Un chemin spirituel : les Confessions de St Augustin.

Introduction

Quelques éléments concernant la vie et l’œuvre d’Augustin d’Hippone ;
qu’est-ce que confesser ?

Qui était Augustin d’Hippone

Augustin a vécu au tournant des 4e et 5e siècles (354-430), grande période des "Pères de l'Eglise". Naît à Tagaste (Numidie) : actuel Souk-Ahras, Algérie. Sa mère était Ste Monique. Jeunesse dorée, vie brillante : de nombreux épisodes bien connus qu'on peut lire dans les Confessions. Départ pour Rome. Il s'intéresse de plus en plus à la foi catholique. S'il a du mal à adhérer aux Ecritures, Augustin voudrait se les faire expliquer. Nommé professeur de rhétorique à Milan, il va connaître l'évêque Ambroise qui lui fera découvrir la lecture symbolique de la Bible. Des changements radicaux se font jour dans la vie d'Augustin : il a perdu le goût des honneurs, de la vie mondaine. Il découvre avec bouleversement le monachisme (St Antoine). Finalement il s’inscrit comme catéchumène et reçoit le baptême la nuit de Pâques 387 en même temps que son fils Adéodat. Il embrasse la vie monastique en 388 en repartant pour l'Afrique. L'évêque d'Hippone, Valère, l'ordonne prêtre et lui confie le ministère de la prédication. Cinq ans plus tard (396), Augustin lui succède sur le siège épiscopal. Il y restera jusqu'à sa mort en 430. Il consacrera sa vie à son diocèse d'Hippone (Afrique du Nord, dans l'actuelle Algérie : ville d'Annaba). Prêchant quotidiennement (ses sermons divers étaient pris à la dictée par divers secrétaires : il revoyait et complétait souvent ces notes avant publication) et écrivant directement, il a laissé une œuvre considérable dont l'importance ne s'est jamais démentie. (voir pour aller plus loin).

Augustin est mort en 430, dans Hippone assiégé par les Vandales. Il a marqué profondément toute la théologie et la doctrine de l’Eglise. Il figure au nombre des docteurs latins de l’origine (Cf. quatre docteurs latins / quatre docteurs grecs), un des plus grands saints de tous les temps.

La grande intelligence d'Augustin est marquée par deux tendances complémentaires : tendance spéculative et exigence critique. Il est épris de vérité. Grande liberté intellectuelle. Formation de philosophe, de rhéteur. Les étapes de la conversion d'Augustin sont rapportées en particulier dans les Confessions, livres VI, VII, VIII. Nous aurons l'occasion de développer cela ici même en soulignant les rôles de St Ambroise, des néo-platoniciens, de la découverte du Christ médiateur, de la prise de conscience de son péché et de la nécessité de la grâce (lui qu'on appelle "le docteur de la grâce").

L'Œuvre d'Augustin est considérable ; elle a été écrite en latin.

Comme il est précisé par le Cardinal M.J. Congar (Histoire de l'Eglise, Histoire des doctrines ecclésiologiques du IVe siècle à nos jours, chapitre 1er) :

"Saint Augustin a élaboré sa théologie de l'Église : 1) par la nécessité, comme prêtre (391) puis évêque (395), d'en expliquer le mystère aux fidèles, surtout en exposant les Écritures qui sont toutes relatives au Christ et à l'Église, 2) en répondant aux questions posées par le donatisme, 3) en assumant dans son ecclésiologie les exigences de ses positions sur la grâce."

Comment parler d’Augustin aujourd’hui ?

On a énormément écrit sur Augustin ! (Cf. nombreuses et diverses bibliographies). Augustin n’est pas nécessairement facile à lire, d’ailleurs comme tous les auteurs anciens, qui ont vécu à une époque toute autre, à propos desquels on risque vraiment de faire des contre-sens et des erreurs complètes d’interprétation.

Il ne s’agit a priori dans un cours sur St Augustin ni de le louer ni de le critiquer. (cf. Augustin si moderne ! Augustin si décalé !), mais surtout de considérer Augustin tel qu’il est, comme sont tous les hommes, avec leurs petitesses et leurs grandeurs, qui font qu’à la fois ils nous irritent et ils nous séduisent. Indéniablement c’est un très grand écrivain de l’Eglise, un très grand théologien, un magnifique témoin en même temps de cette Eglise du IVe-Ve siècle, si riche, qui a joué un rôle fondamental pour les développements de la foi. Mais précisément parce que si grand, il a été énormément étudié, commenté, interprété, et ce que l’on dit de lui va dans un sens et en même temps dans le sens contraire ! On lui attribue énormément de choses : des conceptions, des faits théologiques (où il ne se retrouverait pas du tout). Au cours des siècles, chacun a voulu trouver en St Augustin les éléments qui pourraient fonder sa propre doctrine et de très nombreux ordres monastiques se réclament de lui alors que même si son désir le plus cher était de mener la vie monastique avec quelques bons amis, il en a été très vite empêché par sa charge épiscopale, malgré l’intuition très profonde qui était la sienne, selon laquelle l’évêque doit vivre dans une communauté fraternelle avec son presbyterium.

L'objectif ici sera, pour un public large, d'aider à lire Augustin, le plus conformément possible avec ce qu’il a été vraiment, en évitant les anachronismes, les interprétations fondées sur nos habitudes de pensées, notre culture, et qui ignorerait le monde dans lequel il vivait. Certes, on peut effectuer des rapprochements fructueux avec notre époque, mais les rapprochements les plus significatifs, dans la perspective même d’un cours de théologie spirituelle seront à faire par rapport à notre propre vie spirituelle. Comme le dit Marcel Neusch :

"Lire Augustin, ce n’est jamais s’éloigner de sa propre vérité ; c’est apprendre à pénétrer au plus profond de soi-même, jusqu’à cette pointe de l’âme où elle se heurte à son propre mystère." (Initiation à Saint Augustin, un maître spirituel, "Trésors du christianisme" 2003, p. 8).

Il s’agit donc avec cette lecture d’Augustin, et de cette œuvre, très connue, peut-être trop connue, et donc pas toujours vraiment lue, de trouver notre propre chemin spirituel, la route de notre propre conversion : je pense avec Augustin, que baptisé ou pas baptisé, nous avons tous d’une certaine façon à nous convertir. Nous verrons plus complètement bien sûr ce qu’il faut entendre par là(1).

Le mot "confesser"

Le terme de "confession" utilisé par Augustin, doit être entendu en deux sens principaux, comme le rappelle A. Solignac dans l’introduction à l’édition de la Bibliothèque Augustinienne (vol. 13, p. 9 et suivantes) : "Aveu et louange" : aveu des péchés commis, mais dans le même mouvement louange de la miséricorde et des grandeurs de Dieu. Augustin lui-même s’est expliqué sur ce terme de "confessio" :

"Double est la confession : celle du péché et celle de la louange" (Comment. sur le Ps 29, 19) ;
"Il y a la confession de l’homme qui loue, et la confession de l’homme qui gémit." (Comment. sur le Ps 94, 4).

Augustin reprend ses contemporains qui ne retiennent que le premier sens "aveu" au détriment de la "louange" (se frappant même la poitrine comme des Méridionaux qui joignent aisément le geste à la parole !). Il rappelle l’exemple même du Christ qui dit en Mt 11, 25 : "Confiteor tibi, Pater" - que la Bible de Jérusalem traduit par "Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits." (après la malédictions aux villes du bord du lac : Chorazeïn et Bethsaïde, etc.). Il est évident que Jésus, sans péché, n’a pas de péché à "confesser" ! Les deux sens sont donc fondamentaux(2).

Si, comme les contemporains d’Augustin, nous savons à peu près ce qu’est confesser son péché (à voir cependant car à notre époque, la confession ou "pénitence" a plutôt mauvaise réputation !), nous ne savons pas vraiment ce qu’il faut entendre par "confesser la miséricorde, l’amour de Dieu" (louer, bénir Dieu… - mots tous ambigus, peu clairs pour nous au XXIe siècle)(3). Augustin lui-même répond à cette question dans le Tr. 26, 2 (sur l’Evangile de Jean) :

"Confesser la foi en effet, c’est dire ce que tu as dans ton cœur, mais si tu as une chose dans ton cœur et que tu en dises une autre, tu parles, tu ne fais pas une confession de foi. C’est donc par le cœur que l’on croit dans le Christ…"

Il convient de s’arrêter un instant sur cette expression assez remarquable – et perturbante, car elle semble introduire aussi la notion de "mensonge", de "dissimulation" et dénoncer cette puissance de la parole qui non seulement trompe les autres, mais peut aussi nous tromper ! Comment dire ce que nous avons dans notre cœur s’il y a le risque précisément de "dire autre chose" ? Comment savoir que nous disons vraiment ce que nous avons dans notre cœur ? Est-ce justement difficile ? On approchera sûrement la réponse à cette question dans la lecture des Confessions !

De même au chapitre X des Confessions, Augustin précise :

Voici, en effet, que tu as aimé la vérité,
puisque celui qui fait la vérité vient à la lumière.
Je veux "faire la vérité"(4), dans mon cœur devant toi, par la confession,
Mais aussi dans mon livre, devant de nombreux témoins.

Pour toi sans doute, Seigneur,
Aux yeux de qui est à nu
L’abîme de la conscience humaine,
Qu’y aurait-il en moi qui te serait caché
Même si je refusais de te le confesser ?
Car c’est toi qu’à moi-même je cacherais,
Non pas moi-même à toi."
(X, i, 1 – ii, 2)

Les psaumes sont un exemple de "confession" c'est-à-dire de louange de Dieu, comme par exemple le Ps 144 (145) qu'Augustin a commenté :

PSAUME 144

1 Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi,
je bénirai ton nom toujours et à jamais !

2 Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
3 Il est grand, le Seigneur, hautement loué ;
à sa grandeur, il n’est pas de limite.

4 D’âge en âge, on vantera tes œuvres,
on proclamera tes exploits.
5 Je redirai le récit de tes merveilles,
ton éclat, ta gloire et ta splendeur.

6 On dira ta force redoutable ;
je raconterai ta grandeur.
7 On rappellera tes immenses bontés ;
tous acclameront ta justice.

8 Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
9 la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

10 Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
11 Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits,

12 annonçant aux hommes tes exploits,
la gloire et l’éclat de ton règne :
13 ton règne, un règne éternel,
ton empire, pour les âges des âges.

Le Seigneur est vrai en tout ce qu’il dit,
fidèle en tout ce qu’il fait.
14 Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent,
il redresse tous les accablés.

15 Les yeux sur toi, tous, ils espèrent :
tu leur donnes la nourriture au temps voulu ;
16 tu ouvres ta main :
tu rassasies avec bonté tout ce qui vit.

17 Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
18 Il est proche de ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

19 Il répond au désir de ceux qui le craignent ;
il écoute leur cri : il les sauve.
20 Le Seigneur gardera tous ceux qui l’aiment,
mais il détruira tous les impies.

21 Que ma bouche proclame
les louanges du Seigneur !
Son nom très saint, que toute chair le bénisse
toujours et à jamais !

(Traduction de la Bible de la liturgie : Copyright AELF - Paris - 1980 - Tous droits réservés.)

Un extrait du commentaire d’Augustin sur ce Psaume nous permettra de mieux comprendre comment il loue :

"Bénissons Dieu toujours, dans la prospérité comme dans le malheur; mais nulle prospérité n'est comparable à celle de posséder Dieu, que nul ne saurait nous ravir, que le malheur n'enleva point à Job. Croyons dès lors qu'il agit toujours avec miséricorde; louons sans fin sa grandeur sans borne. Ainsi font ceux qui ne passent par la mort que pour arriver à la terre des vivants. Bénissons-le dans ses oeuvres, surtout dans celles qui nous connaissons. Toute génération le bénira. Elles annonceront la puissance de Dieu, en laquelle se résument toutes ses oeuvres; et tout ce que l'on peut louer vient de celui qui a tout fait, qui gouverne tout. Louer les oeuvres de Dieu, c’est nous louer nous-mêmes, et nous louer sans orgueil. Ces oeuvres sont pour nous des degrés pour nous élever jusqu'à lui; ses faveurs sont accompagnées de menaces afin de nous encourager et de nous contenir. Ils raconteront ce mémorial du Seigneur qui n'a point oublié l'homme, quand l'homme l'oubliait. Ils tressailliront dans cette justice de Dieu qui nous refait par sa grâce, et sans que nous ayons rien mérité par aucune oeuvre, puisque toute oeuvre bonne vient de lui. Il est miséricordieux envers les pécheurs, qu'il encourage contre le désespoir, qu'il détourne d'une folle espérance. Sa bonté s'étend sur toutes ses oeuvres, puisqu'il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et néanmoins il donne, c'est-à-dire qu'il est sévère pour nos oeuvres, et nous force à retrancher les mauvaises, ou les retranche lui-même.

Les créatures intelligentes loueront le Seigneur, puisqu'elles révèlent sa grandeur, sa puissance; elles le loueront sans voix, car on ne saurait en considérer la beauté sans louer Dieu.
(Sermon au peuple prêché à Utique dans la Basilique de la Masse-Blanche, 1)

Comme le dit à maintes reprises Augustin : Dieu seul peut nous apprendre à le louer (cf. suite du Sermon précédent) : de ce fait, loin d’être simplement l’expression du seul Augustin ou d’être un monologue, les Confessions sont un véritable dialogue avec Dieu : A. Solignac parle de cet "Interlocuteur invisible", mais "personnage essentiel, dont le regard, subtilement perçu à l’intérieur de l’âme, soutient la recherche, approuve ou désapprouve la solution, maintient l’attention éveillée jusqu’à la conclusion finale." (Introduction, p. 13). Personnage qui est Dieu lui-même !

"La réalité historique n’est pas indifférente : elle est dépassée sans cesse pourtant par la signification que Dieu dévoile à celui qui se confesse et qui le confesse, dans le dialogue de l’esprit de l’homme avec l’Esprit-Saint" (ibid., p. 13)

Différences entre les Confessions d’Augustin et celles de J.J. Rousseau

Ces passages et citations sont également très précieux pour nous permettre de distinguer les "confessions" telles que les envisage Augustin de ces autres types de "confessions", "subjectives" d’une certaine façon (cf. notre façon moderne d’envisager la subjectivité), "à la Rousseau" par exemple. F. Farago explique très bien (p. 18) :

"… avec l’émergence de la subjectivité telle qu’elle s’engendre en Dieu, comme toute l’œuvre d’Augustin en montre la genèse pathétique et la naissance au terme d’un combat, nous sommes très éloignés du subjectivisme contemporain qui se complait dans l’immédiateté et se repaît de superflu… En effet, si l’expérience augustinienne de Dieu est fondée sur la conscience de sa propre expérience sensible et de sa propre pensée, c’est pour y découvrir aussitôt leur dépendance de quelque chose qui les dépasse. La subjectivité reconnaît alors que son activité se fonde sur quelque chose et présuppose quelque chose qui lui est supérieur, vers quoi elle tourne son regard et s’élève avec révérence."

Il est important de souligner cette différence fondamentale avec Rousseau, ceci d’ailleurs à travers deux extraits, très typiques. Alors que Dieu est au cœur des Confessions de St Augustin, Rousseau, quant à lui, se met explicitement au cœur de son œuvre :

J.J. Rousseau :
"Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi. (5)"
Et Rousseau continue :
"Moi seul. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m’a jeté, c’est ce dont on ne peut juger qu’après m’avoir lu.(6)"

St Augustin de son côté, précise dans les Rétractations (où il revient sur toute son œuvre, pour la commenter ou la corriger) : "Les treize livres de mes Confessions louent le Dieu juste et bon à propos des maux et des biens en moi, et excitent à son égard l’intelligence et le cœur de l’homme…" (cité in Pinckaers, p. 37).

Et voilà ce qu’Augustin dit lui-même dans les Confessions (I, i, 1) pour expliquer son projet :

"Te louer, voilà ce que veut un homme,
parcelle quelconque de ta création,
et un homme qui partout porte sur lui sa mortalité,
partout porte sur lui le témoignage de son péché,
et le témoignage que tu résistes aux superbes.
Et pourtant, te louer, voilà ce que veut un homme,
parcelle quelconque de ta création.

C'est toi qui le pousses à prendre plaisir à te louer
parce que tu nous as faits orientés vers toi
et que notre coeur est sans repos
tant qu'il ne repose pas en toi.

Donne-moi, Seigneur, de connaître et de comprendre
si la première chose est de t'invoquer ou de te louer,
et si te connaître est la première chose ou t'invoquer.
Mais qui t'invoque s'il ne te connaît ?
[…]

Je veux, Seigneur, te chercher en t'invoquant,
et t'invoquer en croyant en toi :
car tu nous as été prêché.
Elle t'invoque, Seigneur, ma foi, que tu m'as donnée,
que tu m'as inspirée par l'humanité de ton Fils,
par le ministère de ton Prédicateur.

L’opposition est considérable : Rousseau veut se justifier, se faire connaître, se découvrir aux autres ; Augustin veut faire connaître les merveilles de Dieu et appeler par là même les autres, ses frères, ses semblables, à le louer…

Avec Augustin, il n’est en aucun cas question de se "justifier" : c’est précisément dans l’aveu que se trouve la louange (les deux ensemble) : reconnaître son péché c’est reconnaître l’immensité de la miséricorde divine (cet Amour infini) et donc dans le même mouvement, reconnaître son humilité radicale de créature, c’est reconnaître l’infinie grandeur du Créateur. A. Solignac l’évoque même en terme de sacrifice : mort mystique du vieil homme pour que ressuscite l’homme nouveau. Restauration de la vérité de l’existence de l’homme ordonnée à Dieu. Dans la Cité de Dieu (X, v), Augustin évoque lui-même la notion de sacrifice : "Dieu ne veut donc pas le sacrifice d’une bête égorgée, mais le sacrifice du cœur contrit." N’est-ce pas là le sens fondamental de la démarche des Confessions, par là même véritable signe (sacrement ?) de l’Amour de Dieu en l’homme ?(7). Quand l’aveu visible de nos fautes devient signe de louange et donc de l’Amour invisible de Dieu…

Plutôt que d’explorer les méandres de sa conscience ou de tenter de piéger son inconscient, il s’agit pour Augustin de faire croître sa connaissance de Dieu sans laquelle l’homme ne peut se connaître puisqu’il est image de la Trinité divine. C’est donc également sur une lecture de l’Ecriture que sont fondées les Confessions.

Le nombre d’allusions, citations bibliques est considérable dans toute l’œuvre d’Augustin : nourri fondamentalement de l’Ecriture : l’attitude d’Augustin a grandement changé depuis sa conversion à l’égard de la Bible (cf. sa méfiance antérieure par rapport à la Bible considérée comme "enfantine"), au fur et à mesure qu’il découvrait sa lecture symbolique. Notons que le repérage est facilité dans la Bibliothèque Augustienne (italiques + référence précise en notes page gauche – version latine).

Ce serait vain de compter ces citations exactes (moyenne de cinq par page dans l’édition de la BA). En première approximation, ce ne sont pas moins de 13 pages denses de références bibliques précises qui sont relevées par les éditeurs des volumes des Confessions ! Il suffira pour l’instant de souligner l’immense connaissance d’Augustin, l’imprégnation devrait-on dire, qui bien sûr cite exactement et "de tête" la Bible : nourriture quotidienne et constante qu’il ressasse, rumine, savoure… Augustin cite aussi bien l’Ancien que le Nouveau Testament …Soulignons toutefois, dans les Confessions, le nombre impressionnant de références aux Psaumes (ce ne sont pas loin de 1000 références aux Psaumes que l’on trouve – et pratiquement tous les psaumes sont cités), mais ce sont aussi les Evangiles (Matthieu en particulier, ou Jean, très fréquemment), et bien sûr les lettres de Paul avec une prédilection toute particulière pour l’Epître aux Romains, ou les deux aux Corinthiens.

Valeur des Confessions : universelle et non subjective

N’étant pas une confession subjective mais une recherche fondamentale pour comprendre l’homme en Dieu (tout homme, dont Augustin n’est alors que l’exemple qu’il connaît le mieux), les Confessions ont aussi de ce fait valeur "universelle" : l’histoire d’Augustin est celle de l’homme dans son rapport avec Dieu ; par là elle est notre histoire à tous, car tous nous sommes engagés dans un rapport avec Dieu, notre histoire prend sens exclusivement dans le dessein de Dieu. Il convient d'attacher certainement cette Valeur profondément "symbolique" à ce récit d’Augustin. Même quand nous ne le savons pas, notre histoire personnelle s’inscrit dans un ordre théologique(8).

Ajoutons que si St Augustin est en outre très proche de nous par les problèmes qu’il pose, par la modernité de sa pensée, il apparaît souvent comme radicalement différent dans les "solutions" proposées en discutant du sens. C'est l'occasion de nous rappeler que l’"absurde" est passé par là pour nous, le scientisme est partout, au même titre que le "politiquement correct" - concepts totalement étrangers à la pensée augustinienne. Augustin, au lieu de proclamer (de réclamer ?) l’autonomie de la raison chez l’homme, dit la profonde dépendance de l’homme et de sa raison par rapport à Celui qui l’a créé, par rapport à Celui dont l’Amour est source de vie : c’est l’Amour de Dieu qui fait vivre l’homme. Pour Augustin, les limites de l’homme… c’est Dieu, et c’est d’ailleurs pour quoi l’homme est grand !

La raison livrée à elle-même ne peut rien : l’homme erre… Mais guidé par Dieu que, de fait, il ne peut oublier (cf. la mémoire au sens où l’entend Augustin), ce Dieu qui s’est révélé à l’homme et dont toute la tradition des Ecritures porte la trace, l’homme peut trouver le chemin :

"L'homme, avant de croire au Christ n'est pas en route, il erre. Il cherche sa patrie mais il ne la connaît pas. Que veut dire : il cherche sa patrie ? Il recherche le repos, il cherche le bonheur. Demande à un homme s'il veut être heureux, il te répondra affirmativement sans hésiter. Le bonheur est le but de toutes nos existences.
Mais où est la route, où trouver le bonheur, voilà ce que les hommes ignorent. Ils errent. Errer est déjà une recherche. Mais le Christ nous a remis sur la bonne route : en devenant ses fidèles par la foi, nous ne sommes pas encore parvenus à la patrie, mais nous marchons déjà sur la route qui y mène. L'amour de Dieu, l'amour du prochain sont comme les pas que nous faisons sur cette route." (Sermon Mai, 12, extraits, d'après Hamman : Saint Augustin prie les Psaumes, 1980, p. 17).

La foi précède l’intelligence. Rapport entre foi et raison

France Farago souligne (op. cit. p. 24-25) ce qu’est la fonction de l’Ecriture pour Augustin : "Si le Verbe immuable de Dieu est présent depuis toujours dans ce monde, l’homme a été incapable de le "lire" incapable de "reconnaître Dieu dans sa sagesse". C’est pour cela que Dieu a eu recours au ministère de la parole humaine". Par là F. Farago introduit à une citation d’Augustin (En. In Ps. 103, 1, 8) :

"Il s’est servi d’une langue mortelle pour produire des sons mortels […] afin qu’en une chose mortelle tu reconnaisses le Verbe immortel et afin que tu deviennes toi aussi immortel par participation à ce même Verbe."

Augustin dit encore cela d’une autre façon dans le livre XII des Confessions rappelant son errance :

"Ô Vérité, lumière de mon cœur, ne laisse pas mes ténèbres me parler ! J’ai coulé vers les choses d’ici-bas et je suis devenu obscurité ; mais de là, même de là, je t’ai profondément aimée.
J’ai erré, et je me suis souvenu de toi.
J’ai entendu ta voix derrière moi me disant de revenir,
Et j’ai mal entendu dans le tumulte des gens inapaisés.

Et maintenant voici que je reviens,
Tout brûlant et haletant vers ta source.
Que nul ne m’écarte ! que j’y boive et que j’en vive !
Que moi je ne sois pas ma vie ! j’ai mal vécu de moi,
Je fus la mort pour moi : en toi je reprends vie ! Toi, parle-moi ; toi, instruis-moi.
J’ai mis foi dans tes livres
Et leurs paroles sont des mystères profonds."
(Confessions XII, x, 10)

Mais Augustin souligne aussi que la voix nous est de moins en moins nécessaire au fur et à mesure que le Verbe nous habite :

"Plus la Sagesse se découvre à nous, moins la voix nous est nécessaire : voix dans les prophètes, voix dans les apôtres, voix dans les psaumes, voix dans l’Evangile. Qu’il vienne le Verbe qui était au commencement ! Ce Verbe qui était Dieu ! […] Les voix s’effacent à mesure que le verbe croît. On dit qu’il croît en nous quand les progrès de notre âme nous font croître en lui. […] La voix cesse donc graduellement son office à mesure que l’âme progresse vers le Christ." (Sermon 288)

C’est exactement ce qui se passe dans les Confessions : une fois que le Verbe a "pris la relève", l’homme peut se taire. La "confession" est utile au début ; ensuite, il n’y a plus que le silence dans lequel on n’entend plus que le Verbe, source unique, Parole unique devant laquelle, on ne peut que se taire et adorer.

Se fondant sur Isaïe VII, 9(9), Augustin met la foi comme source de toute connaissance : l’intelligence récompense de la foi :

"La compréhension est la récompense de la foi. Ne cherche donc pas à comprendre pour croire, mais crois afin de comprendre, parce que si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas."
(Augustin, Homélies sur l'Evangile de Jean Tract. XXIX, 6, p. 707)

ou encore (car c’est une idée chère à Augustin : on la retrouve à maintes reprises) :

"Croyez pour mériter de comprendre. La foi doit précéder l'intelligence pour que l'intelligence soit la récompense de la foi." (Sermon 139, 1, 1).

La foi cherche, l’intellect trouve. Mais pour comprendre on peut souligner la nécessité d’une confiance qui fait la vraie recherche et qui fait chercher où l’on peut trouver (cf. dans les Ecritures). Augustin ne demande surtout pas de faire le sacrifice de l’intelligence : simplement de reconnaître que l’ontologique précède le logique et le fonde.

Augustin écrit (Lettre 120 à Consentius) :

"Aime fortement l’intelligence parce que les Ecritures elles-mêmes, qui recommandent la foi avant l’intelligence des grandes choses, ne peuvent pas t’être utiles si tu ne les comprends pas bien."

Soulignons la fécondité du texte biblique où chacun, à un moment de son histoire, comprend ce qu’il peut (Augustin donne l’exemple de la compréhension des humbles dans le ch. XII des Confessions, xviii, 27) : il est permis de trouver dans l’Ecriture un sens qui n’est pas faux, même s’il n’est pas voulu par l’auteur. L’Esprit guide et ouvre à la compréhension des Ecritures :

"En quoi, dis-je, cela me gêne-t-il que j’entende, moi, autrement qu’un autre ne l’a entendu, ce qu’entendait exprimer celui qui a écrit ? Bien sûr, nous tous qui lisons, nous tendons nos efforts pour dépister et saisir ce qu’a voulu dire l’auteur que nous lisons ; et comme nous croyons qu’il dit vrai, nous n’osons pas penser qu’il ait rien dit que nous sachions ou jugions faux. Donc, du moment que chacun s’efforce d’entendre les saintes Ecritures comme les a entendues celui qui a écrit, où est le mal si on les entend dans un sens que toi, lumière de tous les esprits véridiques, tu montres vrai, même si celui qu’on lit ne les a pas entendues dans ce sens, puisque lui aussi les a entendues dans un sens vrai, qui n’est pourtant pas celui-là ?

Augustin nous met toujours en garde contre les seuls "intelligents" dont le cœur se serait tu et qui ignorent Dieu :

"…mieux vaut un homme qui se sait possesseur d’un arbre et te rend grâces de son utilité, même s’il ignore ou combien de coudées de hauteur a cet arbre ou sur quelle largeur il se déploie, que celui qui le mesure et dénombre toutes ses branches, mais sans le posséder et sans connaître son créateur ni l’aimer […] de même l’homme de foi […] qui n’ayant pour ainsi dire rien, possède tout par son union à toi à qui tout est soumis ; et même s’il ne connaissait seulement pas les circuits des étoiles du Septentrion, cet homme, il serait stupide d’en douter, vaut mieux certainement que celui qui mesure le ciel, dénombre les astres pèse les éléments et ne se soucie pas de toi…"
(Confessions, V, iv, 7)

Entre Dieu et l’homme, entre l’Eternité et le temps, il y a une coupure radicale, et l’homme ne pourrait connaître Dieu si Dieu ne venait le rencontrer, si Dieu ne l’aimait, si Dieu n’était toute miséricorde.

Conclusion

Alors, les Confessions, un livre inspiré ? Sans doute pas au sens technique du terme (cf. réservé à la Bible ?) mais marqué par la lumière divine, écrit dans l’Eglise sous l’action de l’Esprit-Saint : à interpréter sous cette même lumière ? lumière de la foi ? Augustin, comme toujours ne cherche pas à prouver la "véracité" de son récit : "il s’adresse à des frères qui lui sont unis par la charité, et qui, dans cet accord des cœurs, le croiront sur parole." (A. Solignac, p. 14) :

"Mais parce que la charité croit tout, entre ceux-là du moins qu’à elle-même elle attache ensemble et rend "un", moi aussi, Seigneur, encore une fois c’est ainsi que je te dis ma confession, pour qu’entendent les hommes à qui je ne puis prouver si, oui ou non, je dis vrai ; mais ceux-là me croient qui ont pour moi des oreilles qu’ouvre la charité." (Conf. X, iii, 3).

Rappelons-nous aussi ce passage magnifique des Homélies sur l’Evangile de Jean (alors qu’Augustin commente Jn 6, 44 : "Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire") :

"Donne-moi quelqu'un qui aime, et il sentira la vérité de ce que je dis. Donne-moi un homme tourmenté par le désir, donne-moi un homme passionné, donne-moi un homme en marche dans ce désert et qui a soif, qui soupire après la source de l'éternelle patrie, donne-moi un tel homme, il saura ce que je veux dire." (Tract. XXVI, 4)

Et nous citerons un extrait des Soliloques (pour compléter la question du rapport entre foi et intelligence) en conclusion :

"Les vérités les plus solides de la science ressemblent aux objets que le soleil éclaire et rend visibles, la terre, par exemple, et toutes les choses terrestres. Mais c’est Dieu lui-même qui éclaire."

Augustin donne alors la parole à la Raison :

"Moi, la Raison, je suis aux intelligences ce que le regard est aux yeux. Avoir des yeux est autre choses que regarder ; regarder est autre chose que voir. L’âme a donc besoin de trois conditions : avoir des yeux dont elle puisse se bien servir, regarder, voir. Un œil sain, cela équivaut à une intelligence exempte de toute souillure d’ordre physique, c’est-à-dire garantie, purifiée de toute passion pour les choses périssables. Cet affranchissement, seule la foi peut le lui procurer." (Soliloques, I, vi, 12)

(1) Dans une perspective très comparable, S. Pinckaers, 2002 écrit : "Le contact avec les œuvres de S. Augustin et avec la littérature qui s’y ajoute donne aussi l’impression d’une mer, d’un océan à parcourir. Ses œuvres sont si nombreuses, les aspects et les dimensions de sa pensée si multiples, sa profondeur et son étendue tellement vastes !
En réponse à ces difficultés, nous dirons tout d’abord que personne ne se trouve obligé, pour en tirer profit, de lire toutes les œuvres de S. Augustin, ni même de parcourir tous les chemins qui sillonnent la montagne qu’elles évoquent. Il est plus important pour nous qu’Augustin nous aide à trouver un chemin vers les sommets où brille la lumière qui l’a éclairé lui-même, comme le fait un guide ou un maître, et que nous puisions dans ses œuvres la nourriture utile pour nous soutenir sur la route menant au but qu’il nous montre : la vision de Dieu, la "joie de la vérité", le "repos en Dieu". (pp. 8-9) [Ce qui est à peu près donner une définition de la théologie spirituelle !]
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(2) On pourrait aussi évoquer un troisième sens possible : la "confession de foi" = la profession de foi explicite, qui n’est pas complètement exclue de l’ouvrage d’Augustin – on le verra - ceci conformément à Joseph Ratzinger qui dit : "Il est vrai que confessio signifie parfois aussi profession de foi dans les Confessions – et en cela il faut donner raison à Courcelle contre Verheijen – mais les Confessions en elles-mêmes ne sont pas une profession de foi, pas même dans les livres XI-XIII – et en cela Verheijen a raison contre Courcelle." ("Originalität und Ueberlieferung in Augustins Begriff der Confessio" dans Revue des Etudes augustiniennes, 3, 1957, pp. 375-392 : p. 391, n. 66)
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(3) C'est notamment en raison de cela, et des multiples ambiguïtés présentées par ce mot de "confession" que Frédéric Boyer a proposé comme titre de sa nouvelle (et magnifique) traduction : "Les aveux" (on trouvera ici-même une petite présentation de cette traduction.
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(4) On a pu souligner que cette "vérité" qu’Augustin veut découvrir, c’est bien Dieu lui-même – et non pas une quelconque "vérité psychologique", un quelconque "inconscient"…
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(5) Soulignons que Rousseau bien sûr, connaissait les Confessions de St Augustin !
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(6) Tout début du livre I des Confessions de J.J. Rousseau : la comparaison avec le début des Confessions d'Augustin ci-dessous n'en est que plus frappante.
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(7) Au début du livre second, Augustin le dit très clairement : "Je veux rappeler à mon coeur les hideurs de son passé et les charnelles corruptions de mon âme ; non pas que je les aime, mais afin que je t'aime, toi, mon Dieu." (II, i, 1).
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(8) L'histoire (individuelle ou collective) a-t-elle un sens en-dehors de Dieu, Lui, l'Alpha et l'Omega, début et terme de l'histoire des hommes/de l'homme ?
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(9) "Si vous ne croyez pas, vous ne vous maintiendrez pas." (Isaïe, 9, 7).
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