d’atteindre ce but. De même, toute la Sainte Cinquantaine des jours après Pâque, la Pentecôte, est un rappel de la Résurrection que nous attendons. Car ce jour un et premier, multiplié sept fois par sept constitue les sept semaines de la sainte Pentecôte ; commençant et finissant par un, elle déroule ce même point une cinquantaine de fois. Elle imite ainsi le siècle à venir, qui commence, comme par un mouvement cyclique, au point même où elle se termine ; pendant cette Cinquantaine, la praxis de l’Église nous a appris à préférer nous tenir debout pour la prière, transportant pour ainsi dire notre esprit du présent au siècle à venir par ce rappel manifeste. Par ailleurs, chaque fois que nous plions les genoux et que nous nous relevons, nous démontrons en acte avoir été jetés à terre par notre péché et rappelés au ciel par la miséricorde de Celui qui nous a créés."
(Canon 91, in Traité du Saint Esprit [ch. 27], Le Cerf SC n° 17, 1968).

[Pour tous ceux qui souhaiteraient des commentaires et plus de détails sur ce Canon, pour comprendre son importance mais aussi son insertion dans une tradition très vivante, voire impérative, dans les dix premiers siècles de l'Eglise au moins, on peut se reporter à un très bel article très documenté de Archim. GRIGORIOS D. Papathomas : "Comment et pourquoi l’Église exclut l’agenouillement lorsqu’elle proclame la Résurrection et la vie du Siècle à venir selon la Tradition canonique de l’Église (Présentation sommaire des sources patristiques et canoniques)".)]

"Sa louange sera sans cesse à ma bouche (Ps 33, 2). Le prophète semble bien faire là une promesse impossible. Comment en effet la louange de Dieu pourrait-elle être toujours dans la bouche de l'homme ? Quand il parle, lors de ses conversations habituelles qui ont trait à sa vie, il n'a pas la louange de Dieu à la bouche. Quand il dort, il se tait complètement. Quand il mange ou boit, comment sa bouche louerait-elle ?
Nous répondons à cela qu'il y a aussi une bouche spirituelle de l'homme intérieur, qui est nourrie quand elle reçoit la Parole de vie qui est le Pain descendu du ciel (Jn 6, 33). De cette bouche parle aussi le prophète : J'ai ouvert la bouche et j'ai attiré l'Esprit (Ps 118, 131). Le Seigneur nous invite également à tenir notre bouche grande ouverte pour accueillir plus abondamment les aliments de la Vérité : Ouvre largement ta bouche et je la remplirai (Ps 80, 11).
La pensée de Dieu, une fois gravée et comme scellée au plus profond de l'âme, peut donc être appelée louange de Dieu, résidant toujours dans l'âme. L'homme vertueux est alors en mesure de tout faire pour la gloire de Dieu, selon le conseil de l'Apôtre (cf. 1 Co 10, 31), de sorte que toute action, toute parole, toute activité intellectuelle a force de louange. En effet, qu'il mange ou qu'il boive, le juste fait tout pour la gloire de Dieu."
(Homélie sur le Psaume 33, in Magnifiez avec moi le Seigneur, Cerf, 1997, pp. 93-94).

"Esprit Saint : c'est son appellation propre et particulière ; c'est là, mieux que tout autre, un nom de l'être incorporel purement immatériel et simple. C'est pourquoi le Seigneur, pour apprendre à [l'äme] qui croyait devoir adorer Dieu en un lieu, que l'incorporel ne peut être circonscrit, dit que Dieu est esprit (Jn 4, 24).
Inaccessible par nature, on peut le comprendre pour sa bonté ; remplissant tout de sa puissance, il ne se communique qu'à ceux-là seuls qui en sont dignes, non pas suivant une mesure unique, mais en distribuant son opération en proportion de la foi. Simple par l'essence, varié dans ses miracles ; tout entier présent à chacun et tout entier partout.
C'est lui qui, brillant en ceux qui se sont purifiés de toute souillure, les rend spirituels par communion avec lui. Comme les corps limpides et transparents, lorsqu'un rayon les frappe, deviennent, eux aussi, étincelants et d'eux-mêmes reflètent un autre éclat, ainsi les âmes qui portent l'Esprit, illuminées par l'Esprit, deviennent-elles spirituelles et renvoient-elles sur les autres la grâce".
(Basile le Grand : Sur le Saint Esprit IX, 22-23, SC n° 17 bis, pp. 323-329).

"... nous cherchons naturellement ce qui est beau, bien que la notion de beauté diffère pour l'un et pour l'autre ; nous aimons sans qu'on nous l'apprenne ceux qui nous sont apparentés par le sang ou par l'alliance ; nous manifestons enfin volontiers notre bienveillance à nos bienfaiteurs.
Or, quoi de plus admirable que la beauté divine ? Que peut-on concevoir de plus digne de plaire que la magnificence de Dieu ? Quel désir est ardent et intolérable comme la soif provoquée par Dieu dans l'âme purifiée de tout vice et s'écriant dans une émotion sincère : L'amour m'a blessée (Ct 2, 5) ?
C'est ainsi que les hommes aspirent naturellement vers le beau. Mais ce qui est bon est aussi souverainement beau et aimable ; or Dieu est bon ; donc tout recherche le bon ; donc tout recherche Dieu."
(Grandes Règles, question 2, in Les Règles monastiques, MAredsous, 1969, pp. 50-51).

"Comme le soleil brille sur les corps sans être amoindri par la part de lumière qu'ils reçoivent de mille façons, l'Esprit procure à tous sa grâce sans être diminué ni divisé.
Il illumine tous les êtres vers l'intelligence de Dieu, il inspire les prophètes, il donne la sagesse aux législateurs, la consécration aux prêtres, la force aux rois, le conseil aux justes, l'honneur aux gens de vertu, par sa grâce il opère les guérisons, il rend la vie aux morts, il libère les enchaînés, il adopte les enfants déshérités.
Il opère ces merveilles en faisant naître d'en haut. Un publicain a la foi ? Il en fait un évangéliste (Mt 9, 9). Il vient chez un pêcheur ? Il en fait un théologien (Mt 4, 19). Un persécuteur se repent ? Il en fait l'Apôtre des nations, le héraut de la foi, l'instrument qu'il s'est choisi (Ac 9, 15). Par lui, les faibles sont forts, les pauvres sont riches, les gens sans esprit ni éloquence plus sages que les sages..."
(Basile de Césarée : Homélie 15 sur la foi, 3 [traduction de Guillaume Bady pour Magnificat, n° 246, mai 2013, p. 412]).

"Qui donc, en entendant les noms de l’Esprit, ne sent bondir son coeur et n’élève son esprit vers la nature qui surpasse tout ? On le dit Esprit de Dieu, Esprit de vérité, qui procède du Père, Esprit de rectitude, Esprit qui régit tout, Esprit Saint, enfin, son nom par excellence. Vers lui se tournent tous ceux qui cherchent la sanctification, vers lui s’élance le désir des saints qui sont comme rafraîchis par son souffle. Capable de parfaire les autres, lui-même ne manque de rien ; il n’est pas un vivant qui doit refaire ses forces mais le chorège de la vie. Il ne s’accroît pas, mais il est plénitude, parfait en lui-même et partout présent. Source de sanctification, lumière spirituelle, il fournit à tout esprit pour la découverte de la vérité un certain dévoilement lumineux. Inaccessible par nature, il se laisse comprendre à cause de sa bonté, il remplit tout de sa puissance, mais ne se communique qu’à ceux qui en sont dignes, non pas suivant une mesure unique, mais distribuant son opération à proportion de la foi." (Traité du Saint-Esprit IX, 108-109 ; SC 17, pp. 145 sq).

[...] [L'Esprit Saint est] simple dans sa nature, multiple et multiforme en ses manifestations, présent tout entier à chacun et tout entier partout. Comme un rayon de soleil dont la grâce est présente à celui qui en jouit comme s'il était seul à le percevoir, alors qu'il illumine la terre et la mer et les airs, l'Esprit se donne à chacun et à tous..." (Traité du Saint-Esprit, IX, 108-109).

"Lorsque l’Esprit Saint voit que la race des hommes est bien difficile à conduire vers la vertu, et que notre penchant au plaisir nous fait négliger complètement la voie droite, que fait-il ? Il mélange à ses enseignements le charme de la mélodie, pour que par la douceur et l’agrément de ce que nous entendons, nous recevions sans nous en apercevoir un profit de ses paroles. Ainsi font les sages médecins quand ils donnent à boire aux malades les plus amères des potions : souvent ils enduisent la tasse de miel. Ainsi ont été conçues pour nous ces mélodies harmonieuses des psaumes : tandis que ceux qui sont enfants par l’âge, ou petits par leur conduite, pensent à ce qu’ils chantent, du même coup ils éduquent leurs âmes à la vérité. Car un enseignement des apôtres ou des prophètes s’échappe facilement après avoir été fixé un jour dans la mémoire de bien des étourdis, mais les paroles des psaumes, on les chante à la maison, elles circulent sur le marché ; et s’il arrive que la colère transforme complètement quelqu’un en bête sauvage, dès qu’on commence à lui chanter un psaume, la mélodie chasse l’irritation de son âme." (Sur le Psaume I, 1 ).

"L’amour envers Dieu n’est pas matière d’enseignement. Car personne ne nous a enseigné à jouir de la lumière, à aimer la vie, à chérir ceux qui nous ont mis au monde ou qui nous ont élevés. De même, ou plutôt à plus forte raison, le désir de Dieu ne s’apprend pas par un enseignement venu de l’extérieur ; dès que cet être vivant (c’est l’homme que je veux dire) commence à exister, une sorte de germe est déposé en nous qui possède en lui-même le principe interne de l’amour. C’est à l’école des commandements de Dieu qu’il nous convient de l’accueillir, de le cultiver avec soin, de le nourrir avec intelligence et, par la grâce de Dieu, de le conduire à sa perfection…" (Grandes Règles monastiques, Quest. 2, réponse 1)

"Quant à ces paroles : Le peuple eut foi en Dieu et en Moïse son serviteur", il faut y remarquer que Moïse y est joint à Dieu parce qu'il était le type du Christ ; il préfigurait, en effet, en sa personne, par le ministère de la Loi, le véritable médiateur entre Dieu et les hommes ; aussi, la foi qu'on avait en lui se rapportait, à travers lui, au Seigneur qui a dit : "Si vous aviez cru en Moïse, vous croiriez en moi." Ainsi, par une sage économie, le Seigneur nous amène à la pleine lumière de la vérité en y accoutumant progressivement nos yeux habitués aux ténèbres. Par ménagement pour notre faiblesse, le Dieu dont la sagesse est insondable et les jugements inscrutables nous apprend à regarder le soleil d'abord dans l'eau où il se mire, de peur qu'en fixant nos regards d'un seul coup sur la pure lumière nous ne soyons aveuglés. De même la Loi, "ombre des choses à venir", prophétie, présentation en figures de la vérité, prépare les yeux de notre coeur à passer de la contemplation des ombres à celle de la Sagesse cachée dans le mystère." (Basile de Césarée, Traité du St-Esprit, 128 ; SC 17, p. 167).

"Le Seigneur, qui nous dispense la vie, a établi une alliance avec nous, le baptême, qui comporte une figure de la mort et une figure de la vie ; l'image de la mort est accomplie par l'eau ; et quant à la vie, c'est l'Esprit qui nous en fournit le premier don. Ainsi apparaît en pleine lumière l'objet de notre recherche : pourquoi l'eau est-elle jointe à l'Esprit ? C'est que le baptême vise un double but : réduire à l'impuissance l'être de péché afin de ne plus porter des fruits pour la mort ; mais aussi vivre de l'Esprit et porter des fruits qui conduisent à la sanctification. L'eau offre l'image de la mort en recevant le corps comme dans un tombeau ; l'Esprit infuse la force vivifiante en renouvelant nos âmes, qu'il fait passer de la mort du péché à la vie originelle. C'est donc cela, renaître de l'eau et de l'Esprit : la mort s'accomplit dans l'eau, et c'est l'Esprit qui produit notre vie.
(Traité sur le Saint-Esprit, 15,35)

"L'Esprit éclaire tous les hommes pour leur faire connaître Dieu. Il donne aux Prophètes l'inspiration, aux législateurs la sagesse... c'est lui qui opère les guérisons miraculeuses, ressuscite les morts, fait sauter les chaînes des prisonniers, c'est par lui que les étrangers sont adoptés comme des fils. Il accomplit cela par son opération divine. Il prend un publicatin qui croit et en fait un évangéliste. Il vient dans un pécheur et en fait un docteur de la divinité. Trouve-t-il un persécuteur qui se repent, il le fait Apôtre des gentils, prédicateur de la foi, vase d'élection. Par lui, les faibles deviennent forts, les pauvres deviennent riches et les ignorants plus savants que les savants..." (Homélie De Fide)

"Comme les objets nets et transparents, lorsqu'un rayon les frappe, deviennent eux-mêmes resplendissants et tirent d'eux-mêmes une autre lumière ; de même les âmes qui portent l'Esprit, illuminées par l'Esprit, deviennent elles-mêmes spirituelles et renvoient la grâce sur les autres." (Traité sur le Saint-Esprit, 9,23)

Baudouin de Ford (cistercien anglais mort vers 1190)

"Je suis le pain de vie. Qui vient à moi n'aura plus faim, qui croit en moi n'aura plus jamais soif [Jn 6, 35]. La Sagesse dit pourtant : Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif [Si 24, 21]. Le Christ, Sagesse de Dieu, n'est pas dès maintenant mangé jusqu'au rassasiement de notre désir, mais seulement dans une mesure qu'il excite notre désir de rassasiement, et plus nous goûtons sa douceur, plus notre désir s'irrite. C'est pourquoi ceux qui le mangent auront encore faim, jusqu'à ce que vienne le rassasiement. Mais, lorsque leur désir aura été comblé par les biens célestes, ils n'auront plus ni faim ni soif.
Cette parole : Ceux qui me mangent auront encore faim, peut aussi s'entendre du monde futur, car il y a dans ce rassasiement éternel une sorte de faim, qui ne vient pas du besoin mais du bonheur. Les convives y désirent toujours manger ; jamais ils ne souffrent de la faim, et cependant jamais ils ne se lassent d'être rassasiés. Ainsi, alors même qu'on le tient, on le cherche selon qu'il est écrit : Cherchez son visage toujours [Ps 104, 4]. Oui, on le cherche toujours, celui qu'on aime pour le posséder toujours."
(Le sacrement de l'hôtel, II, 3 ; SC 93, p.253).

"Forte est la mort, puisqu'elle peut nous enlever le don de la vie. Fort est l'amour, puisqu'il peut nous ramener à un meilleur usage de la vie.
Forte est la mort, puisqu'elle a le pouvoir de nous dépouiller de notre corps. Fort est l'amour, puisqu'il a le pouvoir d'arracher à la mort ce qu'elle nous a pris, et de nous le restituer.
Forte est la mort : aucun homme ne peut lui résister. Fort est l'amour, au point de pouvoir triompher d'elle, de briser son aiguillon, de mater ses efforts, de changer sa victoire en défaite. Tout cela se réalisera lorsque la mort sera insultée et s'entendra dire : Où est-il, mort, ton aiguillon ? Où est-elle, mort, ta victoire ?" (Homélie 10 sur le Cantique, 8, 6)

"Vivante est la parole de Dieu, efficace, et plus acérée qu'une épée à deux tranchants. [...] La Parole est donc efficace, et plus pénétrante qu'une épée à deux tranchants, quand elle est reçue avec foi et amour. En effet, qu'y a-t-il d'impossible pour celui qui croit ? Et qu'y a-t-il de rigoureux pour celui qui aime ? Quand s'élève la voix du Verbe, elle s'enfonce dans le coeur comme des flèches de combat qui déchirent, comme des clous fichés profondément, et elle pénètre si loin qu'elle atteint le fond le plus secret. Oui, cette Parole pénètre plus loin qu'une épée à deux tranchants, car il n'est pas de puissance ni de force qui puisse porter de coups aussi sensibles, et l'esprit humain ne peut concevoir de pointe aussi subtile et pénétrante. Toute la sagesse humaine, toute la délicatesse du savoir naturel sont loin d'atteindre son acuité." (Homélie sur la Lettre aux Hébreux, citée in Livre des jours, Office romain des lectures, Le Cerf - Desclée de Brouwer - Desclée - Mame, p. 1207).

Bède le Vénérable (VIIIe siècle)

"Jean avait témoigné en naissant que le Christ allait naître ; en prêchant il avait témoigné que le Christ allait prêcher, en baptisant, qu'il allait baptiser. En souffrant le premier sa passion, il signifiait que le Christ devait lui aussi la souffrir.
Cet homme si grand parvint donc au terme de sa vie par l'effusion de son sang après une longue et pénible captivité. Lui qui avait annoncé la bonne nouvelle de la liberté d'une paix supérieure est jeté en prison par des impies. Il est enfermé dans l'obscurité d'un cachot, lui qui était venu rendre témoignage à la lumière et qui avait mérité d'être appelé flambeau ardent de lumière par la lumière elle-même qui est le Christ (Jn 5, 35).
Par son propre sang est baptisé celui à qui fut donné de baptiser le Rédempteur du monde, d'entendre la voix du Père s'adresser au Christ et de voir descendre sur lui la grâce du Saint-Esprit. Mais il ne lui était pas pénible, bien plus, il lui semblait léger et désirable d'endurer pour la vérité des tourments temporels qui laissaient entrevoir la récompense des joies éternelles."
(Bède le Vénérable :Homélie 23, in L'Evangile médité par les Pères : Marc, Editions Olivétan, 2007, p. 59-60).

"Le parfait amour est celui par lequel il nous est commandé d'"aimer le Seigneur de tout notre coeur, de toute notre âme et de toute notre force et le prochain comme nous-mêmes" [Mc 12, 30-31]. Et l'amour de l'un ne peut être parfait sans l'amour de l'autre, car on ne peut aimer vraiment ni Dieu sans le prochain ni le prochain sans Dieu. Aussi, chaque fois que le Seigneur demande à Pierre s'il l'aime et que celui-ci répond qu'il l'aime en le prenant lui-même à témoin, à chaque reprise il conclut : Pais mes brebis ou Pais mes agneaux [Jn 21, 15-17] ; c'est comme s'il disait ouvertememnt qu'il n'y a qu'une véritable preuve d'amour total de Dieu : l'ardeur à prendre bien soin des frères."
(Bède le Vénérable, Homélie 22, trad. inédite de Guillaume Bady pour Magnificat, n° 234, mai 2012, p. 335).

Benoît de Nursie

"La divine Ecriture, mes frères, proclame pour notre gouverne : "Quiconque s'élève sera humilié, et celui qui s'humilie sera glorifié." En tenant ce langage, elle nous montre que tout élèvement s'apparente à l'orgueil, et nécessite les précautions dont se munit le Prophète disant : "Seigneur, j'ai fui l'élèvement du cœur et les hautes ambitions ; je n'ai point marché dans des voies prétentieuses, ni vers le mirage d'une condition supérieure à la mienne." Bien plus, il poursuit : "Si je n'entretiens de bas sentiments de moi-même, Si je m'estime plus que je ne dois, tu me traiteras dans ta justice comme l'enfant trop tôt sevré, qu'on arrache des bras de sa mère.
Voulons-nous, par conséquent, mes frères, atteindre au sommet de cette souveraine humilité, voulons-nous parvenir par une ascension rapide à ces hauteurs célestes où mène l'abaissement de la vie présente ? Il s'agit alors d'y monter par la gradation de nos œuvres, et de dresser vers le ciel cette même échelle où Jacob vit en songe monter et descendre les anges. Il est ici hors de doute que monter et descendre signifient pour nous que l'on s'abaisse en voulant s'élever, et qu'on s'élève en s'abaissant. Quant à cette échelle dressée, c'est proprement notre vie d'ici-bas, pour autant que le Seigneur élève jusqu'aux cieux le cœur qui s'humilie. Convenons maintenant que les deux côtés de l'échelle figurent notre corps et notre âme : entre ces montants, Dieu a inséré, nous invitant à les gravir, les échelons successifs de l'art spirituel qui porte nom humilité." (Benoît de Nursie : Règle, chap. VII : De l'humilité) Pour aller plus loin dans la Règle de Saint Benoît.

Benoît XVI (Pape)

"À la tombée de cette nuit, Jésus nous dit : "Gardez vos lampes allumées" (Lc 12, 35) ; lampe de la foi, lampe de la prière, lampe de l'espérance et de l'amour ! Cet acte de marcher dans la nuit, en portant la lumière, parle fort au plus intime de nous-mêmes, touche notre coeur et dit bien plus que tout autre parole prononcée ou entendue. Ce geste résume à lui seul notre condition de chrétiens en chemin : à la fois, nous avons besoin de lumière et nous sommes appelés à devenir lumière. Le péché nous rend aveugles, il nous empêche de nous proposer comme guides pour nos frères, et il nous amène à nous méfier d'eux pour nous laisser conduire. Nous avons besoin d'être éclairés et nous répétons la supplication de l'aveugle Bartimée : "Maître, fais que je voie !" (Mc 10, 51). Fais que je voie mon péché qui m'entrave, mais surtout, Seigneur, fais que je voie ta gloire ! Nous le savons : notre prière a déjà été exaucée et nous rendons grâce car, comme le dit saint Paul dans sa Lettre aux Éphésiens : "le Christ t'illuminera" (Ep 5, 14), et saint Pierre ajoute : "il vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière" (1 P 2, 9).
À nous qui ne sommes pas la lumière, le Christ peut désormais dire : "Vous êtes la lumière du monde" (Mt 5, 14), nous confiant le soin de faire resplendir la lumière de la charité. Comme l'écrit l'Apôtre saint Jean : "Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et il n'y a en lui aucune occasion de chute" (1 Jn 2, 10). Vivre l'amour chrétien, c'est tout à la fois faire entrer la lumière de Dieu dans le monde et en indiquer la véritable source. Saint Léon le Grand l'écrit : "Quiconque, en effet, vit pieusement et chastement dans l'Église, qui songe aux choses d'en haut, non à celles de la terre (cf. Co 3, 2), est d'une certaine façon semblable à la lumière céleste ; tant qu'il observe lui-même l'éclat d'une sainte vie, il montre à beaucoup, comme une étoile, la voie qui mène à Dieu" (Sermon III, 5).
En ce sanctuaire de Lourdes vers lequel les chrétiens du monde entier ont les yeux tournés depuis que la Vierge Marie y a fait briller l'espérance et l'amour en donnant aux malades, aux pauvres et aux petits la première place, nous sommes invités à découvrir la simplicité de notre vocation : il suffit d'aimer."
(Discours du Pape Benoît XVI à Lourdes, le 13 septembre 2008).

"Oui, l’amour est «extase», mais extase non pas dans le sens d’un moment d’ivresse, mais extase comme chemin, comme exode permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi, et précisément ainsi vers la découverte de soi-même, plus encore vers la découverte de Dieu : « Qui cherchera à conserver sa vie la perdra. Et qui la perdra la sauvegardera » (Lc 17, 33), dit Jésus – une de ses affirmations qu’on retrouve dans les Évangiles avec plusieurs variantes (cf. Mt 10, 39; 16, 25; Mc 8, 35; Lc 9, 24; Jn 12, 25). Jésus décrit ainsi son chemin personnel, qui le conduit par la croix jusqu’à la résurrection; c’est le chemin du grain de blé tombé en terre qui meurt et qui porte ainsi beaucoup de fruit. Mais il décrit aussi par ces paroles l’essence de l’amour et de l’existence humaine en général, partant du centre de son sacrifice personnel et de l’amour qui parvient en lui à son accomplissement." (Encyclique "Dieu est Amour", 6, 2006).

"En réalité, eros et agapè – amour ascendant et amour descendant – ne se laissent jamais séparer complètement l’un de l’autre. Plus ces deux formes d’amour, même dans des dimensions différentes, trouvent leur juste unité dans l’unique réalité de l’amour, plus se réalise la véritable nature de l’amour en général. Même si, initialement, l’eros est surtout sensuel, ascendant – fascination pour la grande promesse de bonheur –, lorsqu’il s’approche ensuite de l’autre, il se posera toujours moins de questions sur lui-même, il cherchera toujours plus le bonheur de l’autre, il se préoccupera toujours plus de l’autre, il se donnera et il désirera « être pour » l’autre. C’est ainsi que le moment de l’agapè s’insère en lui ; sinon l'eros déchoit et perd aussi sa nature même. D’autre part, l’homme ne peut pas non plus vivre exclusivement dans l’amour oblatif, descendant. Il ne peut pas toujours seulement donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don. L’homme peut assurément, comme nous le dit le Seigneur, devenir source d’où sortent des fleuves d’eau vive (cf. Jn 7, 37-38). Mais pour devenir une telle source, il doit lui-même boire toujours à nouveau à la source première et originaire qui est Jésus Christ, du cœur transpercé duquel jaillit l’amour de Dieu (cf. Jn 19, 34)." (Encyclique "Dieu est Amour", 7, 2006.)

"L’amour du prochain se révèle ainsi possible au sens défini par la Bible, par Jésus. Il consiste précisément dans le fait que j’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n’apprécie pas ou que je ne connais même pas. Cela ne peut se réaliser qu’à partir de la rencontre intime avec Dieu, une rencontre qui est devenue communion de volonté pour aller jusqu’à toucher le sentiment. J’apprends alors à regarder cette autre personne non plus seulement avec mes yeux et mes sentiments, mais selon la perspective de Jésus Christ. Son ami est mon ami. Au-delà de l’apparence extérieure de l’autre, jaillit son attente intérieure d’un geste d’amour, d’un geste d’attention, que je ne lui donne pas seulement à travers des organisations créées à cet effet, l’acceptant peut-être comme une nécessité politique. Je vois avec les yeux du Christ et je peux donner à l’autre bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires: je peux lui donner le regard d’amour dont il a besoin." (Encyclique "Dieu est Amour", 18, 2006)

"La nature profonde de l’Église s’exprime dans une triple tâche: annonce de la Parole de Dieu (kerygma-martyria), célébration des Sacrements (leitourgia), service de la charité (diakonia). Ce sont trois tâches qui s’appellent l’une l’autre et qui ne peuvent être séparées l’une de l’autre. La charité n’est pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer." (Encyclique "Dieu est Amour", 25, 2006)

"Foi, espérance et charité vont de pair. L’espérance s’enracine en pratique dans la vertu de patience, qui ne fait pas défaut dans le bien, pas même face à l’échec apparent, et dans celle d’humilité, qui accepte le mystère de Dieu et qui Lui fait confiance même dans l’obscurité. La foi nous montre le Dieu qui a donné son Fils pour nous et suscite ainsi en nous la certitude victorieuse qu’est bien vraie l’affirmation: Dieu est Amour. De cette façon, elle transforme notre impatience et nos doutes en une espérance assurée que Dieu tient le monde entre ses mains et que malgré toutes les obscurités il triomphe, comme l’Apocalypse le révèle à la fin, de façon lumineuse, à travers ses images bouleversantes. La foi, qui prend conscience de l’amour de Dieu qui s’est révélé dans le cœur transpercé de Jésus sur la croix, suscite à son tour l’amour. Il est la lumière – en réalité l’unique – qui illumine sans cesse à nouveau un monde dans l’obscurité et qui nous donne le courage de vivre et d’agir. L’amour est possible, et nous sommes en mesure de le mettre en pratique parce que nous sommes créés à l’image de Dieu. Par la présente Encyclique, voici à quoi je voudrais vous inviter: vivre l’amour et de cette manière faire entrer la lumière de Dieu dans le monde." (Encyclique "Dieu est Amour", 39, 2006)

Bernard de Clairvaux

"Vous me demanderez comment j’ai pu connaître la présence [de Dieu]. C’est qu’il est vivant et actif : à peine était-il en moi qu’il tira du sommeil mon âme assoupie. Mon cœur était dur comme la pierre et malade : il l’a secoué, amolli et blessé. Il se mit aussi à sarcler, à arracher, à construire, à planter, à arroser les terres arides, à illuminer les endroits obscurs et à ouvrir les chambres closes, à embraser les parties glacées ; mieux encore, il redressa les voies tortueuses et aplanit les terrains raboteux, tant et si bien que mon âme bénit le Seigneur et que tout moi-même se prit à chanter les louanges de son saint nom. Vous voyez bien que le Verbe Epoux, qui est entré en moi plus d’une fois ne m’a jamais donné aucun signe de son irruption que ce soit par la voix, par l’image visuelle ou par toute autre approche sensible. Aucun mouvement de sa part ne m’a signalé sa venue, aucune sensation ne m’a jamais averti qu’il se fût insinué dans mes retraites intérieures. Ainsi que je viens de le dire, j’ai compris qu’il était là à certains mouvements de mon propre cœur : la fuite des vices et la répression de mes appétits charnels m’ont fait connaître la puissance de sa vertu. La mise en discussion ou en accusation de mes sentiments obscurs m’a conduit à admirer la profondeur de sa sagesse ; l’amendement, si minime fût-il, de ma manière de vivre, m’a donné l’expérience de sa douce bonté ; à voir se rénover et se réformer mon esprit, je veux dire l’homme intérieur en moi, j’ai perçu quelque chose de sa beauté, et enfin, l’excès de sa grandeur, à considérer tout cela ensemble, m’a jeté dans la stupéfaction."
(Bernard : Sermons sur le Cantique des Cantiques, 74, 6 ).

"Dieu notre Epoux n'est pas seulement aimant : il est l'amour. N'est-il pas aussi l'honneur ? L'affirme qui voudra ; pour moi, je ne l'ai lu nulle part. J'ai lu que Dieu est amour ; je n'ai pas lu qu'il est honneur.
Certes, à Dieu seul l'honneur et la gloire (cf. 1 Tm 1, 17) ; mais Dieu n'acceptera ni l'un ni l'autre, s'ils n'ont pas été assaisonnés du miel de l'amour. L'amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, à lui-même sa récompense. L'amour ne cherche pas hors de lui-même ni sa cause ni son fruit : en jouir, voilà son fruit. J'aime parce que j'aime ; j'aime pour aimer. Grande chose que l'amour, si du moins il remonte à son principe, s'il retourne à son origine, s'il reflue vers sa source pour y puiser sans cesse son pérenne jaillissement. De tous les mouvements de l'âme, de ses sentiments et de ses affections, l'amour est le seul qui permette à la créature de répondre au Créateur, sinon d'égal à égal, du moins dans une réciprocité de ressemblance. Par exemple, si Dieu se met en colère contre moi, riposterai-je par une colère semblable ? Non, certes, mais je craindrai, je tremblerai, j'implorerai le pardon. Quand Dieu aime, il ne veut rien d'autre que d'être aimé. Car il n'aime que pour être aimé, sachant que ceux qui l'aimeront seront bienheureux par cet amour même."
(Sermons sur le Cantique, 83, 4).

"Tout, dit l'Apôtre [Paul], concourt au bien de ceux qui aiment Dieu. Mais l'un de vous dira peut-être : "Que m'importe ?", tout en repassant dans son coeur sans courage des pensées de ce genre : "Oui, qu'ils se glorifient de leur pouvoir d'enfants de Dieu (Jn 1, 12), ceux en qui l'élan du désir est plein de vigueur ; et qu'ils escomptent alors que tout concoure à leur bien, eux qui aiment Dieu en vérité (cf. 1 Jn 3, 18). Mais moi je suis pauvre et malheureux (Ps 39, 18), à court d'élan filial, et manquant d'un empressement spirituel digne de Dieu."
Or sois bien attentif à ce qui suit, dans ses écrits, il ne laisse aucun motif de désespérer, celui qui dit, dans un autre passage : "Que grâce à la persévérance et au réconfort des Ecritures nous ayons l'espérance (Rm 15, 4). Cet élan que tu réclames, c'est la paix, non pas la patience ; or la paix, c'est dans la patrie qu'elle se trouve, non pas sur le chemin qui y conduit.
Ayons donc l'espérance, même si nous ne pouvons encore acquérir la paix. C'est d'ailleurs pourquoi, après avoir dit que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, l'Apôtre a précisé avec beaucoup d'à-propos : Ceux qui, en raison de leur projet, sont appelés saints (Rm 8, 28). Ce terme de "saints" dans cette phrase ne doit pas t'effrayer, puisque ce n'est pas en raison d'un mérite, mais d'un projet qu'il les appelle saints - et pas non plus en raison des sentiments éprouvés, mais en raison du but poursuivi."
(Sermon I sur le travail de la moisson, 1-2) in Saint Bernard, Sermons pour l'année, Turnhout/Taizé/Brepols, 1990, p. 630 [cité d'après Magnificat n 0332, juillet 2020]).

"Je vais me livrer pour vous être utile et, si cela contribue à votre progrès, je me consolerai de ma folie ; sinon, je la reconnaîtrai. J'avoue que le Verbe m'a visité - je parle en fou (2 Co 11, 17) -, et cela plusieurs fois. Bien qu'il soit souvent entré en moi, jamais je ne l'ai senti entrer. J'ai senti qu'il était là, je me souviens de sa présence. Parfois, j'ai même pu pressentir son entrée ; la sentir, jamais, pas plus que sa sortie.
D'où est-il venu dans mon âme, où est-il allé en la quittant, par où est-il entré et sorti - j'avoue que maintenant encore je l'ignore, selon cette parole : Tu ne sais ni d'où il vient ni où il va (Jn 3, 8). Par où est-il donc entré ? Ou peut-être n'est-il pas entré du tout, parce qu'il ne vient pas du dehors ? En effet, il ne fait pas partie des réalités extérieures (1 Co 5, 12). Mais il n'est pas non plus venu du dedans de moi, puisqu'il est bon (Ps 51, 11), et je sais qu'en moi il n'y a rien de bon (Rm 7, 18). Je suis monté jusqu'à la cime de moi-même, et voici que le Verbe la dominait de très haut. Explorateur curieux, je suis aussi descendu au plus bas de mon être, et j'ai également trouvé qu'il était plus bas encore. Si j'ai regardé vers l'extérieur, j'ai découvert qu'il était au-delà de tout ce qui m'est extérieur ; si je me suis tourné vers l'intérieur, il m'était plus intérieur que moi-même.
Considérant tout cela en même temps, je suis resté épouvanté devant l'excès de sa grandeur."
(Bernard de Clairvaux : Homélies sur le Cantique des Cantiques, 74, 5-6).

""Bienheureux les pauvres en esprit." […] Remarquez-le bien : Jésus ne parle pas des pauvres en général, de ceux qui sont pauvres par le fait d’une rude nécessité, mais de ceux qui le sont par un acte louable de volonté. Il ne parle que de ceux qui peuvent dire avec le prophète : "Mon sacrifice est un sacrifice volontaire". Toute forme de pauvreté, même volontaire, ne mérite pas la louange de Dieu. "Heureux les pauvres en esprit", dit le Seigneur. Heureux ceux qui sont pauvres par suite d’un désir spirituel, qui le sont uniquement pour plaire à Dieu et pour faire leur salut : "le Royaume des cieux est à eux !" Oui, n’en doutez pas : Celui qui promet le Royaume est capable de réaliser et de tenir sa promesse. Comme a été précipité du ciel celui qui a prétendu s’élever plus haut qu’il n’était, n’est-il pas logique que soient heureux au ciel ceux qui volontairement se sont mis au rang des pauvres ? Ceux-là auront en récompense le Royaume que l’orgueilleux a perdu. La Sagesse elle-même vous le dit : "Embrassez l’humble pauvreté et le Royaume est à vous !" […] Et le Seigneur poursuit : "Bienheureux ceux qui sont doux !" À quoi bon en effet la pauvreté, si celui qui s’est fait pauvre murmure, devient impatient, et trouve insupportable le joug de la pauvreté qu’il a volontairement embrassée ? Il est heureux qu’après la promesse du Royaume des cieux, les doux en reçoivent une autre, de moindre importance, mais comme une sorte de gage du Royaume lui-même ici-bas : "Heureux ceux qui sont doux, ils posséderont la terre !" Qui veut être maître de soi, de sa terre, de ses membres, qu’il commence par se soumettre, qu’il s’humilie devant Dieu : son corps lui-même lui obéira."
(1er sermon pour la Toussaint, 8-9).

"... que veut dire le Seigneur lorsqu'il nous commande de nous tourner vers lui [cf. Jl 2, 12] ? Car il est partout, il remplit tout, en même temps qu'il embrasse la totalité de ce qui est. Quelle direction prendre pour me tourner vers toi, Seigneur mon Dieu ? Si je monte au ciel tu es là ; que je descende aux enfers, t'y voici [Ps 138, 8]. Qu'attends-tu de moi ? Où me tourner pour me tourner vers toi ? En haut ? en bas ? à droite ? à gauche ?
A moins de vous convertir et de devenir comme ce petit enfant, non, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux [Mt 18, 3]. Je sais donc où il veut que nous nous tournions : vers le petit enfant. Voilà ce qui nous est nécessaire, de manière à apprendre de lui qu'il est doux et humble de coeur [Mt 11, 29]. C'est dans ce dessein que, petit enfant, il nous a été donné [Is 19, 5].
Voyons maintenant comment nous tourner vers ce petit enfant - vers ce Maître de douceur et d'humilité. Tournez-vous vers moi, dit-il, de tout votre coeur [Jl 2, 12). Frères, s'il avait dit : "Tournez-vous", sans rien ajouter d'autre, nous prendrions peut-être la liberté de lui répondre : "C'est fait ; propose-nous maintenant un autre commandement." Mais la conversion spirituelle à laquelle il nous exhorte, si je l'entends bien, ne s'accomplit pas en un seul jour. Puisse-t-elle tout au moins s'achever au cours de la vie que nous menons dans ce corps."
(2e sermon de Carême in Saint Bernard, Sermons pour l'année, Brépols/Taizé, 1990, pp. 255-256).

"Vous me demanderez comment j’ai pu connaître sa présence. C’est qu’il est vivant et actif : à peine était-il en moi qu’il tira du sommeil mon âme assoupie. Mon cœur était dur comme la pierre et malade : il l’a secoué, amolli et blessé. Il se mit aussi à sarcler, à arracher, à construire, à planter, à arroser les terres arides, à illuminer les endroits obscurs et à ouvrir les chambres closes, à embraser les parties glacées ; mieux encore, il redressa les voies tortueuses et aplanit les terrains raboteux, tant et si bien que mon âme bénit le Seigneur et que tout moi-même se prit à chanter les louanges de son saint nom." (Homélies sur le Cantique des Cantiques, 74, 6).

"Frères, vous à qui le Seigneur, comme à des petits, révèle ce qui est caché aux sages et aux habiles, vous devez appliquer votre pensée à ce qui concerne vraiment le salut et trouver le sens de cet avent : Cherchez donc quel est celui qui vient, d'où et de qui il vient, cherchez aussi le motif de sa venue. Cette curiosité est sans aucun doute louable et salutaire : l'Eglise ne célèbrerait pas le présent Avent avec tant de ferveur s'il ne recélait en lui quelque grand sacrement. Et tout d'abord, avec l'Apôtre stupéfait et plein d'admiration, regardez vous aussi celui qui fait son entrée : Il est, au témoignage de Gabriel, le Fils du Très-Haut, Très-Haut lui-même. Vous avez entendu, frères, quel est celui qui vient, écoutez, maintenant, d'où il vient et où il va. Il vient du coeur de Dieu le Père dans le sein de la Vierge Mère. Il vient du plus haut des cieux jusqu'aux régions inférieures de la terre."
(1er sermon pour l'Avent, 1, cité d'après le Lectionnaire pour les dimanches et fêtes de Jean-René Bouchet, Cerf, 1994, pp. 34 ).

"Il doit en être du pécheur par rapport à son Créateur, comme du malade par rapport à son médecin, et tout pécheur doit prier Dieu comme un malade prie son médecin. Mais la prière du pécheur rencontre deux obstacles, l'excès ou l'absence de lumière. Celui qui ne voit ni ne confesse point ses péchés est privé de toute lumière; au contraire celui qui les voit, mais si grands qu'il désespère du pardon, est offusqué par un excès de lumière : ni l'un ni l'autre ne prient. Que faire donc ? Il faut tempérer la lumière, afin que le pécheur voie ses péchés, les confesse, et prie pour eux afin d'en obtenir la rémission. Il faut donc d'abord qu'il prie avec un sentiment de confusion, c'est ce qui a lieu quand le pécheur n'ose point encore s'approcher lui-même de Dieu et cherche quelque homme saint, quelque saint pauvre d'esprit qui soit comme la frange du manteau du Seigneur, et par qui il puisse s'approcher de lui."
(107e sermon "sur les sentiments qu'il faut avoir dans la prière").

"...qui pourra se faire une juste idée de la gloire au sein de laquelle la reine du monde s'est avancée aujourd'hui, de l'empressement plein d'amour avec lequel toute la multitude des légions célestes s'est portée à sa rencontre ? Au milieu de quels cantiques de gloire elle a été conduite à son trône, avec quel visage paisible, quel air serein, quels joyeux embrassements, elle a été accueillie par son Fils, élevée par lui au-dessus de toutes les créatures avec tout l'honneur dont une telle mère est digne, et avec toute la pompe et l'éclat qui conviennent à un tel Fils ? Sans doute, les baisers que la Vierge mère recevait des lèvres de Jésus à la mamelle, quand elle lui souriait sur son sein virginal, étaient pleins de bonheur pour elle, mais je ne crois pas qu'ils l'aient été plus que ceux qu'elle reçoit aujourd'hui du même Jésus assis sur le trône de son Père, au moment heureux où il salue son arrivée, alors qu'elle monte elle-même à son trône de gloire, en chantant l'épithalame et en disant : "Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche." Qui pourra raconter la génération du Christ et l'Assomption de Marie ? Elle se trouve dans les cieux comblée d'une gloire d'autant plus singulière que, sur la terre, elle a obtenu une grâce plus insigne que toutes les autres femmes. Si l'œil n'a point vu, si l'oreille n'a point entendu, si le cœur de l'homme n'a point connu dans ses aspirations ce que le Seigneur a préparé à ceux qui l'aiment, qui pourrait dire ce qu'il a préparé à celle qui l'a enfanté, et, ce qui ne peut être douteux pour personne, qui l'aime plus que tous les hommes ? Heureuse est Marie, mille fois heureuse est-elle, soit quand elle reçoit le Sauveur, soit quand elle est elle-même reçue par lui; dans l'un et dans l'antre cas, la dignité de la Vierge Marie est admirable, et la faveur dont la majesté divine l'honore, digne de nos louanges." (1er Sermon sur l'Assomption de la Vierge Marie, 4).

"Les actions du Seigneur proclament bien haut le motif de sa venue. Il est venu du haut des montagnes chercher la centième brebis qui était errante. Et pour que nous rendions grâces au Seigneur car il est bon, pour que nous chantions ses merveilles pour les fils des hommes, il est venu pour nous. Grandeur inouïe de Dieu qui cherche, grandeur aussi de l'homme cherché !" (1er Sermon pour l'Avent, cité d'après Lectionnaire pour les dimanches et fêtes de Jean-René Bouchet, Cerf, 1994, pp. 34-36, 1er Sermon pour l'Avent, 7).

"L'amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, il est à lui-même sa récompense. L'amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison d'être ni son fruit : son fruit, c'est l'amour même. J'aime parce que j'aime, j'aime pour aimer." (Homélies sur le Cantique des Cantiques, 83, 4).

"C'est vraiment le miel que tu as trouvé, en trouvant la sagesse. Pourtant n'en mange pas trop, pour ne pas la vomir d'écoeurement. Manges-en de manière à rester toujours sur ta faim. Car c'est elle qui dit : Ceux qui mangent auront encore faim. Ne va pas estimer comme une grande quantité ce que tu as ; ne t'en gorge pas pour ne pas la vomir : cela même que tu parais avoir te serait enlevé, car avant qu'il ne soit temps tu te serais arrêté dans ta recherche. Or, tant qu'on peut la trouver, tant qu'elle est proche, il ne faut cesser de la chercher et de l'appeler. sinon il en sera comme de celui qui mange beaucoup de miel : Salomon lui-même le dit bien : Cela ne lui vaut rien, car celui qui aura cherché sans discrétion la majesté sera écrasé par la gloire." (Homélie pour la Toussaint, 2).

"De même qu’une petite goutte d’eau versée dans une grande quantité de vin semble ne plus exister, prenant le goût du vin et sa couleur ; et de même que le fer rougi à blanc est parfaitement semblable à du feu, ayant dépouillé sa forme première et propre ; et de même que l’air traversé par la lumière du soleil revêt l’éclat même de la lumière, au point qu’il semble non seulement illuminé mais lumière même, ainsi faudra-t-il que dans les Saints le sentiment humain se fonde, d’une certaine manière qu’il n’est pas possible de dire, se fonde tout entier dans la volonté de Dieu. Autrement, comment Dieu serait-il "tout en tous" si quelque chose de l’homme restait en l’homme ? Sa substance, certes, restera, mais en une autre forme, une autre gloire, une autre puissance." (Traité de l’Amour de Dieu, X, 28).

"Voici que la paix n'est plus promise mais envoyée, non plus remise à plus tard mais donnée, non plus prophétisée mais proposée. C'est comme un couffin plein de sa miséricorde que Dieu le Père a envoyé sur la terre ; oui, dis-je, un couffin que la Passion devra déchirer pour laisser se répandre ce qu'il contient : notre paix ; un couffin, peut-être petit, mais rempli. Un petit enfant nous a été donné, mais en lui habite toute la plénitude de la divinité. Lorsqu'est venue la plénitude des temps est venue aussi la plénitude de la divinité. Elle est venue dans la chair, afin de se faire voir même de ceux qui sont charnels, et que son humanité ainsi manifestée permette de reconnaître sa bonté. En effet, dès que l'humanité de Dieu se fait connaître, sa bonté ne peut plus rester cachée." (Sermon pour l'Epiphanie, I, 1).

"Que ton amour se convertisse de sorte que tu n'aimes rien sinon le Seigneur ou bien que tu n'aimes rien que pour Dieu. Que ta crainte se tourne aussi vers lui car toute crainte qui nous fait redouter quelque chose en dehors de lui et non pas à cause de lui est mauvaise. Que ta joie et ta tristesse se convertissent à lui ; il en sera ainsi si tu ne souffres ou ne te réjouis qu'en lui. Si donc tu t'affliges pour tes propres péchés ou pour ceux du prochain, tu fais bien et ta tristesse est salutaire. Si tu te réjouis des dons de la grâce, cette joie est sainte et tu peux la goûter en paix dans l'Esprit Saint. Tu dois te réjouir, dans l'amour du Christ, des prospérités de tes frères et compatir à leurs malheurs selon cette parole : "Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent.""(2e Sermon pour le premier jour du Carême, 2-3, 5, cité in Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes de Jean-René Bouchet, p. 143).

"Dans notre coeur, là où le Christ fait sa demeure, conduisons-nous avec jugement et intelligence, de manière à ne pas mettre notre confiance dans notre propre vie et à ne pas prendre appui sur un fragile rempart." (Homélie sur Habaquq, 2, 1)

"La mesure de l'amour de Dieu c'est de l'aimer sans mesure" (Saint Bernard, Traité de l'amour de Dieu, chap. I.).

Bonaventure

"Contre ces deux vices , la paresse et la tristesse , combat la charité envers Dieu qui n'est jamais oisive. Or, on arrive à cette vertu par un triple degré.
D'abord , en usant de telle sorte de ce qui nous est permis, que nous ayons toujours soin de nous abstenir de ce qui nous est défendu.
En second lieu en accomplissant avec empressement et avec une grande ferveur tout ce qui tient au service de Dieu, et en excitant dans les autres un pareil sentiment.
Et enfin, en se portant vers Dieu avec autant d'ardeur que si l'on ne pouvait vivre sans lui.
On trouve encore un secours contre la tristesse dans de pieux entretiens, dans le souvenir de la bonté et de la miséricorde de Dieu et dans de saints cantiques, comme l'enseigne saint Paul aux Ephésiens [Eph 5]."
(Du Combat Spirituel contre les Sept Péchés Capitaux, VII)

"L’origine de l’Ecriture ne se situe pas dans la recherche humaine, mais dans la divine révélation qui provient du Père des lumières, de qui toute paternité au ciel et sur terre tire son nom [Ep 3, 15]. De lui, par son Fils Jésus-Christ, s’écoule en nous l’Esprit Saint. Par l’Esprit Saint, partageant et distribuant ses dons à chacun de nous selon sa volonté, la foi nous est donnée et, par la foi, le Christ habite en nos cœurs [Ep 3, 17]. Telle est la connaissance de Jésus-Christ de laquelle découle, comme de sa source, la fermeté et l’intelligence de toute la sainte Ecriture.
Il est donc impossible d’entrer dans la connaissance de l’Ecriture sans posséder d’abord, insérée en soi, la foi du Christ, comme la lumière, la porte et le fondement de toute l’Ecriture. Car, aussi longtemps que nous vivons en exil loin du Seigneur, la foi est elle-même le fondement stable, la lumière directrice et la porte d’entrée dans toutes les illuminations surnaturelles. Selon la mesure de cette foi, doit être mesurée la sagesse qui nous est donnée par Dieu, afin de ne pas goûter plus qu’on ne doit, mais de goûter avec sobriété et selon la mesure de foi que Dieu départit à chacun [Rm 12, 3].
L’aboutissement ou le fruit de la sainte Ecriture n’est pas n’importe quoi, c’est la plénitude de l’éternelle félicité. Car elle est l’Ecriture dans laquelle sont les paroles de la vie éternelle ; elle est donc écrite, non seulement pour que nous croyions, mais aussi pour que nous possédions la vie éternelle dans laquelle nous verrons, nous aimerons et où nos désirs seront universellement comblés. Alors, nos désirs étant comblés, nous connaîtrons vraiment la charité qui surpasse la connaissance [Ep 3, 19] et ainsi nous serons remplis de toute la plénitude de Dieu [Ep 3, 19]. C’est à cette plénitude que la divine Ecriture s’efforce de nous introduire selon la vérité du passage de l’Apôtre Paul qui vient d’être cité. C’est donc en vue de cette fin, c’est dans cette intention que la sainte Ecriture doit être étudiée, enseignée et entendue.
Pour que nous parvenions à ce fruit et à ce terme directement en progressant par la route droite des Ecritures, il faut commencer par le commencement, c’est-à-dire accéder d’une foi pure au Père des lumières en fléchissant les genoux de notre cœur, afin que par son Fils, dans son Esprit Saint, il nous donne la vraie connaissance de Jésus-Christ et, avec sa connaissance, son amour. Le connaissant et l’aimant et comme consolidés dans la foi et enracinés dans la charité, il nous sera alors possible de connaître la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur [Ep 3, 18] de la sainte Ecriture et, par cette connaissance, de parvenir à la connaissance entière et à l’amour extatique de la bienheureuse Trinité. Là tendent les désirs des saints, là se trouvent l’aboutissement et l’achèvement de toute vérité et de tout bien."
(Breviloquium, Prologue 2-5).

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