"Pour invoquer le Seigneur, il n'est assurément besoin ni de lieux spécialement disposés pour la prière ni d'éclats
de voix. Car il n'est pas de lieux où il ne se trouve, il n'y a pas moyen qu'il ne soit pas avec nous, lui qui, pour ceux
qui le cherchent, est plus proche que leur propre coeur.
En conséquence, nous devons croire fermement que ce que nous demandons dans nos prières arrivera, et ne pas douter parce
que noutre conduite est mauvaise ; au contraire nous devons avoir confiance, parce qu'il est bon, celui
que nous invoquons, envers les ingrats et les méchants (Lc 6, 35), lui qui, bien loin de mépriser les prières
de ses serviteurs qui l'avaient offensé, avant même qu'ils ne l'aient invoqué, et alors qu'ils ne faisaient aucun cas,
de lui, est lui-même descendu sur terre et les a appelés le premier ; il dit en effet : Je suis venu appeler les
pécheurs (Mt 9, 13).
S'il a ainsi recherché ceux qui ne voulaient pas de lui, que fera-t-il si on l'invoque ? S'il a aimé ceux qui le
haïssaient, comment repoussera-t-il ceux qui l'aiment ?"
(La vie en Christ VI, 98, SC 361, pp. 125-127).
"Ainsi vivons-nous en Dieu : nous avons transposé notre vie de ce monde visible vers le monde invisible, non en
changeant de lieu, mais en changeant d'existence et de vie. Car ce n'est pas nous qui nous sommes mis en route vers Dieu
et qui sommes montés, mais c'est lui qui est venu chez nous et qui est descendu. Nous n'avons pas cherché, nous avons été
cherchés ; ce n'est pas la brebis qui est partie à la recherche du berger (cf. Lc 15, 4-7), ni la drachme à la recherche
du maître de maison (cf. Lc 15, 8-10), mais c'est lui qui s'est abaissé vers la terre et qui a retrouvé son effigie ;
il s'est rendu sur les lieux où la brebis s'était égarée, il l'a soulevée et l'a relevée de son égarement ; il ne nous a
pas fait sortir d'ici (cf. Jn 17, 15), mais tandis que nous restions sur la terre, il nous a rendus célestes ;
il nous a donné sa vie qui est dans le ciel, non en nous élevant vers le ciel, mais en inclinant le ciel vers nous et en
descendant : il inclina les cieux, et il descendit (Ps 17, 1)."
(La vie en Christ, Sources Chrétiennes, n° 355, Cerf, 1989, pp. 95-97).
"Lorsque l'âme est entrée dans le chemin de la perfection, en passant par la doctrine de Jésus crucifié, avec l'amour
véritable de la vertu et avec la haine du vice, lorsqu'elle est arrivée par une sainte persévérance à la cellule de la
connaissance d'elle-même, elle s'y renferme dans les veilles et la prière continuelle, et elle se sépare de la
conversation des hommes. Pourquoi se renferme-t-elle? Elle se renferme par la crainte que lui cause la vue de son
imperfection, et par le désir qu'elle a d'arriver à l'amour généreux et parfait. Elle voit et comprend qu'on ne peut
y arriver par un autre moyen, et elle attend avec une foi vive ma venue [celle de Dieu qui s'adresse à elle] par
l'augmentation de la grâce en elle. A quoi se reconnaît cette foi vive? A la persévérance dans la vertu et dans la
sainte prière, quelque chose qui arrive. A moins que ce ne soit par obéissance ou par charité, vous ne devez jamais
abandonner la prière.
Souvent le démon obsède plus l'âme de ses tentations pendant le temps destiné à la prière que pendant le temps qui n'y est
pas consacré : il voudrait vous inspirer l'ennui de la, prière. Quelquefois il dit : Cette prière ne vous sert de rien,
parce qu'on ne doit pas être ainsi distrait. Le démon s'efforce par ce moyen de troubler et, de dégoûter l'âme de
l'exercice de la prière, parce que la prière est une arme avec laquelle l'âme se défend contre tous ses ennemis,
lorsqu'elle la prend avec la main de l'amour et le bras du libre arbitre, et qu'elle combat à la lumière de la sainte
foi."
(Traité de la prière, 1ère partie, LXV, 1-2).
Dans des dialogues entre l'âme et Dieu... l'âme se demande où elle peut acquérir l'amour de Dieu et du prochain :
"Dans la cellule de la connaissance d’elle-même, par la sainte oraison, comme Pierre et les disciples, qui, en se
renfermant dans les veilles et la prière, perdirent leur imperfection et acquirent la perfection. Par quel moyen ?
Par la persévérance unie à la sainte foi.
Mais ne pense pas qu’on reçoive cette ardeur et cette force divine par une prière purement vocale. Beaucoup me prient
plutôt des lèvres que du coeur. Ils ne songent qu’à réciter un certain nombre de psaumes et de Pater noster. Dès qu’ils
ont rempli leur tâche, ils ne pensent pas à autre chose ; ils mettent toute leur piété dans de simples paroles.
Il ne faut pas agir de la sorte ; quand on ne fait pas davantage, on en retire peu de fruit et on m’est peu agréable.
Faut-il quitter la prière vocale pour la prière mentale, à laquelle tous ne semblent pas appelés ? Non, mais il faut
procéder avec ordre et mesure.
Tu sais que l’âme est imparfaite avant d’être parfaite sa prière doit être de même. Pour ne pas tomber dans l’oisiveté,
lorsqu’elle est encore imparfaite, l’âme doit s’appliquer à la prière vocale ; mais elle ne doit pas faire la prière
vocale sans la faire mentale ; pendant que les lèvres prononcent des paroles, elle s’efforcera d’élever et de fixer
son esprit dans mon amour, par la considération de ses défauts en général et du sang de mon Fils, où elle trouvera
l’abondance de ma charité et la rémission de ses péchés."
(Traité de la prière, LXVI, 3-5)
"Et toi, de quel front oses-tu demander ce que tu négliges de donner ? Il doit
commencer par faire miséricorde en ce monde, celui qui souhaite la recevoir dans le ciel. Aussi,
frères très chers, puisque nous voulons tous la miséricorde, prenons-la comme protectrice en ce monde,
pour qu'elle nous délivre dans le monde à venir. Il y a en effet une miséricorde dans le ciel,
à laquelle on parvient par les miséricordes terrestres. L'Ecriture le dit bien : Seigneur, ta
miséricorde est dans le ciel".
Il y a donc une miséricorde sur la terre et une autre dans le ciel, c'est-à-dire l'une, humaine
et l'autre, divine. Comment définir la miséricorde humaine ? C'est que tu prennes garde aux misères des
pauvres. Comment définir la miséricorde divine ? Sans aucun doute, c'est qu'elle accorde le pardon
des péchés. Tout ce que la miséricorde humaine dépense dans le voyage, la miséricorde divine le
rend dans la patrie. Car c'est Dieu qui, en ce monde, souffre du froid et de la faim en tous
les pauvres, comme il l'a dit lui-même : Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits,
c'est à moi que vous l'avez fait. Dieu qui, du haut du ciel, veut donner, sur la terre veut
recevoir.
Quelle sorte de gens sommes-nous donc, nous qui voulons recevoir lorsque Dieu donne ; et lorsqu'il
demande, nous ne voulons pas donner ? Quand le pauvre a faim, c'est le Christ qui est dans l'indigence,
comme il le dit lui-même : J'avais faim, et vous ne m'avez pas donné à manger. Ne méprise
donc pas la misère des pauvres, si tu veux espérer avec confiance le pardon de tes péchés. Le Christ
a faim maintenant, mes frères, lui-même a voulu avoir faim et soif dans la personne de tous les pauvres ;
et ce qu'il reçoit sur la terre, il le rend dans le ciel."
(Homélie sur la miséricorde, 25, 1).
"Le soin de notre âme, frères très chers, est en tous points semblable à la culture de la terre. En effet, de même
que dans une terre cultivée, on arrache d’un côté, on extirpe de l’autre jusqu’à la racine pour semer le bon grain de
même doit-on faire dans notre âme : arracher ce qui est mauvais et planter ce qui est bon ; extirper ce qui est nuisible,
greffer ce qui est utile ; déraciner l’orgueil et planter l’humilité ; jeter l’avarice et garder la miséricorde ;
mépriser la luxure et aimer la chasteté. En effet, pas plus que tu ne pourras planter quoi que ce soit de bon dans ta
terre sans avoir jeté auparavant les mauvaises herbes, tu ne pourras planter dans ton âme les saintes semences des vertus,
si tu ne l’as pas débarrassée d’abord des épines et des ronces des vices."
(Sermon 6, 4 ; SC 175, pp. 325-327).
"On ne nous dit pas : "Allez vers l'orient, et cherchez la charité ; naviguez vers l'occident, et vous trouverez l'amour". C'est à l'intérieur de notre coeur,
d'où la colère a coutume de nous chasser, qu'on nous
ordonne de revenir, selon la parole du prophète : Pécheurs, rentrez dans votre coeur (Is 46, 8). Car ce n'est pas dans des pays lointains que se
trouve ce que réclame de nous le Seigneur : c'est à l'intérieur, à notre coeur qu'il nous envoie. Car il a placé en nous ce qu'il demande, puisque la perfection
totale de la charité consiste dans la bonne volonté de l'âme ; à son sujet les anges ont proclamé aux bergers : Paix sur terre aux hommes de bonne
volonté (Lc 2, 14).
Quel exemple du Seigneur aurons-nous à suivre ? Est-ce par hasard celui de ressusciter les morts ? Est-ce de marcher sur la mer ? Non pas ; mais d'être doux
et humbles de coeur et d'aimer non seulement nos amis mais même nos ennemis. Celui qui dit demeurer dans la lumière et qui hait son frère est dans
les ténèbres (1 Jn 2, 11). Nous devons ici entendre par frère tous les hommes."
Césaire d'Arles : Sermon 37, 1, 3 et 6 (Sources chrétiennes, 243, Cerf, 1978).
"Tu es sur le point de prier maintenant ; pardonne du fond du coeur. Tu veux te quereller avec ton ennemi ? Querelle-toi d'abord avec ton coeur. Dis à ton coeur : Ne hais pas. Si tu hais encore, dis à ton âme : Ne hais pas. Comment prierai-je ? Comment dirai-je : "Pardonne-nous nos offenses" ? Nous pouvons bien dire cela ; mais ce qui suit, de quel front le dirons-nous : "Comme nous pardonnons aussi" [cf. Mt 6, 12] ? Tu es faible, tu respires difficilement, tu es déchiré d'amertume, tu ne peux ôter ta haine. Espère en Dieu [Ps 41, 6], il est médecin ; pour toi il a été suspendu au bois et il n'est pas encore le Dieu vengeur. De quoi veux-tu te vvenger ? C'est pour cela en effet que tu hais, pour te venger. Tu veux te venger ? Vois le Christ suspendu, écoute sa prière : Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font [Lc 23, 34]." (Césaire d'Arles, Sermon 35, 1 ; Sources Chrétiennes 243, pp. 195-197).
"Il n'est pas inconvenant d'assimiler les prêtres à des vaches ; en effet, comme une vache a deux mamelles, avec lesquelles elle nourrit son veau, de même les prêtres aussi, de leurs deux mamelles, à savoir l'Ancien et le Nouveau Testament, doivent nourrir le peuple chrétien. Cependant, réfléchissez bien et voyez que les vaches charnelles non seulement viennent d'elles-mêmes vers leurs veaux, mais aussi que leurs veaux courent à leur rencontre et frappent souvent les mamelles de leur mère avec leur tête. Cependant, les vaches acceptent de bon coeur la violence qui leur est faite, car elles désirent voir les progrès de leurs veaux. Cela aussi, les bons prêtres doivent le souhaiter et le désirer avec foi, que leurs fils, pour le salut de leur âme, les harcèlent de questions continuelles. En effet, comme les veaux ont coutume de harceler avec une grande impétuosité les mamelles de leur mère, afin de pouvoir extraire de l'intérieur de son corps la nourriture qui leur est nécessaire, de même aussi le peuple chrétien doit sans cesse provoquer ses prêtres, qui sont comme les mamelles de la Sainte Eglise, par de très pieuses questions, afin de pouvoir se procurer la nourriture du salut." (Sermons au peuple, Cerf, Sources chrétiennes n° 175, pp. 299-301)
Clément d'Alexandrie"Si quelqu’un met l’amour dans son cœur, même s’il se rend coupable de péchés et quel qu’en soit
le nombre, s’il fait croître la charité et ajoute une véritable pénitence, il peut corriger ses errements… Car celui
qui de tout son cœur se tourne vers le Seigneur, les portes lui sont ouvertes : le Père reçoit volontiers le fils
qui fait réellement pénitence. En effet la véritable conversion c’est de ne pas retomber dans les mêmes fautes et
d’arracher de son cœur ces fautes qui portent en elles la mort. Lorsque ces fautes seront enlevées Dieu habitera à
nouveau en vous…"
(Homélie sur Marc, X, 17)).
"Observe les mystères de l'amour, et alors tu contempleras le sein du Père, que le Fils unique, Dieu lui-même, est le
seul à avoir montré (cf. Jn 1, 18). C'est bien lui, le Dieu amour (cf. 1 Jn 4, 8), et c'est par l'amour pour nous qu'il
s'est laissé prendre. Ce qui est inexprimable en lui est père ; ce qui a de la compassion pour nous est devenu mère.
En aimant, le Père est devenu féminin, et le grand signe en est celui qu'il a engendré à partir de lui-même : le fruit
enfanté par amour est amour.
S'il est descendu lui-même, s'il a revêtu l'humanité et accepté de subir les souffrances des hommes, c'était pour être
mesuré à notre faiblesse par amour et nous mesurer en retour à sa propre puissance (cf. Mt 7, 2). Au moment de verser
son sang et de s'offrir lui-même en rançon (cf. Mt 20, 28), il nous laisse une nouvelle alliance : Je vous donne
mon amour (Jn 13, 34). Quel est cet amour ? Quelle est sa grandeur ? Pour chacun de nous, il a livré sa vie, aussi
précieuse que l'univers ; en retour, il nous demande de donner la nôtre les uns pour les autres."
(Quel riche peut être sauvé ?, 37, SC n° 537, pp. 195-197).
"Il n’y a, certes, qu’une route de la vérité, mais elle est comme un fleuve intarissable, vers lequel débouchent
les autres cours d’eaux venus d’un peu partout, d’où ces paroles inspirées : Ecoute, mon fils, et reçois mes paroles
pour avoir beaucoup de chemins vers la vie. Je t’enseigne les voies de la sagesse pour que les sources ne te manquent
pas (Pr 4, 10-11.21), les sources qui jaillissent toutes de la même terre. Et ce n’est pas seulement pour un seul
juste qu’il dit qu’il y a plusieurs voies de salut, il ajoute qu’il y a pour des foules de justes, des foules d’autres
routes ; il le fait entendre ainsi : Les sentiers des justes brillent comme la lumière (Pr 4, 18). Eh bien,
les préceptes et les instructions préparatoires sont sans doute des routes, des mises en train de notre vie.
Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme la poule ses poussins !
(Mt 23, 37). Or, "Jérusalem" veut dire "vision de paix". Donc, le Seigneur nous indique en langage inspiré que ceux qui
auront eu la vision de paix auront été préparés de cent façons à cette vocation. J’insiste ; il a "voulu" il n’a pas pu.
Combien de fois ? où ? deux fois, par les prophètes et par sa venue. Donc l’expression "combien de fois" indique la
sagesse multiforme qui, par tous les moyens de qualité et de quantité, sauve les âmes de toutes les manières, dans le
temps et dans l’éternité, parce que l’esprit du Seigneur remplit la terre (Sg 1, 7)".
(Les Stromates I, 5, 29, 1-5 (SC 30, 1951, p. 66).
"Prions Dieu, non pas en des jours choisis, comme d'autres le font, mais continuellement pendant toute la vie et par
tous les moyens. Ce n'est pas en un lieu déterminé, ni dans un sanctuaire choisi, ni non plus en des fêtes et des jours
fixes, mais toute sa vie que le chrétien, en tout lieu, qu'il se trouve seul ou en compagnie de gens de même foi, honore
Dieu, c'est-à-dire confesse sa gratitude pour la connaissance et son mode de vie.
Si la présence d'un homme de bien façonne celui qui le fréquente en l'améliorant sans cesse, par l'effet d'un sentiment
de révérence et de respect, à plus forte raison celui qui est toujours en présence de Dieu par la connaissance, par
la vie et par l'action de grâces, sans relâche, ne deviendra-t-il pas à chaque instant meilleur qu'il ne l'était à tous
égards, dans ses oeuvres, ses paroles et ses dispositions ?
Pässant donc notre vie entière comme une fête, convaincus que Dieu est présent absolument partout, nous cultivons les
champs en célébrant des louanges, nous naviguons en chantant des hymnes, et nous nous conduisons dans toute notre vie
selon les règles. Quant au chrétien, il jouit d'une intimité plus étroite avec Dieu, à la fois sérieux et joyeux en
toutes circonstances, sérieux parce qu'il est tourné vers le divin, joyeux parce qu'il fait le compte des biens propres
à l'humanité dont Dieu nous fait le don.
(Stromates, III, 7, 35, 1-7, Sources chrétiennes n° 428, pp. 129-131)
"Il ne faut pas rejeter les biens susceptibles d’aider notre prochain. La nature des possessions est d’être possédées. Celle des biens est de répandre le bien et Dieu a destiné ces derniers au bien-être des hommes. Les biens sont entre nos mains comme des outils, des instruments dont on tire bon emploi si on sait les manier." (Clément d’Alexandrie, Homélie "Quel riche peut être sauvé ?" 14, in Riches et Pauvres dans l’Eglise ancienne, "Lettres chrétiennes", Bernard Grasset, 1962, p. 33).
"Dieu, je le sais bien, nous a donné la permission d'user des choses, mais dans les limites du nécessaire et il a voulu que cet usage soit commun à tous. Il est inconvenant qu'un seul jouisse quand beaucoup manquent. Combien plus glorieux est-il de répandre les bienfaits sur beaucoup, plutôt que de mener une vie de riche ! Combien plus intelligent de dépenser en faveur des hommes que pour des pierres précieuses et de l'or ! Combien plus utile que des ornements inanimés, de posséder des amis qui ornent votre vie ! Et à qui serait-il aussi profitable d'avoir des terres que de faire plaisir aux autres ?..." (Le Pédagogue, 1 II, 12)
Clément de Rome"C'est toi dont les oeuvres ont fait apparaître l'immortelle harmonie du cosmos,
C'est toi, Seigneur, qui as fait la terre habitée,
Toi qui te montres fidèle dans toutes les générations,
Juste dans tes jugements,
Admirable dans ta force et ta majesté,
Sage dans ta création,
Tout intelligence pour établir cette création dans la stabilité.
Bonté manifestée dans le monde visible,
Fidélité envers ceux qui se confient en toi,
Seigneur " miséricordieux et compatissant" (Jl 2, 13),
Remets-nous nos péchés et nos iniquités,
Pardonne nos fautes et nos manquements...."
(Lettre aux Corinthiens 60, 1)
"Voici quel est le chemin par lequel nous avons trouvé le salut : Jésus Christ, le grand prêtre qui présente
nos offrandes, le protecteur et le soutien de notre faiblesse.
Par lui nous fixons nos regards sur les hauteurs des cieux ; par lui nous contemplons comme dans un miroir le
visage pur et sublime du Père ; par lui se sont ouverts les yeux de notre coeur ; par lui notre intelligence bornée
et ténébreuse s'épanouit à la lumière ; par lui, le Maître a voulu nous faire goûter la connaissance immortelle,
lui qui est lumière éclatante de la gloire du Père..." (Lettre aux Corinthiens,36, 1)
"Si votre âme a soif de la source divine dont je désire maintenant vous parler, attisez cette soif et ne l'éteignez pas. Buvez, mais ne soyez pas rassasiés. Car la source vivante nous appelle et la fontaine de vie nous dit : Que celui qui a soif vienne à moi et qu'il boive." (Colomban : Instructions spirituelles, 13, 1).
"Qu'ils sont donc heureux, qu'ils sont dignes d'envie, les serviteurs que le Maître, à son retour,
trouvera vigilants.Vigilance bienheureuse qui les tient éveillés pour la rencontre de Dieu, le
Créateur de l'univers, dont la majesté emplit toutes choses et les dépasse toutes.
Et pour moi qui suis son serviteur, malgré mon indignité, Dieu veuille m'éveiller du sommeil de mon indolence.
Qu'il fasse brûler en moi le feu de l'amour divin ; que la flamme de son amour monte plus haut que les étoiles ;
que brûle sans cesse au-dedans de moi le désir de répondre à son infinie tendresse." (Instruction spirituelle, 12, 2)
"Sans le Saint-Esprit nous sommes comme une pierre du chemin. Prenez dans une main une éponge imbibée d'eau,
et dans l'autre un petit caillou; pressez-les également. Il ne sortira rien du caillou, et de l'éponge vous ferez
sortir de l'eau en abondance. L'éponge, c'est l'âme remplie du Saint-Esprit, et le caillou, c'est le coeur froid
et dur où le Saint-Esprit n'habite pas.
C'est le Saint-Esprit qui forme les pensées dans le coeur des justes et qui engendre les paroles dans leur bouche.
Ceux qui ont le Saint-Esprit ne produisent rien de mauvais; tous les fruits du Saint-Esprit sont bons."
(Catéchisme)
"Le Seigneur pensant à notre époque déclare dans son Evangile : Lorsque le Fils de l'homme reviendra,
trouvera-t-il, croyez-vous, la foi sur la terre ? [Lc 18, 8]. Nous voyons se réaliser ce qu'il a prédit.
Crainte de Dieu, loi de la justice, amour, bienfaisance, on n'est plus fidèle en rien. Personne ne pense à la crainte
de ce qui doit advenir, personne ne réfléchit au jour du Seigneur.
Réveillons-nous dans toute la mesure du possible, frères bien-aimés et, après avoir chassé le sommeil où nous tenait
notre vieille indolence, restons éveillés pour observer et appliquer les prescriptions du Seigneur. Soyons conformes à
ce qu'il nous a lui-même prescrit en ces termes : Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées, soyez pareils
à des gens qui attendent leur seigneur à son retour de noces pour lui ouvrir lorsqu'il viendra frapper à la porte.
Bienheureux ces serviteurs qu'à son arrivée leur seigneur trouvera en train de veiller [Lc 12, 35-37]".
(L'unité de l'Eglise 26-27, SC 500, pp. 247-249).
"Si nous nous adressons au Père avec la prière du Fils, apprise de lui, nous serons plus aisément entendus. Quelle
autre prière peut être spirituelle sinon celle que le Christ nous a donnée, car c'est grâce à lui que nous avons reçu
l'Esprit ? Quelle prière vraie en présence du Père, sinon celle que le Fils, qui est la vérité, a proférée ?
[...] Prions donc, frères, bien-aimés, comme Dieu, notre maître nous l'a enseigné. Implorer Dieu, avec les paroles qui
viennent de lui est une prière qui lui est bienvenue et familière. Que le Père reconnaisse la voix de son Fils quand
nous lui adressons notre demande. Que celui qui habite notre coeur soit également notre voix ! Il est auprès du Père
notre avocat, pour nos péchés, quand, pécheurs, nous lui demandons le pardon de nos fautes. Utilisons les mots mêmes
de notre avocat, car il a dit : "Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l'accordera
(Jn 16, 23). Combien plus efficace encore sera notre prière au nom du Christ, sinous prions avec sa propre prière !"
(La prière du Seigneur, 2-3 ; voir La prière en Afrique chrétienne,
DDB, Paris, 1982, p. 42).
"Jusqu’où va la bienveillance du Seigneur, jusqu’où s’étend l’abondance de sa complaisance et de sa bonté, pour qu’il ait voulu que nous prononcions sous le regard de Dieu une prière qui nous fait donner à Dieu le nom de père, et que, comme le Christ est fils de Dieu, nous aussi nous soyons appelés fils de Dieu !" (La prière du Seigneur, 11).
"Vous craignez que votre revenu ne vienne à manquer si vous secourez généreusement les pauvres. Mais ne savez-vous pas, misérables, que tandis que vous craignez que vos biens ne vous manquent, votre santé et votre vie peuvent être en péril ? Vous vous préoccupez de ce que vos richesses ne diminuent pas, sans prendre garde que vous vous diminuez vous-mêmes en aimant plus l’argent que votre âme... " (Des bonnes oeuvres et de l’aumône, 9-10)
Cyrille d'Alexandrie (v. 380-444)"Par une nuit obscure, la beauté étincelante des étoiles resplendit, chacune brille de sa propre lumière. Mais lorsque
jaillit le scintillement du soleil, dès lors ce qui luisait partiellement (cf. 1 Co 13, 10) disparaît en quelque sorte,
et son propre éclat, vaincu par le rayonnement du soleil, devient faible et inerte. De la même manière, à mon avis, notre
connaissance actuelle cessera à ce moment-là et ce qui luisait partiellement disparaîtra quand aura jailli la lumière
parfaite et qu'elle aura répandu sur nous en plénitude l'éclat de la connaissance divine.
Alors en toute liberté de parole, le Christ nous entretiendra de son propre Père, puisque nous pourrons désormais
en être capables. Alors nous n'aurons plus besoin d'aucune figure, énigme ou parabole, mais d'une certaine manière à
visage découverft et avec une pensée sans entrave, nous saisirons la beauté de la divine nature de Dieu le Père et
contemplerons la gloire qui resplendit de lui. (Commentaire sur St Jean, 11, cité in
Magnificat n° 235, juin 2012.)
"Si nous formons tous entre nous un même corps dans le Christ, et non pas seulement entre nous, mais ave lui, puisque
évidemment il est en nous par sa propre chair, comment donc notre unité entre nous et dans le Christ n'est-elle pas déjà
visible ? Car le Christ est le lien de l'unité, étant en lui-même Dieu et homme.
Quant à l'unité dans l'Esprit, nous suivrons le même chemin et nous dirons encore qu'ayant tous reçu un seul et même
Esprit, je veux dire l'Esprit Saint, nous sommes en quelque sorte mêlés intimement les uns avec les autres et avec Dieu.
En effet, bien que nous soyons une multitude d'individus, et que le Christ fasse demeurer en chacun de nous l'Esprit de
son Père qui est le sien, il n'y a cependant qu'un seul Esprit indivisible, qui rassemble en lui-même les esprits
distincts les uns des autres du fait de leur existence individuelle, et qui les fait apparaître pour ainsi dire comme
ayant tous une seule existence en lui." (Commentaire sur l'Evangile de Jean, 11, 11)
"De même que la souche de la vigne fournit et distribue aux sarments la qualité naturelle qui lui est propre et qui est en elle, c'est ainsi que le Verbe, Fils unique de Dieu le Père, introduit chez les saints une sorte de parenté avec sa nature en leur donnant l'Esprit, surtout à ceux qui lui sont unis par la foi et par une parfaite sainteté. Il les nourrit et fait progresser leur piété, il développe en eux la science de toute vertu et de toute bonté." (Commentaire sur l'Evangile de Jean).
Cyrille de Jérusalem (v. 315-386)"...Partout la grâce est donnée, et dans les bourgs et dans les villes ; elle l'est aux simples et aux savants,
aux esclaves et aux hommes libres ; c'est que la grâce ne vient pas des hommes, mais elle est le don qui vient
de Dieu par l'intermédiaire des hommes... les hommes prêtent leur ministère pour ce qui se voit, mais l'Esprit
Saint donne ce qui ne se voit pas.
Si tu as la foi, non seulement tu reçois le pardon de tes péchés, mais tu feras aussi des oeuvres qui dépassent
l'homme. Puisse-t-il donc arriver que tu sois digne du charisme de prophétie ! Car tu reçois la quantité de grâce
dont tu es capable et non pas celle que je détermine, moi. Il arrive que je dise de petites choses tandis que tu
en reçois de plus grandes ; large est en effet le domaine de la foi. Le Paraclet, ton gardien, reste avec toi en
toute circonstance. Il aura soin de toi comme de son soldat à lui, en tes entrées, en tes sorties et quand tu
seras exposé aux embûches ; il te donne toutes sortes de donations de charismes, si tu ne le contristes pas par
tes péchés, car il est écrit : "Et ne contristez pas l'Esprit Saint de Dieu, par qui vous avez été marqués d'un
sceau pour le jour de la rédemption." (Ephésiens 4, 30). En quoi donc consiste, mes bien-aimés, l'art de conserver
la grâce ? Préparez-vous à recevoir la grâce ; et quand vous l'aurez reçue, ne la rejetez pas.
Mais que le Dieu de l'univers lui-même, celui qui a parlé dans l'Esprit Saint par les prophètes, celui qui l'a
envoyé en personne sur les apôtres le jour de la Pentecôte ici où nous sommes [Cyrille est évêque de Jérusalem],
daigne lui-même maintenant le dépécher encore vers vous ; et que par lui il vous garde aussi, nous accordant à
tous sa commune bienfaisance, afin que nous rendions en tout temps les fruits du Saint-Esprit : charité, joie,
paix, longaminité, bénignité, bonté, foi, douceur, pureté dans le Christ Jésus notre Seigneur..."
(XVIIe catéchèse baptismale, 35-37 ; "Les Pères dans la foi", Migne, 1993,
pp. 205-206.)
"Si l'intelligence comprend très rapidement, la langue a par contre besoin de phrases et d'une longue suite
d'interprètes : les mots. [...] L'intelligence embrasse la terre et la mer et toutes les bornes de l'univers en un éclair,
mais ce qu'elle saisit en un instant, elle l'expose en de nombreuses paroles.
Lorsqu'il s'agit de Dieu, nous disons non pas tout ce qu'il faut dire - il est seul à le connaître - mais tout ce que
comprend la nature humaine, tout ce que peut porter notre faiblesse. Nous n'expliquons pas en effet ce qu'est Dieu,
mais nous l'avouons de bonne foi, nous ignorons le fin mot sur Dieu.
Quand il s'agit de Dieu, c'est en effet une grande science que de reconnaître son ignorance. [...]
"Mais, dira-t-on, si la substance divine est incompréhensible, toi alors, pourquoi exposes-tu ce qui s'y rapporte ?" Est-ce
que, sous prétexte que je suis incapable de boire tout le fleuve, je me priverai d'en prendre modestement ce qu'il m'en
faut ? Est-ce que, sous prétexte que la constitution de mes yeux m'interdit d'embrasser le soleil tout entier, je ne vais
pas non plus le regarder autant que mes propres nécessités m'y obligent ? Ou encore, sous prétexte qu'entré dans un grand
verger, je ne puis manger tous les fruits qui s'y trouvent, veux-tu que j'en sorte finalement avec la faim ? Je loue et
glorifie celui qui nous a faits, car un ordre divin l'a prescrit : Que tout être animé loue le Seigneur (Ps 144,
10.21). Louer le Maître, non l'expliquer, tel est mon propos actuel ; je sais bien, je n'arriverai pas à louer dignement,
mais je pense que c'est oeuvre de piété du moins de l'entreprendre..."
Catéchèse baptismale, 5, 2.5, "Les Pères dans la Foi, 53-54, Migne, 1993, pp. 95.97)
"Le premier genre de foi est celui qui se rapporte aux dogmes ; il implique l’adhésion de l’âme à un objet. Il
est utile à l’âme selon la parole du Seigneur : Celui qui écoute ma parole et croit en celui qui m’a envoyé possède
la vie éternelle et il ne vient pas en jugement...
Il y a un deuxième genre de foi : celui qui nous est donné par le Christ à titre purement gracieux. A celui-ci est donné,
grâce à l’Esprit, le langage de la sagesse de Dieu ; à un autre, toujours grâce à l’Esprit, le langage de la
connaissance de Dieu ; un autre reçoit, dans l’Esprit, le don de la foi ; un autre encore, des pouvoirs de guérison.
Cette foi qui est conférée par l’Esprit à titre gracieux n’est pas seulement dogmatique ; elle réalise ce qui est au-delà
des forces humaines. Celui qui possède une telle foi dira à cette montagne : Passe d’ici là-bas, et elle y passera.
Quand quelqu’un dira même cela avec foi, croyant que cela se fera, sans hésiter dans son coeur,
alors il recevra la grâce du miracle.
C’est au sujet de cette foi qu’il est dit : Si vous aviez de la foi gros comme un grain de moutarde...
Toi, donc, possède cette foi qui dépend de Dieu et qui te porte vers lui ; alors tu recevras de lui cette foi qui agit
au-delà des forces humaines." (Catéchèse 5, La foi et le symbole, 12-13)
"Un homme qui se trouvait d'abord dans l'obscurité, en voyant soudain le soleil, a le regard éclairé et voit clairement ce qu'il ne voyait pas auparavant : ainsi celui qui a l'avantage de recevoir le Saint-Esprit a l'âme illuminée, et il voit de façon surhumaine ce qu'il ne connaissait pas." (Catéchèse 18 sur le Symbole de la Foi, 25)
"Purifie ton cœur, pour qu’il reçoive la grâce avec plus d’abondance. En effet, le pardon des péchés est également
donné à tous, mais la participation à l’Esprit Saint est accordée à chacun selon la mesure de sa foi. Si tu te
donnes peu de mal, tu recueilleras peu. Si tu travailles beaucoup, ton salaire sera important. C’est toi-même qui
es en jeu, veille à ton propre intérêt.
Si tu as un grief contre quelqu’un, pardonne. Tu t’approches du baptistère pour recevoir le pardon de tes péchés :
il est nécessaire que toi aussi, tu sois indulgent au pécheur." (Catéchèse baptismale n° 1)
"On t'appelait "catéchumène" lorsque tu étais seulement environné par l'écho. Tu entendais parler d'une espérance mais sans la voir, de mystères, mais sans les comprendre, des Ecritures, mais sans en voir la profondeur. L'écho, désormais, ne résonne plus autour de toi ; l'écho résonne en toi : car l'Esprit qui l'habite fait désormais de ton intelligence une maison divine." (Accueil aux catéchumènes, n° 6)
"L'eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie
éternelle. C'est une eau toute nouvelle, vivante, et jaillissante, jaillissant pour ceux
qui en sont dignes. Pour quelle raison le don de l'Esprit est-il appelé une "eau" ? C'est parce
que l'eau est à la base de tout ; parce que l'eau produit la végétation et la vie ; parce que
l'eau descend du ciel sous forme de pluie ; parce qu'en tombant sous une seule forme, elle opère
de façon multiforme. [...] Elle est différente dans le palmier, différente dans la vigne, elle
se fait toute à tous. Elle n'a qu'une seule manière d'être, et elle n'est pas différente
d'elle-même. La pluie ne se transforme pas quand elle descend ici ou là mais, en s'adaptant à la
constitution des êtres qui la reçoivent, elle produit en chacun ce qui lui convient.
L'Esprit Saint agit ainsi. Il a beau être un, simple et indivisible, il distribue
ses dons à chacun, selon sa volonté. De même que le bois sec, associé à l'eau, produit
des bourgeons, de même l'âme qui vivait dans le péché, mais que la pénitence rend capable de
recevoir le Saint-Esprit, porte des fruits de justice. Bien que l'Esprit soit simple, c'est lui,
sur l'ordre de Dieu et au nom du Christ, qui anime de nombreuses vertus.
Il emploie la langue de celui-ci au service de la sagesse : il éclaire par la prophétie
l'âme de celui-là ; il donne à un autre le pouvoir de chasser les démons ; à un autre encore
celui d'interpréter les divines Ecritures. Il fortifie la chasteté de l'un, il enseigne à un
autre l'art de l'aumône, il enseigne à celui-ci le jeûne et l'ascèse, à un autre il enseigne
à mépriser les intérêts du corps, il prépare un autre encore au martyre. Différent chez les
différents hommes, il n'est pas différent de lui-même, ainsi qu'il est écrit : Chacun
reçoit le don de manifester l'Esprit en vue du bien de tous."
(Catéchèse sur le Saint-Esprit : Extraits de la Catéchèse 18 sur le Symbole de la Foi, 23-25)
§ 33. "La première consiste à tenir son frère pour plus intelligent que soi et supérieur en tout ; c’est en somme, comme le disait un saint, « se mettre au-dessous de tout ». La seconde espèce d’humilité, c’est d’attribuer à Dieu les bonnes œuvres. Telle est la parfaite humilité des saints. Elle naît naturellement dans l’âme de la pratique des commandements. Voyez en effet les arbres abondamment chargés de fruits : ces fruits font plier et baisser les branches. Au contraire, la branche qui ne porte pas de fruit se dresse en l’air et pousse droite. Il y a même certains arbres dont les branches ne portent pas de fruit, tant qu’elles poussent droit vers le ciel. Mais si on y suspend une pierre pour les attirer en bas, alors elles produisent du fruit. Ainsi en est-il de l’âme : quand elle s’humilie, elle porte du fruit, et plus elle en produit, plus elle s’humilie. Car plus les saints approchent de Dieu, plus ils se voient pécheurs."
Pour Dorothée, moine à la recherche d'un chemin vers Dieu et ses frères, l'humilité est essentielle : mais comment découvrir cette première des vertus ? on voit qu'elle occupe d’ailleurs une double place et Dorothée de Gaza prend des exemples concrets destinés à aider ses contemporains : à en découvrir l'importance et les caractéristiques majeures ... Il distingue l'humilité dans l’édifice des vertus comme "mortier", puis progressivement comme "balustrade du toit". Comment faire pour obtenir un édifice bien proportionné ? Il nous explique comment s’édifie "la maison de l’âme"... et il prend alors l’exemple de la maison matérielle : (cf. § 150)
§ 150 (extraits) "Qui veut bâtir celle-ci doit l’assurer de toutes parts, il doit l’élever sur ses quatre côtés et non pas s’occuper d’une seule partie, en négligeant les autres… » [Que faire d’une maison qui n’aurait qu’un seul mur ? : "L’homme ne doit négliger aucun élément de son édifice, mais le faire monter d’une manière égale et harmonieuse…" :
§ 151 "Voilà comment : il doit d’abord poser le fondement qui est la foi. Car « sans la foi, dit l’Apôtre, il est impossible de plaire à Dieu » (Heb. 11, 6). Puis, sur ce fondement il doit bâtir un édifice bien proportionné. A-t-il l’occasion d’obéir ? Qu’il pose une pierre d’obéissance ! Un frère vient-il à s’irriter contre lui ? Qu’il pose une pierre de patience ! A-t-il à pratiquer la tempérance ? Qu’il pose une pierre de tempérance ! Ainsi, de chaque vertu qui se présente, il doit mettre une pierre à son édifice, et l’élever de la sorte tout autour, avec une pierre de compassion, une pierre de retranchement de la volonté, une pierre de mansuétude, et ainsi de suite… Il doit prendre soin surtout de la constance et du courage, qui sont les pierres d’angle : ce sont elles qui rendent la construction solide, unissant les murs entre eux et les empêchant de fléchir et de se disloquer. Sans elles, on est incapable de parfaire une seule vertu. Car l’âme sans courage manque aussi de constance, et sans constance, nul ne peut rien faire de bien. Aussi le Seigneur dit-il : « Vous sauverez vos âmes par votre constance" (Lc 21, 19). Le bâtisseur doit aussi poser chaque pierre sur du mortier, car s’il mettait les pierres les unes sur les autres sans mortier, elles se disjoindraient et la maison tomberait. Le mortier, c’est l’humilité, car il est fait avec la terre, que tous ont sous leurs pieds. Une vertu sans humilité n’est pas une vertu, […] « De même qu’on ne peut construire un navire sans clous, de même il est impossible d’être sauvé sans humilité », On doit donc, si l’on fait quelque bien, le faire humblement, pour le conserver par l’humilité. La maison doit avoir encore ce qu’on appelle des chaînages : il s’agit de la discrétion, qui consolide la maison, unit les pierres entre elles et resserre le bâtiment, tout en lui donnant beaucoup d’apparence.
Le toit, c’est la charité, qui est l’achèvement des vertus, comme le toit est l’achèvement de la maison (cf. Col 3, 14). Après le toit, vient la balustrade de la terrasse. Quelle est cette balustrade ? Il est écrit dans la Loi : « Quand vous bâtirez une maison et que vous y ferez un toit en terrasse, entourez-le d’une balustrade, pour que vos petits enfants ne tombent pas de ce toit. (Dt 22, 8). La balustrade, c’est l’humilité, couronne et gardienne de toutes les vertus. De même que chaque vertu doit être accompagnée d’humilité, comme chaque pierre, nous l’avons dit, est posée sur du mortier, de même la perfection de la vertu a encore besoin de l’humilité et c’est en progressant par elle que les saints arrivent naturellement à l’humilité. Je vous le dis toujours : « plus on s’approche de Dieu, plus on se voit pécheur ».
Mais que sont ces petits enfants dont la Loi dit : « pour qu’ils ne tombent pas du toit » ? Ce sont les [mauvaises] pensées qui naissent dans l’âme : il faut les garder par l’humilité pour qu’elles ne tombent pas du toit, c’est-à-dire de la perfection des vertus. »
(Oeuvres spirituelles, SC 92, et références précises avant chaque paragraphe ci-dessus : § 33, § 150 (extraits), § 151...).
"Plus on est uni au prochain, plus on est uni à Dieu. Pour que vous compreniez le sens de cette parole, je vais vous donner une image tirée des Pères. Supposez un cercle tracé sur la terre, c’est-à-dire une ligne tirée en rond avec un compas et un centre. On appelle précisément centre le milieu du cercle. Appliquez votre esprit à ce que je vous dis. Imaginez que ce cercle, c’est le monde ; le centre, Dieu ; et les rayons, les différentes voies ou manières de vivre des hommes. Quand les saints, désirant approcher de Dieu, marchent vers le milieu du cercle, dans la mesure où ils pénètrent à l’intérieur, ils se rapprochent les uns des autres en même temps que de Dieu. Plus ils s’approchent de Dieu, plus ils se rapprochent les uns des autres, et plus ils se rapprochent les uns des autres, plus ils s’approchent de Dieu. Et vous comprenez qu’il en est de même en sens inverse, quand on se détourne de Dieu pour se retirer vers l’extérieur : il est évident alors que, plus on s’éloigne de Dieu, plus on s’éloigne les uns des autres, et que plus on s’éloigne les uns des autres, plus on s’éloigne aussi de Dieu. Telle est la nature de la charité." (Dorothée de Gaza : Instructions diverses de notre saint Père Dorothée à ses disciples VI, 77-78, in Œuvres spirituelles ; SC 92, Cerf, Paris, 2001, pp. 285-287).
"Celui qui s'accuse soi-même, quelle joie, quel repos il possède, partout où il va ! Qu'une peine,
qu'un outrage, qu'une épreuve quelconque lui survienne, il juge d'avance qu'il en est digne et il
n'est jamais troublé. Y a-t-il un état qui soit davantage exempt de soucis ?
Mais, dira-t-on, si un frère me tourmente, et qu'en m'examinant je constate que je ne lui en ai fourni
aucun prétexte, comment pourrai-je m'accuser moi-même ?
En fait, si quelqu'un s'examine avec crainte de Dieu, il découvrira qu'il a certainement donné un motif
de reproche par une action, une parole, ou une attitude. Et s'il voit qu'en rien de tout cela il n'a,
soi-disant, donné aucun motif d'hostilité pour le présent, c'est vraisemblablement qu'il a tourmenté ce
frère une autre fois, pour le même sujet ou pour un autre, ou bien encore parce qu'il a tourmenté une
autre fois un autre frère. Et c'est pour cela, parfois même pour une autre faute, qu'il devait souffrir ainsi.
Il arrive aussi qu'un frère, se croyant installé dans la paix et la tranquillité, lorsqu'on lui dit une
parole pénible, soit plongé dans le trouble. Et il juge qu'il a raison de s'affliger, se disant en lui-même :
"S'il n'était pas venu me parler et me troubler, je n'aurais pas péché."
C'est une illusion, c'est un faux raisonnement. Celui qui lui a dit cette parole, y a-t-il introduit
la passion ? Il lui a révélé la passion qui était en lui, afin qu'il s'en repente, s'il le veut. Ainsi,
ce frère était pareil à un pain de pur froment, d'apparence brillante, mais qui, une fois rompu, ferait
voir sa corruption.
Il était installé dans la paix, croyait-il, mais il avait au-dedans de lui une passion qu'il ignorait.
Qu'un frère lui dise une seule parole, et aussitôt a jailli la corruption qui était cachée en lui. S'il
veut obtenir miséricorde, qu'il se repente, qu'il se purifie, qu'il progresse, et il verra qu'il devra
plutôt remercier son frère d'avoir été pour lui la cause d'un tel profit. En effet, les épreuves ne
l'accableront plus autant. Plus il progressera, plus elles lui paraîtront légères. A mesure en effet
que l'âme progresse, elle se fortifie et devient capable de supporter tout ce qui lui arrive."
(Instruction spirituelle, Office romain des lectures,
Livre des jours, Le Cerf, Desclée de Brouwer, Mame, 1976, pp. 688-689).
"Comme premier signe, [Jésus à Cana]; fit un vin réjouissant pour les convives, afin de manifester que son sang réjouirait
toutes les nations. Le vin intervient dans toutes les joies et de même toutes les délivrances se rattachent au mystère de son
sang. Il donna aux convives un vin excellent qui transforma leur esprit pour leur faire savoir que la doctrine dont il les
abreuverait transformerait leur coeur. [...] De même [...], en un clin d'oeil, le Seigneur a multiplié un un peu de pain. [...]
Il a démontré la vigueur pénétrante de sa parole à ceux qui l'exécutaient, et la rapidité avec laquelle il octroyait ses dons
à ceux qui en étaient les bénéficiaires. Ce n'est pas sa puissance qui a mesuré son miracle, mais la faim des affamés. [...]
Mesuré à la faim de milliers de gens, le miracle a dépassé les douze corbeilles. Chez tous les artisans, la puissance est
inférieure au désir des clients, ils ne peuvent pas faire tout ce qu'on leur demande : les réalisations de Dieu, au contraire,
dépassent tout désir."
(Diatessaron XII, 2-3, SC 121, pp. 214-215).
"Notre Seigneur a été piétiné par la mort, mais, en retour, il a frayé un chemin qui écrase
la mort. Il s’est soumis à la mort et il l’a subie volontairement pour la détruire malgré elle. Car notre Seigneur
est sorti en portant sa croix, sur l’ordre de la mort. Mais il a crié sur la croix et il a tiré les morts des enfers,
quoique la mort s’y refusât.
Dans le corps qu’il avait, la mort l’a fait mourir ; et c’est par les mêmes armes qu’il a remporté la victoire
sur la mort. Sa divinité, se dissimulant sous l’humanité, s’est ainsi approchée de la mort qui a tué et en est morte ;
la mort a tué la vie naturelle, mais la vie surnaturelle à son tour a tué la mort.
Parce que la mort n’aurait pas pu le dévorer s’il n’avait pas eu de corps, parce que l’enfer n’aurait pas pu
l’engloutir s’il n’avait pas eu de chair, il est venu jusqu’à la Vierge afin d’y trouver la chair qui le porterait
aux enfers. […] Mais, après avoir pris un corps, il est entré aux enfers, il leur a arraché leurs trésors qu’il a
dispersés.
Il est donc venu jusqu’à Eve, la mère de tous les vivants. Elle était la vigne dont la mort avait
ouvert la clôture, et il en goûta le fruit. Ainsi Eve, la mère de tous les vivants, était-elle devenue source de
mort pour tous les vivants.
Mais un surgeon a levé : Marie, la vigne nouvelle, a remplacé Eve, la vigne antique. Le Christ, la Vie nouvelle,
a fait en elle sa demeure. Ainsi, lorsque la mort conduisant son troupeau viendrait comme d’habitude, sans méfiance,
avec ses fruits mortels, la Vie qui détruit la mort serait cachée dans la Vigne nouvelle. Et lui, lorsque la
mort l’eut englouti, sans rien craindre, il délivra la vie, et avec elle la multitude des hommes.
Il est le glorieux fils du charpentier qui, sur le char de sa croix, vint au-dessus de la gueule vorace des enfers
et transféra le genre humain dans la demeure de la vie. Et parce que, à cause de l’arbre du paradis, le genre humain
était tombé dans les enfers, c’est par l’arbre de la croix qu’il est passé dans la demeure de la vie. Sur ce bois
avait donc été greffée l’amertume ; mais sur celui-ci fut greffée la douceur, pour que nous reconnaissions en lui
le chef auquel ne résiste nulle créature.
Gloire à toi ! tu as jeté ta croix comme un pont au-dessus de la mort, pour que les hommes y passent du pays de la mort
à celui de la vie. […]
Gloire à toi ! tu as revêtu le corps de l’Adam mortel et en as fait la source de la vie pour tous les mortels."
(Homélie sur notre Seigneur, 3-4.9 in Livre des Jours, pp. 385 sq.).
"Au désert notre Seigneur multiplia le pain, et à Cana il changea l'eau en vin (cf. Jn 1, 11). Il habitua ainsi leur
bouche à son pain et à son vin, jusqu'au temps où il leur donnerait son corps et son sang. Il leur fit goûter un pain et
un vin transitoires, pour exciter en eux le désir de son corps et de son sang vivifiants. Il leur donna libéralement ces
menues choses, pour qu'ils sachent que son don suprême serait gratuit. Il les leur donna gratuitement, bien qu'ils eussent
pu les lui acheter, afin qu'ils sachent qu'on ne leur demanderait pas de payer une chose inestimable ; car s'ils pouvaient
payer le prix du pain et du vin, ils ne pourraient payer son corps et son sang. Il nous a attirés par ces choses
agréables au palais, afin de nous entraîner vers ce qui vivifie les âmes.
De la petite quantité de pain est née une multitude de pains ; comme lors de la première bénédiction : Soyez féconds
et multipliez vous (Gn 1, 28). Les morceaux ont fructifié par sa bénédiction, à la manière de femmes auparavant
stériles et privées d'enfants, et des fragments multiples en sont provenus."
(Diatessaron XII, 1.3, SC n° 121, p. 213-215).
"Il descend à la hâte, le pasteur de tous,
pour rechercher Adam, la brebis perdue,
Il remonte en le portant sur ses épqules,
offrande au Maître du troupeau.
Bénie soit sa hâte !
Il se répand, rosée et pluie vivante,
sur Marie, cette terre assoiffée.
Puis il tombe dans le Shéol comme une graine,
Il remonte comme une gerbe et un pain nouveau.
Bénie soit son offrande !
Sa science a extirpé l'erreur
de l'humanité qui se perdait.
Par elle le Mauvais a été trompé et perturbé.
Elle a déversé sur les nations toute la connaissance.
Bénie soit son jaillissement !
Des hauteurs la Puissance est descendue jusqu'à nous,
et en sortant du sein l'Espérance nous est apparue.
Du tombeau la Vie s'est levée sur nous,
et à la droite le Roi s'est assis pour nous.
Bénie soit sa majesté !
Des hauteurs il a jailli comme un fleuve,
et de Marie, comme un plant.
Du bois il s'est détaché comme un fruit,
il est monté au ciel comme les prémices.
Bénie soit sa volonté !
[...] Marie l'a porté comme un nourrisson,
le prêtre l'a porté comme une offrande [cf. Lc 2, 28],
la croix l'a porté comme une victime,
le ciel l'a porté comme Dieu.
Louange à son Père !
[...]Sa divinité vient de Dieu,
son humanité, des mortels ;
son sacerdoce, de Melchisédech
et sa royauté, de la lignée de David.
Bénie soit sa synthèse !
Au banquet nuptial il est parmi les invités [cf. Jn 2, 2],
et durant la tentation, parmi les jeûneurs.
Pendant l'agonie, il est parmi les vigilants,
et dans le Sanctuaire, il est enseignant.
Béni soit son enseignemet !
[...]Il a été tenté par le Mauvais
et interrogé par le Peuple ;
soumis à l'enquête par Hérode,
il réprouve par le silence celui qui cherche à le sonder.
Béni soit Celui qui l'a engendré !
Dans le fleuve on le range parmi les baptisés,
et dans la mer on le compte parmi les dormeurs ;
on le suspend au bois comme une victime,
on le dépose au tombeau comme un cadavre.
Béni soit son abaissement !
Qui avons-nous, Seigneur, qui soit comme toi ?
Grand qui s'amenuise, Veilleur qui s'endort,
pur qui est baptisé, Vivant qui trépasse,
roi qui est humilié afin que tous soient exaltés.
Bénie soit ton exaltation !"
(Hymne sur la RésurrectionI (extraits), in Célébrons la Pâque, Migne, "Les Pères dans la foi",
n° 58, 2009, pp. 154-156).
"Les Apôtres étaient là, assis, attendant la venue de l'Esprit.
Ils étaient là comme des flambeaux disposés et qui attendent d'être allumés par l'Esprit Saint pour illuminer toute la
création par leur enseignement [...] Ils étaient là comme des cultivateurs portant leur semence dans le pan de leur
manteau qui attendent le moment où ils recevront l'ordre de semer. Ils étaient là comme des marins dont la barque est
liée au port du commandement du Fils et qui attendent d'avoir le doux vent de l'Esprit. Ils étaient là comme des bergers
qui viennent de recevoir leur houlette des mains du Grand Pasteur de tout le bercail et qui attendent que leur soient
répartis les troupeaux.
Et ils commencèrent à parler en des langues diverses selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer".
Ô cénacle, pétrin où fut jeté le levain qui fit lever l'univers tout entier. Cénacle, mère de toutes les Eglises. Sein
admirable qui mit au monde des temples pour la prière. Cénacle qui vit le miracle du buisson ! Cénacle qui étonna
Jérusalem par un prodige bien plus grand que celui de la fournaise qui émerveilla les habitants de Babylone ! Le feu de
la fournaise brûlait ceux qui étaient autour, mais protégeait ceux qui étaient au milieu de lui. Le feu du Cénacle
rassemble ceux du dehors qui désirent le voir tandis qu'il réconforte ceux qui le reçoivent. Ô feu dont la venue est
parole, dont le silence est lumière. Feu qui établis les coeurs dans l'action de grâces."
(Sur l'effusion du Saint Esprit, 25, 5, 15, 20 (traduit par Jean-René Bouchet,
Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes, p. 243-244).
"[Eve] était la vigne dont la mort avait ouvert la clôture, [...]. Ainsi Eve, la mère de tous les vivants, était-elle
devenue source de mort pour tous les vivants.
Mais un surgeon a levé : Marie, la vigne nouvelle, a remplacé Eve, la vigne antique. Le Christ, la Vie nouvelle, a fait
en elle sa demeure. Ainsi, lorsque la mort conduisant son troupeau viendrait comme d’habitude, sans méfiance, avec ses
fruits mortels, la Vie qui détruit la mort serait cachée dans la Vigne nouvelle. Et lui, lorsque la mort l’eut englouti,
sans rien craindre, il délivra la vie, et avec elle la multitude des hommes." (Homélie de St
Ephrem sur notre Seigneur, 3-4.9 in Livre des Jours, pp. 385 sq).
"Comme les Juifs le mettaient en accusation parce qu'il avait guéri un jour de sabbat, Jésus ne s'est pas excusé
en disant : Je n'ai pas transgressé la loi, mais : Je l'ai transgressée, comme le Père qui est dans les cieux.
Car mon Père travaille, et moi aussi je travaille [Jn 5, 17].
En effet, les créatures : anges, luminaires, rosée, pluie, sources et fleuves fonctionnent le jour du sabbat ; car
les anges ne reçoivent pas interdiction d'accomplir leur ministère le jour du sabbat, ni les cieux de donner la rosée et
la pluie, ni les luminaires de poursuivre leur course, ni la terre de donner des fruits, ni les hommes de respirer et de
donner des fils au monde, mais on met au monde le jour du sabbat sans qu'il y ait un précepte qui le défende, et on
circoncit le huitième jour, en laissant de côté la loi ; et il en est ainsi pour d'innombrables choses.
Si les créatures ont cette liberté, combien plus le Créateur ? Aussi le Fils de l'homme est maître du sabbat
[Mt 12, 8]."
(Ephrem de Nisibe : Commentaire sur l'Evangile concordant ou Diatessron XIII, 3-4)
"Notre Seigneur se présenta silencieux devant Pilate pour la défense de la vérité outragée. D’autres remportent la
victoire par des apologies, mais notre Seigneur la remporta par son silence, parce que la récompense due au silence
divin, c’était la victoire de la vraie doctrine. Il parlait pour enseigner, et il se tut au tribunal. Il ne tut pas ce
qui nous exaltait, et il ne lutta pas contre ceux qui l’irritaient. Les paroles de ses calomniateurs faisaient comme une
couronne à sa tête. Il se tut afin que son silence les fit hurler plus fort encore, et que toutes ces vociférations
embellissent sa couronne. S’il avait parlé, ses paroles de vérité auraient imposé silence à ces connivences qui
s’appliquaient à tresser sa couronne…"
(Commentaire de l’Evangile concordant ou Diatessaron, XX, 16, SC 121).
"Qui donc est capable de comprendre toute la richesse d'une seule de tes paroles, Seigneur ? Ce que nous en comprenons est bien moindre que ce que nous en laissons, comme des gens assoiffés qui boivent à une source. Les perspectives de ta parole sont nombreuses, comme sont nombreuses les orientations de ceux qui l'étudient. Le Seigneur a coloré sa parole de multiples beautés, pour que chacun de ceux qui la scrutent puisse contempler ce qu'il aime. Et dans sa parole il a caché tous les trésors, pour que chacun de nous trouve une richesse dans ce qu'il médite." (Diatessaron, 1, 18-19, Sources chrétiennes, 121).
"La parole de Dieu est un arbre de vie qui, de tous côtés, te présente des fruits bénis ; elle est comme ce rocher qui s'est ouvert dans le désert pour offrir à tous les hommes une boisson spirituelle. Selon l'Apôtre, ils ont mangé un aliment spirituel, ils ont bu à une source spirituelle." (Diatessaron, 1, 18-19)
Tourne-moi vers ton enseignement
Car j'ai cherché à me détourner
Et j'ai vu que je m'appauvrissais,
Car l'âme n'est riche que dans le commerce avec toi.
Gloire à ta méditation !
Toujours, quand j'ai médité sur toi
J'ai reçu de toi un trésor
Et là où je t'ai contemplé
Une source a coulé de toi
Et j'ai puisé tant que j'ai pu.
Gloire à ta source !
Elle est cachée, ô mon Seigneur, ta source,
A qui n'a pas soif de toi,
Et vide, la salle de ton trésor,
Pour qui te hait :
La charité est le trésorier.
De ton trésor céleste.
Quand je m'éloigne de ta compagnie,
Ta beauté excite mon désir,
Et quand j'accompagne ta Majesté,
Ta gloire me remplit de crainte :
Que je m'éloigne ou que j'approche,
Je suis le vaincu, de toutes façons.
[...]
J'ai médité, et j'ai parlé de toi,
Non que je t'aie compris ;
Puis j'ai succombé, et je me suis tu à nouveau,
Non que je t'aie perdu.
Je me suis perdu en toi, et je suis resté sans voix :
Gloire à toi, Etre caché."
(Hymne de la foi 32, 1-6)
"Mon côté a guéri la douleur de ton côté. Et mon sommeil te fait sortir maintenant du sommeil de l’enfer. Lève-toi et partons d’ici, de la mort à la vie, de la corruption à l’immortalité, des ténèbres à la lumière éternelle. Levez-vous et partons d’ici et allons de la douleur à la joie, de la prison à la Jérusalem céleste, des chaînes à la liberté, de la captivité aux délices du paradis, de la terre au ciel. Mon Père céleste attend la brebis perdue, un trône de chérubin est prêt, les porteurs sont debout et attendent, la salle des noces est préparée, les tentes et les demeures éternelles sont ornées, les trésors de tout bien sont ouverts, le Royaume des Cieux qui existait avant tous les siècles vous attend." (Epiphane : Homélie sur l’ensevelissement du Christ, extraits tirés de J.R.Bouchet, Lectionnaire pour les dimanches et les fêtes, Cerf, 1994, pp. 186-189).
Eucher de Lyon (Ve siècle)"Le désert est le temple sans bornes de notre Dieu ; car celui qui habite dans le silence doit certainement se plaire
dans les lieux retirés. C'est là que souvent il s'est manifesté à ses saints, c'est à la faveur de la solitude qu'il
a daigné rencontrer les hommes. C'est dans le désert que Moïse, la face inondée de lumière, voit Dieu [Ex 3].
Quelqu'un, dit-on demandait à un autre quel était à son avis, le séjour de Dieu ; celui-ci le pria de vouloir bien le
suivre au lieu où il le mènerait. Alors il le conduisit dans la profondeur d'un vaste désert, et lui motnrant l'immensité
de la solitude : Voilà, dit-il, où est Dieu.
Le peuple de Dieu, quand il doit être libéré d'Egypte et délivré des oeuvres terrestres, ne gagne-t-il pas des lieux
écartés, ne se réfugie--il pas dans les solitudes ? Oui, c'est dans le désert qu'il va approcher ce Dieu qui l'a arraché
à la servitude. Et le Seigneur se faisait le chef de son peuple, en guidant ses pas à travers le désert. Sur la route,
de jour et de nuit, il déployait une colonne, flamme ardente ou nuée rayonnante, signe venu du ciel [Ex 40, 36-38].
Faut-il ajouter qu'ils ne parvinrent à la Terre de leurs désirs qu'après avoir séjourné au désert ? Qu'il soit l'hôte du
désert, celui qui veut devenir le citoyen des cieux !" (Eucher de Lyon : Eloge du désert, 3-4, 8, 16 in Sr
Isabelle de la Source, Lire la Bible avec les Pères, vol. 2, Mediaspaul, 1990).
"Beaucoup d'autres encore, en plus de ceux-ci, étaient célèbres à cette époque et possédaient
le premier rang de la succession des Apôtres. Disciples remarquables de ces hommes, ils
édifiaient des Eglises sur les fondements que les Apôtres avaient commencé d'établir partout.
Ils développaient de plus en plus la prédication. Ils semaient les semences salutaires du
royaume des cieux sur toute l'étendue de la terre habitée.
En effet, un très grand nombre de disciples ont été alors marqués dans leur esprit, par le
Verbe de Dieu, d'un très vif amour de la sagesse. D'abord ils accomplissaient le conseil du
Seigneur en distribuant leurs biens aux pauvres. Puis ils quittaient leur pays pour accomplir
leur fonction d'évangéliste, voulant prêcher, à ceux qui ne l'avaient pas encore entendue, la
parole de la foi, et transmettre les Ecritures et la bonne nouvelle divine. Ils déposaient
seulement les fondements de la foi dans des pays étrangers, et y établissaient d'autres pasteurs
auxquels ils confiaient le soin d'élever ceux qu'ils venaient d'introduire dans l'Eglise. Cela
fait, ils repartaient vers d'autres peuples dans d'autres contrées, soutenus par la grâce et
le secours de Dieu. Car les puissances multiples et merveilleuses de l'Esprit divin agissaient
encore par eux en ce temps-là. C'est pourquoi, dès la première audition, les foules, comme un
seul homme recevaient dans leurs âmes la piété envers le créateur de toutes choses. Mais il nous
est impossible de citer par leurs noms tous ceux qui, lors de la première succession des Apôtres
, devinrent les pasteurs et les évangélistes des Eglises du monde.
Nous retiendrons seulement le souvenir de ceux dont les ouvrages ont transmis jusqu'à nous la
tradition de l'enseignement des Apôtres. Tels sont, en particulier, Ignace (d'Antioche) et
Clément, dans la lettre, reçue de tous, qu'il adressa au nom de l'Eglise des Romains à celle
des Corinthiens..." (Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, III, 37-38,1)
"Tu es le seul Saint, Seigneur Dieu,
toi qui fais des merveilles !
Tu es fort, tu es grand,
tu es le Très-Haut, tu es le roi tout-puissant,
toi, Père saint, roi du ciel et de la terre.
Tu es trois et tu es un, Seigneur Dieu,
tu es le bien, tu es tout bien,
tu es le souverain bien,
Seigneur Dieu vivant et vrai.
Tu es amour et charité, tu es sagesse
tu es humilité, tu es patience
tu es beauté, tu es douceur
tu es sécurité, tu es repos,
tu es joie, tu es notre espérance et notre joie,
tu es justice, tu es mesure,
tu es toute notre richesse et surabondance.
Tu es beauté, tu es douceur,
tu es notre abri, notre gardien et notre défenseur,
tu es la force, tu es la fraîcheur ?
Tu es notre espérance
tu es notre foi
tu es notre amour
tu es notre grande douceur,
tu es notre vie éternelle,
grand et admirable Seigneur,
Dieu tout-puissant, ô bon sauveur !"
(Louanges du Dieu Très-Haut).
"La construction spirituelle du corps du Christ se fait dans l’amour puisque, selon les
paroles de saint Pierre, les pierres vivantes servent à construire le Temple spirituel pour former un sacerdoce
saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus. Cette construction
spirituelle, on ne peut la demander avec plus d’à-propos que lorsque le corps même et le sang du Christ sont offerts
par le corps même du Christ, qui est l’Eglise, dans le sacrement du pain et de la coupe. La coupe que nous buvons est
communion au sang du Christ ; le pain que nous rompons est participation au corps du Seigneur. Puisqu’il y a un seul pain,
la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain. C’est pourquoi nous
demandons que, par la grâce qui a fait de l’Eglise le corps du Christ, tous les membres de la charité, par le maintien
de leur cohésion, persévèrent dans l’unité du corps.
Nous demandons à juste titre que cela se réalise en nous par le don du Saint-Esprit ; celui-ci est l’unique Esprit
du Père et du Fils, car la sainte Trinité est, par nature, unité, égalité et amour ; elle est un seul Dieu vrai et
unique. Cette sainte Trinité, donc, sanctifie ceux qu’elle adopte en leur communiquant son unanimité. C’est pourquoi
il est dit : L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné."
(Fulgence de Ruspe : dans une "lettre à Monime", 2, 11 citée in Livre des Jours, pp. 354-355).
"La raison pour laquelle le Seigneur a voulu que les sacrements de son corps et de son sang devaient être offerts sous
les espèces du pain et du vin est double. Tout d'abord, pour que l'agneau immaculé de Dieu transmette au peuple pur
une pure victime, susceptible d'être immolée sans feu ni sang ni odeur nauséabonde, et offerte par tous de façon rapide
et facile.
Ensuite puisqu'il faut que le pain soit fait avec de nombreux grains de froment réduits en farine et mêlés à de l'eau,
puis cuit par le feu, c'est avec raison qu'en lui est reconnue la figure du corps du Christ, qui forme, nous le savons,
un seul corps, fait de la multitude du genre humain tout entier, et qui a été consumé par le feu de l'Esprit Saint [cf.
Lc 4, 11].
De la même façon, le vin de son sang lui aussi a jailli des nombreuses grappes cueillies à la vigne qu'il a lui-même
plantée, il est passé au pressoir de la croix et il bouillonne par sa propre vertu dans le coeur fidèle de ceux qui y
goûtent en larges coupes."
(Traité 2 ; CSEL 68, pp. 31-32 ; traduction de G. Bady in Magnificat
n° 209, avril 2010, pp. 260-261).
"Adam où es-tu ? crie à nouveau le Christ en croix. Je suis venu là à ta recherche et, pour pouvoir te trouver, j’ai tendu les mains sur la croix. Les mains tendues, je me tourne vers le Père pour rendre grâces de t’avoir trouvé, puis je les tourne aussi vers toi pour t’embrasser. Je ne suis pas venu pour juger ton péché, mais pour te sauver par mon amour des hommes, je ne suis pas venu te maudire pour ta désobéissance, mais te bénir par mon obéissance. Je te couvrirai de mes ailes, tu trouveras à mon ombre un refuge. Ma fidélité te couvrira du bouclier de la croix et tu ne craindras pas la terreur des nuits car tu connaîtras le jour sans déclin. Je chercherai ta vie, cachée dans les ténèbres et à l’ombre de la mort, je n’aurai de repos, jusqu’à ce qu’humilié et descendu jusqu’aux enfers pour t’y chercher, je t’aie reconduit dans le ciel." (extrait de In Domini corporis sepulturam cité dans J.R. Bouchet, Lectionnaire pour les Dimanches et pour les Fêtes, Cerf, 1994, pp. 182-183).
Grégoire le Grand"Les miracles quotidiens de Dieu ont perdu leur valeur du fait de leur répétition. Voici que se cache, dans une seule graine
d'une très petite semence, la masse entière de l'arbre qui naîtra. Mettons bien devant nos yeux l'étonnante grandeur d'un
arbre, quel qu'il soit ; pensons au point d'où il a commencé de croître pour parvenir à cette importante masse. Nous trouvons
sans aucun doute son origine dans la très petite semence. Maintenant examinons où se cachent dans cette petite graine la
force du bois, la rudesse de l'écorce, le piquant de la saveur et de l'odeur, l'abondance des fruits, la verdeur des feuilles.
Au toucher, la graine n'est pas robuste : d'où vient donc la dureté du bois ? Elle n'est pas rugueuse : d'où sort la rudesse
de l'écorce ? Elle est sans saveur : d'où vient la saveur des fruits ? Elle ne sent rien : d'où vient l'odeur qui s'exhale
des fruits ? Elle ne montre rien de vert : d'où est sorti le vert des feuilles ? Tout es caché en même temps dans la semence,
mais tout ne sort pas en même temps de la semence. La semence produit la racine, de la racine sort la pousse, de la pousse
naît le fruit, et dans le fruit se reforme la semence. Ajoutons donc que la semence aussi se cache dans la semence.
Qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'il fasse revenir de la poussière les os, les nerfs, la chair et les cheveux, celui qui chaque
jour fait sortir d'une petite semence le bois, les fruits, les feuilles, dans la masse imposante d'un arbre ?"
(Homélies sur l'Evangile 26, 12, SC n° 522, pp.157-159).
"Les miracles de notre Seigneur et Sauveur, voici comment il faut les comprendre, mes frères : il faut à la fois y
croire comme à des faits s'étant véritablement produits et voir pourtant en eux des signes qui nous suggèrent quelque
chose. C'est que ses oeuvres sont en même temps manifestation d'une puissance et expression d'un mystère. Ainsi nous
ignorons qui était historiquement cet aveugle (Lc 18, 35-43), mais nous savons néanmoins qui il désigne mystiquement.
L'aveugle, c'est le genre humain, qui chassé en son premier père loin des joies du paradis, ignorant l'éclat de la
lumière d'en-haut, pâtit des ténèbres auxquelles il est condamné. La présence de son rédempteur l'éclaire pourtant,
faisant que déjà par le désir il découvre les joies de la lumière intérieure et s'engage sur le chemin de la vie par la
pratique du bien.
Il faut noter que la lumière est rendue à l'aveugle au moment où, dit le texte, Jésus approche de Jéricho. En effet
"Jéricho" signifie "lune" ; or dans le langage de la Bible la lune donne à entendre la faiblesse de la chair :
chaque mois sa phase décroissante symbolise la faiblesse de notre condition mortelle. Au moment où notre Créateur approche
de Jéricho, l'aveugle retrouve la lumière, car au moment où la divinité a fait sienne notre chair défaillante, le genre
humain a retrouvé la lumière qu'il avait perdue : du fait qu'un Dieu subit la misère humaine, l'homme est haussé jusqu'à
la condition divine."
(Homélies sur l'Evangile 2, 1-2 ; SC n° 485, pp. 121-123).
"On peut se demander pourquoi, alors que ses disciples peinent sur la mer, le Seigneur se tient sur le rivage, après
sa résurrection, alors qu'avant sa résurrection, il a devant ses disciples marché sur les flots de la mer. On trouve
vite la raison si l'on examine les conditions d'alors. En effet, qaue désigne la mer, sinon le monde présent agité par
le mouvement des affaires et la houle d'une vie corruptible ? Que désigne la stabilité du rivage, sinon la perpétuité
du repos éternel ? Alors les disciples qui étaient encore au milieu des flots de la vie mortelle, peinaient sur la mer ;
notre Rédempteur, lui, ayant déjà passé la condition d'une chair corruptible, se tenait sur le rivage après sa
résurrection.
Chaque fois que nous nous tournons vers l'amour du repos éternel, chaque fois que nous sommes séparés du tumulte des
affaires terrestres, ne sommes-nous pas ramenés au rivage, tels des poissons pris dans le filet de la foi ?"
(Homélie 24 sur l'Evangile, 2, 4, Sources chrétiennes n° 522, pp. 89-93).
"Thomas, l’un des douze (dont le nom signifie Jumeau) n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
Ce disciple était le seul absent. A son retour, quand on lui raconta ce qui s’était passé, il ne voulut pas le croire.
Le Seigneur vint une seconde fois, et il présenta au disciple incrédule son côté à toucher, lui montra ses mains et, en
lui montrant les cicatrices de ses blessures, guérit en lui la blessure de l’incrédulité. Que remarquez-vous en tout cela,
frères très chers ? Croyez-vous que tout cela se soit produit par hasard ? Que ce disciple choisi ait été d’abord absent ;
qu’en arrivant ensuite il entende ce récit ; qu’en l’entendant, il doute ; qu’en doutant, il touche, et qu’en touchant
il croie ?
Non, cela ne s’est pas produit par hasard, mais selon un plan divin. En effet, la clémence divine agit alors d’une manière
admirable pour que ce disciple qui doutait, tandis qu’il touchait les blessures que son maître portait dans la chair,
guérisse en nous les blessures de l’incrédulité. En effet l’incrédulité de Thomas a été plus avantageuse pour notre foi
que la foi des disciples qui ont cru. Car, tandis que ce disciple, en touchant, est ramené à la foi, notre esprit, en
dominant toute hésitation, est confirmé dans la foi ; […] ce disciple, en doutant et en touchant, est devenu témoin de la
réalité de la résurrection […]
Il toucha donc, et il s’écria : Mon Seigneur et mon Dieu. Jésus lui dit : Parce que tu m’as vu, tu crois. Or,
l’Apôtre Paul a dit : La foi est la manière de posséder déjà ce qu’on espère, et de connaître des réalités
qu’on ne voit pas. Il est donc bien clair que la foi fait connaître ce qui ne peut pas se voir. Ce qu’on voit,
en effet, ne produit pas la foi mais la constatation. Alors que Thomas a vu, lorsqu’il a touché, pourquoi lui est-il dit :
Parce que tu m’as vu, tu as cru ? Mais ce qu’il a cru n’était pas ce qu’il a vu. Car la divinité ne peut être vue par
l’homme mortel. C’est donc l’homme qu’il a vu, et c’est Dieu qu’il a reconnu en disant : Mon Seigneur et
mon Dieu. Il a donc cru tout en voyant, puisqu’en regardant un vrai homme, il a proclamé que celui-ci était Dieu,
et cela, il n’avait pas pu le voir.
Ce qui suit nous donne de la joie : Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Par cette phrase, c’est nous
qui sommes spécialement désignés, nous qui nous attachons par l’esprit à celui que nous n’avons pas vu dans la chair.
[…] Car celui-là croit véritablement qui met en pratique, par ses actions, ce qu’il croit. Au contraire, Paul dit de
ceux dont la foi est purement nominale : Ils font profession de connaître Dieu, mais par leurs actes ils le
renient. Et Jacques : La foi sans les œuvres est morte..
(Homélie sur l’Evangile de Jean, 26, 7-9).
"Dans une construction, une pierre porte une pierre, puisqu'une pierre s'y pose sur une pierre, et que celle qui en
porte une autre est portée par une autre. Ainsi, oui, ainsi dans la sainte Eglise, chacun porte un autre que lui, et
il est porté par un autre que lui. Voisins, ils se supportent mutuellement, si bien que par eux s'élève l'édifice de la
charité, d'où l'avertissement de Paul : Portez le fardeau les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du
Christ (Ga 6, 2). Et il indique ce qui est la force secrète de la Loi : La plénitude de la Loi, c'est la
charité (Rm 13, 10).
Si donc je n'ai pas à coeur de supporter votre conduite, et si vous dédaignez de tolérer la mienne, comment va s'élever
l'édifice de notre mututelle charité, une réciproque dilection ne nous unissant pas par la patience ? Dans un édifice,
comme nous venons de le dire, la pierre qui porte est portée ; si je tolère la conduite de ceux qui sont encore des
commençants dans la pratique du bien, j'ai été moi-même toléré par ceux qui m'ont précédé dans la crainte du Seigneur
et m'ont porté, de façon que, porté, j'apprenne à porter. Mais eux aussi ont été portés par leurs aînés.
Le poids total de l'édifice est porté, lui, par son fondement, car seul notre Rédempteur soutient le fardeau de nos vies
à tous."
(Homélies sur Ezéchiel II, 1, 5, Sourc. Chrét. n° 360, pp. 59-61).
"Ceux qui, sans désirer le bien d'autrui, ne font pas largesse du leur, doivent bien savoir que la terre d'où est tirée
ce bien est commune à tous les hommes, et que par conséquent elle offre à tous en commun de quoi les nourrir.
Ils se croient donc en vain irréprochables, ceux qui revendiquent le don commun de Dieu comme leur bien propre ; ceux qui,
faute de donner ce qu'ils ont reçu, vont de meurtre en meurtre, parce qu'autant de fois qu'ils cachent chez eux ce qui
pourrait nourrir des pauvres en train de mourir, autant de vies ils font périr chaque jour.
Quand nous procurons le nécessaire à ceux qui en ont besoin, nous leur rendons ce qui est leur bien, nous ne faisons pas
largesse du nôtre ; nous acquittons une dette plus que nous n'accomplissons une oeuvre de miséricorde.
Aussi la Vérité a-t-elle dit elle-même, en parlant d'une précaution à avoir dans nos témoignages de miséricorde :
Veillez à ne pas pratiquer votre justice devant les hommes ! (Mt 6, 1)".
(Règle pastorale III, 21 ; Sources chrétiennes n° 382, p. 395).
"Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : Recevez l’Esprit Saint (Jn 20, 22). Il faut nous
demander pourquoi notre Seigneur a donné une fois l’Esprit Saint alors qu’il était sur la terre, et une fois alors
qu’il siégeait dans le ciel. Il n’y a pas d’autre passage où l’on montre clairement l’Esprit Saint comme donné,
sinon maintenant où il est reçu dans un souffle, et ensuite, quand venant du ciel, il se manifeste dans des langues
distinctes.
Pourquoi donc est-il donné d’abord aux disciples sur la terre, puis envoyé du ciel, sinon parce qu’il y a une double loi
de charité : l’amour de Dieu et l’amour du prochain ? L’Esprit est donné sur la terre pour qu’on aime le prochain ;
l’Esprit est donné du ciel pour qu’on aime Dieu. Comme la charité est une et qu’il y a deux préceptes (cf. Mt 22, 37-39),
de même, il y a un seul Esprit, mais deux façons pour lui d’être donné : d’abord par le Seigneur présent sur la terre,
ensuite du ciel ; de fait, c’est dans l’amour du prochain que l’on apprend comment on doit parvenir à l’amour de Dieu."
(Homélies sur l’Evangile, II, 26, 3 (Sources chrétiennes, n° 522, Paris 2008, p. 141).
"Le cèdre a sa place dans l’Eglise, pour que quiconque l’approche respire la bonne odeur des vertus spirituelles,
que ne s’émousse pas en lui l’attrait de la vie éternelle, qu’il s’enflamme au contraire de l’amour des dons célestes.
L’épine a sa place dans l’Eglise, pour que, à son exemple, celui qui a été touché de componction par la prédication de
la parole apprenne lui aussi à toucher le cœur de ceux qui le suivent par cette même prédication de la parole.
Le myrte a sa place dans l’Eglise, pour que l’homme qui, dans le feu de l’épreuve, aura reçu de son prochain compatissant
la parole et le secours qui consolent et tempèrent, apprenne lui-même comment apporter à son prochain affligé la
consolation qui tempère la peine.
L’olivier a sa place dans l’Eglise, pour que celui qui expérimente l’active compassion d’autrui apprenne à compatir lui
aussi à l’indigence de son prochain.
Le sapin a sa place dans l’Eglise, pour que quiconque reconnaît en lui la vigueur de la contemplation sente s’échauffer
en lui le désir de contempler les récompenses éternelles.
L’orme a sa place dans l’Eglise ; quand on voit un homme subvenir aux besoins de gens riches des dons de l’esprit, sans
pouvoir lui-même porter le fruit de ces dons, on doit soi-même pourvoir à la vie de saintes gens avec toute la
générosité possible, et porter ainsi les grappes spirituelles qu’on ne peut produire soi-même.
Le buis a sa place dans l’Eglise ; si l’on remarque que beaucoup de gens encore faibles ont la verdeur de la vraie foi,
qu’on rougisse d’être soi-même sans foi.
Comme, à l’intérieur de la sainte Eglise, il est des hommes de mœurs différentes, de classes différentes, il est
indispensable que tous s’instruisent ensemble."
(Homélie 20 sur l’Evangile, 13, SC 485, Cerf, Paris, 2005, p. 471).
"Quand [le Seigneur dans l'Ecriture Sainte] se nomme Maître, il veut dire que nous avons été créés ; quand il se nomme Père, il veut dire que nous avons été adoptés ; quand il se nomme Epoux, il veut dire que nous lui avons été unis. Or le fait d'avoir été unis à Dieu est bien plus que d'avoir été créés et adoptés." (Commentaire sur le Cantique des Cantiques, 8 ; SC 314, p. 83).
"A votre avis, frères, qu’est-ce que l’amour, si ce n’est un feu ? Et le péché, si ce n’est comme de la rouille ? Voilà pourquoi ses nombreux péchés lui seront remis [Lc 7, 47] ; c’est comme si l’on avait dit : "Elle a mis entièrement le feu à la rouille du péché, parce qu’elle brûle du feu ardent de l’amour". La rouille du péché est d’autant plus largement décapée que plus fortement s’embrase le coeur du pécheur au feu de la charité." (Grégoire le Grand : Sermon 33).
"Celui qui reçoit des bienfaits, mais qui, à l’époque des bienfaits, ne redoute aucunement l’épreuve, se précipite
dans l’orgueil sous l’effet de la joie. Celui qui est broyé par les épreuves mais qui, à l’époque des épreuves, ne
trouve aucun réconfort dans les bienfaits qu’il a eu le bonheur de recevoir, voit s’anéantir son équilibre spirituel
par un désespoir total.
Il faut donc joindre les deux, pour que l’un vienne toujours soutenir l’autre de telle sorte que le souvenir du
bienfait reçu atténue la peine causée par l’épreuve, et que l’éventualité et la crainte de l’épreuve refrènent la joie
du bienfait." (Commentaire moral du Livre de Job, 3, 16).
Les apôtres, "...qu’ont-ils abandonné à l’appel du Seigneur, et combien cela valait-il ? Ils n’avaient à peu près
rien. Mais en pareil cas, frères très chers, nous devons prendre en compte l’attachement du cœur plus que la valeur
marchande. Il a beaucoup laissé, celui qui n’a rien gardé pour lui ; il a beaucoup laissé, celui qui a tout abandonné,
si peu que ce soit. Nous, bien sûr, nous sommes attachés à ce que nous avons, et par le désir cherchons ce que nous
n’avons pas. Pierre et André ont donc abandonné beaucoup quand, l’un et l’autre, ils ont renoncé jusqu’au désir d’avoir.
Il a abandonné beaucoup, celui qui a renoncé, en même temps qu’à son bien, à la convoitise. [...]
Nos biens extérieurs, même minimes, contentent le Seigneur. Il tient compte du cœur et non de la fortune. Il ne pèse
pas scrupuleusement ce dont on lui fait offrande, mais l’amour avec lequel on agit. Car, à peser la valeur matérielle
des choses, nos saints marchands ont acheté la vie éternelle des anges avec des filets et un bateau.
Le royaume de Dieu n’a pas de prix, et pourtant il coûte exactement ce qu’on possède." (Homélies sur
l’Evangile, V, 2 ; SC 485, pp. 169-171).
"Aux yeux de Dieu, une main n'est jamais vide de présents si le coeur est plein d'un trésor de bonne volonté,
ce qui fait dire au psalmiste : "En moi, Dieu, sont les voeux dont je m'acquitterai, louanges pour toi [Ps 55, 13].
Cela revient à dire en clair : même si, au-dehors, je n'ai pas de présent à t'offrir, je trouve pourtant au-dedans
de moi-même quelque chose à déposer sur l'autel de ta louange, car, si tu ne te nourris pas de nos dons, tu te laisses
apaiser par l'offrande du coeur. On ne peut rien offrir à Dieu de plus précieux qu'une bonne volonté.
Or la bonne volonté, c'est redouter les revers pour un autre comme pour nous-mêmes, nous réjouir du succès du prochain
comme de notre propre réussite ; c'est croire nôtres les pertes d'autrui, compter comme nôtres ses profits ; c'est
aimer un ami non pour le monde mais pour Dieu, supporter un ennemi jusqu'à l'aimer ; c'est ne faire à personne ce qu'on ne
voudrait pas subir, ne refuser à personne ce qu'on est en droit de désirer ; c'est non seulement courir au secours de
notre prochain selon nos forces, mais vouloir lui être utile au-delà même de nos forces." (Homélies
sur l'Evangile, V, 3).
"Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Par cette phrase, c'et nous qui sommes spécialement désignés, nous qui nous attachons par l'esprit à celui que nous n'avons pas vu dans la chair. [...] Car celui-là croit véritablement qui met en pratique, par ses actions, ce qu'il croit. Au contraire, Paul dit de ceux dont la foi est purement nominale : Ils font profession de connaître Dieu, mais par leurs actes ils le renient. Et Jacques : La foi sans les oeuvres est morte." (Homélie sur l'Evangile de Jean, 26, 9)
"Je veux vous inviter à tout abandonner, sans vous y obliger. Si vous ne pouvez pas abandonner entièrement le monde, retenez les biens de ce monde, mais de telle façon qu'ils ne vous retiennent pas dans le monde. Possédez, mais ne vous laissez pas posséder. Il faut que votre esprit domine ce que vous avez ; autrement, si votre esprit est vaincu par l'amour des biens terrestres, c'est plutôt lui qui sera possédé par les biens qui lui appartiennent." (Homélie sur l'Evangile, 36, 11)
Grégoire de NazianzeGrégoire de Nazianze, un des Pères cappadociens - actuelle Turquie - au IVe siècle, simule la question d'un auditeur qui se voit conseiller par lui de ne pas trop tarder à se faire baptiser, alors que l'exemple de Jésus ne va apparemment pas dans ce sens !
"Le Christ est baptisé à trente ans, et cela alors qu'il est Dieu ; et tu m'invites à hâter le baptême ? - En disant qu'il est Dieu, tu aas résolu la question. Il était la pureté même et n'avait pas besoin de purification ; mais c'est pour toi qu'il se purifie [...]. Il n'y avait pas de danger pour lui à retarder son baptême, car il était aussi l'arbitre de sa Passion, comme de sa naissance. Pour toi, au contraire, le danger serait grand, si tu partais après avoir été engendré seulement dans la corruption, sans avoir revêtu l'incorruptibilité [cf. 1 Co 15, 53]. Et je remarque que lui, il devait attendre ce moment pour son baptême, tandis que toi, tu n'as pas la même raison. En effet, il se manifesta à l'âge de trente ans, et non pas plus tôt, pour ne pas avoir l'air de se mettre en avant - ce qui est le cas des sots -, et parce que cet âge implique que l'on a une vertu complètement éprouvée, et que le moment est venu d'enseigner. Et comme il devait subir la Passion qui sauve le monde, il devait réunir en vue de cette Passion tout ce qui la concernait : la manifestation, le baptême, le témoignage venu d'en-haut, la prédication, l'affluence de la foule, les miracles ; c'était comme un seul corps qui n'est pas dispersé ni divisé par des intervalles de temps. En effet le baptême et la prédication entraînent le "séisme" [cf. Mt 21, 10 : verbe selo dans le texte de Matthieu : quand Jésus fut entré à Jérusalem toute la ville fut "secouée", comme par un séisme] des foules qui se rassemblent - car l'Ecriture s'exprime ainsi en cette occasion -; la foule entraîne la manifestation des "signes" et les miracles qui amènent à l'Evangile ; cela entraîne la jalousie, celle-ci la haine ; celle-ci le complot et la trahison ; cela, la croix et tout ce qui fait notre salut. Pour le Christ, voilà ce qu'il en est, dans la mesure où cela nous est accessible ; peut-être se trouve-t-il une autre explication plus profonde ?"
[selon un procédé rhétorique bien connu, l'orateur
fait un appel fictif à ses auditeurs pour une rectification qui ne viendra pas : de fait à la suite de
ce court passage caractérisant le Christ et ses oeuvres, Grégoire évoque tout ce que le Christ-Dieu
fera d'autre et que lui, simple homme, ne peut même pas approcher.
(Discours 40, 29, SC 358, Cerf, pp. 265-267).
"Tu as dissipé les ténèbres, tu as produit la lumière, afin de tout créer dans la lumière et de rendre stable
l'instable matière, en lui donnant forme dans le monde et sa belle harmonie d'aujourd'hui.
Tu as illuminé la pensée de l’homme par la raison et la sagesse, en plaçant ici-bas l’image de la splendeur d’en haut,
afin que par la lumière il voie la lumière et devienne tout entier lumière.
C’est toi qui as fait briller le ciel de mille feux, toi qui as fait céder doucement la nuit au jour et le jour à la nuit
selon ton ordre, rendant honneur à la loi de la fraternité et de l’amour.
Grâce à la nuit, tu mets fin à la fatigue de la chair qui peine tant ; grâce au jour, tu l’éveilles pour son ouvrage et
pour les œuvres que tu aimes, afin qu’en fuyant les ténèbres, nous devancions le jour, ce jour que la triste nuit ne
fera pas sombrer…
(Hymne du soir, Poèmes, 1, 1, 32).
"Comment le Fils a-t-il donc été engendré ? Sa génération ne serait pas une grande chose si elle était
compréhensible pour toi, qui ne connais même pas la tienne, ou qui n'en comprends qu'une petite partie et dans une
mesure que tu as honte de dire ; et ensuite, tu crois la connaître entièrement ? Tu te fatiguerais beaucoup avant de
découvrir les moyens d'expliquer comment tu as été assemblé, formé, mis au jour, comment l'âme est liée au corps,
l'intelligence à l'âme, la raison à l'intelligence, comment se font le mouvement, la croissance, l'assimilation de
la nourriture, la sensation, le souvenir, la réminiscence et les autres activités qui te constituent, comment certaines
sont le fait de l'ensemble, âme et corps, alors que d'autres s'exercent séparément et que d'autres se prêtent un
mutuel concours ; car les choses qui reçoivent plus tard leur achèvement ont leurs principes avec la génération. Dis
quels sont ces principes. Et même alors garde-toi d'expliquer la génération de Dieu : c'est dangereux. En effet, si tu
connais ta propre génération, tu ne connais nullement celle de Dieu ; et si tu ne connais même pas la tienne, comment
connais-tu celle de Dieu ? Autant Dieu est plus difficile à deviner que l'homme, autant la génération d'en haut est
plus incompréhensible que la tienne. Et si, parce que tu n'as pas été engendré, le moment est venu pour toi de
supprimer quantité d'êtres que tu n'a pas compris et, avant tout, Dieu lui-même ; car tu ne peux pas dire ce qu'il est,
malgré toute ton audace et ta présomption dans tes vaines recherches. Rejette donc tes écoulements, tes divisions et
tes coupures et ton habitude d'imaginer la nature incorporelle comme un corps, et tu pourras peut-être imaginer
quelque chose de digne de la génération de Dieu. Comment a-t-il été engendré ? Encore une fois je m'écrierai avec
indignation : que la génération de Dieu soit honorée en silence ! C'est une grande chose pour toi de savoir qu'il a
été engendré. Le comment, reconnaissons que les anges ne le conçoivent pas, et toi encore moins. Veux-u que je
t'explique le comment ? C'est comme le savent le Père qui a engendré et le Fils qui a été engendré ; ce qui est
au-dessus de cela est caché par une nuée et se dérobe à tes faibles regards."
(Discours théologiques 29, 8, SC n° 250, pp. 191-193).
"Si, de même qu’il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu, le Père de tous et par tous et
en tous (Ep 4, 5-6), il y avait une seule voie de salut, celle qui passe par la discussion et l’étude, et si ceux qui
s’écartent de cette voie devaient perdre le tout et être rejetés loin de Dieu et de l’espérance de l’au-delà, rien ne
serait plus risqué que de donner de tels conseils et de les suivre.
Mais il y a, dans les choses humaines, nombre de vies et d’options différentes, plus grandes ou moins grandes, plus
brillantes ou moins brillantes, et il y a, de même, dans les choses divines, non pas un seul moyen de salut ni une seule
voie pour la vertu, mais plusieurs, et la cause pour laquelle il existe de multiples demeures auprès de Dieu (cf. Jn 14, 2)
– refrain qui est sur les langues de tous -, ce n’est pas autre chose que l’existence de plusieurs voies menant au but,
alors, pourquoi délaissons-nous les voies les plus sûres pour nous tourner vers la seule qui est risquée, si glissante,
et qui mène je ne sais où ?"
(Discours 32, 33, SC n° 318, Paris, 1985, pp. 153-155).
"Frères et bien aimés, ne soyons pas les mauvais économes des biens que l'on nous a confiés (cf. Lc 12, 41-48), si
nous ne voulons pas entendre gronder la voix de Pierre : "Rougissez, vous qui retenez le bien d'autrui. Imitez l'équité
de Dieu et il n'y aura plus de pauvres" (cf. 1 P 4, 10). Ne nous tuons pas à amasser de l'argent quand nos frères meurent
de faim, pour ne point nous exposer à de sévères remontrances, comme aux paroles du divin Amos : "Prenez garde, vous
qui dites : Quand le mois sera-t-il passé afin que nous vendions, et le sabbat écoulé, pour que nous ouvrions nos dépôts ?"
(Am 8, 5). Et il menace encore de la colère de Dieu les marchands qui truquent leurs balances.
Imitons cette loi sublime et première d'un Dieu qui laisse tomber sa pluie sur les justes et sur les méchants et
fait lever son soleil sur tous les hommes sans distinction (Mt 5, 45). Aux créatures qui vivent sur terre, il
octroie d'immenses espaces, des sources, des fleuves, des forêts. Pour les espèces ailées, il crée l'air, et l'eau pour
la faune aquatique. Il fournit en abondance pour chacun sa première subsistance. Et ses dons ne tombent pas aux mains
des forts, ni ne sont mesurés par une loi, ni partagés entre des Etats. Tout est commun, tout est en abondance. Il ne
donne rien qui ne soit grand. Ainsi honore-t-il l'égalité naturelle, par l'égal partage de ses grâces : ainsi révèle-t-il
l'éclat de sa munificence."
(Discours 14 sur l'amour des pauvres, 24-25, in Riches et pauvres dans
l'Eglise ancienne, Trad. F. Quéré, "Lettres chrétiennes", 2, Migne, 2011, pp. 152-153).
"La loi des hommes est injuste et inégale. Pourquoi donc ont-ils châtié la femme et laissé l’homme impuni ? L’épouse
qui a déshonoré le lit de son mari est adultère, et la conséquence en est pour elle les dures sanctions des lois ; au
contraire, l’homme qui est infidèle à sa femme n’encourt aucune peine. Je n’accepte pas cette législation ; je n’approuve
pas cette coutume. Ce sont des hommes qui ont légiféré de la sorte ; voilà pourquoi cette législation est dirigée contre
la femme ; ils ont placé aussi les enfants sous l’autorité des pères, et ils ont négligé les intérêts du sexe faible.
Dieu n’agit pas ainsi ; mais il dit : Honore ton père et ta mère (Ex 20, 12) – tel est le premier commandement, assorti de
promesses – pour qu’il t’advienne du bien (Ep 6, 2) ; ensuite : Celui qui maudit son père ou sa mère, qu’il meure de
mort (Ex 21, 17) ! Il a, à la fois, loué le bien et châtié le mal. Et encore : La bénédiction d’un père affermit les
maisons des enfants ; mais la malédiction d’une mère déracine les fondations (Si 3, 11). Remarquez l’égalité de la
législation : un unique créateur de l’homme et de la femme (Gn 1, 27) ; une unique poussière qu’ils sont tous les deux
(Gn 3, 19) ; une image unique (Gn 1, 26-27), une loi unique, une mort unique (Gn 3, 19), une résurrection unique
(1 Co 15, 21-23). Nous sommes nés à la fois de l’homme et de la femme ; unique est la dette des enfants à l’égard de
ceux qui les ont engendrés."
(Discours 37, 6, SC 318, pp. 283-285).
"Il nous faut commencer par dire ceci : la divinité ne peut être désignée par aucun nom. Cela, non seulement les
raisonnements le démontrent, mais encore les plus sages et les plus anciens Hébreux nous ont donné de quoi le conjecturer.
Ayant pour honorer la divinité des caractères particuliers, ils n'ont pas supporté de voir ces mêmes lettres écrites
pour n'importe quel autre être après Dieu, et même pour désigner Dieu, car ils pensaient que la divinité devait être sans
rapport - et jusqu'à ce point - avec ce qui est nôtre ; quand auraient-ils accepté qu'un mot sujet à se dissoudre
désignât la nature qui ne se dissout pas et qui est à part ?
Personne, en effet, n'a jamais respiré la totalité de l'air ; et la substance de Dieu, aucun esprit ne l'a conçue, aucun
mot ne l'a embrassée entièrement, mais, d'après ce qui est autour de lui, nous nous faisons une esquisse de ce qui est en
lui et nous composons une image à la fois obscure et faible, et diverse par ses divers éléments.
En tout cas, d'après ce que nous pouvons atteindre, les termes "Celui qui est" et "Dieu" sont plutôt, en quelque sorte,
des noms de la substance, et surtout "Celui qui est" : il se désigna ainsi lui-même en rendant ses oracles à Moïse sur
la montagne (cf. Ex 3, 14). Or, "ce qui est", c'est réellement le propre de Dieu."
(Discours 30, 17-18, SC 250
"Nous te bénissons maintenant, mon Christ, Verbe de Dieu, lumière de la lumière sans principe et dispensateur de
l’Esprit, troisième lumière unie en une seule et même gloire !
Tu as dissipé les ténèbres, tu as produit la lumière, afin de tout créer dans la lumière et de rendre stable l’instable
matière, en lui donnant forme dans le monde et sa belle harmonie d’aujourd’hui.
Tu as illuminé la pensée de l’homme par la raison et la sagesse, en plaçant ici-bas l’image de la splendeur d’en haut,
afin que par la lumière il voie la lumière et devienne tout entier lumière.
C’est toi qui as fait briller le ciel de mille feux, toi qui as fait céder doucement la nuit au jour et le jour à la nuit
selon ton ordre, rendant honneur à la loi de la fraternité et de l’amour.
Grâce à la nuit, tu mets fin à la fatigue de la chair qui peine tant ; grâce au jour, tu l’éveilles pour son ouvrage
et pour les oeuvres que tu aimes, afin qu’en fuyant les ténèbres, nous devancions le jour, ce jour que la triste nuit ne
fera pas sombrer.
Que la pensée, loin du corps, converse avec toi, Dieu, qui es Père, Fils et Saint-Esprit, à qui soit l’honneur,
la gloire, la puissance dans les siècles. Amen.
(Grégoire de Nazianze : Hymne du soir, Poèmes, 1, 1, 32).
"Dieu n’a pas voulu que ses bienfaits nous fussent imposés de force, mais qu’ils fussent reçus volontairement. Aussi a-t-il agi comme un pédagogue ou un médecin, supprimant quelques traditions ancestrales, en tolérant d’autres… Ainsi, par des changements partiels, les hommes se sont trouvés comme furtivement entraînés vers l’Evangile. L’Ancien Testament a clairement manifesté le Père, obscurément le Fils. Le Nouveau a révélé le Fils et fait entendre la divinité de l’Esprit. Aujourd’hui, l’Esprit vit parmi nous et se fait plus clairement connaître. Il eût été périlleux, en effet, alors que la divinité du Père n’était point reconnue, de prêcher ouvertement le Fils ; et tant que la divinité du Fils n’était point admise, d’imposer, si j’ose dire, en surcharge, le Saint-Esprit. On eût pu craindre que, comme des gens chargés de trop d’aliments ou comme ceux qui fixent sur le soleil des yeux encore débiles, les fidèles ne perdissent cela même qu’ils avaient déjà acquis. Il fallait, au contraire, par des additions partielles et, comme dit David, par des ascensions de gloire en gloire, que la splendeur de la Trinité rayonnât progressivement." (Discours théologiques, cité in Jean-René Bouchet : Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes, Cerf, 1994, pp. 235-236)
"Quel est, à mon sujet, ce nouveau mystère ? Je suis petit et grand, humble et élevé, mortel et immortel, terrestre
et céleste, cela avec le monde, ceci avec Dieu, cela avec la chair, ceci avec l'esprit. Il faut que je sois enseveli
avec le Christ, que je ressuscite avec le Christ, que je sois héritier avec le Christ, que je devienne fils de Dieu, que je
sois appelé Dieu même !
Voilà ce que veut nous dire ce Dieu qui s'est fait homme et qui s'est fait pauvre pour nous, afin de ressusciter la chair,
de sauver l'image, de recréer l'homme, afin que nous devenions tous un dans le Christ, qui s'est fait en nous tous
absolument tout ce qu'il est précisément lui-même, pour que nous ne soyons plus homme ou femme, barbare ou Scythe,
esclave ou homme libre, distinctions de la chair, mais pour que nous portions en nous-mêmes seulement l'empreinte
divine, par laquelle et pour laquelle nous sommes nés, si bien formés et marqués par elle que par elle seule nous
pouvons être reconnus." (Discours 7, Pour la mort de son frère Césaire, § 23, SC 405, Ed. du Seuil,
1995, p. 239-241)
"C'est en toi que nous reposons, Verbe de Dieu,
quand nous restons chez nous : à toi nous attachons notre loisir.
Assis, nous sommes à toi ; à toi en nous levant et en nous arrêtant ;
à toi encore quand nous partons ; et maintenant, c'est sur tes indications
que nous marchons droit devant nous. Mais puisses-tu m'envoyer
l'un de tes anges pour me guider, un accompagnateur favorable
qui me conduirait au moyen d'une colonne de feu et de nuée,
qui d'un mot fendrait la mer et arrêterait les cours d'eau,
qui dispenserait avec largesse une nourriture venue d'en haut comme d'en bas.
La croix, tracée par mes mains, réfrénerait l'audace
des ennemis..."
(extrait des Oeuvres poétiques : "Vers du même. Sur la route", "Les Belles Lettres", 2004, p.46)
"Ce n'est pas à tout le monde, sachez-le, ce n'est pas à tout le monde qu'il appartient de discuter sur Dieu; ce n'est pas quelque chose qui s'achète à bas prix et qui est le fait de ceux qui se traînent à terre. J'ajouterai: ce n'est ni toujours, ni devant n'importe qui, sur toute chose que l'on peut discuter, mais à certains moments, devant certaines personnes et dans une certaine mesure. Ce n'est point à tout le monde qu'il appartient de discuter sur Dieu, mais à ceux qui sont déjà éprouvés, qui sont avancés dans la contemplation et qui, avant tout, ont purifié leur âme et leur corps, ou tout au moins travaillent à les purifier. En effet, toucher la Pureté, sans être pur, c'est peut-être aussi imprudent que de regarder un rayon de soleil avec des yeux malades." (Premier discours théologique (Discours 27), 3)
"Alors que lui, notre Dieu et notre Seigneur, n'a pas honte d'être appelé notre Père, allons-nous renier nos frères ?" (Homélie sur l'Amour des Pauvres, 14, 24)
"Dieu n’a pas voulu que ses bienfaits nous fussent imposés de force, mais qu’ils fussent reçus volontairement. Aussi a-t-il agi comme un pédagogue ou un médecin, supprimant quelques traditions ancestrales, en tolérant d’autres… Ainsi, par des changements partiels, les hommes se sont trouvés comme furtivement entraînés vers l’Evangile. L’Ancien Testament a clairement manifesté le Père, obscurément le Fils. Le Nouveau a révélé le Fils et fait entendre la divinité de l’Esprit. Aujourd’hui, l’Esprit vit parmi nous et se fait plus clairement connaître." (Grégoire de Nazianze, Discours théologiques, d’après J.R. Bouchet, Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes, Cerf, 1994, p. 235)
"Le Christ est ressuscité d'entre les morts, levez-vous, vous aussi. Le Christ qui dormait s'éveille, éveillez-vous. Le Christ sort du tombeau, libérez-vous des chaînes du péché ! Les portes de l'enfer s'ouvrent, la mort est détruite, le vieil homme est déposé, et le nouveau, enfin libéré : Puisque vous êtes devenus dans le Christ une créature nouvelle, renouvelez-vous : C'est la Pâque du Seigneur, la Pâque du Seigneur, je le dirai une troisième fois en l'honneur de la Trinité, c'est la Pâque du Seigneur ! C'est la fête des fêtes, la solennité des solennités, qui surpasse non seulement les fêtes humaines, mais même celles du Christ, comme la lumière du soleil surpasse celle des étoiles. C'est le jour de la résurrection et le commencement de la vraie vie. Eclatons de lumière et de joie en cette fête et embrassons-nous mutuellement." (Homélie pour la fête de Pâques, cité in J.R. Bouchet : Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes, Cerf, 1994, p. 201)
"Dieu qui enrichit les autres s'appauvrit, car il adopte la pauvreté de ma chair pour que moi je m'enrichisse de sa divinité. Lui qui est plénitude s'anéantit, il se dépouille de sa propre gloire pour un peu de temps, afin que moi, je participe à sa plénitude." (Homélie 45 : extraits donnés dans Livre des jours, Le Cerf - Desclée de Brouwer - Desclée - Mame, 1975, pp. 11-12)
"Il n'était pas prudent, quand on ne confessait pas encore la divinité du Père, de proclamer
ouvertement le Fils et, quand la divinité du Fils n'était pas encore admise, d'ajouter
l'Esprit-Saint comme un fardeau supplémentaire - pour employer une expression un peu hardie - ;
sinon, accablés pour ainsi dire par une nourriture trop lourde, et dirigeant vers la lumière du
soleil des yeux encore trop faibles, les hommes auraient risqué de perdre toutes leurs
possibilités ; au contraire, par les adjonctions partielles, par des "ascensions" suivant le
mot de David, par des avancées et des progressions "de gloire en gloire", la lumière de la
Trinité éclatera en plus brillantes clartés. [...]
"Il est une idée que d'autres peut-être ont eue déjà, mais qui me paraît le fruit de ma propre
réflexion ; je vais l'ajouter à ce qui vient d'être dit. Le Sauveur avait comblé ses disciples
d'une multitude d'enseignements, mais il en avait certains qui ne pouvaient pas, disait-il, être
portés par eux à ce moment, sans doute pour les causes que j'ai indiquées ; c'est pourquoi il
les tenait secrets. Et il ajoutait que tout nous serait enseigné par l'Esprit, lors de sa venue.
L'un de ces enseignements était, je crois, la divinité même de l'Esprit, éclaircie plus tard, à
un moment où la connaissance en était désormais opportune et possible à saisir, après le
rétablissement du Sauveur dans sa gloire, car on ne lui refusait plus créance à cause de cette
merveille. Lui-même aurait-il pu promettre, ou l'Esprit-Saint aurait-il pu enseigner quoi que
ce soit de plus grand ? Si vraiment il est une chose que l'on doive tenir pour grande et digne
de la magnificence de Dieu, c'est cette promesse ou cet enseignement.
Telle est la pensée que j'ai sur ces questions. Puissé-je l'avoir encore, ainsi que mes amis,
et vénérer Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit, trois propriétés, une divinité,
sans division de gloire, d'honneur, de substance et de royauté !"
(Discours théologiques, 31, 26-28)
"Imitons cette loi sublime et première d'un Dieu qui laisse tomber sa pluie sur les justes et sur les méchants et fait lever son soleil sur tous les hommes sans distinction. Aux créatures qui vivent sur terre, il octroie d'immenses espaces, des sources, des fleuves, des forêts. Pour les espèces ailées, il crée l'air, et l'eau pour la faune aquatique. Il fournit en abondance pour chacun sa preière subsistance. Et ses dons ne tombent pas aux mains des forts, ni ne sont mesurés par une loi, ni partagés entre des états. Tout est commun, tout est en abondance. Il ne donne rien qui ne soit grand. Ainsi honore-t-il l'égalité naturelle, par l'égal partage de ses grâces : ainsi révèle-t-il l'éclat de sa munificence." (Discours, 14, 25, De l'amour des Pauvres, in A.G. Hamman, Riches et pauvres, pp. 122-123).
""Heureux les miséricordieux, dit le Seigneur : ils obtiendront miséricorde ! La miséricorde n'est pas la moindre des béatitudes. [...] La nuit elle-même ne doit pas arrêter ta miséricorde [...] Ton mérite est doublé par ta promptitude. Le don fait avec chagrin et par contrainte n'a ni grâce ni éclat. C'est avec un coeur en fête, non en se lamentant, qu'il faut faire le bien." (Homélie sur l'amour des pauvres, 14, 38-40).
"L'Incarnation : "[Le Verbe de Dieu] qui enrichit les autres s'appauvrit, car il adopte la pauvreté de ma chair pour que moi je m'enrichisse de s adivinité. Lui qui est plénitude s'anéantit, il se dépouille de sa propre gloire pour un peu de temps, afin que moi, je participe à sa plénitude." (Homélie pour la Pâque, 45)
Grégoire de Nysse"La gloire que tu m'as donnée, je la leur donne" (Jn 17, 22). Je pense qu'ici il [Le Christ Jésus]
appelle gloire l'Esprit Saint qu'il a insufflé à ses disciples. Il n'est pas possible que ceux qui étaient séparés
les uns des autres soient unis autrement qu'en étant réunis par l'unité de l'Esprit, car "si quelqu'un n'a pas l'Esprit
du Christ, il ne lui appartient pas" (Rm 8, 9). Or l'Esprit c'est la gloire, comme il dit ailleurs à son Père :
Glorifie-moi de la gloire que j'avais au commencement auprès de toi, avant que le monde soit (Jn 17, 5). Car
le Dieu Verbe qui avait, avant que le monde soit, la gloire du Père, et ensuite, aux jours ultimes, est devenu chair, est
Dieu, et il fallait que la chair, par union avec le Verbe, devint ce qu'est le Verbe. Et elle le devient en recevant ce que
le Verbe avait avant le monde, c'est-à-dire l'Esprit Saint. Car rien n'est préexistant sinon le Père, le Fils et l'Esprit
Saint. C'est pourquoi il dit ici aussi : La gloire que tu m'as donnée je la leur donne, afin que par elle ils soient
unis à moi et moi à toi".
(Le Christ pascal, Migne, "Les Pères dans la foi" n° 55, p. 122).
"La Parole du Seigneur nous ordonne de nous méfier des faux prophètes "qui viennent à nous, dit-elle, déguisés en brebis,
mais au-dedans sont des loups rapaces". "C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez." C’est donc le fruit qui permet
de discerner la brebis véritable du séducteur des brebis : ce dernier, sous des apparences douces, se glisse au milieu du
troupeau rassemblé et cache sous cette douceur empruntée une bouche emplie d’amertume. Il convient donc de connaître les
fruits, les bons et les mauvais, afin de mettre à jour la manière dont se manifeste la fraude. "A leurs fruits vous les
reconnaîtrez." : Et bien, à mon avis, le bon fruit de tout enseignement dans l’Eglise est l’accroissement du nombre des
sauvés, le fruit pourri et empoisonné est la division de ses membres.
Si donc quelqu’un, par ses paroles, accroît le troupeau, fait grimper la vigne dans tous les coins de la maison, plante
autour de la table du Seigneur ceux qui, oliviers sauvages, sont devenus de jeunes plants d’oliviers et fait circuler dans
ces branches mystérieuses la sève douce et bienfaisante de l’enseignement évangélique qui féconde les troupeaux : alors les
biens de Laban diminuent tandis que ceux de Jacob croissent et se multiplient dans l’abondance en une postérité merveilleuse.
Si quelqu’un, par sa prédication, produit ces fruits, car le fruit est, comme on l’a dit, le fait de répandre la vérité
évangélique, c’est un véritable prophète, un interprète du dessein de Dieu dans la lumière de l’Esprit.
Si quelqu’un, au contraire, coupe les sarments de la vigne, pousse à déserter la table du Seigneur, déracine les nouveaux
plants, tend des embûches autour de l’abreuvoir spirituel, de sorte que les troupeaux ne puissent plus concevoir devant
les baguettes du patriarche, ni grossir le troupeau de bêtes remarquables, s’il laisse le troupeau s’égarer loin des gras
pâturages, je veux dire les enseignements transmis par les Pères, s’il le laisse séjourner hors des bergeries, se disperser
vers d’autres prairies, s’il fait cela, nous sommes à même de bien voir le comportement du loup, caché sous la peau de
brebis".
(Contre apollinaire, in Jean-René Bouchet Lectionnaire pour les dimanches et pour
les fêtes, pp. 301 sq).
"La santé est un bien pour la vie de l’homme. Mais le bonheur ne consiste pas à savoir ce qu’est la
santé, mais à vivre sain. Car si tout en vantant la santé, je prends une nourriture indigeste, propre
à gâter mes humeurs, quel bien tirerai-je de ces éloges, en butte à mes maladies ? Appliquons le même
raisonnement à propos de Dieu. Le Seigneur dit que notre joie pour nous n’est pas d’entrevoir Dieu, mais de
le posséder en nous-mêmes. Je ne crois pas que Dieu se livre face à face au regard de celui qui s’est
purifié. Cette formule magnifique nous suggère peut-être ce qu’une autre parole exprime en termes plus
clairs : « Le royaume de Dieu est au-dedans de vous. » [Lc 17, 21]. Par là, nous apprenons qu’avec un cœur
purifié de toute créature et de tout sentiment charnel, nous voyons dans notre propre beauté l’image
de la nature divine. En cette brève formule, le Verbe lance un grandiose appel : "Vous qui aspirez à voir
le Bien véritable, lorsqu’on vous dit que la grandeur de Dieu trône au-dessus des cieux, que sa gloire
est inexprimable et sa beauté sans nom, que sa nature est infinie, ne tombez pas dans le désespoir,
en pensant que vous ne pourrez contempler celui que vous cherchez". Il est en toi, dans une certaine
mesure, une aptitude à voir Dieu : celui qui t’a formé a déposé en ton être l’ombre de sa propre bonté,
ainsi que l’on imprime le dessin d’un cachet dans la cire. Mais le péché a dissimulé l’empreinte de Die
et ce bien est devenu sans profit, caché sous des voiles souillés. Effaces-tu, en vivant dans le bien,
la tache qui salit ton cœur ? Ta divine beauté resplendit de nouveau en toi."
(Les Béatitudes, VI, 4, "Les Pères dans la foi", pp. 85-86).
"C'est une montagne escarpée et d'accès vraiment difficile que la connaissance de Dieu. A peine la
foule peut-elle parvenir à sa base. Mais s'il s'agit de quelque Moïse, il pourra parvenir très avant dans
la montée et percevoir le son des trompettes qui devient plus fort, nous dit le texte
(Ex 19, 19), à mesure qu'on avance. La véritable trompette qui frappe l'oreille, c'est la
prédication de la divinité, qui, puissante dès l'abord, devient plus forte et frappe davantage les
oreilles, dans les derniers temps. La Loi et les Prophètes ont proclamé le mystère divin de l'Incarnation,
mais ces premiers sons étaient trop faibles pour parvenir à des oreilles indociles, aussi, parce qu'ils
avaient l'oreille dure, les Juifs n'ont-ils pas perçu le son des trompettes. Mais le son des
trompettes, comme dit le texte, devint progressivement de plus en plus fort.
Les derniers sons, qui représentent la prédication de l'Evangile, ont frappé les oreilles, car le
Saint-Esprit, par le moyen des instruments, retentissait de façon plus éclatante alors en rendant un son
plus distinct : quant aux instruments, ce sont les Prophètes et les Apôtres, résonnant sous le souffle
de l'Esprit, eux dont il est écrit dans le psautier que leur voix s'est répandue sur toute la
terre et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde (Ps 18, 5).
(Vie de Moïse, II, 158-159, SC 1 bis, Cerf, 2007, pp. 207-209).
"Ton créateur t'a honorée au-dessus de toute la création. Le ciel n'est pas image de Dieu, ni la lune, ni le soleil,
ni la beauté des astres, ni rien de ce qui peut être vu dans la création. Seule tu as été faite copie de la nature qui
surpasse toute intelligence (Ph 4, 7), ressemblance de la beauté incorruptible, empreinte de la divinité véritable,
réceptacle de la vie bienheureuse sceau de la vraie lumière. Lorsque tu te tournes vers cela, tu deviens cela que Lui-même est,
imitant Celui qui brille en toi par l'éclat que réfléchit ta pureté. Il n'y a rien de si grand parmi les êtres qui puisse être
comparé à ta grandeur. Le ciel tout entier est contenu dans l'empan de Dieu, la terre et la mer sont enfermées dans le creux de
sa main. Et cependant Lui qui est si grand et si parfait, qui enserre toute la création dans la paume de sa main, il est contenu
tout entier en toi, il habite en toi et il n'est pas à l'étroit en s'avançant dans ta nature, lui qui dit : J'habiterai
en eux et j'y circulerai (2 Co 6, 16 ; cf. Ez 37, 27 et Lv 26, 12). Si tu regardes cela, tu n'occuperas ton oeil d'aucun
objet terrestre. Que dis-je ? Pas même le ciel ne te paraîtra admirable. Comment, en effet, admireras-tu les cieux, ô homme,
quand tu te vois toi-même plus durable que les cieux ? Car ils passent, mais toi tu demeures avec Celui qui est éternel."
(Homélies sur le Cantique des Cantiques, II, 9, SC 613, pp. 219-221).
"Il n'est pas facile, et peut-être même absolument impossible, de préférer aux douceurs apparentes de cette vie le bien qui n'est
pas apparent, et d'accepter volontiers, par conséquent, d'être arrêté, d'être chassé de chez soi, d'être privé de son épouse et de ses
enfants, de ses frères et de ses parents, de ses familiers, et de toutes les douceurs de la vie ; impossible sans l'aide du Seigneur
lui-même, qui pousse vers le bien celui qui a été élu suivant la promesse. Car celui que d'avance il discerne, comme dit l'Apôtre
(Rm 8, 30), il le prédestine il l'appelle, il le justifie, il le glorifie. Puisque donc l'âme, par les sensations corporelles,
se développe en quelque sorte en symbiose avec les plaisirs de la vie, elle est charmée par les yeux des belles couleurs de la matière,
elle penche par l'ouïe vers les plaisirs auditifs, et par l'odorat, le goût et le toucher, elle est affectée des sensations
particulières qui sont naturelles à chacun de ces sens. Pour cette raison, la faculté sensitive, comme une sorte de clou, la fixe aux
plaisirs de la vie dont elle a toujours de la difficulté à se libérer, car elle a grandi fixée à eux ; et liée par une sorte de
coquille qui la recouvre à la façon des tortues et des coquillages, elle a de la peine à s'engager dans de tels mouvements, car
elle tire derrière elle tout le fardeau de la vie. C'est pourquoi, dans cette situation, c'est une proie facile pour ceux qui
la poursuivent, qui la menacent de lui confisquer ses biens, de la mettre à l'amende, de lui faire quelque autre tort touchant ce
que l'on recherche dans cette vie, une proie qui se livre aisément et se soumet à son poursuivant.
Mais quand la Parole vivante, comme dit l'Apôtre (Héb. 4, 12), agissante et plus coupante qu'une épée à double tranchant, pénètre à
l'intérieur de celui qui a vraiment reçu la foi, en retranche les mauvais rejetons, et rompt les liens de l'habitude, alors le croyant,
comme un coureur, s'ébroue et débarrasse ses épaules des plaisirs du monde comme d'un fardeau attaché à son âme, et léger, court-vêtu,
il parcourt le stade en personne. Il ne regarde pas ce qu'il a laissé derrière lui, mais ce qu'il poursuit ; il ne tourne pas son
regard vers les plaisirs qu'il laisse derrière lui, mais s'élance vers le bien promis ; il ne souffre pas de perdre les biens
terrestres, mais se réjouit de gagner ceux du ciel [...]
[...] la fleur qui précède les fruits que nous espérons, c'est le tourment. A cause du fruit, cueillons donc aussi la fleur : soyons
persécutés, soyons poursuivis, pour courir ; et si nous courons nous ne courrons pas pour rien ; mais que l'appel au Royaume d'en
haut, notre récompense, soit le but de notre course ; courons pour atteindre le but !
Quel est le but que nous poursuivons ? Quelle est la récompense ? Quelle est la couronne ? Il me semble que chaque objet de
notre espérance n’est rien d’autre que le Seigneur lui-même. Car il est lui-même tout ensemble l’arbitre des combattants, et la
couronne des vainqueurs ; c’est lui qui partage l’héritage ; c’est lui le bon héritage ; c’est lui la bonne part ; c’est lui qui
te donne ta part ; c’est lui qui enrichit ; c’est lui la richesse, lui qui te montre le trésor, et qui est ton trésor…"
(Commentaire sur la Huitième Béatitude, 4 - 5 - extraits).
"Pour montrer la nécessité d'une explication spirituelle des textes bibliques, on pourrait [...] recueillir
d'innombrables exemples chez tous les prophètes. Si l'on rejette celle-ci, comme le voudraient certains, on sera
dans une situation comparable, me semble-t-il, à celle de quelqu'un qui pour régaler des hommes, placerait sur
la table, une moisson à l'état brut, sans avoir trituré les gerbes, sans avoir séparé par le vannage les grains
d'avec la paille, sans avoir réduit le blé en farine et sans avoir préparé le pain de la manière qui convient.
De même donc que le blé à l'état brut est la nourriture du bétail et non des hommes, de même peut-on dire que les
paroles divinement inspirées elles-mêmes sont la nourriture d'êtres irrationnels plutôt que d'être raisonnables,
si elles n'ont pas été préparées par une explication plus affinée. Et cela est vrai non seulement pour celles
de l'Ancien Testament mais encore pour la plupart de celles de l'enseignement évangélique : ainsi le van qui
purifie l'aire, la paille qui est expulsée, le blé qui demeure aux pieds du vanneur, le feu inextinguible et
l'excellent grenier (cf. Mt 3, 12), l'arbre qui porte de mauvais fruits et la menace de la cognée brandissant son
redoutable tranchant contre cet arbre (cf. Mt 3, 10), et les pierres changées en l'humaine nature (cf. Mt 3, 9)."
(Grégoire de Nysse : Homélies sur le Cantique des cantiques, Prologue, 5, Lessius, 2008, p. 40).
Commentaire de "... c'est un rayon de miel que distillent tes lèvres, mon épouse..." (Ct 4, 11)
"La parole qui vient ensuite porte l'éloge à une hauteur plus grande encore, en témoignant de la profusion des
grâces spirituelles échues à l'âme à la suite de son zèle et de son application. Le livre des Proverbes veut, en
effet, que le disciple de la Sagesse se mette à l'école de l'abeille [...] en disant aux amants de la sagesse :
"Va vers l'abeille et apprends combien elle est active et combien noble est le travail dont elle fait commerce,
elle dont rois et simples particuliers consomment les produits en vue de leur santé [Pr 6, 8a-b]. Et le texte
poursuit en disant qu'elle est digne d'être recherchée et exaltée par tous, qu'elle est, certes, dépourvue de
vigueur physique, mais qu'elle a fait grand cas de la sagesse et que, pour ce motif, elle a été érigée en modèle
de vie pour les gens vertueux : "parce qu'elle a fait grand cas de la sagesse", est-il dit, "elle a été élevée
en réputation" [Pr 6, 8c]. Ce texte conseille donc que l'on ne se tienne à l'écart d'aucun des bons enseigneemnts,
mais que plutôt, volant au-dessus du pré des paroles divinement inspirées et butinant le suc de chacune d'elles
en vue de l'acquisition de la sageesse, on se construise des rayons de cire pour pouvoir déposer dans son coeur,
comme dans une ruche, telles des alvéoles dans la cire, des coffrets étanches où amasser les diverses sortes
d'enseignements : c'est ainsi qu'à l'imitation de cette sage abeille, dont le miel est doux et le dard inoffensif,
on fera constamment commerce de ce noble travail des vertus. Car il fait commerce, en vérité, celui qui acquiert
les biens éternels en échange des labeurs d'ici-bas et qui dispense le fruit de ses labeurs tant aux rois qu'aux
simples particuliers en vue de la santé de leurs âmes, si bien qu'une telle âme devient digne d'être recherchée
par l'Epoux et d'être exaltée par les anges, elle qui réalise la force dans la faiblesse [cf. 2 Co 12, 9] pour
avoir fait grand cas de la sagesse.
Puis donc que ce sont des modèles d'instruction et d'amour du travail que présentent les descriptions relatives
à cette sage abeille, et puisque la répartition variée des charismes spirituels [cf. 1 Co 12,4] se fait en
proportion du zèle de ceux qui ont peiné, pour ces raisons le Verbe dit à l'épouse : "Ton coeur s'est rempli des
rayons de miel d'une instruction multiforme, ce qui te permet de tirer de l'excellent trésor de ton coeur
[cf. Lc 6, 45] les gouttes pleines de miel de tes paroles, en sorte qu ta parole soit un miel mêlé de lait".
Il dit en effet : "C'est un rayon de miel que distillent tes lèvres, mon épouse ; le miel et le lait sont sous ta
langue" [Ct 4, 11]. Car la parole élaborée par toi ne montre pas d'une manière uniforme son utilité à ceux qui
l'écoutent, mais elle s'adapte de façon harmonieuse à la capacité de ceux qui la reçoivent, de manière à convenir
aux plus parfaits aussi bien qu'à ceux qui sont encore de petits enfants, en se faisant miel pour les parfaits
et lait pour les petits enfants [cf. 1 Co 3, 1-2]. Tel était Paul, qui allaitait les nouveaux-nés avec les paroles
les plus tendres, mais qui, parmi les parfaits, parlait d'une sagesse mystérieuse, demeurée cachée depuis les
siècles, que ni ce monde ni les princes de ce monde ne peuvent comprendre [cf. 1 Co 2, 6-8]. Quand donc le Verbe
dit qu'une telle élaboration de miel et de lait se trouve sous la langue de l'épouse, il indique par là l'usage
opportun qu'elle fait du trésor de ses paroles : car celui qui sait "comment il faut répondre à chacun"
[Col 4, 6], ayant sous la langue cette puissance multiforme de la parole, fournit à chacun de ses auditeurs,
d'une façon adaptée, au moment opportun, ce qui lui est utile."
(Homélies sur le cantique des cantiques, Neuvième homélie, 4, Lessius, 2008,
pp. 203-204).
"Si l'Ecriture appelle Dieu le miséricordieux, si la véritable béatitude est Dieu lui-même, il est évident, par
voie de conséquence, qu’un homme qui se fait miséricordieux devient digne de la béatitude divine, car il est parvenu
à ce qui caractérise Dieu : "Le Seigneur est juste et miséricordieux, Dieu a pitié de nous." [Ps 114, 5]. Comment ne
serait-ce pas un bonheur pour l’homme que d’être appelé, grâce à sa conduite, du nom qui désigne Dieu dans son action ?"
(Les Béatitudes, V, 2, in "Les Pères dans la Foi", n° 10, Migne, p. 70).
"L’exhortation à la vertu t’invite à faire de ta vie un psaume qui ne résonne pas des bruits de la terre – par bruits,
je veux dire les pensées -, mais produise le son pur et parfaitement audible qui vient des hauteurs et des régions
célestes.
En entendant le mot "chant", nous comprenons, de manière figurée, la bonne tenue extérieure de la vie. L’air de la
mélodie qui sort des instruments de musique est seul à parvenir aux oreilles, les paroles qui sont chantées, par
elles-mêmes, ne sont pas unies aux sons, tandis que, dans le chant, l’un et l’autre sont rassemblés : ainsi en va-t-il
également de ceux qui poursuivent la vertu. Pour ceux qui mènent avec ferveur une vie morale, leur bonne tenue extérieure
est comme un langage qui publie la belle harmonie de leur vie.
La prière n’est pas affaire de mots, mais de vie."
(Sur les titres des Psaumes II, iii, 32 ("Sources chrétiennes" n° 466, Cerf, Paris 2002,
p. 281-283).
"« Tout ce que […] nous pouvons percevoir de la nature divine dépasse les limites de notre condition mais l’humilité
nous est connaturelle et nous est commune avec tous ceux qui vivent sur terre, façonnés de la glèbe à laquelle ils
retournent (cf. Gn 2,7 et 3, 19) Si donc tu imites Dieu en ce qui est conforme à ta nature et ne dépasse pas tes
ressources, il revêts comme un vêtement la forme bienheureuse de Dieu.
Qu’on ne s’imagine pas qu’il est aisé et facile d’acquérir l’humilité. Au contraire, ceci est plus difficile que
l’acquisition de toute autre vertu. Pourquoi ? Parce qu’à l’heure où se reposait l’homme qui avait semé le bon grain,
l’ennemi sema la part la plus considérable de la semence, l’ivraie de l’orgueil, qui a pris racine en nous (Mt 13, 25).
Comme celui qui se précipita dans la faute, tout le malheureux genre humain à sa suite fut entraîné dans la même chute.
Il n’existe pas de ce fait désastre plus grave pour notre nature que l’orgueil.
Comme presque tous les hommes sont naturellement portés à la superbe, le Seigneur commence les Béatitudes, en écartant
le mal initial de l’orgueil et en conseillant d’imiter le véritable Pauvre volontaire qui en vérité est bienheureux de
manière à lui ressembler, selon notre pouvoir, par une pauvreté volontaire pour avoir part à sa propre béatitude…."
(Les béatitudes, I, 4).
"[Paul] nous a révélé ce que signifie le titre de Christ, lorsqu'il nous dit que le Christ est puissance de Dieu
et sagesse de Dieu ; en outre, il l'a appelé paix et lumière inaccessible où Dieu habite, sanctification
et rédemption, grand prêtre, agneau pascal, pardon pour les âmes, lumière éclatante de la gloire, expression parfaite
de la substance, créateur des mondes, nourriture et boisson spirituelle, rocher et eau, fondement de la foi, pierre
angulaire, image du Dieu invisible, grand Dieu, tête du corps qui est l'Eglise, premier-né avant toute créature,
prémices de ceux qui se sont endormis, premier-né d'entre les morts, premier-né d'une multitude de frères, médiateur
entre Dieu et les hommes, Fils unique couronné de gloire et d'honneur, Seigneur de gloire, commencement de ce qui existe,
[...] roi de justice et ensuite roi de paix, et roi de tous les hommes, avec une puissance royale sans aucune limite.
Il y a encore beaucoup de noms à ajouter à ceux-là, et leur nombre les rend difficiles à compter. Mais si nous
rassemblons tous ces noms et si nous rapprochons leurs diverses significations, ils nous montreront tout ce que signifie
le nom de Christ, si bien que nous pourrons comprendre toute la grandeur de ce nom inexprimable.
[...] Puisque nous avons reçu communication du plus grand, du plus divin et du premier de tous les noms, au point que
nous sommes honorés du titre même de Christ en étant appelés "chrétiens", il est nécessaire que tous les noms qui
traduisent ce mot se fassent voir aussi en nous, afin qu'en nous cette appellation ne soit pas mensongère, mais qu'elle
reçoive le témoignage de notre vie."
(Traité sur la perfection chrétienne, Introduction).
"Pesant est l’or, pesant tout ce qui concourt à nous enrichir. Légère est la vertu, elle nous élève sans cesse.
Poids et légèreté s’excluent. Il n’est pas possible à qui est alourdi par la matière de se sentir l’âme légère.
Si donc nous voulons nous élever, désencombrons-nous de ce qui nous tire vers le bas, pour pouvoir atteindre Celui qui
est dans les hauteurs. Le psalmiste nous apprend comment y parvenir : "Il a semé et distribué aux pauvres ; sa justice
demeure d’éternité en éternité" [Ps 111, 9]."
(Les Béatitudes, I, 7, "Les Pères dans la foi", n° 10, p. 38.)
"L’exhortation à la vertu t’invite à faire de ta vie un psaume qui ne résonne pas des bruits de la terre – par bruits,
je veux dire les pensées -, mais produise le son pur et parfaitement audible qui vient des hauteurs et des régions
célestes.
En entendant le mot "chant", nous comprenons, de manière figurée, la bonne tenue extérieure de la vie. L’air de la mélodie
qui sort des instruments de musique est seul à parvenir aux oreilles, les paroles qui sont chantées, par elles-mêmes, ne
sont pas unies aux sons, tandis que, dans le chant, l’un et l’autre sont rassemblés : ainsi en va-t-il également de ceux
qui poursuivent la vertu. Pour ceux qui mènent avec ferveur une vie morale, leur bonne tenue extérieure est comme un
langage qui publie la belle harmonie de leur vie.
La prière n’est pas affaire de mots, mais de vie."
(Sur les titres des Psaumes II, iii, 32 (Sources chrétiennes 466, Cerf, Paris 2002, p. 281-283).
"Supposons quelqu'un qui, par la pleine chaleur de midi, chemine, la tête brûlée des rayons du soleil, toute
l'humidité de son corps aspirée par cette flamme, le sol est rude que foulent ses pieds, la route est rocailleuse,
aride. Mais voici tout à coup qu'il rencontre une fontaine dont les eaux sont limpides et coulent transparentes ;
ses flots en abondance lui offrent doucemnt d'étancher sa soif. Va-t-il s'asseoir près de cette source et se mettre à
philosopher sur sa nature, à en scruter l'origine, le comment et le pourquoi, examinant avec soin les questions que
se posent les faiseurs de vains discours, à savoir qu'une vapeur venue d'en haut, dans les profondeurs de la terre
bondit et devient un filet d'eau, ou que les veines de la terre, débordant des profondeurs d'en bas, s'écoulent pour
jaillir en source ? Ou plutôt, congédiant tout cela, ne se penchera-t-il pas pour approcher ses lèvres des eaux vives,
rafraîchir sa bouche, combler son désir et remercier celui qui lui a fait ce don ?
Imite donc, à ton tour, cet assoiffé. Rappelle-toi ce qui a été dit et comme on l'a dit : Heureux ceux qui
ont soif [Mt 5, 6]"
(Sermon pour son ordination in "Les Pères dans la foi", n° 46, Migne, 1991, pp. 60-61).
"La santé du corps est un bien pour la vie humaine. Or, on est heureux non seulement de connaître la définition de la santé, mais de vivre en bonne santé. Car si un homme fait l'éloge de la santé et prend une nourriture malsaine qui lui gâte le sang, quel profit trouvera-t-il à ces éloges tandis qu'il est tourmenté par la maladie ? Comprenons de la même manière l'affirmation que nous avons discutée. Le Seigneur Jésus ne dit pas qu'on est heureux de savoir quelque chose au sujet de Dieu, mais qu'on est heureux de le posséder en soi-même. En effet, heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu. Il ne pense pas que Dieu se laisse voir face à face par celui qui aura purifié le regard de son âme. Mais peut-être la noblesse de cette parole nous suggère-t-elle ce qu'une autre parole exprime plus clairement : Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous. Voici ce qu'elle nous enseigne : celui qui a purifié son coeur de toute créature et de tout attachement déréglé voit l'image de la nature divine dans sa propre beauté." (Homélie sur les Béatitudes, 6).
Qu'est-ce que se dire chrétien ?"
"Il est bien possible qu'en cherchant à répondre à cette question, nous ne perdions pas notre temps. Car si nous arrivions
à trouver précisément la signification de ce nom, cela nous aiderait grandement à vivre d'une manière vertueuse en
nous efforçant par une conduite élevée d'être véritablement ce dont nous portons le nom. C'est un peu comme si
quelqu'un avait le désir de se voir appeler médecin ou rhéteur ou géomètre, il n'accepterait pas que ce titre lui
soit contesté sous le prétexte d'incompétence, parce qu'à l'expérience on ne l'aurait pas trouvé tel qu'on le nomme.
Tout au contraire, celui qui veut que l'un de ces titres lui soit reconnu, pour que cette appellation ne soit pas
entachée de fausseté, authentifiera cette façon de l'appeler en exerçant son art. C'est la même chose pour nous. Si nos
recherches nous amenaient à trouver ce que vise véritablement la professiond e foi chrétienne, nous ne choisirions
pas de ne pas être ce que ce nom annonce à notre propos..." (La profession chrétienne)
"Si tu purifies par un effort de vie parfaite, les souillures attachées à ton coeur, la beauté divine brillera
de nouveau en toi. C'est ce qui arrive avec un morceau de fer, lorsque la meule le débarrasse de sa rouille.
Auparavant il était noirci, et maintenant il brille et rayonne au soleil.
De même l'homme intérieur, que le Seigneur appelle "le coeur", lorsqu'il aura enlevé les taches de rouille qui altéraient
et détérioraient sa beauté, retrouvera la ressemblance de son modèle, et il sera bon. Car ce qui ressemble à la Bonté
est nécessairement bon.
Donc celui qui se voit lui-même découvre en soi l'objet de son désir. Et ainsi celui qui a le coeur pur devient heureux
parce que en découvrant sa propre pureté, il découvre, à travers cette image, son modèle. Ceux qui voient le soleil dans
un miroir, même s'ils ne fixent pas le ciel, voient le soleil dans la lumière du miroir aussi bien que s'ils regardaient
directement le disque solaire. De même vous, qui êtes trop faibles pour saisir la lumière, si vous vous retournez vers
la grâce de l'image établie en vous dès le commencement, vous possédez en vous-même ce que vous recherchez."
(Homélies sur les Béatitudes, 6).
"Ceux qui filtrent le vin n'en méconnaissent pas l'utilité, et une fois purifié, ils boivent du bon vin. De même, attentif et conscient de ce qui est étranger à notre nature, le Verbe avec la finesse de sa psychologie n'a pas exclu la faim de notre vie, parce qu'elle en assure la conservation ; mais il l'a filtrée, lui aussi, en rejetant le superflu, en disant : celui-là connaît le pain de vie qui concilie la parole de Dieu et les besoins de la nature." (Homélies sur les Béatitudes, 4, Migne - Les Pères dans la foi, pp. 62-63).
"Puisque nous avons reçu communication du plus grand, du plus divin et du premier de tous les noms, au point que nous sommes honorés du titre même de Christ en étant appelés "chrétiens", il est nécessaire que tous les noms qui traduisent ce mot se fassent voir aussi en nous, afin qu'en nous cette appellation ne soit pas mensongère, mais qu'elle reçoive le témoignage de notre vie." (Traité sur la perfection humaine)
"L’impression que l’on éprouve lorsque, du haut d’un promontoire, lorsqu’on jette les yeux sur l’immensité de la mer,
mon esprit la ressent quand, du haut des paroles escarpées du Seigneur, comme du sommet d’une falaise, il contemple
l’abîme infini de ses contours.
On voit souvent au bord de la mer, s’élever un de ces éperons rocheux qui offrent aux flots une surface abrupte du
haut jusqu’en bas et dont la crête surplombe l’abîme. Le vertige que l’on ressent de cette hauteur, en jetant les yeux
sur les gouffres marins, mon âme l’éprouve aussi aujourd’hui, où cette grande parole du Seigneur la dresse au-dessus
des abîmes : Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu [Mt 5, 8]." (Grégoire de Nysse : Les
Béatitudes, VI, 1-2, in « Les Pères dans la Foi » n° 10, Migne, pp. 81-82).
"…de commencements en commencements, vers des commencements qui n'ont pas de fin", (8e Homélie sur le Cantique des cantiques)
"Celui qui monte ne s'arrête jamais, allant de commencement en commencement, et le commencement des biens toujours plus grands n'a jamais de fin. Jamais le désir de celui qui progresse ne s'en tient au bien déjà connu : un autre désir, plus intense, puis un autre, encore plus profond, par la suite, poussent l'âme qui s'élève sans cesse sur la route de l'infini, par des biens toujours supérieurs." (Le Cantique des Cantiques, Homélie 8)
"De deux aveugles, l'un est né avec cette infirmité, l'autre a connu la lumière mais a perdu
la vue dans un accident malencontreux. Le sort ne les fait pas souffrir de la même manière.
Celui qui sait ce qui lui fait défaut souffre de se voir dépossédé de la vue ; l'autre qui n'a
jamais connu jusqu'à présent pareil bienfait, passera sa vie sans s'affliger ; comme il a
toujours vécu dans l'obscurité, il ne s'imaginera pas être privé d'un bien.
Le premier aspirera passionnément par tous les moyens à retrouver le bienfait de la lumière pour
obtenir ce dont il se sait privé cruellement. Le second vivra dans la nuit, jusqu'à sa
vieillesse, et, faute d'avoir connu la lumière, considère son état comme un bien.
Il en est de même de celui qui a compris quels sont les véritables biens, en même temps que sa
misère - il se considèrera malheureux et sera dans la tristesse, parce qu'actuellement il a
perdu ce bien.
Ce ne sont pas les larmes que le Verbe appelle bienheureuses mais la connaissance du bien et la
douceur de se savoir privé de ce qu'on cherche." (Les Béatitudes, 3e Béatitude, 3)
"Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi notre texte appelle bienheureux ceux qui souffrent, car ils seront consolés pour l'éternité. Nous puisons la consolation dans la communion avec le Consolateur." (Béatitudes, 3e Béatitude, 6).
Guerric d'Igny"Dieu est ineffable, ineffable aussi sa miséricorde. Tel son Nom, telle aussi son oeuvre. Totalement ineffable est
la condescendance de la divine charité à notre endroit. C'était peu pour le Père d'avoir livré son Fils pour racheter
l'esclave, s'il ne donnait encore l'Esprit-Saint afin d'adopter cet esclavec comme fils. Il a donc donné son Fils pour prix
du rachat, il a donné l'Esprit comme titre particulier d'adoption, et il se réserve enfin d'être lui-même tout entier
l'héritage de ses fils adoptifs. Voici que Dieu, s'il est permis de parler ainsi, se fait prodigue de lui-même par désir de
l'homme ! N'est-ce pas être prodigue que de donner non seulement ses biens, mais encore soi-même, et cela non pas tant pour
rentrer en possession de l'homme, que pour rendre l'homme à lui-même ! Dieu n'est-il pas prodigue "en n'épargnant pas son
Fils, et en le livrant pour nous tous" (Rom. 8, 32) ? et de même en n'épargnant pas l'Esprit-Saint, si je puis dire, et en
le répandant sur toute créature avec une largesse extraordinaire et stupéfiante" (Joël 22, 28) ? Certes l'enfant prodigue
s'était bien dilapidé lui-même en se donnant, lui et son patrimoine, à des prostituées ! Mais pour recouvrer son fils perdu,
le père fut bien plus prodigue encore que le fils ne l'avait été pour se perdre (Lc 15, 11-32), si tant est que l'on puisse
établir une comparaison entre la grâce et l'argent, l'esprit et la chair, Dieu et l'homme !"
(1er sermon pour la Pentecôte, Sermons II, Les Editions du Cerf, Sources chréiennes n° 202, 1973, p. 283.)
"Comme il est écrit, un espoir différé afflige l’âme [Pr 13, 12]. Mais, bien que lasse de voir son désir retardé, elle reste très
confiante, en raison de la promesse. Espérant en Dieu et même débordant d’espérance, j’ajouterai espoir sur espoir, de même que
s’ajoutent sans cesse tribulation sur tribulation, délai sur délai. Car je suis certain que [Dieu] apparaîtra à la fin et ne nous
trompera pas. C’est pourquoi, même s’il se fait attendre, je l’attendrai, car il viendra sans aucun doute et ne tardera pas au-delà
du temps déterminé et opportun. Mais quel est-il ce temps opportun ? Celui où sera complet le nombre de nos frères, où sera achevé
le délai de miséricorde accordé pour le repentir..."
(Sermon I pour l’Avent , 2 ; SC 166, p. 95).
"Lève-toi, resplendis, Jérusalem, car elle est venue, ta lumière !" (Is 60, 1).
Ce jour des lumières que nous célébrons aujourd'hui fut pour nous revêtu de lumière et sanctifié par Celui qui est Lumière de Lumière ;
car en ce jour, lui qui était encore caché et inconnu, il daigna se révéler au monde pour illuminer toutes les nations. Aujourd'hui**,
en effet il se révéla aux Chaldéens au moyen d'un astre nouveau, lorsque dans ces prémices il inaugura la foi de tous les peuples
(Mt 2, 1-12).
Aujourd'hui**, il se révéla aux Juifs, non plus seulement sur le témoignage de Jean, mais sur celui du Père et de l'Esprit-Saint,
quand, par son baptême dans le Jourdain, il consacra le baptême de tous (Jn 1, 29-34). Aujourd'hui**, il manifesta sa gloire devant
ses disciples, lorsque; par le changement de l'eau en vin, il préfigura le mystère ineffable où, sur sa parole, la substance des êtres
est changée (Jn 2, 1-11). Aussi, prévoyant que la foi de l'Eglise serait illuminée par ces différentes manifestations de Dieu,
l'Esprit-Saint l'exhorte en ces termes, sous la figure de Jérusalem : "Lève-toi, resplendis, Jérusalem, car elle est venue,
ta lumière !" Elle était venue, en effet, la lumière ; elle était dans le monde, et le monde fut fait par elle, et le monde ne
l'a pas connue (Jn 1, 10). L'enfant était né, mais il resta inconnu, jusqu'à ce que ce jour de lumière commençat à le révéler."
(IIe Sermon pour l'Epiphanie, 1).
[** L'Epiphanie est la manifestation de Dieu à la fois aux peuples païens, que dit la visite des mages venus d'Orient ; la manifestation aux disciples juifs lors du baptême de Jésus par Jean-Baptiste, alors que "la voix du Père se fait entendre" et que l'Esprit se montre sous la forme d'une colombe ; la manifestation lors des noces de Cana, du mystère eucharistique où des substances, en l'occurence la boisson ordinaire et nécessaire de l'homme, l'eau, changée en vin pour la fête, annonce le Christ devenu désormais notre nourriture et notre boisson, pour la vie éternelle.]
"A chaque moment, la miséricorde s'est faite prévenante : elle avait prévenu la décision d'avouer, en l'inspirant
[le fils au loin avant de retourner vers son Père] ; elle a prévenu de même la parole d'aveu, en faisant grâce de
ce qu'il fallait avouer. 'Tandis qu'il était encore loin, dit le texte, son père l'aperçut ; il fut touché
de compassion, courut au-devant de lui, se jeta à son cou et l'embrassa' [Lc 15, 20]. A prendre le récit à
la lettre, le père était plus pressé d'accorder le pardon à son fils que celui-ci de le recevoir ! Si grande était
sa hâte de libérer le coupable de son remords qu'on dirait que ce père miséricordieux souffrait plus de sa
commisération que son misérable fils ne souffrait de sa propre misère ! En parlant ainsi, nous n'entendons pas prêter
des sentiments humains à Celui dont la nature est immuable ; nous voulons seulement que notre amour se fasse plus
tendre envers la souveraine Bonté dont nous apprenons par cette parabole humaine qu'elle nous aime plus que nous
ne nous aimons nous-mêmes.
Mais voyez comment la grâce a surabondé là où avait abondé la faute ! [Rom 5, 20]. C'est à peine si le coupable
pouvait espérer son pardon, et voici que son juge, que dis-je, non plus son juge mais son avocat, le comble de grâce :
'Vite dit-il, apportez-lui sa robe première et l'en revêtez. Mettez-lui l'anneau au doigt et
les chaussures aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voici était mort
et il est revenu à la vie' [luc 15, 22-23]".
("Sermon pour le Samedi de la IIe semaine de Carême sur l'enfant prodigue", 1-2, SC n° 202,
pp. 27-29).
"C'est pour entendre la parole de Dieu que vous vous êtes réunis mes frères ; mais voici que Dieu nous a
préparé mieux : il nous est donné aujourd'hui, non seulement d'entendre, mais de voir la parole de Dieu,
si toutefois nous allons à Béthléem voir la "parole" que le Seigneur a accomplie et qu'il nous a montrée
(cf. Lc 2, 15). Dieu le savait, les sens de l'homme sont inaptes à saisir l'invisible, rebelles aux influences
célestes et réfractaires à la foi, à moins que l'objet proposé à la foi ne soit lui-même présenté visiblement à
ces sens pour les convaincre. C'est qu'en effet, si la foi naît de l'audition (cf. Rom 1., 17), elle naît bien
plus facilement et plus promptement de la vision, comme nous l'apprend l'exemple de celui qui s'entend dire :
"C'est parce que tu m'as vu que tu as cru" (Jn 20, 29), toi qui étais demeuré incrédule à la seule audition.
Comme, en effet, il est plus difficile de croire ce qu'on entend dire sans le voir, il est juste que le
Seigneur proclame bienheureux ceux qui croient sans avoir vu : ils ont fait davantage crédit à l'autorité de
la parole qu'à l'expérience de leurs propres sens ou de leur raison. Dieu néanmoins, dans sa volonté de
s'accommoder de toutes manières à ntore faiblesse, après avoir d'abord rendu audible son Verbe, nous l'a
aujourd'hui rendu visible aussi, et même palpable, de sorte que certains d'entre nous ont pu dire :
"Ce qui a été dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, que nous avons
contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie" (I Jn 1, 1). Il a été dès le commencement de cette
éternité qui n'a pas de commencement ; nous l'avons entendu lorsqu'il fut promis au commencement du temps ;
nous l'avons vu et touché de nos mains lorsqu'il fut présent à la fin du temps."
(Guerric d'Igny : Ve Sermon pour la Nativité, 1).
""Lève-toi, resplendis, Jérusalem, car elle est venue, ta lumière [Is 60, 1] !"
Ce jour des lumières que nous célébrons aujourd'hui futpour nous revêtu de lumière et sanctifié par Celui qui est
Lumière de Lumière ; car en ce jour, lui qui était encore caché et inconnu, il daigna se révéler au monde pour
illuminer toutes les nations. Aujourd'hui, en effet, il sse révéla aux Chaldéens au moyen d'un astre nouveau, lorsque
dans ces prémices il inaugura la foi de tous les peuples [cf. Mt 2, 1-2].
Aujourd'hui, il se révéla aux Juifs, non plus seulement sur le témoignage de Jean, mais sur celui du Père et de
l'Esprit-Saint, quand, par son baptême dans le Jourdain, il consacra le baptême de tous [Mt 3, 13-17 ; Jn 1, 29-34].
Aujourd'hui, il manifesta sa gloire devant ses disciples, lorsque par le changement de l'eau en vin, il préfigura
le mystère ineffable où, sur sa parole, la substance des êtres est changée [Jn 2, 1-11]. Aussi, prévoyant que la foi
de l'Eglise serait illuminée par ces différentes manifestations de Dieu, l'Esprit-Saint l'exhorte en ces termes, sous
la figure de Jérusalem : "Lève-toi, resplendis, Jérusalem, car elle est venue ta lumière !". Elle était venue,
en effet, la lumière ; elle était dans le monde, et le monde fut fait par elle, et le monde ne l'a pas connue [Jn 1, 10].
L'enfant était né, mais il resta inconnu, jusqu'à ce que ce jour de lumière commençât à le révéler. "O Jérusalem
nouvelle, dit par conséquent le prophète, grande cité du nouveau roi, montagne de Sion, parois de l'Aquilon [Ps 47, 3]
- c'est-à-dire, toi qui dois être construite avec ces deux murs que sont la circoncision et l'incirconcision -,
lève-toi, resplendis, car elle est venue, ta lumière !" Levez-vous, vous qui êtes assis dans les ténèbres ! Regardez
la lumière qui s'est levée dans les ténèbres, mais que les ténèbres n'ont pas saisie ! Approchez-la, et vous serez
illuminés ! Dans sa lumière, vous verrez la lumière [Ps 35, 10], et l'on vous dira : "Autrefois vous étiez ténèbres ;
désormais vous êtes lumière dans le Seigneur" [Ep. 5, 8]. Regardez la lumière éternelle, qui s'est accommodée à
votre vue : celui qui habite une lumière inaccessible [1 Tm, 5, 16] s'est rendu accessible à vos yeux faibles et
chassieux. Découvrez la lumière dans une lampe d'argile, le soleil dans une nuée, Dieu dans un homme, la splendeur
de la gloire et l'éclat de la lumière éternelle dans votre chair, ce vase de boue !" [Sag, 7, 26]."
(IIe Sermon pour l'Epiphanie, 1).
""Voici le jour que le Seigneur a fait, tressaillons d'allégresse et réjouissons-nous en lui !" [Ps 117, 24]. Attendons
-le, en tressaillant d'allégresse, afin de le voir et de nous réjouir de sa lumière. Abraham exuta à la pensée de voir
le jour du Christ, et il mérita ainsi de le voir et de s'en réjouir [Jn 8, 56].
Il te faut donc, toi aussi, veiller chaque jour aux portes de la Sagesse, faire le guet aux portes de sa demeure [Prov. 8,
34], et, avec Madeleine, monter la garde sans dormir à la porte du tombeau du Christ ; alors j'en suis sûr, tu éprouveras
avec elle, Marie, combien est vrai ce qu'on lit dans l'Ecriture au sujet de la Sagesse en personne, qui est le Christ :
"Ceux qui l'aiment la contemplent sans peine, et elle se laisse découvrir par ceux qui la cherchent. Elle va au-devant
de ceux qui la désirent pour se montrer à eux la première. Qui la cherchera dès l'aurore n'aura pas à peiner, car il la
trouvera assise devant sa porte" [ Sag. 6, 13-15]. Lui-même a fait semblable promesse : "J'aime ceux qui m'aiment, et
ceux qui veillent dès le matin pour me chercher me trouveront." [Prov. 8, 17] C'est ainsi que Marie, venue au tombeau
tandis qu'il faisait encore nuit, trouva Jésus corporellement présent, lui pour qui elle veillait. Toi, il est vrai,
tu ne dois pas désormais connaître Jésus selon la chair [II Cor 5, 16], mais selon l'esprit. Mais tu le trouveras
spirituellement si tu le cherches avec un désir semblable à celui de Marie, et s'il te voit comme elle veiller assidûment
dans la prière. Aussi, avec le désir et l'amour de Marie, dis au Seigneur Jésus : "Pendant la nuit, mon âme t'a désiré,
et mon esprit s'est ému au-dedans de moi. Dès le matin, je veillerai pour toi." [Is 26, 9]. Dis avec l'accent et l'âme
du Psalmiste : "Dieu, mon Dieu, mon âme te cherche dès l'aurore, mon âme a soif de toi !" [Ps 62, 2] Vois enfin s'il
ne te serait pas donné de chanter avec l'un et l'autre : "Dès le matin nous sommes rassasiés de ta miséricorde, nous
avons été dans la joie, et nous avons goûté le bonheur." [Ps 89, 14].
(3e Sermon pour la Résurrection, 2, in Sermons, II, Sources
Chrétiennes, n° 202, p. 249-251).
"Qu'apporterons-nous au Seigneur ?
Le disciple du Christ, le fils de Pierre m'objecte [...] : "Je n'ai ni or, ni argent, ni sacs remplis de ces produits
exotiques que sont la myrrhe et l'encens." Te présenteras-tu donc les mains vides devant le Seigneur, sans honorer d'aucun
présent le berceau du nouveau roi ? Ô riche pauvreté ! Ô nudité opulente ! Si toutefois tu es chrétienne et volontaire !
N'as-tu pas, en effet, abondance de richesses, non seulement de l'or, mais de l'or fin passé au feu ; non seulement de la
myrrhe et de l'encens, mais encore toutes les poudres des parfumeurs [Cant des Cant., 3, 6] ? Bien mieux, qui donc
pourrait regorger de telles richesses, sinon les pauvres du Christ ? [...]
Ô vous, les âmes timides, pourquoi ne pas vous enorgueillir avec moi de ces biens ? Le maître de l'humilité ne condamne
pas un tel orgueil ; il le récompense au contraire, pourvu que tu sois assez magnanime en ton mépris du monde pour
regarder de haut toute sa gloire sans en faire aucun cas, à cause de l'amour et de la gloire de ton dénuement. Tu es bien
riche, si tu te glorifies dans la pauvreté ; et les félicitations de l'Apôtre valent aussi pour toi : "Je rends grâce,
dit-il, à mon Dieu, de ce que vous avez été, en lui, comblés de toutes les richesses, celles de la parole et celles de la
science, car ainsi rien ne vous manque en fait de grâce [I Co, 1, 4-7]". [...]
Assurément, au nombre de ces richesses pour lesquelles Paul félicitait ses disciples, je ne doute pas qu'on trouvera de
l'or, de l'encens et de la myrrhe, à présenter au Christ nouveau-né en offrande digne et agréable. [...]
Je voudrais que tu creuses en toi-même, car les trésors précieux sont d'ordinaire cachés dans les profondeurs de la terre.
C'est dans un champ qu'il était caché, ce trésor qui contraignit un homme à vendre tous ses biens par désir de l'acquérir
[Mt 13, 44] ; et les dix Israélites échappèrent au glaive du meurtrier en prétendant avoir des trésors cachés dans un
champ [Jér. 41, 8].
Ô que de trésors de bonnes oeuvres, que de richesses en fruits de piété sont cachés dans ce champ qu'est le corps humain,
et combien davantage encore dans le secret du coeur ! [...]
... je prétends que la raison et les dispositions naturelles de l'homme sont, avec l'aide de la grâce, une pépinière de
toutes les vertus. Si donc tu rentres dans ton coeur [cf. Is 46, 8], si tu disciplines ton corps [cf. I Tim. 4, 8], alors n'en
doute pas, tu trouveras des trésors d'un grand prix. Si tu ne découvres pas aussitôt l'or et l'encens, il y aura du moins
la myrrhe, qui n'est pas sans utilité. Ne la déclare pas, toi, inutile ou de peu de valeur, puisque le Christ l'accepta
comme présent, lui qui voulut, non seulement qu'elle préfigurât sa sépulture lorsqu'on lui en offrit, mais aussi qu'elle
servît à l'accomplir lorsqu'on l'embauma."
(Guerric d'Igny : 1er Sermon pour l'Epiphanie, 1-2 (extraits) in Sermons I, SC 166, pp. 239-243).
"Voici venue désormais la plénitude du temps (Gal. 4, 4).
Cherche la plénitude du temps dans la profusion, non des biens temporels, mais des biens éternels, non des récoltes
des champs, mais de celles des cieux. Si les cieux répandent d'en haut leur rosée et que les nuées font pleuvoir le juste,
si la terre germe le Sauveur et que la justice naît avec lui (Is 45, 8), si enfin ces jours du Seigneur voient naître
non seulement la justice, mais encore l'abondance de la paix (Ps 71, 7), ne sois pas en quête de temps plus heureux.
Le royaume de Dieu n'est en effet rien d'autre que la justice et la paix, avec la joie dans l'Esprit-Saint (Rm 14, 17)
qui en résulte. Même pour les temps que nous vivons, un tel état de choses est considéré comme le meilleur et le plus beau
: d'une part la justice règle les moeurs ; de l'autre, l'abondance, unie à la paix, procure une vie tranquille et joyeuse.
Enfin, la terre est emplie de la miséricorde du Seigneur (Ps 32, 5), le Seigneur a couronné l'année de ses bienfaits et
ses champs regorgent (Ps 64, 12) de toute grâce spirituelle."
(4e Sermon pour la Nativité, 1, SC n° 166, pp. 205-207).
"Comme l'Eglise, dans la personne des anciens justes, attendit le premier avènement, de même dans les justes qui sont
venus ensuite, elle attend maintenant le second. Si dans l'un elle était assurée du prix de la rédemption à venir, dans
l'autre, elle est certaine du prix qui sera sa récompense. Et ainsi, suspendue par cette espérance au-dessus des biens
temporels, elle soupire avec autant. de bonheur que d'ardeur après ceux du ciel. Lors donc que d'autres se précipitent
pour trouver leur bonheur dans les biens présents, et courent, sans tenir compte des avertissements du Seigneur, pour
enlever, comme une proie, les biens de ce monde, "Heureux l'homme dont le nom du Seigneur forme l'espérance, et qui n'a
point jeté les yeux sur les vanités et les fausses folies" (Ps 39,5), qui s'éloigne des vices des pécheurs comme des choses
immondes, "sachant qu'il vaut mieux être humilié avec les doux que partager des dépouilles avec les superbes" (Pr 16,19).
Cet heureux personnage se console en se disant intérieurement : "Le Seigneur est mon héritage, mon âme l'a dit. C'est
pourquoi je l'attendrai. Le Seigneur est bon pour ceux qui mettent en lui leur espoir, pour l'âme qui le cherche. Il est
bon d'attendre en silence le salut de Dieu" (Lm 3,24). Oui, Seigneur, mon âme est tombée en défaillance dans l'attente
de votre saint, mais j'en ai conçu une espérance plus grande encore dans vos paroles. "L'espérance» dont la satisfaction
est différée, afflige l'âme" (Pr 13,12). Mais bien que le délai la fatigue, elle est certaine de l'offre de la première.
Plein d'espérance en Dieu seul, j'espérerai encore plus et j'ajouterai l'espérance à l'espérance, comme la tribulation
s'ajoute à la Tribulation, et le délai au délai. Je suis certain, en effet, "qu'il apparaîtra à la fin et qu'il ne mentira
point" (Ha 2, 3). Ainsi, il peut tarder à venir, je l'attendrai néanmoins, "parce qu'il arrivera et ne différera pas"
au-delà du temps fixé ou du jour convenable. Quelle est cette époque opportune ? C'est celle où sera rempli le nombre de
nos frères, et où seront consommées les années accordées pour faire pénitence. Entendez le prophète Isaïe, qui fut souvent
admis aux conseils d'en haut, expliquer pourquoi le Seigneur diffère le jugement. "Le Seigneur"; s'écrie ce saint
personnage, "attend, afin d'avoir pitié de vous et aussi, il sera exalté, en vous épargnant : parce que le Seigneur est
le Dieu du jugement. Bienheureux tous ceux qui l'attendent." (Is 30,18)."
(Guerric d'Igny : 1er Sermon sur l'Avènement du Seigneur, 2).
"L'impur passera-t-il par la voie sainte ? A Dieu ne plaise ! Quelque souillé qu'il soit en y venant, ce n'est
pourtant pas souillé qu'il y passera ; car, dès lors qu'il y passe, aussitôt il n'est plus souillé. La voie sainte,
en effet, est ouverte à l'homme encore souillé ; mais, aussitôt introduit, elle le purifie en effaçant tout ce qu'il a
commis, tel un second baptême de pénitence. Ici, en vérité, ce n'est pas Jean, mais Jésus qui baptise (Jn 1, 33) du
baptême de pénitence. Ici nous est accessible la source de la maison de David pour l'ablution du pécheur et de la femme
souillée (Zacharie 13, 1). Cette voie accueille donc celui qui est souillé, mais elle ne le laisse point passer ainsi,
car elle est la voie étroite (Mt 7, 14) et, pour ainsi dire, le trou resserré où le serpent en mue peut s'engager avec
sa vieille peau, mais dont il ne peut sortir avec elle : il ressort de l'étroit passage renouvelé et mieux vêtu de sa
nudité même, débarrassé de son ancienne saleté. C'est donc avec raison qu'on nous demande d'imiter la prudence du serpent,
puisque nous ne pouvons être renouvelé autrement qu'en étant mis à l'étroit dans un passage resserré."
(Ve Sermon pour l'Avent, 5, Sources chrétiennes n° 166, p. 161).
"Le Christ Seigneur, il ne s’agit pas seulement de l’inviter, mais de l’attirer, par la violence de la prière et par
la véhémence de la ferveur, dans l’hôtellerie du cœur, suivant l’exemple des deux disciples dont l’Evangile nous
rapporte l’histoire. Et lui, s’il fait parfois semblant d’aller plus loin (Lc 24, 28), ce n’est assurément pas pour
autre chose que pour éprouver la ferveur de ta charité. De même, les deux anges faisaient semblant de refuser, tandis
que Loth, les ayant salués, les conjurait d’entrer. "Pas du tout, disaient-ils, nous resterons sur place !"
Mais que dit ensuite l’Ecriture Loth les contraignit avec force pour les amener chez lui (Gn 19, 2-3). Pieuse violence,
qui s’empare du Royaume des cieux (Mt 11, 12) ! Louable importunité, qui nous permet d’obtenir pour hôte le Christ ou
des anges !
Toi aussi, si le souffle de la grâce semble s’éloigner de toi, ne désespère pas, mais insiste avec importunité jusqu’à *
ce qu’il réponde : Grande est ta foi ! Qu’il te soit fait selon ta demande (Mt 15, 28).
(Troisième Sermon pour l’Avent, 3, SC 166, p. 129).
"... lorsque tu invites Jésus, prends garde à ne pas inviter le Dieu de Majesté dans une hôtellerie sordide et indigne,
où tu ne peux toi-même habiter dans le calme à cause d'une épouse acariâtre, ou de la fumée, ou de la pluie qui pénètre
[Prov. 19, 13 ; 27, 15]. Sa demeure ne peut être ailleurs que dans la paix [Ps 75, 3], et seuls la justice et le jugement
lui préparent un trône [Ps 88, 15]. "Voici, est-il écrit, qu'ils me cherchent de jour en jour et veulent connaître mes
voies, comme une nation qui aurait pratiqué la justice et n'aurait pas abandonné le droit de son Dieu." [Is 58, 2]
"La justice et le droit, est-il encore écrit, lui préparent un trône." Ne cherche pas à t'excuser, disant qu'il est
trop coûteux et trop au-dessus des ressources de ta pauvreté de préparer une demeure à un hôte si noble et si puissant.
Tu as sous la main ce qu'il te faut pour cela. Je ne dirai rien qui dépasse les forces humaines, en raison de l'infirmité
de ta chair [Rm 6, 19], ou plutôt de l'étroitesse de ton esprit. Fais des aveux complets pour le passé, et aie bonne
volonté pour l'avenir, puisque la paix est promise aux hommes de bonne volonté [Lc 2, 14] ; et par ce jugement et cette
justice, tu auras préparé un trône au Très-Haut."
(Troisième Sermon pour l'Avent, 4).
"Combien misérable, combien stupide et sot, mieux encore, combien hostile et nuisible à soi-même, l'animal qui se laisse
frustrer de ce jour qui est bon et laisse échapper une parcelle du don qui est bon ! Par là, il se rend étranger à
la grâce céleste qui lui est proposée, et laisse passer, le coeur triste et à jeûn, le jour de la réfection et de la
joie parfaite. C'est comme si la plénitude surabondante du temps n'était pas encore venue, comme si le pain céleste
n'avait pas encore empli les crèches des simples et des humbles. La Sagesse vise un tel homme, hostile et nuisible à
soi-même, ingrat et insolent vis-à-vis de Dieu, lorsqu'elle dit : "L'oeil mauvais se tourne vers le mal et ne sera pas
rassasié de pain. Il restera affamé et triste devant sa table" [Siracide 14, 10]. Pourquoi son âme ne sera-t-ele pas rassasiée
de pain ? Parce que son oeil se tourne vers le mal. Et son oeil ne se retournera pas non plus pour voir le bien, pour
contempler avec piété et avec foi les mets qui lui sont servis à la large table du riche. "Funeste en effet, est-il écrit,
l'oeil de l'envieux : il détourne sa face et méprise son âme." [Sir. 14, 8].
N'en doutons pas, mes frères, si nous ne détournons pas notre face de la contemplation de celui qui gît dans la crèche,
nous pouvons, par le seul regard, être bienheureusement nourris, et nous dirons : "Le Seigneur me nourrit et rien ne me
manquera ; il m'a placé ici dans un vrai paturage" [Ps 22, 1-2]. Alors nous saurons clairement qu'est venue la toute
désirable plénitude du temps auquel Dieu a envoyé son Fils, grâce à qui nous sommes déjà remplis d'une telle plénitude
de biens..." (4e Sermon pour la Nativité, 5).
"... si tu as préparé au Seigneur une voie immaculée, il daignera souvent y poser ses pas et allongera tes propres pas, pour que, le coeur dilaté, tu coures dans la voie des commandements, dont tu te plaignais peut-être de trouver étroite l'entrée. C'est que la Sagesse, selon son propre témoignage, se promène sur les sentiers de la justice ; et "qui se saisit de la justice, la trouvera, et elle viendra à sa rencontre comme une mère très honorée" [Sir 15, 1-2]. Elle s'en va partout à la recherche de ceux qui sont dignes d'elle, et "sur ses sentiers elle leur montre un visage joyeux, allant au-devant d'eux en toute prudence." [Sag 6, 17]. Si tu as à te plaindre de ce qu'elle ne vient à toi que rarement ou jamais, examine si tu n'aurais pas corrompu ta voie..." (Troisième Sermon pour l'Avent, 3).
« ... puisqu’il ne faut pas que le délai imposé à l’espérance attiédisse notre foi ou rende inquiète notre patience,
et que nous devenions alors semblables à ceux qui croient pour un temps et qui se retirent au moment de la tentation,
voilà ce que nous crie du haut du ciel celui qui donne la foi, puis l’ayant donnée, l’éprouve, et enfin, l’ayant éprouvée,
la couronne : "Que celui qui croira ne soit pas pressé" [Is 28, 16], à savoir : de contempler l’objet de sa foi.
En effet, si nous espérons une chose que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons avec patience. [...] Oui, attendre
vraiment le Seigneur, c’est lui conserver notre foi, et quoique privés de la consolation de sa présence, ne pas suivre
le séducteur, mais demeurer suspendu à son retour."
(Premier Sermon pour l’Avent, 3 ; SC 166, p. 99).
"... Sois prêt; véritable Israël, à aller à la rencontre du Seignuer ! Non seulement sois prêt à lui ouvrir lorsqu'il sera là et frappera à la porte, mais encore va-t'en allègrement et joyeusement à sa rencontre tandis qu'il est encore loin, et ayant pour ainsi dire pleine confiance pour le jour du jugement, prie de tout coeur pour que son règne vienne. Si donc tu veux alors être trouvé prêt, prépare-toi avant le jugement une justice comme le conseille le Sage. Sois donc prêt à accomplir toute bonne oeuvre [Tite 3, 1], et ne le sois pas moins à endurer tous les maux, afin que ta bouche puisse chanter, sans que ton coeur le démente : "Mon coeur est prêt, ô Dieu, mon coeur est prêt !" Prêt avec ton secours à accomplir toute justice, et prêt à supporter toute injustice ; si bien prêt aux deux, que je chanterai et que je psalmodierai dans ma gloire [Ps 107, 2], c'est-à-dire que pour l'un et l'autre je me répandrai en louange et me glorifierai." (Troisième Sermon pour l'Avent, 2 ; SC 166, pp. 123-125).
"Si donc tu t’es enfui au loin et t’es fixé au désert [Ps 54, 8], restes-y, et attends là celui qui te sauvera de la pusillanimité d’esprit et de la tempête [Ps 54, 9]. Quelles que soient les guerres qui fondront sur toi en tempête, quelle que soit la pénurie dont tu auras à souffrir au désert, même en fait de nourriture, ne retourne pas en Egypte par la pensée, cédant à la pusillanimité d’esprit. Le désert te nourrira mieux avec la manne, je veux dire avec le pain des anges, que l’Egypte avec des marmites pleines de viande [Ex 16, 3-4]. Au désert, Jésus, lui, jeûna ; mais quant à la multitude qui le suivait dans la solitude, il l’y a nourrie plusieurs fois et d’une façon merveilleuse [Mt 4, 1-2 ; 14, 13-21 ; 15, 32-38]. Plus souvent et plus merveilleusement encore, il t’y rassasiera, toi qui l’y as suivi avec d’autant plus de mérite que ton propos était plus saint. Au moment où tu croiras qu’il t’a depuis longtemps abandonné, lui, n’oubliant pas sa bonté, te consolera et te dira : « Je me suis souvenu de toi, ému de pitié au souvenir de ta jeunesse et de l’amour de tes fiançailles, quand tu m’as suivi au désert [Jér 2, 2]. » Alors, en vérité, il fera de ton désert un paradis de délices [Is 51, 3] [...] ainsi tout passage de l’Ecriture qui auparavant te paraissait stérile et aride regorgera soudain, à la bénédiction de Dieu, d’une étonnante abondance de richesse spirituelle." (IVe Sermon pour l’Avent, 1, SC n° 166, pp. 135-137).
"Même si le temps paraît long à celui que la peine ou l’amour oppressent, c’est vrai qu’il est court. Il vient, il vient le Seigneur ; notre crainte et notre désir, le repos et la récompense de ceux qui peinent, la douceur et la satiété de ceux qui l’aiment." (Premier Sermon pour l’Avent, 4).
""Voici que vient le Roi, accourons tous au-devant du Sauveur." A celui qui annonce sa venue, à celui qui apporte les eaux qu’il a puisées dans la joie aux sources du Sauveur, qu’il soit Isaïe ou un autre Prophète, nous répondons avec les mots d’Elisabeth, car c’est du même Esprit que nous sommes abreuvés : "D’où vient que mon Seigneur vienne à moi ? Voici, en effet, qu’à peine ton salut eût frappé mes oreilles, mon esprit a tressailli en mon cœur, bondissant de joie au-devant de Dieu son Sauveur." Et c’est vrai, frères, qu’il faut courir dans l’exultation de nos esprits au-devant du Christ qui vient. Que le voyant venir de loin, nous l’adorions le saluions et l’acclamions en disant : "Salut, toi qui viens nous sauver, béni sois-tu, toi qui viens nous bénir. Viens Seigneur, sauve-moi et je serai sauvé, montre ta face et nous serons sauvés. Nous t’avons espéré, sois notre bras et notre salut durant le temps d’épreuve."" (Deuxième Sermon pour l’Avent, 1).
"Préparez le chemin du Seigneur. Le chemin du Seigneur, frères, qu'il nous est demandé de préparer se prépare en marchant. On y marche dans la mesure où on le prépare. Même si vous vous êtes beaucoup avancés sur ce chemin, il vous reste toujours à le préparer, afin que, du point où vous êtes parvenus, vous soyez toujours tendus au-delà. Voilà comment, à chaque pas que vous faites, le Seigneur à qui vous préparez les voies vient au-devant de vous, toujours nouveau, toujours plus grand. Aussi est-ce avec raison que le juste prie ainsi : Enseigne-moi le chemin de tes volontés et je le chercherai toujours. On donne à ce chemin le nom de vie éternelle, peut-être parce que bien que la providence ait examiné le chemin de chacun et lui ait fixé un terme jusqu'où il puisse aller, cependant la bonté de celui vers lequel vous vous avancez n'a pas de terme." (Guerric d'Igny : Sermon V pour l'Avent, 1, in Lectionnaire pour les dimanches et fêtes de Jean-René Bouchet, Cerf, 1994, pp. 36-37).
"Et toi Seigneur, tu nous as préparé un chemin, si seulement nous consentons à nous y engager. Tu nous as enseigné le chemin de tes volontés en disant : Voici le chemin, suivez-le sans vous égarer à droite ou à gauche. C'est le chemin que le Prophète avait promis : "Il y aura une route droite et les insensés ne s'y égareront pas." J'ai été jeune, maintenant je suis vieux et, si j'ai bonne mémoire, je n'ai jamais vu d'insensés sur ton chemin, Seigneur, c'est tout juste si j'ai vu quelques sages qui aient pu le suivre tout au long. Malheur à vous qui êtes sages à vos yeux et qui vous dites prudents, votre sagesse vous a éloignés du chemin du salut et ne vous a pas permis de suivre la folie du Sauveur." (Cinquième Sermon pour l'Avent)
"De même qu'ils [les mages] commencèrent par la vision de l'étoile, progressèrent jusqu'à celle de l'enfant, puis parvinrent à celle de Dieu, ainsi notre foi naît de la prédication des luminaires célestes, se fortifie à la vue de certaines images qui nous montrent dans un miroir et en énigme [1 Co 13, 12] Dieu comme incarné, et parviendra à sa consommation quand les réalités véritables, présentes et dévoilées, seront vues par ceux qui contempleront face à face ce que l'on n'atteint maintenant que d'une manière peu distincte, fugitive, en énigme ; quand la foi elle-même se changera en connaissance, l'espérance en possession, le désir en jouissance." (IIe Sermon pour l'Epiphanie, 5).
"On peut constater [...] que le Verbe de Dieu s’est fait pour nous non seulement visible et palpable, mais encore perceptible au goût et à l’odorat. [Ps 33, 9, Cant. 4, 11]. C’est ainsi par toutes les portes des sens qu’il s’est frayé un accès jusqu’à notre âme : de même que la mort avait pénétré par les sens, la vie à son tour revenait à travers eux. Si donc le Verbe s’est fait chair, c’est pour nous, qui tout entiers sommes chair, que cela s’est fait : pour que nous, qui auparavant ne pouvions qu’entendre le Verbe de Dieu, nous puissions le voir maintenant fait chair, le goûter, et faire appel à tous nos sens pour confirmer le témoignage de l’ouïe. De la sorte, c’est d’un commun accord et d’une seule voix que tous nos sens peuvent proclamer : « Ce que nous avons entendu, nous l’avons vu. » [Ps 47, 9]." (Ve Sermon pour la Nativité, 1, p. 225)
"Frères, "ayez la paix entre vous", nous commande le Maître pacifique et doux ; mais il précise auparavant : "Ayez du sel en vous" (Mc 9, 49). Il sait en effet que la douceur de la paix est la nourrice des vices si la rigueur du zèle ne les a pas auparavant saupoudrés du piquant du sel. Ainsi en est-il pour les viandes, qu’un temps clément fait grouiller de vers si le feu du sel ne les a pas desséchées. Ayez donc la paix entre vous, mais une paix qui soit assaisonnée du sel de la sagesse. Recherchez la douceur, mais une douceur qui brûle du zèle de la foi." (4e Sermon sur St Benoît, 2)
Guigues II le Chartreux (mort en 1188 ?)"Un jour, pendant le travail manuel, je commençai à penser à l'exercice spirituel de l'homme, et tout à coup s'offrirent
à la réflexion de mon esprit quatre degrés spirituels : lecture, méditation, prière, contemplation. C'est l'échelle des
moines, qui les élève de la terre au ciel. Certes, elle a peu d'échelons ; elle est immense pourtant et d'une incroyable
hauteur. Sa base repose sur la terre, son sommet pénètre les nuées et scrute les secrets des cieux [Gn 28, 12]. Les degrés
sont divers en noms et en nombre, et ils sont distincts également en ordre et en importance. Si quelqu'un étudie avec soin
l'efficacité de chacun d'eux sur nous, leurs mutuelles différences et leur hiérarchie, il y trouvera tant d'utilité et de
douceur qu'il estimera court et facile tout le labeur et l'application [Gn 29, 20] dépensés sur cet objet.
La lecture est l'étude attentive des Ecritures, faite par un esprit appliqué. La méditation est une opération de
l'intelligence, procédant à l'investigation studieuse d'une vérité cachée, à l'aide de la propre raison. La prière est
une religieuse application du coeur à Dieu pour éloigner des maux ou obtenir des biens. La contemplation est une certaine
élévation en Dieu de l'âme attirée au-dessus d'elle-même et savourant les joies de la douceur éternelle. Ayant décrit
les quatre échelons, il nous reste à voir leurs offices à notre égard." (Lettre sur la vie contemplative (l'Echelle des Moines), II)
"Pour toi, âme fidèle, lorsque ta nature hésite devant les mystères trop profonds de la foi, dis
sans crainte, non pour t’opposer, mais avec le désir d’obéir : Comment cela arrivera-t-il ? Que ta question soit
une prière, qu’elle soit amour, piété, humble désir. Qu’elle ne scrute pas avec hauteur la majesté divine, mais
cherche le salut dans les moyens de salut du Dieu de notre délivrance. Alors l’Ange du grand Conseil te répondra :
Lorsque viendra le consolateur que je vous enverrai du Père, il rendra témoignage de moi et vous enseignera
toutes choses : toute vérité vous viendra de l’Esprit de vérité. Qui donc connaît les secrets de l’homme, si ce
n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu.
Hâte-toi donc de communier à l’Esprit Saint. Il est là dès qu’on l’invoque ; si on l’invoque, c’est qu’il est
déjà présent. Appelé, il vient ; il arrive dans l’abondance des bénédictions divines. C’est lui le fleuve
impétueux qui réjouit la cité de Dieu. Lors de sa venue, s’il te trouve humble et sans inquiétude, mais tremblant à
la parole de Dieu, il reposera sur toi et te révélera ce que Dieu cache aux sages et aux prudents de ce monde.
Commenceront à briller pour toi toutes ces vérités que la Sagesse pouvait dire aux disciples alors qu’elle était sur
terre, mais qu’ils ne pouvaient porter avant la venue de l’Esprit de vérité qui leur enseignerait toute vérité.
Pour recevoir et apprendre cette vérité, il est vain d’attendre de la bouche d’un homme ce qu’il n’a pu recevoir ni
apprendre des lèvres de la Vérité elle-même. Car, selon l’affirmation de cette vérité, Dieu est Esprit ; et, de même
que ceux qui l’adorent doivent nécessairement l’adorer en esprit et en vérité, de même ceux qui désirent le connaître
ne doivent chercher que dans l’Esprit Saint l’intelligence de la foi et le sens de cette vérité pure et sans mélange.
Parmi les ténèbres et l’ignorance de cette vie, il est lui-même pour les pauvres en esprit la lumière qui éclaire,
la charité qui attire, la douceur qui saisit, il est l’accès de l’homme auprès de Dieu, l’amour de celui qui aime,
la piété de celui qui se livre sans réserve. C’est lui qui, de conviction en conviction, révèle aux croyants la justice
de Dieu ; il donne grâce pour grâce, et à la foi qui s’attache à l’écoute de la Parole, il donne en retour la foi
illuminée."
(Le miroir de la foi, 6, SC n° 301).
"Toi seul, tu es vraiment Seigneur, mon Dieu, toi pour qui dominer sur nous, c'est nous sauver, tandis que pour nous,
te servir, ce n'est pas autre chose que d'être sauvés par toi. Comment donc en effet sommes-nous sauvés par toi, Seigneur,
de qui vient le salut, et qui répands sur ton peuple ta bénédiction, si ce n'est en recevant de toi de
t'aimer et d'être aimés par toi ? Et pour cela, Seigneur, tu as voulu que le Fils de ta droite, l'homme que tu as
affermi, soit appelé Jésus, c'est-à-dire Sauveur. C'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ; en dehors
de lui il n'y a pas de salut.. C'est lui qui nous a appris à l'aimer quand le premier il nous a aimés, et
jusqu'à la mort de la croix. Par son amour et sa dilection, il éveille en nous l'amour pour lui, lui qui le premier
nous a aimés jusqu'à l'extrême.
Oui, il en est bien ainsi : tu nous as aimés le premier, pour que nous t'aimions. Non que tu aies besoin de notre amour ;
c'est nous qui ne pouvions, sans t'aimer, devenir ce que tu voulais réaliser en nous créant. C'est pourquoi, souvent,
dans le passé, cite>ayant parlé à nos pères par les prophètes, sous des formes fragmentaires et variées, dans
les derniers temps, dans ces jours où nous sommes, tu nous as parlé par le Fils, ton Verbe ; c'est par lui que les cieux
ont été faits, et par le souffle de sa bouche tout l'univers. Parler par ton Fils, pour toi, ce n'est pas autre
chose que de mettre en plein soleil, de faire voir avec éclat combien et comment tu nous as aimés, puisque tu n'as pas
épargné ton propre Fils, mais tu l'as livré pour nous tous. Et lui aussi, il nous a aimés, et il s'est livré lui-même
pour nous.
Telle est la Parole, le Verbe tout-puissant que tu nous adresses, Seigneur. Tandis que tout baignait dans le
silence, c'est-à-dire au profond de l'erreur, il descendit des royales demeures, pour abattre
durement l'erreur et doucement mettre en valeur l'amour. Et tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a dit sur terre, jusqu'aux
opprobres, jusqu'aux crachats et aux gifles, jusqu'à la croix et au sépulcre, ce ne fut rien d'autre que ta parole
par ton Fils, parole qui nous provoquait à l'amour, parole qui éveillait en nous l'amour pour toi."
(La contemplation de Dieu, 9-10, Sc 61).
"L'Esprit de vérité vous conduira dans la vérité tout entière (Jn 16, 13). Nul ne sait les secrets
de l'homme, si ce n'est l'esprit de l'homme qui est en lui. Pareillement ce qui est de Dieu, nul ne le connaît, si ce
n'est l'Esprit de Dieu (1 Co 2, 11). Hâte-toi donc de devenir participant de l'Esprit Saint. Il est présent dès
qu'on l'invoque ; et on ne l'invoque que s'il est déjà présent.
Pour ce qui est de percevoir ou d'apprendre la vérité tout entière, il est bien vain d'attendre de la bouche
d'un homme, quel qu'il soit, la révélation et l'explication de ce qui n'a pu être perçu ou appris de la bouche de la
Vérité même (cf. Jn 14, 6). Puisque la Vérité même l'affirme, Dieu est esprit, et que ceux qui l'adorent
doivent nécessairement l'adorer en esprit et en vérité (Jn 4, 24), de même ceux qui désirent le connaître
ou le comprendre ne doivent attendre que de l'Esprit Saint l'intelligence de la foi, le sens de cette vérité pure et
sans mélange.
L'esprit est la charité qui attire ; il est la douceur qui affecte l'âme ; il est l'accès de l'homme auprès de Dieu ;
il est l'amour de qui aime, il est la dévotion ; il est la piété. C'est lui qui révèle la justice de Dieu au fidèle
qu'il conduit de la foi à la foi, lorsqu'il donne grâce pour grâce et, pour la foi qu'on accorde à ce qui est entendu,
la foi illuminée."
(Le miroir de la foi, 71-72, SC n° 30, Cerf, pp. 137-139).
"Les richesses infinies de ta gloire, Seigneur, étaient profondément cachées dans le ciel de ton secret, jusqu'à ce
que, par la lance du soldat, les sacrements de notre rédemption se répandent du côté ouvert de ton Fils, notre Seigne
et notre Rédempteur ; de telle sorte que nous ne mettions plus, comme Thomas, nos doigts en son côté, mais que nous
entrions tout entiers jusqu'à ton coeur, Jésus, par cette porte ouverte, là où la miséricorde est certaine, jusqu'à ton
âme sainte, pleine de toute la plénitude de Dieu, pleine de grâce et de vérité, de notre salut et de notre consolation.
Ouvre-nous, Seigneur, la porte de l'arche de ton côté, pour qu'entrent tous ceux que tu sauveras de la venue de ce déluge
qui inonde la terre ; ouvre-nous le côté de ton corps, pour qu'entrent ceux qui désirent voir les secrets du Fils, et
qu'ils reçoivent les sacrements qui en débordent et le prix de leur rédemption. Ouvre la porte de ton ciel, pour que
ceux que tu as rachetés voient les biens du Seigneur sur la terre des vivants, eux qui peinent encore sur la terre des
mourants ; qu'ils les voient et qu'ils les désirent, qu'ils brûlent et qu'ils courent, eux pour qui tu as été fait la
voie par laquelle on va jusque-là, la vérité à laquelle on va, la vie pour laquelle on va : la voie, exemple d'humilité ;
la vérité, exemple de pureté ; la vie, celle qui est éternelle.
(Oraison méditative VI, traduction de Max de Longchamp, in Magnificat n° 269, avril 2015, pp. 299-300
"Seigneur, je me tiens devant toi comme un pauvre, mendiant et aveugle, tandis que tu me vois, moi qui ne te vois pas.
La poitrine pleine de ton désir, je m'offre à toi tout entier, moi et tout ce que je suis, tout ce que je peux, tout ce
que je sais ; je t'offre aussi le fait même que je languis après toi et défaille. Mais où te trouver ? Je ne le trouve
pas.
Où es-tu, Seigneur, où es-tu ? Et où, Seigneur, n'es-tu pas ? Je sais, je suis certain qu'ici, maintenant, tu es avec moi,
toi en qui nous nous mouvons et nous sommes. Mais puisque tu es avec moi, pourquoi moi aussi ne suis-je pas avec toi ?
Tu m'envoies parfois comme certaines petites bouchées de ta consolation ; mais qu'est-ce là à côté du désir de ma faim ?
Je t'en prie, dis à mon âme, ô son salut, pourquoi tu lui as inspiré le désir de toi. Est-ce seulement pourqu'il me
torture, me déchire et me tue ? Ah, si seulement il l'avait tué ! Je t'en prie, Seigneur, est-ce là ma géhenne ? Oui,
qu'elle le soit. Et que jamais elle ne cesse de me torturer, et que jamais je ne cesse de brûler en elle, et qu'il ne me
soit en rien permis de respirer un jour, une heure, un moment, jusqu'à ce que j'apparaisse en ta présence, et
qu'apparaisse pour moi ta gloire !
(Oraisons méditatives, III, 3-7; SC 324, 1985, pp. 65-69)