La joie : ce qu'en disent les Pères de l'Eglise
(et quelques auteurs chrétiens ultérieurs)

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Chapitre 6e

Joie et vérité

"Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; laissez-moi vous le redire : soyez dans la joie. Que votre sérénité soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, dans l'action de grâce priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer, gardera votre coeur et votre intelligence dans le Christ Jésus." (Philippiens, 4, 4-7)

Avant de commencer, je vous propose un instant de méditation à partir de ce texte si fort : c’est la paix de Dieu qui garde non seulement notre cœur mais aussi notre intelligence dans le Christ. Qu’est-ce que cela veut dire ?…Sans doute que joie et vérité sont sœurs, qu’il n’y a pas de joie dans le mensonge, et que la vérité ne peut advenir sans la joie car toutes deux sont dans le Christ : cœur et intelligence, n’est-ce pas d'autres noms de joie et vérité ?

Introduction :

Il ne s’agit ici que de présenter quelques pistes : la vérité est une des questions les plus complexes de la théologie, qui a en outre à voir avec la morale (qui concerne donc à la fois la théologie fondamentale et la théologie morale). Donner quelques pistes pour expliciter quelques une de ces questions, quelques-uns des enjeux de la recherche sur la vérité. Mais surtout, par là-même, étudier un peu plus notre question de l’année : sans oublier que c’est la joie que nous essayons de comprendre, d’atteindre. La vérité comme question théologique est certes, importante, mais attention à ne pas plonger dans l’abîme, en perdant de vue notre objet. Il n’y a pas toujours de la "joie" chez les théologiens qui s’occupent de la vérité !

Il s’agit aussi pour nous de poursuivre une recherche chez les Pères et Docteurs : pas chez le seul St Thomas d’Aquin, même si, précisément, c’est celui qui a le plus sans doute traité de la "vérité" (pas toujours avec la joie toutefois !). Dans la première partie de la Somme, Thomas situe la vérité par rapport à l’être et de ce fait par rapport à Dieu, notamment avec cette belle définition de St Hilaire (dans le De Trinitate, V) qu’il rapporte et commente : "Le vrai est la déclaration ou la manifestation de l’être". Dans la 2e partie, au moment où il s’interroge sur les vertus, St Thomas donne une double définition de la vérité et peut affirmer qu’en un sens il s’agit d’une vertu :

"Le mot vérité peut avoir deux sens. Dans le premier, c’est ce qui fait dire d’une chose qu’elle est vraie. En ce sens, elle n’est pas une vertu, mais l’objet ou la fin de la vertu. En effet, elle n’est pas une espèce d’habitus, mais une certaine égalité entre l’intelligence ou le signe intellectuel et la réalité comprise et signifiée, ou encore entre une chose et sa règle ou son modèle, comme nous l’avons montré dans la première Partie. – Dans le second sens, c’est ce qui fait qu’un homme dit la vérité, et c’est ce qui fait dire de lui qu’il est véridique. Ainsi définie, la vérité est évidemment une vertu : car, dire ce qui est vrai est un acte bon, mais c’est la vertu qui rend bon celui qui la possède et aussi rend son œuvre bonne." (Somme théologique IIe partie, II, Question 109, art. 1)

On voit assez clairement chez St Thomas les deux parties de la théologie qui sont concernées par la question de la vérité : théologie fondamentale ou dogmatique, théologie morale.

Quand on interroge à partir de "vérité – théologie" sur Internet, on trouve presque exclusivement des sites "thomistes" (plus ou moins traditionnalistes d'aileurs), ainsi d’ailleurs que des sites sur la "théologie de la libération" - en raison du rapport de la vérité avec la liberté : nous y reviendrons.

Notre propos ici est donc de n’oublier aucun des trois termes à tenir : joie, Pères et vérité, et je dirais presque dans cet ordre, pour ne pas dévier vers d’autres champs, d’autres domaines… Joie et vérité nous renvoient d’abord et pleinement aux écrits de Jean : une nouvelle fois, nous ne nous étonnerons pas de retrouver associées "joie et vérité" chez les Pères qui l’ont particulièrement commenté… De ce fait, on pourrait largement donner la parole à Augustin (cf. Homélies sur l’Evangile de Jean, Commentaire sur la 1ère Epître de Jean)…

1) La découverte de la vérité : tradition, inspiration…

Souvent la recherche de la vérité est accompagnée d’inquiétude, voire d’angoisse. Cela peut sembler contradictoire avec la joie.

Un premier texte qu'on peut remémorer sur cet aspect est un texte évangélique ; Pilate interroge le Christ :

Jean 18, 36-40 :
"Mon royaume n'est pas de ce monde, répondit Jésus. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne fusse pas livré aux Juifs ; mais maintenant mon royaume n'est point d'ici-bas.
Pilate lui dit : Tu es donc roi ? Jésus répondit : Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.
Pilate lui dit : Qu'est-ce que la vérité ? Après avoir dit cela, il sortit de nouveau pour aller vers les Juifs, et il leur dit : Je ne trouve aucun crime en lui.
Mais, comme c'est parmi vous une coutume que je vous relâche quelqu'un à la fête de Pâque, voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ?
Alors de nouveau tous s'écrièrent : Non pas lui, mais Barabbas. Or, Barabbas était un brigand.

Déjà Pilate pose la question de la vérité (qu’on retrouve tout au long de l’Evangile de Jean). Nombreux sont les textes des Pères qui l’évoquent, et jusqu’à Splendeur de la vérité, nous verrons que c’est une thématique essentielle du christianisme.

La mise au point est importante, pour nous aider à mieux comprendre ce qu’est la vérité, dans un monde où le "relativisme", les opinions "scientifiques", mais aussi le "politiquement correct" ou la volonté de "respecter l’autre" (respect de l’autre d’ailleurs parfois dévoyé de la "vérité" : faux respect qui de fait méprise), sont notre pain quotidien.

Discours du pape Jean-Paul II aux membres de l’Académie pontificale de Théologie, samedi 16 février 2002 :

"Dans l'Encyclique Fides et ratio, j'ai affirmé que "les voies d'accès à la vérité restent multiples ; toutefois, la vérité chrétienne ayant une valeur salvifique, chacune de ces voies peut être empruntée, du moment qu'elle conduit au but final, la révélation de Jésus-Christ" (n. 38). Gardiens et témoins de la vérité du Christ dans l'Eglise et dans le monde, les Académiciens sont guidés dans leur travail d'étude et de recherche par la Révélation chrétienne, "vraie étoile sur laquelle s'oriente l'homme" (ibid., n. 15), en ce qui concerne la vérité à connaître, le bien à accomplir, la charité à vivre."

3. Deux aspects peuvent aujourd'hui caractériser l'apostolat et le service de la vérité : son dynamisme et son ecclésialité. La vérité de la Révélation chrétienne ouvre dans l'histoire des horizons toujours nouveaux de compréhension du mystère de Dieu et de l'homme. Cet élan intrinsèque de nouveauté ne signifie pas relativisme ou historicisme, mais concentration suprême de la vérité, dont la compréhension implique d'avancer sur un chemin, mais surtout de suivre le Christ, chemin, vérité et vie. La théologie devient ainsi un itinéraire en communion avec la Vérité-Personne qui est Jésus-Christ, dans un rapport de fidélité, d'amour et de don, sous l'action de l'Esprit de vérité (cf. Jn 16, 13), dont le devoir n'est pas seulement celui de rappeler les paroles de Jésus, mais d'aider les chrétiens à les comprendre et à les vivre avec une plus grande clarté intérieure, dans l'histoire changeante de l'humanité.

La qualification de "pontificale" de votre "Académie de Théologie" signifie en second lieu que son service au Christ Vérité est caractérisé par son ecclésialité. La libre recherche du théologien s'exerce en effet au sein de la foi et de la communion de l'Eglise. Dans l'Eglise, sel de la terre et lumière du monde (cf. Mt 5, 13-14), la réflexion théologique accomplit son devoir de répondre à la volonté salvifique universelle de Dieu, qui veut "que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité" (1 Tm 2, 4). La communion ecclésiale, plus qu'une limite, est en réalité le lieu qui vivifie la réflexion théologique, en soutenant son audace et en récompensant sa prophétie. De cette façon, la science théologique, dans la compréhension toujours plus profonde de la vérité révélée, devient un service à tout le Peuple de Dieu, soutient son espérance et renforce sa communion.

L'adhésion au Christ Vérité, manifestée par les théologiens dans l'obéissance au magistère de l'Eglise, est une force puissante qui unifie et qui édifie. Le théologien catholique est conscient que le magistère n'est pas une réalité externe à la vérité et à la foi mais, au contraire, qu'en tant qu'élément constitutif de l'Eglise, il est au service de la Parole de vérité qui préserve des déviations et des déformations, en garantissant au Peuple de Dieu de vivre toujours dans l'histoire guidé et soutenu par le Christ-Vérité. Le rapport entre magistère et travail théologique est donc soutenu par le principe de l'harmonie. Etant tous deux au service de la Révélation divine, tous deux redécouvrent de nouveaux aspects et approfondissements de la vérité révélée. Là où il est question de la communion dans la foi, s'impose le principe de l'unité dans la vérité; là où, au contraire, il est question de divergence d'opinions, prévaut le principe de l'unité dans la charité."

Nous sommes amenés ici au cœur d’une opposition très courante à notre époque, avec la critique générale des points de vue dogmatiques dont on dit qu’ils voudraient imposer la vérité comme venant d’en haut (par exemple de la hiérarchie catholique) alors que chacun doit la chercher, voire la trouver en lui… Question qui traverse à notre époque tous les lieux de transmission du savoir. Au plan théologique se trouve ainsi critiquée une théologie "officielle" qui viendrait exclusivement du Magistère, ou de certaines écoles théologiques ; les théologies "contestataires" ont leur place, et bien entendu contestent l'existence d'une "vérité" unique. Au nom du "libéralisme religieux", chacun est invité à prendre la parole et à dire ce qu'il pense de Dieu.

Il est certes important de rappeler que la question de la vérité est fondamentalement liée à la liberté, mais aussi à la définition de Dieu (certains dans la "théologie de la libération" - courant fort contre la "tradition" et le magistère - ont pu aller jusqu'à déclarer "la mort de Dieu"), et pose aussi la question du rapport à la morale (c’est précisément l’objet de Splendeur de la vérité : nous en reparlerons plus bas et évoquerons la question tout autre de la complexité de la question de la loi morale).

Jn 8, 31b-32
"Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ;
vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libre."

Concrètement, qu’est-ce que la vérité ? D’où pouvons-nous prétendre la tenir ? La vérité est révélée, mais comment ? On connaît les difficultés de la lecture et de l’interprétation de la Bible, l’importance d’une certaine compétence exégétique, les outrances et les dangers du littéralisme, les dangers inverses d’un relativisme historique qui ferait disparaître toute idée même de vérité. On sait aussi les grands débats, les oppositions entre les tendances "catholiques" et "protestantes"… Dans l’Eglise catholique, où l’on parle par exemple d’infaillibilité pontificale (tout en précisant les conditions dans lesquelles elle s’exerce), la vérité peut sembler accordée à certains et refusée à d’autres. Les protestants défendent un point de vue tout autre, et d'ailleurs certains catholiques aussi qui pensent que chacun (et pas seulement les ministres et les théologiens) ont a prendre part à l’élaboration de la vérité. Une question en découle : la vérité est-elle à élaborer ou est-elle donnée ?

On oppose ainsi souvent la tradition (qui enferme) et l’inspiration (qui ouvre), avec toutes les questions qui se greffent sur ce débat : Faut-il être éclairé de façon particulière pour approcher de la vérité ? Est-elle en tout homme, et chacun peut-il l’exprimer à sa façon ? Y a-t-il autant de "vérités" que d’individu ("A chacun sa vérité !") ? Quelle attitude adopter en matière de pluralisme religieux ? Faut-il (peut-on) débattre entre catholiques et protestants, alors que des oppositions fondamentales se réveillent facilement :
De façon sans doute un peu trop tranchée, on pourrait dire qu'on rencontre deux conceptions qui s'opposent :

Pour tenter de résoudre ces difficultés, dès les premiers siècles, il est proclamé dans l’Eglise, bien avant les séparations, que "en raison de la torpeur" de la plupart des hommes (cf. texte ci-dessous d’Hilaire de Poitiers), certains qui supplient le Seigneur de les éclairer, qu’habite le zèle de la Parole de Dieu, sont plus aptes que d’autres à proclamer le mystère. C’est cette claire conscience qui a orienté progressivement vers le choix de prédicateurs et de ministres particulièrement formés, sans toujours tenir compte des "charismes" comme on le faisait dans les premiers temps : bien sûr, on court le risque d’avoir des spécialistes (qui ne sont pas toujours des prophètes !), même s’ils sont compétents, avec la crainte que, parmi ceux qui parlent de Dieu sans contrôle, beaucoup peuvent en parler en pleine hérésie (faute d’un minimum de connaissance de la tradition : la lecture et l’interprétation des écritures ne sont pas aisées !).

Comment reconnaître les faux prophètes ? comme on reconnaît le bon arbre à ses fruits : Grégoire de Nysse, in Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes, Jean-René Bouchet pp. 301 sq)

"La Parole du Seigneur nous ordonne de nous méfier des faux prophètes "qui viennent à nous, dit-elle, déguisés en brebis, mais au-dedans sont des loups rapaces". "C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez." C’est donc le fruit qui permet de discerner la brebis véritable du séducteur des brebis : ce dernier, sous des apparences douces, se glisse au milieu du troupeau rassemblé et cache sous cette douceur empruntée une bouche emplie d’amertume. Il convient donc de connaître les fruits, les bons et les mauvais, afin de mettre à jour la manière dont se manifeste la fraude. "A leurs fruits vous les reconnaîtrez." : Et bien, à mon avis, le bon fruit de tout enseignement dans l’Eglise est l’accroissement du nombre des sauvés, le fruit pourri et empoisonné est la division de ses membres.

Si donc quelqu’un, par ses paroles, accroît le troupeau, fait grimper la vigne dans tous les coins de la maison, plante autour de la table du Seigneur ceux qui, oliviers sauvages, sont devenus de jeunes plants d’oliviers et fait circuler dans ces branches mystérieuses la sève douce et bienfaisante de l’enseignement évangélique qui féconde les troupeaux : alors les biens de Laban diminuent tandis que ceux de Jacob croissent et se multiplient dans l’abondance en une postérité merveilleuse. Si quelqu’un, par sa prédication, produit ces fruits, car le fruit est, comme on l’a dit, le fait de répandre la vérité évangélique, c’est un véritable prophète, un interprète du dessein de Dieu dans la lumière de l’Esprit.

Si quelqu’un, au contraire, coupe les sarments de la vigne, pousse à déserter la table du Seigneur, déracine les nouveaux plants, tend des embûches autour de l’abreuvoir spirituel, de sorte que les troupeaux ne puissent plus concevoir devant les baguettes du patriarche, ni grossir le troupeau de bêtes remarquables, s’il laisse le troupeau s’égarer loin des gras pâturages, je veux dire les enseignements transmis par les Pères, s’il le laisse séjourner hors des bergeries, se disperser vers d’autres prairies, s’il fait cela, nous sommes à même de bien voir le comportement du loup, caché sous la peau de brebis. (Grégoire de Nysse : Contre Apollinaire)

Pour replonger aux sources de cette conviction, il convient d’aller plus avant dans la lecture des Pères ; après Grégoire de Nysse, Hilaire de Poitiers :

"J’en ai conscience, Père, Dieu tout-puissant : c’est à toi que je dois consacrer l’occupation principale de ma vie. Que toutes mes paroles et mes pensées s’entretiennent de toi.

Car ce don de la parole que tu m’as accordé ne peut pas me rapporter un plus grand bienfait que celui-ci : te servir par la prédication et montrer qui tu es. Tu es le Père, celui du Fils unique de Dieu. Je dois le montrer soit au monde qui l’ignore, soit à l’hérétique qui le refuse.

Ma volonté n’a pas d’autre raison d’être ; du reste, je dois implorer la grâce de ton assistance et de ta miséricorde, pour que tu gonfles du souffle de ton Esprit les voiles déployées par notre foi et par notre profession de cette foi, et que tu nous pousses dans cette course de la prédication. Car il n’est pas infidèle à sa promesse, celui qui a dit : Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira.

Etant pauvres, nous demanderons ce dont nous sommes dépourvus ; nous fournirons un effort acharné pour scruter les paroles de tes prophètes et de tes Apôtres, nous frapperons à tous les accès d’une compréhension qui nous est fermée. Mais c’est à toi d’exaucer la demande, d’accorder ce qu’on cherche, d’ouvrir la porte fermée.

En effet, nous vivons dans une sorte de torpeur, à cause de notre engourdissement naturel ; nous sommes empêchés de comprendre tes mystères par une ignorance invincible due à la faiblesse de notre esprit. Mais le zèle pour ton enseignement fortifie notre perception de la science divine, et l’obéissance de la foi nous soulève au-dessus de notre capacité naturelle de connaître. Nous espérons donc que tu stimuleras les débuts de cette difficile entreprise, que tu la fortifieras par une réussite croissante, que tu l’appelleras à partager l’esprit des prophètes et des Apôtres : nous voudrions comprendre leurs paroles dans le sens où ils les ont prononcées et employer des termes exacts pour rendre fidèlement les réalités qu’ils ont exprimées.

Car nous allons parler de ce qu’ils ont proclamé dans le mystère : toi, Dieu éternel, Père du Fils qui est éternellement Dieu ; toi, l’unique à n’avoir pas eu de naissance, et l’unique Seigneur, Jésus Christ, né de toi par une naissance éternelle ; il ne faut pas en faire un dieu de plus, à cause d’une diversité qui est réelle ; on ne doit pas dire non plus qu’il n’est pas engendré de toi, qui es le seul Dieu ; et il ne faut pas professer qu’il est autre chose que le vrai Dieu, lui qui est né de toi, le Père, qui es vrai Dieu.

Accorde-nous donc le sens exact des mots, la lumière de l’intelligence, la noblesse du langage, l’orthodoxie de la foi ; ce que nous croyons, accorde-nous de l’affirmer aussi. C’est-à-dire, puisque nous connaissons par les prophètes et les Apôtres un seul Dieu, toi, le Père, et un seul Seigneur, Jésus Christ, qu’il nous soit donné aujourd’hui, contre les hérétiques négateurs, de te célébrer comme étant Dieu, mais non un Dieu solitaire, et de prêcher ce Dieu sans commettre d’erreur."
(St Hilaire : La Trinité, 1, 37-38, cité in Livre des Jours, pp. 1317-1318).

Pour dépasser un débat souvent stérile entre "tradition" et "inspiration" (les deux sont dans l’Eglise, et l’Eglise les suppose toutes les deux), n’oublions pas ces paroles du Christ rapporté en Jean 14, 6 : "Je suis le chemin, la vérité, la vie.". St Hilaire de Poitiers commente :

"Le Seigneur ne nous a pas laissé sur le mystère un enseignement incertain ou douteux, et il ne nous a pas abandonnés à l’erreur qui peut naître d’une compréhension ambiguë. Ecoutons-le donc lorsqu’il révèle aux Apôtres l’entière connaissance de cette foi ; il dit en effet : "Je suis le chemin, la vérité, la vie ; nul ne vient au Père que par moi." Celui qui est le chemin ne nous a pas laissés errer dans des voies sans issue. La Vérité ne nous a pas joués par des mensonges. La Vie ne nous a pas livrés à l’erreur qui tue. Et, parce qu’il a manifesté pour notre salut les doux noms de son économie : Chemin pour nous conduire à la vérité, Vérité pour nous établir dans la Vie, sachons quel est le sacrement qui nous conduit à cette vie : « Nul ne vient au Père que par moi », le chemin vers le Père passe par le Fils."
(La Trinité, 8, 4, Lectionnaire…, op. cit. pp. 424)

Les Pères ont rappelé que le fondement de la tradition est dans les apôtres :

"Le Maître de toutes choses a donné à ses Apôtres le pouvoir de prêcher l’Evangile. C’est par eux que nous connaissons la vérité, c’est-à-dire l’enseignement du Fils de Dieu. C’est à eux que le Seigneur a dit : "Qui vous écoute, m’écoute ; qui vous méprise me méprise et méprise celui qui m’a envoyé." Car nous n’avons pas connu l’économie de notre salut par d’autres que ceux qui nous ont apporté l’Evangile. Cet Evangile, ils l’ont d’abord prêché. Puis, par la volonté de Dieu, ils nous l’ont transmis dans les Ecritures pour qu’il devienne le fondement et la colonne de notre foi."
(St Irénée, Contre les Hérésies, III, I, I)

Se trouve ainsi justifiée la tradition de l’Eglise : sans oublier bien sûr qu’il y a progrès de la doctrine dans l’Eglise du Christ (propos qui vont à l’encontre d’un rêve d’arrêt de la pensée, de la recherche de Dieu) : mais il y a croissance et non pas altération, comme le souligne admirablement Saint Vincent de Lérins (mort avant 450) :

"Dans l’Eglise du Christ, ne peut-il y avoir aucun progrès de la doctrine ? – Mais certainement, il en faut un, et considérable !

Qui serait assez jaloux des hommes et ennemi de Dieu pour tenter de s’y opposer ? Mais à condition qu’il s’agisse d’un véritable progrès de la foi, et non d’une altération. Ce qui caractérise le progrès d’une réalité c’est que chacun s’accroisse en demeurant elle-même ; ce qui caractérise l’altération, c’est qu’une réalité se change en une autre.

Il faut donc que grandissent et que progressent fortement en chacun comme en tous, chez un seul homme autant que dans l’Eglise entière, au cours des âges et des siècles, l’intelligence, la science et la sagesse ; mais il faut qu’elles progressent chacune selon sa propre nature, c’est-à-dire dans la même doctrine, le même sens, la même affirmation.

Que la religion des âmes imite donc le développement des corps : bien qu’ils évoluent et qu’ils grandissent quantitativement au cours des années, ils demeurent ce qu’ils étaient. Il y a grande différence entre l’éclosion de l’enfance et les fruits de la vieillesse, mais ce sont les mêmes hommes qui passent de l’enfance au grand âge. C’est un seul et même homme dont la stature et les manières se modifient, tandis qu’il garde la même nature, qu’il demeure une seule et même personne.

Les membres des bébés sont petits, ceux des jeunes gens sont grands : ce sont pourtant les mêmes. Les tout-petits en ont autant que les adultes, et s’il y en a qui apparaissent seulement dans un âge plus avancé, ils existaient déjà en puissance chez l’embryon, si bien que rien de nouveau ne se montre chez les adultes, qui n’ait auparavant existé de façon latente chez l’enfant.

Il n’est donc pas douteux que la règle légitime et normale du progrès, l’ordre juste et magnifique de la croissance se vérifient lorsque le nombre des années découvre chez l’homme, à mesure qu’il grandit, les virtuosités de ses organes et de ses formes que la sagesse du Créateur avait préparées chez l’enfant.

Si la figure de l’homme se transformait ensuite en une image étrangère à sa nature, si tel membre lui était nettement ajouté ou retranché, il serait inévitable que le corps tout entier se détruise, ou devienne monstrueux ou, en tout cas soit gravement affaibli.

La foi chrétienne, de même doit suivre ces lois du progrès pour qu’elle se fortifie avec les années, que le temps la développe, que l’âge l’ennoblisse.

Nos pères ont semé jadis le froment de la foi pour la moisson de l’Eglise. Il serait injuste et choquant que nous, leurs descendants, au lieu du blé de la vérité authentique, nous y récoltions l’erreur frauduleuse de l’ivraie.

Au contraire, il est juste et logique qu’il n’y ait pas de désaccord entre les débuts et la fin et que nous moissonnions ce blé qui s’est développé depuis que le même blé a été semé. Ainsi, alors qu’une partie des premières semences doit évoluer avec le temps, il conviendra encore maintenant, de les fertiliser et d’en parfaire la culture." (Vincent de Lérins : Commonitorium, 23, in Livre des Jours, pp. 1132-1133).

Ce qui reste essentiel : toute Vérité est en Dieu, vient de Dieu et par Dieu : "Dieu et le Véridique : ce n’est point par participation, mais c’est en engendrant la Vérité" (Augustin, Tract. Sur l’Evangile de Jean XXXIX, 8). Le Père est le Véridique le Fils est la Vérité. De fait Augustin a explicité : ce n’est pas la peine de s’interroger pour savoir qui est le plus grand :

"Le Fils est la Vérité ; le Père est le Véridique ; je cherche ce qui est le plus, mais je trouve l’égalité, car le Père véridique est véridique non par la vérité dont il aurait reçu participation, mais par la Vérité qu’il a tout entière engendrée". (ibid. XXXIX, 7).

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