Il apparaît souvent à la réflexion que ce que nous vivons en ce monde nous détourne de la joie. C’est un point sur lequel insiste Lytta Basset (La joie imprenable, Albin Michel, 2004), qui va, d’abord à travers une analyse psychologique, puis en évoquant la parabole du Fils prodigue pour développer ce qu’elle veut ainsi signifier :
C’est la découverte de l’Amour sans conditions de Jésus qui a bouleversé Jean "au point qu’il y a découvert la source d’une joie imprenable", explique L. Basset. Certes, nous ne pouvons voir Dieu. Mais nous oublions souvent que nous le voyons en l’autre : "dans la mesure où vous l‘avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l‘avez fait." (Mt 25, 40). C’est pourquoi, la joie parfaite est une réalité de ce monde : cf. Jean 15, 11 : "Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite". La joie parfaite n’est pas seulement promesse pour la vie éternelle, où en revanche nous connaîtrons la "béatitude" dans la contemplation brûlante et le désir toujours renouvelé de Dieu – surtout si nous avons pu découvrir déjà la joie parfaite à laquelle nous sommes appelés sur cette terre. La joie parfaite ne doit pas être écartée comme impossible ; nous avons bien souligné que si la souffrance tient à notre condition d’homme et ne peut être évitée, si elle tient au temps et à la corruptibilité de notre nature, la joie, elle, n’est pas incompatible avec la souffrance. La joie parfaite se découvre même de fait à travers la souffrance : elle s’atteint à travers un chemin, un vrai chemin d’homme et de femme, marqué par la souffrance ; elle n’est sûrement pas une sorte de béatitude ignorante qui préexisterait à toute expérience vitale ; elle est grâce donnée à celui qui cherche son Seigneur et qui le trouve déjà sur cette terre à travers l’autre… ("Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps.", Mt 28, 20).
Certes, il est difficile de toujours s’entendre car chacun utilise un peu à sa façon les termes "plaisir", "joie", "bonheur", "béatitude"… De fait en réfléchissant à la joie, nous ne pouvons manquer d’en proposer progressivement une définition. Nous avons déjà montré
Pourquoi souvent récusons-nous la possibilité de la vraie joie, de la joie parfaite dans notre vie ? La première expérience pour l’homme (surtout l’homme contemporain ?) est bien de constater la distance qu’il y a entre une "joie parfaite" qu’il accorde souvent à l’imagination (surtout à notre époque, on parle vite d’"utopie du bonheur" !) et la souffrance quotidienne qui emplit toutes les vies d’hommes. Ce "rêve" d’une joie parfaite, cette aspiration constante de l’homme au bonheur (cf. Augustin (1)) qui d’ailleurs permet au croyant d’affirmer que nous sommes faits pour le bonheur, est indéniable, mais sa satisfaction est remise à une autre vie, car les expériences de souffrance dans notre monde, ainsi que les réactions de "honte" devant la joie vitale qui peut parfois nous habiter (cf. les explications de L. Basset), contribuent à nous faire remettre à plus tard "la vraie joie".
Ce que nous dit une philosophe (Agata Zielinski) dans un numéro récent de la revue Christus intitulé "Le prix de la joie. Au delà du plaisir", n° 201, janvier 2004 :
Elle continue en montrant que nous voudrions disposer du bonheur, mais que c’est une utopie :
De fait, le vrai bonheur ne peut qu’être donné : ce qui fait le bonheur c’est qu’il est surprise (comme Dieu : le tout-Autre, le tout-Nouveau), qu’il vient d’un Autre, qu’il nous envahit alors que nous ne l’attendons pas.
Saint Maxime le confesseur (v. 580-622) exposait déjà tout cela dans une synthèse saisissante :
On voit comment Maxime le Confesseur réconcilie mouvement et repos : il parle bien de "la stabilité éternellement en mouvement des désirants autour de l’objet désiré". La joie parfaite ne peut-être atteinte pour l’homme que dans la "déification" ! Est-ce à dire une fois encore qu’elle n’est pas possible maintenant ?
[De fait si la joie est parfaite ce n’est pas parce que nous l’avons réussie ! elle est parfaite car elle est de Dieu, elle vient de Dieu et tout ce qui est de Dieu est parfait. Le Christ nous l'a donnée, pour maintenant et non pas pour plus tard (cf. Jn 15, 11 déjà cité).]
Il faut dire ici un mot de l’expérience mystique : certes St Jean de la Croix évoque de façon très parlante (cf. début de la Vive flamme d’amour), ce qui nous sépare (et c’est douloureux) de la joie totale en Dieu : comme une mince toile que l’on voudrait voir disparaître pour l’union totale en Dieu – c’est ce qui fait que le mystique aspire à la mort pour passer dans la vie éternelle (cf. St Jean-de-la-Croix, Elisabeth de la Trinité…).
Mais la plupart des grands spirituels disent aussi cette expérience immense de la joie dès cett terre de celui qui a choisi l’Amour.
Rappelons nous d’abord certains passages-clefs du Nouveau Testament : par exemple la lettre de Jacques (qui parle de la "joie complète") : Jc 1, 2-4. :
Jésus évoque la "joie parfaite" dans le Sermon après la Cène, Jean 15, 11 :
Ou encore un peu plus loin :
Et Jean dans sa deuxième lettre reprendra ce thème de la joie parfaite (2 Jean 1, 12 ):
…preuve qu’il a retenu cette expression comme essentielle dans la bonne nouvelle de Jésus, venu pour donner la joie parfaite à tous ceux qui sont proches, à tous ceux qui sont loin…
Le chemin du "mystique", terme très mal compris à notre époque (2), et qui évoque des formes d’exaltation qui font un peu peur (celles du XVIe siècle, mais rappelons-nous que toute la littérature amoureuse de cette époque est marquée par cette exaltation et passion), est pourtant un chemin qui est offert à tous les croyants (pas réservé à une classe particulière d’hommes et de femmes !) : toute découverte véritable de Dieu ne peut se faire que dans la contemplation. Certes, chemins difficiles et exigeants (cf. le très bel ouvrage de Verlingue : Initiation à la lectio divina, Parole et Silence, 2002, où l’auteur nous entraîne de "la lecture attentive" de l’Ecriture à la "contemplation unitive" par "la méditation priante" et "l’oraison adorante".). Il n’y a de joie parfaite que dans la contemplation du mystère de Dieu. Mais cette contemplation prend des formes différentes, en fonction de l’âge, en fonction du moment de la vie, selon chaque personne et son histoire personnelle. C’est ainsi que nous avons, à travers les auteurs spirituel de nombreuses manifestations, toujours diverses, de cette joie parfaite.
La joie parfaite est dépeinte par St François dans les Fioretti, cf. cité in Carlo M. Martini et Raniero Cantalamessa : La joie parfaite fruit de la croix (Editions Saint-Augustin, 2002, pp. 96-98) :
(des Fioretti de saint François)
Comme saint François allait une fois de Pérouse à Sainte-Marie des Anges avec frère Léon, au temps d'hiver, et que le froid très vif le faisait beaucoup souffrir, il appela frère Léon qui marchait un peu en avant, et parla ainsi : « O frère Léon, alors même que les frères Mineurs donneraient en tout pays un grand exemple de sainteté et de bonne édi¬fication, néanmoins écris et note avec soin que là n'est pas la joie parfaite.» Et saint François, allant plus loin, l'appela une deuxième fois : « 0 frère Léon, quand même le frère Mineur ferait les aveugles voir, redresserait les contrefaits, chasserait les démons, rendrait l'ouïe aux sourds, le marcher aux boiteux, la parole aux muets, et, ce qui est plus grand miracle, ressusciterait des morts de quatre jours, écris qu'en cela n'est point la joie parfaite. » Marchant encore un peu, saint François s'écria d'une voix forte : « O frère Léon, si le frère Mineur savait toutes les langues et toutes les sciences et toutes les Ecritures, en sorte qu'il saurait prophétiser et révéler non seulement les choses futures, mais même les secrets des consciences et des âmes, écris qu'en cela n'est point la joie parfaite. » Allant un peu plus loin, saint François appela encore d'une voix forte : « O frère Léon, petite brebis de Dieu, quand même le frère Mineur parlerait la langue des Anges et saurait le cours des astres et les vertus des herbes, et que lui seraient révélés tous les trésors de la terre, et qu'il connaîtrait les vertus des oiseaux et de poissons, de tous les animaux et des hommes, des arbres et des pierres, des racines et des eaux, écris qu'en cela n'est point la joie parfaite. » Et faisant encore un peu de chemin, saint François appela d’une voix forte : « O frère Léon, quand même le frère Mineur saurait si bien prêcher qu'il convertirait tous les fidèles à la foi du Christ, écris que là n'est point la joie parfaite. »
Et comme de tels propos avaient bien duré pendant deux milles, frère Léon, fort étonné, l’interrogea et dit : « Frère, je te prie, de la part de Dieu, de me dire où est la joie parfaite.» Et saint François lui répondit : « Quand nous arriverons à Sainte-Marie des Anges, ainsi trempés par la pluie et glacés par le froid, souillés de boue et tourmentés par la faim, et que nous frapperons à la porte du couvent, et que le portier viendra en colère et dira : « Qui êtes-vous ? » et que nous lui répondrons: « Nous sommes deux de vos frères », et qu'il dira : « Vous ne dites pas vrai, vous êtes même deux ribauds qui allez trompant le monde et volant les aumônes des pauvres ; allez-vous-en » ; et quand il ne nous ouvrira pas et qu'il nous fera rester dehors dans la neige et dans la pluie, avec le froid et la faim, jusqu’à la nuit, alors si nous supportons avec patience, sans trouble et sans murmurer contre lui, tant d'injures et tant de cruauté et tant de rebuffades, et si nous pensons avec humilité et charité que ce portier nous connaît véritablement, et que Dieu le fait parler contre nous, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite. Et si nous persistons à frapper, et qu’il sorte en colère, et qu'il nous chasse comme des vauriens importuns, avec force vilenies et soufflets, en disant : « Allez-vous-en d'ici, misérables petits voleurs, allez à l’hôpital car ici vous ne mangerez ni ne logerez », si nous supportons tout cela avec patience, avec allégresse, dans un bon esprit de charité, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite. Et si nous, contraints pourtant par la faim, et par le froid, et par la nuit, nous frappons encore et appelons et supplions pour l'amour de Dieu, avec de grands gémissements, de nous ouvrir et de nous faire cependant entrer, et qu'il dise, plus irrité encore : « Ceux-ci sont des vauriens importuns, et je vais les payer comme ils le méritent », et qu'il sorte avec un bâton noueux, et qu'il nous saisisse par le capuchon, et nous jette à terre, et nous roule dans la neige, et nous frappe de tous les noeuds de ce bâton, si tout cela nous le supportons patiemment et avec allégresse, en pensant aux souffrances du Christ béni, que nous devons supporter pour son amour, ô frère Léon, écris qu'en cela est la joie parfaite. Et enfin, écoute la conclusion, frère Léon : au-dessus de toutes les grâces et dons de l'Esprit Saint que le Christ accorde à ses amis, il y a celui de se vaincre soi¬-même, et de supporter volontiers pour l'amour du Christ les peines, les injures, les opprobres et les incommodités; car de tous les autres dons de Dieu nous ne pouvons nous glorifier, puisqu'ils ne viennent pas de nous, mais de Dieu, selon que dit l'Apôtre : « Qu'as-tu que tu ne l'aies reçu de Dieu ? Et si tu l'as reçu de lui, pourquoi t'en glorifies-tu comme si tu l'avais de toi-même ? » (1 Co 4, 7). Mais dans la croix de la tribulation et de l'affliction, nous pouvons nous glorifier parce que cela est à nous, c'est pourquoi l'Apôtre dit : « Je ne veux point me glorifier si ce n'est dans la croix de Notre Seigneur Jésus Christ » (Ga 6, 14).
A qui soit toujours honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen. (3)
Le modèle de toute joie, c'est l’union avec le Père, l’union en Dieu, la sainteté véritable, ou la déification" de l’homme, comme on veut l’appeler. C'est pourquoi le Christ, vivant en communion totale avec le Père pouvait à la fois dire qu'il nous donnait sa joie (pour que notre joie soit parfaite) (Jn 15, 11) et répondre à Philippe (Jn 14, 9) : "Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m'a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire "Montre-nous le Père !"?".
Nous pourrions ainsi, au terme de ces années, relire bien des Pères et comprendre ainsi plus profondément, plus avant, des textes même déjà connus. Tous, d’une façon ou d’une autre, disent que nous sommes appelés, dès maintenant, dans notre vie terrestre, qui plus est de baptisé (croyons-nous à notre baptême et à ce qu’il signifie ?) à cette union avec Dieu, marqués pour elle depuis notre baptême, engagés dans cette voie définitivement : c’est pour cela que le Christ s’est incarné, pour que nous ayons la vie en nous, pour que nous soyons "Fils de Dieu", pour que le Père et le Christ viennent en nous et y fassent leur demeure, pour que notre joie soit parfaite !
Guerric d’Igny, dans son "IVe Sermon pour la Nativité", à propos de la plénitude des temps, explique ce qu’est le "Royaume de Dieu", déjà sur cette terre (IV, 1, Sources Chrétiennes, p. 207) :
Après avoir marqué comment Dieu affecte tous nos sens (Confessions, I, IV, 4) :
Augustin souligne à maintes reprises que la béatitude sera la vue de Dieu, mais il s’interroge tou particulièrement sur la vision : Thomas après avoir douté à vu, mais le Christ a dit de nous "Heureux ceux qui croiront sans avoir vu" ! On peut donc se demander s’il faut voir pour connaître la joie parfaite ?
[par l’expression "joie pleine" est traduite ce qui ailleurs est traduit par "joie complète" ou "joie parfaite" : "plenum gaudium"]
En allant dans le même sens, Guerric d’Igny insiste : ce n’est pas seulement la vue que Dieu vient combler, mais tous nos sens pour nous qui sommes des êtres de chair :
"On peut constater d’ailleurs en d’autres passages que le Verbe de Dieu s’est fait pour nous non seulement visible et palpable, mais encore perceptible au goût et à l’odorat. [Ps 33, 9, Cant. 4, 11]. C’est ainsi par toutes les portes des sens qu’il s’est frayé un accès jusqu’à notre âme : de même que la mort avait pénétré par les sens, la vie à son tour revenait à travers eux. Si donc le Verbe s’est fait chair, c’est pour nous, qui tout entiers sommes chair, que cela s’est fait : pour que nous, qui auparavant ne pouvions qu’entendre le Verbe de Dieu, nous puissions le voir maintenant fait chair, le goûter, et faire appel à tous nos sens pour confirmer le témoignage de l’ouïe. De la sorte, c’est d’un commun accord et d’une seule voix que tous nos sens peuvent proclamer : "Ce que nous avons entendu, nous l’avons vu." [Ps 47, 9].
Cependant, il est accordé aujourd’hui à la vue incomparablement plus qu’il ne l’avait jamais été à l’ouïe ; à présent se laisse voir la Parole qui est Dieu, tandis qu’auparavant c’était beaucoup d’entendre quelque parole qui fût de Dieu. Sans doute, j’ai parfois remarqué, hélas ! mes frères, qu’on éprouvait de l’ennui à écouter la parole qui est de Dieu ; mais la Parole qui est Dieu, pourrait-on la voir sans éprouver de la joie Je serai le premier à me condamner : lorsque le Verbe qui est Dieu s’offre à mes regards aujourd’hui en ma propre nature, s’il ne me réjouit pas, je suis un impie ; s’il ne m’édifie pas, je suis un réprouvé !.On oublie trop souvent que la présence de Dieu, comme la joie parfaite (et c’est la même chose), viennent à leur heure car elles se reçoivent de Dieu. Mais il nous faut préparer notre cœur… La joie parfaite ou joie véritable est une grâce de Dieu. Joie que nous devons demander, que nous devons attendre pour être comblés. Joie que nous a donné le Christ au temps venu : c’est la grâce de Dieu qui rend ce temps si heureux :
Comment pourrions-nous être dans la joie si nous n’y croyons pas ? Si nous ne la désirons pas de toute notre force ? Derrière les expressions fortes et paradoxales de St François, ce qui apparaît, c’est que même si l’apparence est contre la joie, la joie peut nous venir, même dans l’épreuve – et peut-être surtout dans l’épreuve où nous ne pouvons plus que nous abandonner pour tout attendre et donc tout recevoir (cf. St François : dans l’humiliation, dans le rejet, dans notre partage des souffrances de la Croix) - elle nous viendra car elle est simplement présence de Dieu dans la vie de l’homme.
C’est ce que souligne St Anselme (1033-1109), né dans le Val d’Aoste, moine au Bec en Normandie, puis archevêque de Cantorbery. Toute sa vie consiste dans une recherche ardente de Dieu. Ce contemplatif sut aussi se battre pour défendre la liberté de l’Eglise.
Fondamentalement pour lui, le bonheur de l’homme est dans la présence de Dieu :
Si partout rayonne la présence de Dieu, nous ne la voyons pas : St Anselme, dans une magnifique prière, supplie : "Fais que je te connaisse, fais que je t’aime pour que ma joie soit en toi." :
Elisabeth de la Trinité (1880 - 1906), tout près de nous, parle de sa "joie divine" :
Ou de ses "joies inconnues" :
Elle savoure cette joie parfaite, en désirant passionnément la "béatitude" :
On connaît la très belle prière d’Elisabeth de la Trinité :
"O mon Dieu,
Trinité que j’adore,
Aidez-moi à m’oublier entièrement
Pour m’établir en vous,
Immobile et paisible
Comme si déjà mon âme
Etait dans l’éternité.
Que rien ne puisse troubler ma paix,
Ni me faire sortir de vous,
O mon Immuable,
Mais que chaque minute
M’emporte plus loin
Dans la profondeur de votre Mystère.
Pacifiez mon âme,
Faites-en votre ciel,
Votre demeure aimée
Et le lieu de votre repos.
Que je ne vous y laisse jamais seul,
Mais que je sois là
Tout entière,
Tout éveillée en ma foi,
Tout adorante,
Toute livrée
A votre Action créatrice.
[…]"
Savons-nous chercher cette joie parfaite au lieu de nous contenter de nous appesantir sur les souffrances – certes bien réelles – mais qui doivent elles aussi être transfigurées ? Cette joie, il faut l’attendre et la demander, comme nous y engageait St Anselme. Rappelons-nous ces paroles de Jésus auxquelles il faisait allusion :
Luc 11, 9 : "Et moi, je vous dis : demandez et l’on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira."
Jean 14, 14 : "Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai."
Jean 15, 7 : "Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et vous l’aurez."
Jean 16, 24 : "Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom ; demandez et vous recevrez, et votre joie sera parfaite."
Aucune contradiction avec notre propos initial. La joie est dans la sainteté, mais la sainteté est un don de Dieu.
Une joie encore plus parfaite – ce que l’on appelle la béatitude -, nous sera donnée dans le face à face avec Dieu. Cette béatitude reste encore une énigme ; elle nous sera donnée "quand la foi elle-même se changera en connaissance, l’espérance en possession, le désir en jouissance." (Guerric d’Igny, IIe Sermon pour l’Epiphanie, 5).
Pour comprendre ce qu’est l’union avec Dieu St Bernard utilise des images intenses :
La contemplation, l’union en Dieu nous fait déjà goûter cette joie : tous ceux qui en ont fait l’expérience le redisent comme Guigues le Chartreux :
Ne renonçons pas à la joie parfaite, aussi parfaite du moins que le permettent notre condition précaire, nos limites, notre finitude… Dieu veut tellement notre joie qu’il nous a envoyé son Fils pour nous délivrer de toutes les pesanteurs (Cf. Augustin et la colombe – début des Homélies sur l’Evangile de Jean) et nous montrer déjà la vie éternelle dans sa résurrection.
Alors rappelons-nous que la joie parfaite :
(1)
"L'homme, avant de croire au Christ n'est pas en route, il erre. Il cherche sa patrie mais il ne la connaît pas. Que veut dire : il cherche sa patrie ? Il recherche le repos, il cherche le bonheur. Demande à un homme s'il veut être heureux, il te répondra affirmativement sans hésiter. Le bonheur est le but de toutes nos existences.(2)
Le terme "mystique" en relation avec le mot mystère pourrait être expliqué comme renvoyant à celui qui pénètre les mystères (ou qui se laisse pénétrer par le mystère ?) : N’oublions pas, comme le dit Bergson, que "quand on reproche au mysticisme de s’exprimer à la manière de la passion amoureuse on oublie que c’est l’amour qui avait commencé par plagier la mystique, qui lui avait emprunté sa ferveur ses élans, ses extases ; en utilisant le langage d’une passion qu’elle avait transfigurée, la mystique n’a fait que reprendre son bien." (Les deux sources de la morale et de la religion, 1932, p. 39)(3)
Fioretti 1836, pp. 1471-1473 ou Saint François d'Assise. Documents (19812), pp. 1878-1081.(4)
C'est nous qui soulignons.