En repartant de Grégoire de Nysse (cf. métaphore des deux aveugles dans le chapitre "Joie et désir)", nous pouvons souligner que la souffrance est la marque du manque dans notre vie : manque d’un bien que nous attendons, d’un bien que nous "connaissons" en quelque sorte de cette connaissance intime qui est la connaissance de Celui qui nous a fait à son image, manque de Dieu… Grégoire de Nysse nous explique même que lorsque le Christ dit (dans la 3e béatitude) : "Heureux ceux qui pleurent…", de fait "Ce ne sont pas les larmes que le Verbe appelle bienheureuses mais la connaissance du bien et la douceur de se savoir privé de ce qu’on cherche." Plus le désir est grand, plus grande est la béatitude. Et Grégoire utilise pour nous le faire comprendre l’histoire de deux aveugles (3e Béatitude, 3, pp. 51) :
"De deux aveugles, l’un est né avec cette infirmité, l’autre a connu la lumière mais a
perdu la vue dans un accident malencontreux. Le sort ne les fait pas souffrir de la même manière. Celui qui
sait ce qui lui fait défaut souffre de se voir dépossédé de la vue ; l’autre qui n’a jamais connu jusqu’à présent
pareil bienfait, passera sa vie sans s’affliger ; comme il a toujours vécu dans l’obscurité, il ne s’imaginera
pas être privé d’un bien.
Le premier aspirera passionnément par tous les moyens à retrouver le bienfait de la lumière pour obtenir
ce dont il se sait privé cruellement. Le second vivra dans la nuit, jusqu’à sa vieillesse, et, faute d’avoir
connu la lumière, considère son état comme un bien.
Il en est de même de celui qui a compris quels sont les véritables biens, en même temps que sa misère – il
se considèrera malheureux et sera dans la tristesse, parce qu’actuellement il a perdu ce bien.
Ce ne sont pas les larmes que le Verbe appelle bienheureuses mais la connaissance du bien et la douceur de
se savoir privé de ce qu’on cherche."
C’est bien pour cela que l’homme connaît joie et souffrance : souffrance d’être séparé, privé de Celui qui est le bien suprême, mais joie de Lui parce que nous en vivons déjà, parce que ce désir est présent intensément dans notre vie, à la fois frustration, mais aussi plénitude (plénitude parce que nous sommes faits pour Lui et qu’Il est donc déjà présent en nous).
St Bernard, de son côté, partant de cette expérience de la joie et de la tristesse, présente en tout homme, sans doute d’ailleurs à des degrés divers, nous invite à convertir joie et tristesse dans le Seigneur. D’abord à distinguer parmi les joies et les causes d’affliction (ce qui est bien sûr requis sur un chemin de sainteté), et à entrer plus avant dans la communion des saints en nous réjouissant avec ceux qui sont dans la joie et en pleurant avec ceux qui pleurent (Rm 12, 15). C’est ainsi, dans l’Amour de l’autre, que notre joie et notre tristesse sont vraiment transformées, converties, qu’elles ne sont plus vraiment nôtres seulement mais qu’elles sont d’abord communion, et donc chemin vers Celui qui nous invite à aimer même nos ennemis.
"Convertissez-vous, dit le Seigneur, de tout votre cœur. Frères, s’il avait dit : "Convertissez-vous" sans rien ajouter, peut-être aurions-nous pu répondre : c’est fait, tu peux nous prescrire autre chose. Mais le Christ nous parle ici, si j’entends bien, d’une conversion spirituelle qui ne se fait pas en un seul jour. Puisse-t-elle même s’achever au cours de cette vie ! Fais donc attention à ce que tu aimes, à ce que tu crains, à ce qui te réjouit ou à ce qui te contriste et tu verras parfois que, sous l’habit religieux, tu restes un homme du monde. En effet, le cœur est tout entier dans ces quatre sentiments et c’est d’eux, je pense, qu’il faut entendre ces paroles : Convertissez-vous au Seigneur de tout votre cœur."
"Que ton amour se convertisse de sorte que tu n'aimes rien sinon le Seigneur ou bien que tu n'aimes rien que pour Dieu. Que ta crainte se tourne aussi vers lui car toute crainte qui nous fait redouter quelque chose en dehors de lui et non pas à cause de lui est mauvaise. Que ta joie et ta tristesse se convertissent à lui ; il en sera ainsi si tu ne souffres ou ne te réjouis qu'en lui. Si donc tu t'affliges pour tes propres péchés ou pour ceux du prochain, tu fais bien et ta tristesse est salutaire. Si tu te réjouis des dons de la grâce, cette joie est sainte et tu peux la goûter en paix dans l'Esprit Saint. Tu dois te réjouir, dans l'amour du Christ, des prospérités de tes frères et compatir à leurs malheurs selon cette parole : Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent."
"Déchirez vos cœurs, dit le Prophète, et non vos vêtements.. Quel est celui parmi vous dont la volonté est particulièrement sujette à l’entêtement ? Qu’il déchire son cœur avec le glaive de l’Esprit qui n’est autre que la Parole de Dieu. Qu’il le déchire et qu’il le réduise en poussière, car on ne peut se convertir au Seigneur qu’avec un cœur brisé. Ecoute l’homme que Dieu a trouvé selon son cœur : "Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt." Il est prêt pour l’adversité, il est prêt pour la prospérité, il est prêt pour les choses humbles, il est prêt pour celles qui sont élevées, il est prêt pour ce que tu ordonneras. "Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt." Qui est, comme David, prêt à sortir et à entrer et à marcher selon la volonté du Roi ?" (2e Sermon pour le premier jour du Carême, 2-3, 5, cité in Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes de Jean-René Bouchet, p. 143).
St François découvre, lui, que la connaissance "intellectuelle" n’est rien ; il fait la découverte de la souffrance de Dieu dans sa chair ; lui seul peut en parler vraiment alors que nous ne pouvons que nous taire… Mais c’est aussi pour lui la découverte de "la joie parfaite".
Franco Gallivanone raconte dans "Dans ma bouche, le Seigneur a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu" (Ps 39 (40), 4", (in Carlo M. Martini, Raniero Cantalamessa, éds. : La joie parfaite fruit de la Croix, Editions Saint-Augustin, 2001) comment François vit dans l’attente de Dieu, comment "renonçant à toute consolation qui lui viendrait d’ailleurs, il endure le vide terrible de ce moment, il fait face devant Dieu dont il attend un signe." (p. 15). Et le Seigneur donne à François d’être configuré à sa mort, l’introduisant dans le mystère intime de la Pâque par les stigmates. François est alors vraiment pauvre : c’est pourquoi Dieu peut l’envahir en plénitude.
C’est en redescendant que François compose ses "Louanges du Dieu Très-Haut", pleines de joie (la joie parfaite) n’est-ce pas là le "cantique nouveau" dont nous avons déjà parlé :
"Tu es le seul Saint, Seigneur Dieu,
toi qui fais des merveilles !
Tu es fort, tu es grand,
tu es le Très-Haut, tu es le roi tout-puissant,
toi, Père saint, roi du ciel et de la terre.
Tu es trois et tu es un, Seigneur Dieu,
tu es le bien, tu es tout bien,
tu es le souverain bien,
Seigneur Dieu vivant et vrai.
Tu es amour et charité, tu es sagesse
tu es humilité, tu es patience
tu es beauté, tu es douceur
tu es sécurité, tu es repos,
tu es joie, tu es notre espérance et notre joie,
tu es justice, tu es mesure,
tu es toute notre richesse et surabondance.
Tu es beauté, tu es douceur,
tu es notre abri, notre gardien et notre défenseur,
tu es la force, tu es la fraîcheur ?
Tu es notre espérance
tu es notre foi
tu es notre amour
tu es notre grande douceur,
tu es notre vie éternelle,
grand et admirable Seigneur,
Dieu tout-puissant, ô bon sauveur !"
St Thomas, nous l’avons vu, parle à maintes reprises de la "béatitude" - béatitude de Dieu, béatitude de l’homme. (en particulier dans la première section de la seconde partie).
Pour l’homme, Thomas distingue la béatitude imparfaite de cette vie (qui peut être perdue) et la béatitude parfaite qui "est une perfection consommée". Elle est "attribuée hors de toute mutabilité, grâce à la vertu divine qui élève l’homme à la participation de son éternité, au-dessus de tout changement." (IIa pars, I, Q 5, art. 4, Sol. 1).
Puis Thomas va examiner dans la Question 35, art. 5 : "Y a-t-il une tristesse contraire au plaisir de la contemplation ?" :
"La tristesse liée par accident à la contemplation n’est contraire à sa joie en aucune de ces deux manières [manières citées : en raison de l’organe – fatigue, par exemple – et à cause des obstacles à la connaissance.]. Car la tristesse qui vient des obstacles à la contemplation n’est pas contraire à sa délectation ; elle est plutôt en affinité et en harmonie avec elle […] Quant à la tristesse ou affliction produite par la fatigue corporelle, elle n’est pas du même genre, elle est donc absolument disparate. Il apparaît ainsi avec évidence qu’à la délectation née de la contemplation elle-même ne s’oppose aucune tristesse, et que nulle tristesse ne l’accompagne sinon par accident."
Ce qui confirme ce que nous disions plus haut : certaine tristesse (certaine souffrance) n’est pas contraire à la joie.
Et, dans cette même 2e partie (Question 36, art 3, sol. 1) il précise que si la douleur s’oppose à la perfection de l’être (et donc à la béatitude, à la joie parfaite), cette douleur n’est pas "causée par le désir de n’importe quelle unité, mais de celle qui constitue la perfection voulue par la nature." : la souffrance va nécessairement avec ce qui déjà est joie (mais imparfaite) en l’homme.
St Thomas qui a souligné qu’en l’homme la joie est un effet de la charité, pose précisément la question "La joie spirituelle causée par la charité est-elle compatible avec la tristesse ?" (Somme Théologique, II pars II, 28, 1 et 2 tout particulièrement) (Cerf, vol. III, pp. 214 sq.)
"[...] la joie et la tristesse procèdent de l’amour, mais pour des motifs opposés.
La joie est causée par l’amour, ou bien parce que celui que nous aimons est présent, ou bien encore parce
que lui-même est en possession de son bien propre, et le conserve. Ce second motif concerne surtout
l’amour de bienveillance qui nous rend joyeux du bien-être de notre ami, même en son absence. – A l’opposé,
l’amour engendre la tristesse, soit parce que celui qu’on aime est absent, soit encore parce que celui à qui
nous voulons du bien est privé de son bien ou accablé de quelque mal.
Or, par la charité, c’est Dieu qu’on aime, Dieu dont le bien est immuable, puisqu’il est en personne son propre
bien. Et du seul fait qu’il est aimé, il est dans celui qu’il aime par le plus noble de ses effets, selon
la parole de S. Jean (1 Jn 4, 16) : "Celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui."
C’est pourquoi la joie spirituelle qui vient de Dieu est causée par la charité.
[…] Aussi longtemps que nous habitons ce corps, on dit que nous sommes loin du Seigneur, si l’on nous compare
à ceux qui sont en sa présence et jouissent ainsi de sa vision ; car, déclare également S. Paul au même endroit,
"nous cheminons dans la foi et non dans la claire vision." Mais Dieu, même en cette vie, est présent à ceux qui
l’aiment, par la grâce qui le fait habiter en eux.
Les larmes qui méritent la béatitude viennent de ce qui s’oppose à celle-ci. C’est donc pour la même raison que
ces larmes et la joie spirituelle de Dieu proviennent de la charité ; car c’est pour une même raison qu’on se
réjouit d’un bien, et qu’on s’attriste de ce qui s’y oppose.
La joie spirituelle qui a Dieu pour objet peut avoir deux formes, suivant qu’on se réjouit du bien divin en
lui-même, ou de ce même bien pour autant qu’on y participe. La première de ces joies est la meilleure et a
sa source primordiale dans la charité ; mais une seconde joie provient aussi de l’espérance, par laquelle nous
attendons de jouir du bien divin. Toutefois, même cette jouissance parfaite ou imparfaite ne sera obtenue
qu’à proportion de notre charité."
Et il poursuit dans l’article 2 :
"La charité […] produit en nous deux sortes de joie ayant Dieu pour objet. La première, qui est la
principale, et qui est propre à la charité, a pour objet le bien divin considéré en lui-même. Cette joie
ne peut être mêlée de tristesse, pas plus que le bien sur lequel elle porte ne peut être mêlé d’un mal
quelconque. C’est en ce sens que S. Paul disait (Ph 4, 4) : "Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur."
La seconde a pour objet le bien divin considéré comme étant notre partage. Or cette participation peut rencontrer
quelques obstacles. Il en résulte que par là même de la tristesse peut se mêler à la joie, selon que nous
nous attristons de ce qui, en nous-mêmes, empêche de participer au bien divin. […]
Les larmes de notre prochain ne peuvent être causées que par du mal. Or le mal comporte toujours un
défaut de participation au bien souverain. Donc la charité fait compatir à la douleur du prochain,
pour autant qu’il y a en lui un empêchement à participer à ce bien.
"Nos péchés, selon Isaïe (59, 2), ont creusé un abîme entre nous et Dieu." C’est pourquoi nous avons motif
de pleurer nos péchés passés, ou même ceux du prochain, en tant qu’ils nous empêchent de participer au bien
divin.
Sans doute, en cet exil, le bien divin devient quelque peu nôtre par la connaissance et par l’amour
il reste cependant que la misérable condition d’ici-bas nous empêche d’y participer aussi pleinement
que dans la patrie. C’est pourquoi cette tristesse de voir retarder notre gloire s’explique par notre
empêchement de participer au bien divin."
Mais c’est aussi l’expérience d’un St Jean de la Croix qui nous rappelle que pour connaître vraiment Dieu, pour s’unir véritablement à Lui, il nous faut entrer dans le chemin de la souffrance du Christ, le chemin de la Croix à porter avec Lui :
"Oh ! si l’on finissait enfin par comprendre qu’il est impossible de parvenir à la profondeur de la sagesse et des richesses de Dieu sans pénétrer dans la profondeur de la souffrance de mille manières, l’âme y mettant sa joie et ses désirs (afin de comprendre avec tous les saints quelle en est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur) ! L’âme qui désire vraiment la sagesse désire aussi vraiment entrer plus avant dans les profondeurs de la Croix qui est le chemin de la vie ; mais peu y entrent. Tous veulent entrer dans les profondeurs de la sagesse, des richesses et des délices de Dieu, mais peu désirent entrer dans la profondeur des souffrances et des douleurs endurées par le Fils de Dieu : on dirait que beaucoup voudraient être déjà parvenus au terme sans prendre le chemin et le moyen qui y conduit." (Cantique spirituel, 36.35).
Il est sans doute difficile à qui n’est pas St Jean de la Croix (ou Elisabeth de la Trinité, cf. ci-dessus) de désirer la souffrance et d’y "mettre sa joie", mais l’abandon total au Christ sur ce chemin nous menant au but désiré, implique précisément la découverte que joie et souffrance se rencontrent ensemble (et s’embrassent) sur ce chemin en Christ, lui qui, comme nous le disions en commençant par l’Incarnation est précisément le signe (au sens fort : le sacrement) de cette joie totale entraînée par la certitude de la présence de Dieu, en même temps que de la souffrance infinie d’une séparation paradoxale(4) mais réelle de ce Dieu tellement Autre.
Et ce chemin, qui n’est pas tout tracé se trace tout au long de notre vie, au milieu des doutes, des épreuves et des joies. C’est le Christ qui, à proportion et hors de proportion de notre abandon à sa grâce, nous configure pour cette joie totale et parfaite qui est notre destin d’hommes faits à l’image de Dieu.
Teilhard de Chardin médite sur la Croix, signe de contradiction, où se retrouvent ténèbres et lumière, la Croix qui est marque de notre péché et de notre souffrance en même temps que point où l’Amour culmine :
"La Croix a toujours été un signe de contradiction et un principe de sélection parmi
les Hommes. C’est, nous dit la Foi, suivant l’attraction ou la répulsion consenties qu’elle exerce sur les
âmes, que se poursuit le tri du bon et du mauvais grain, la séparation des éléments élus et inutilisables,
au sein de l’Humanité. Là où elle apparaît, de l’effervescence et des oppositions sont inévitables. Encore
faut-il que ce conflit ne soit pas inutilement surexcité par une manière provocante, discordante, de prêcher
la doctrine de Jésus crucifié. Trop souvent, la Croix est présentée à notre adoration, moins comme un but
sublime que nous atteindrons en nous surpassant nous-mêmes, que comme un symbole de tristesse, de restriction,
de refoulement.
Cette façon de prêcher la Passion tient simplement, dans bien des cas, à l’emploi malencontreux d’un vocabulaire
pieux où les mots les plus graves (tels que sacrifice, immolation, expiation), vidés de leur sens par la
routine, sont employés avec une légèreté et une allégresse inconscientes. On joue avec des formules. Mais
cette manière de parler finit par donner l’impression que le Règne de Dieu ne peut s’établir que dans le
deuil, en prenant constamment le contre-pied et le contre-courant des énergies et des aspirations humaines.
Sous la fidélité des mots, rien n’est moins chrétien, au fond, que cette perspective. Ce que nous avons dit,
au paragraphe précédent, sur la combinaison nécessaire du détachement et de l’attachement, permet de donner
à l’ascèse chrétienne un sens beaucoup plus riche et beaucoup plus complet.
Prise à son plus haut degré de généralité, la doctrine de la Croix est celle à laquelle adhère tout homme
persuadé qu’en face de l’immense agitation humaine il s’ouvre un chemin vers quelque issue, et que ce chemin
monte… (Le Milieu divin, Seuils, Points "Sagesses", pp. 104-106)
Teilhard ajoute, en référence à la souffrance, physique et morale, qui sous ses différentes formes s’inscrit au cœur de sa vie (mais au cœur de toute vie humaine), sous forme de prière :
"La fleur que je tenais s’est fanée dans mes mains, un mur s’est dressé devant moi au tournant de l’allée… une flamme a consumé la feuille qui portait ma pensée… L’épreuve est venue… et je n’ai pas été définitivement triste… pourquoi donc Seigneur ? Parce que, dans cette faillite des supports immédiats que je risquais de donner à ma vie, j’ai expérimenté, d’une manière unique, que je ne reposais plus que sur votre consistance… » (Ecrits du temps de guerre, Œuvre, Seuil, tome XII, p. 167)
André Dupleix commente :
"La Croix est pour le croyant le signe de l’extrême proximité et de l’extrême abandon. L’Amour culmine où la souffrance domine. Dans l’acte par excellence du salut, acte d’Amour et non subterfuge s’inscrit le détachement. L’abandon au Père étant pour le Christ l’ouverture à la lumière totale de la vie." (Prier 15 jours avec Teilhard de Chardin, Nouvelle Cité, p. 40)
Pour conclure, on pourra dire que joie et souffrance sont toutes deux de Dieu et de l’homme. Selon leur sensibilité ou leurs expériences, les auteurs chrétiens ont pu se situer plutôt selon l’une ou l’autre des tendances qu’on pourra tenter de résumer – sans vouloir pourtant tomber dans la caricature :
Mais il est tout aussi vrai d’affirmer que toute souffrance en l’homme est souffrance de l’absence de Dieu, car si Dieu était en plénitude et en totalité avec nous comme Il le sera dans la vie éternelle, nous ne connaîtrions précisément pas la souffrance : si nous souffrons, c’est parce que le mal d’une façon ou d’une autre nous habite encore. En Dieu, dans l’éternité pour quoi nous sommes faits, il n’y a que bien, il n’y a que Joie. Ce mal, notre mal, notre souffrance a habité le Christ qui a voulu s’en charger pour nous permettre d’entrer avec Lui dans l’éternité et la joie définitive de Dieu, dans l’Amour trinitaire qui est plénitude. Avec le Christ la souffrance de l’homme a pénétré en Dieu pour que sa joie nous saisisse en totalité.
Un des paradoxes les plus profonds de Dieu c’est sa totale présence (joie pour nous) et son immense absence, sa distance par rapport à l’homme en ce temps (notre éloignement) car Il est le tout Autre (souffrance pour nous). Ce dernier propos est à livrer comme une révélation… qui souligne l’importance de ce chapitre, qui est en quelque sorte, à partir de son titre paradoxal, révélation fondamentale et essentielle de ce qu’est la relation de l’homme et de Dieu, l’homme en Dieu, par Dieu, pour Dieu.
On se rappellera le silence de St Thomas quand cette révélation lui apparaît au terme de son œuvre(5). Configuration de St François au Christ. Expérience à peu près indicible du mystique.
(4) : Cf. le cri du Fils, tant uni au Père (Jn 10, 30 "Moi et le Père nous sommes un") : "Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné !" (Ps 21 repris par Jésus sur la croix).
(5) : "Vers la fin de sa vie terrestre, alors qu’il était arrivé à la moitié de la troisième partie de l’énorme Somme théologique, bien qu’il fût encore en possession de ses moyens, Thomas cessa d’écrire et de dicter, entièrement pris par l’approche de la rencontre avec Dieu : "Réginald", dit-il au frère qui l’accompagnait partout comme secrétaire et compagnon fidèle, "je ne peux plus (continuer) , parce que tout ce que j’ai écrit ne me paraît qu’un peu de paille en face de ce que j’ai vu et de ce qui m’a été révélé" (en célébrant la messe, comme en d’autres occasions, Thomas eut des visions et des révélations de Dieu)." (Michel Lemonnier, Histoire de l’Eglise, Mediaspaul, Editions Paulines, Institut St-Gaétan, pp. 273-275).
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