Questions fréquemment posées sur Augustin

On raconte fréquemment, en l'attribuant à Augustin, cette histoire : méditant sur le mystère de la Trinité, il aurait rencontré sur une plage un jeune garçon (un ange, l'Enfant Jésus ?) qui s'efforçait, à l'aide d'un coquillage, de faire entrer toute la mer dans un petit trou creusé dans le sable. Comme l'homme s'étonnait, l'enfant lui aurait répondu : "Cela me serait plus facile qu'à toi d'épuiser avec la seule raison humaine les profondeurs du mystère de la Trinité". Dans quel texte d'Augustin peut-on trouver ce récit ?

Il s'agit là d'une légende qui a la vie dure ! De nos jours encore, on entend régulièrement des prédicateurs faire d'Augustin le protagoniste de ce récit purement imaginaire. Aucun récit de ce type ne figure dans l'oeuvre d'Augustin, pour la bonne raison que la légende elle-même est tardive : il s'agit d'une légende médiévale qui concerne d'abord un protagoniste anonyme. Comme on a pu le voir à d'autres reprises, l'attribution à Augustin s'explique sans doute par l'immensité de l'oeuvre du grand docteur et sa célébrité comme "Père de l'Eglise" : des prédicateurs en quête de merveilleux n'ont pas hésité au XIIIe siècle, peu après les premières apparitions de cette légende, à la porter au crédit d'Augustin. Elle finira d'ailleurs par entrer dans sa biographie officielle et cette attribution a joui longtemps de la faveur populaire. L'évêque d'Hippone est ainsi devenu le protagoniste préféré de ce récit légendaire - même si d'autres personnages se verront aussi placer dans la position de l'homme qui interroge l'enfant.
Henri-Irénée Marrou, dans un article extrêmement documenté, [article que nous a fait découvrir Bernard Puel, maître de conférence de philosophie à la retraite (Université de Bordeaux) que nous tenons à remercier ici], a livré une mise au point complète à propos de cette légende longtemps insérée dans le cadre d'une vie d'Augustin mal informée, et même largement incohérente : "Saint Augustin et l'ange. Une légende médiévale." In: Christiana tempora. Mélanges d'histoire, d'archéologie, d'épigraphie et de patristique. Rome : École Française de Rome, 1978. pp. 401-413. (Publications de l'École française de Rome, 35).
H.I. Marrou rappelle en particulier, à juste titre, que la foi n'interdit pas "de chercher à pénétrer par la raison l'intelligence de ce que nous croyons" (p. 138) - conviction profonde d'Augustin. L'attribution de ce récit à celui qui a toute sa vie cherché à mettre la raison au service de la compréhension du mystère de Dieu, est particulièrement malheureuse et suppose une méconnaissance de son oeuvre, d'un contresens inacceptable pour qui connaît tant soit peu Augustin et le travail considérable qu'il a accompli dans cet ouvrage qui s'intitule La Trinité (De Trinitate), auquel il a consacré tant d'années de labeur et de réflexion (la rédaction de l'oeuvre s'étend de 399 à 419).

La phrase « Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé », dans les Pensées de Pascal est-elle une reprise pure et simple d'une phrase d'Augustin ?

On rapproche généralement cette phrase de Pascal de chapitres du livre X des Confessions (il est indéniable que Pascal a lu Augustin et le connaissait bien), mais on n'y trouve pas la phrase ramassée de Pascal : l'idée sous-jacente est contenue et évoquée dans un passage d'Augustin à propos de la drachme perdue et de la mémoire. Il s'agit du livre X, ch. 18-20. Il ne s'agit donc pas du tout d'un plagiat chez Pascal, mais d'une formule heureuse qui résume une idée fondamentale présente largement dans la tradition chrétienne (et bien sûr particulièrement développée de diverses façons chez Augustin). On peut rapprocher aussi la formule de Pascal de St Paul cité dans les Actes des Apôtres (XVII, 23) : "Ce que vous cherchez sans le connaître, la religion vous l'annonce", etc. et bien d'autres passages chez les Pères tendent toujours à montrer que l'homme cherche Dieu parce que Dieu est déjà mystérieusement en lui (l'homme fait à l'image et à la ressemblance de Dieu, cf. livre de la Genèse).

La phrase "La mesure de l'amour de Dieu c'est d'aimer sans mesure" est souvent attribuée à St Augustin, plus rarement à St Bernard : quel en est le véritable auteur ?

St Bernard a bien écrit cette phrase, dans le chapitre I du Traité de l'Amour de Dieu. On peut citer tout le passage, pour en permettre une compréhension plus exacte :

"Vous voulez donc que je vous dise pourquoi et comment on doit aimer Dieu ? Je réponds brièvement : la raison pour laquelle on aime Dieu, c'est Dieu lui-même ; et la mesure de cet amour, c'est de l'aimer sans mesure."
Depuis le Moyen-Age, cette phrase est clairement attribuée à St Bernard (cf. lettres d'Abélard et Héloïse). Toutefois, il faut dire que St Bernard lui-même l'a reçue d'Augustin, à travers la lecture qu'il faisait de Sévère de Milev, un des correspondants d'Augustin. Cette information nous a été fort aimablement communiquée par François Dolbeau qui a découvert récemment des sermons d'Augustin d'Hippone (cf. les "Sermons Dolbeau", publiés dans Vingt-six Sermons au peuple d'Afrique, Collection des Études Augustiniennes, Brepols, Paris, 1996 ; 2e éd. 2009, pp. 59-67). On peut lire effectivement cette formule dans le sermon Dolbeau 11 (qui porte le n° 90A dans la collection des sermons du grand évêque des IVe-Ve siècles). L'idée d'ailleurs qui est ainsi ramassée en une phrase par Augustin, nous précise François Dolbeau, remonte à Origène. Il conviendrait plus clairement, ajoute-t-il, de rendre la formule latine "Amandi Deum modus est sine modo", qui évoque bien l'amour de l'homme envers Dieu, par la traduction française "La mesure de l'amour envers Dieu est d'être sans mesure". Que François Dolbeau soit vivement remercié du complément d'information décisif qu'il nous apporte ici.

De quelle oeuvre de St Augustin est extraite la prière "Ne pleurez pas", fréquemment lue lors des Obsèques (elle figure dans divers recueils de textes pour les Obsèques) ?

Cette prière est attribuée tantôt à St Augustin... tantôt à Péguy (on ne prête qu'aux riches !). De fait, elle a pour origine un sermon sur la mort de Henry Scott-Holland (1847-1918) prononcé à St Paul's Cathedral en 1910 pendant l'exposition du corps du roi Edouard VII à Westminster. L'extrait "Death is nothing at all", qui a donné lieu au texte français (certains parlent d'une traduction de Charles Péguy ?) est tantôt intitulé en français "Ne pleurez pas", tantôt "La mort n'est rien". A très peu de variantes près, c'est le même texte que l'on retrouve, et c'est bien évidemment une traduction du texte anglais. Sur certains sites, par exemple "Prier.be" il est correctement attribué au Chanoine Scott Holland. Il est donc temps de rendre à César ce qui est à César, et ainsi de résoudre ce tout petit "mystère" qui n'en est donc plus du tout un !

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