Chapitre 4e : La Trinité
Il ne s'agit pas ici de présenter un "traité" sur la Trinité, comme, on le ferait,
par exemple, si l'on s'attachait au De Trinitate d'Augustin. On essayera ici
simplement d'expliciter un peu, à travers les commentaires sur les écrits de Jean,
de fait les Homélies sur l'Evangile de Jean, ce qu'Augustin disait de la Trinité,
ce à quoi il tenait profondément. De fait on verra qu'on trouve dans ces Homélies à peu près
tous les points essentiels qui seront développés ultérieurement ou parallèlement par Augustin
dans son traité complet. Ce sera l'occasion pour nous de nous pénétrer de cet ineffable
mystère que nous ne pouvons vraiment approcher qu'avec la foi.
Les difficultés d'une définition
Face à cet immense mystère, Augustin n'est pas toujours égal. Il avoue d'ailleurs ses
difficultés (cf. note 28, vol. 74B, p. 478) dans une réponse à l'évêque
arien Maximin(1) :
"Tu me demandes : "Si le Fils est de la substance du Père et si le
Saint-Esprit est aussi de la substance du Père, pourquoi n'y a-t-il pas un seul Fils et
pourquoi l'autre n'est-il pas Fils ?" Voici ma réponse, que tu comprennes ou que tu ne
comprennes pas. Le Fils est du Père et le Saint-Esprit est du Père, mais l'un est engendré,
l'autre procède ; c'est pourquoi l'un est le Fils du Père dont il est engendré, mais l'autre
est l'Esprit des deux puisqu'il procède des deux. Le Fils dit en parlant de lui : Il procède
du Père, Jn 15, 26, parce que le Père auteur de sa procession est celui qui a engendré
un tel Fils et qui, en l'engendrant, lui a donné que le Saint-Esprit procède aussi de lui.
Car, s'il ne procédait pas aussi de lui, il ne dirait pas aux disciples : Recevez le
Saint-Esprit. (Jn 20, 22) et il ne le leur donnerait pas en soufflant pour que,
signifiant qu'il procède aussi de lui, il montre ostensiblement en soufflant ce qu'il donnait
secrètement par sa spiration.
Puisque donc, s'il naissait, il naîtrait non seulement du Père, ni seulement du Fils, mais
évidemment des deux, il serait appelé sans aucun doute le Fils des deux. Et de ce fait,
puisqu'il n'est d'aucune manière le Fils des deux, il n'a pas fallu qu'il naisse des deux.
Il est donc l'Esprit des deux en procédant des deux.
Mais quel est celui qui, parlant de cette souveraine nature, peut expliquer la différence entre
naître et procéder ? Tout ce qui procède ne naît pas bien que tout ce qui naît procède, de
même que tout ce qui a deux pieds n'est pas un homme alors que tout homme a deux pieds. Cela,
je le sais ; faire la distinction entre cette génération et cette procession, je ne le sais pas,
je ne le puis pas, je n'en suis pas capable. Et puisque l'une et l'autre sont ineffables,
comme le prophète a dit du Fils : Qui racontera sa génération (Is 53, 8) ?, il est
dit en toute vérité du Saint-Esprit : Qui racontera sa procession ? Qu'il soit suffisant pour
nous de savoir que le Fils n'est pas de lui-même, mais de celui dont il est né, que le
Saint-Esprit n'est pas de lui-même, mais de celui dont il procède, et qu'il procède de l'un et
de l'autre, selon qu'il est appelé l'Esprit du Père et l'Esprit du Fils (Rm 8,
11 et 9)" (Contra Maxim., 2, 14, 1)
Augustin, parlant de la Trinité, dès sa jeunesse de converti (à 39 ans) dans le De
fide et symbolo, 9, 18-19, souligne qu'il est indispensable, avant même d'approfondir
la question des relations des "personnes" de la Trinité, de traiter de l'Esprit-Saint :
"Sur le Père et le Fils, nombreux sont les livres écrits par des
(docteurs) savants et spirituels. Autant que des hommes le peuvent à des hommes, ils s'y sont
appliqués à faire saisir comment le Père et le Fils ne sont pas un seul (individu) mais une
seule (réalité), ou encore ce qu'est proprement le Père et ce qu'est le Fils : celui-là le
générateur, celui-ci l'engendré ; celui-là (n'étant pas issu) du Fils, mais celui-ci du Père…
Au contraire, l'Esprit Saint n'a pas été encore étudié avec autant d'abondance et de soin par
les doctes et grands commentateurs des divines Ecritures, de telle sorte qu'il soit aisé de
comprendre également son caractère propre, qui fait que nous ne pouvons l'appeler ni Fils ni
Père mais seulement Esprit Saint."
St Augustin cherche des images, des analogies naturelles pour essayer de faire saisir le
mystère de la Trinité à ses auditeurs. Un bon exemple toujours dans De la foi et du
symbole, 9, 17 (pp. 35-37) :
" Rien d'étonnant à ces affirmations sur la nature ineffable de Dieu,
quand jusque dans les objets visibles à nos yeux corporels et accessibles à nos sens, il se
présente quelque chose de pareil. Lorsque, en effet, on nous parle de la source, nous ne
pouvons pas dire que c'est le fleuve, ni du fleuve qu'il mérite le nom de source, ou encore que
le breuvage pris à la source ou au fleuve se puisse appeler ni fleuve ni source. De cette
trinité pourtant l'eau est le nom commun et à qui s'informe de chacune [de ses parties] nous
répondons que c'est de l'eau. Quand je demande si c'est de l'eau qui est dans la source, on me
répond oui et si c'est de l'eau qui est dans le fleuve on ne me répond pas autrement ; au sujet
du breuvage non plus la réponse ne saurait être différente. Et cependant nous ne parlons pas
de trois eaux, mais d'une seule."
Augustin, lorsqu'il traite de la Trinité, nous introduit dans le mystère de la vie intime de
Dieu, mais aussi dans la vie intime de sa propre âme : cf. l'admirable prière de la fin du
chapitre XV de La Trinité (XV, 28, 51) :
"Dirigeant mes efforts d'après cette règle de foi, autant que je l'ai
pu, autant que tu m'as donné de le pouvoir, je t'ai cherché ; j'ai désiré voir par
l'intelligence ce que je croyais ; j'ai beaucoup étudié et beaucoup peiné. Seigneur mon Dieu,
mon unique espérance, exauce-moi de peur que, par lassitude, je ne veuille plus te chercher,
mais fais que toujours je cherche ardemment ta face. O toi ! donne-moi la force de te chercher,
toi qui m'as fait te trouver et qui m'as donné l'espoir de te trouver de plus en plus. Devant
toi est ma force et ma faiblesse : garde ma force, guéris ma faiblesse. Devant toi est ma
science et mon ignorance : là où tu m'as ouvert, accueille-moi quand je veux entrer ; là où tu
m'as fermé, ouvre-moi quand je viens frapper. Que ce soit de toi que je me souvienne, toi que
je comprenne, toi que j'aime ! Augmente en moi ces trois dons, jusqu'à ce que tu m'aies
réformé tout entier."
Augustin constate l'impuissance de l'homme à dire ce mystère de la Trinité :
"Quand il s'agit de Dieu, la pensée est plus exacte que le discours et
la réalité plus exacte que la pensée" (De Trin. VII, 4, 7)
Soulignons tout de suite la défiance d'Augustin à l'égard du mot "personne" (tradition latine
: persona) - terme qu'il évite d'utiliser, préférant dire qu'Ils sont Trois, mais
qu'ils sont le principe c'est-à-dire l'origine… (Tract. 39). Ils s'expliquera finalement plus
tard (dans le De Trinitate) de sa défiance à utiliser le terme de "personnes".
Il ne justifie la formule "trois personnes" que par l'usage qu'en ont fait avant lui beaucoup
de Latins :
"C'est la formule qu'ils ont employée, puisqu'ils ne trouvaient pas une
meilleure manière d'énoncer avec des mots ce qu'ils concevaient sans mots… Quand on cherche ce
que sont les Trois, la parole humaine souffre de l'indigence la plus totale. On a dit cependant
: trois personnes, non pour exprimer cette réalité, mais pour ne pas garder le silence."
(De Trin. 5, 9, 10).
De fait, pour écrire sur la Trinité
- Augustin a lu les auteurs ecclésiastiques qui avant lui avaient écrit sur ce sujet
- Augustin a (surtout) lu et médité ce que les Ecritures disent de chacune des trois personnes
divines et de leurs relations (cf. rôle de St Jean en particulier)
- Augustin s'est efforcé d'analyser l'âme humaine pour tenter d'y découvrir des analogies
avec la vie intime de Dieu.
- Enfin Augustin a mis la dialectique au service de la vérité : analyse rigoureuse des données
scripturaires, construction et rigueur du raisonnement…
Quelques passages de St Jean commentés par Augustin dans les Homélies sur
l'Evangile de Jean pour nous parler de la Trinité
- Le Prologue, commenté dans Tract. 1
- Le chapitre 8 de St Jean, commenté surtout dans Tract. 39
- Le discours après la Cène (Jn 14-17), commenté dans Tract. 63-111 : certains passages sont
essentiels pour la Trinité : en particulier Tract. 74, 76, 94 mais aussi 104, 105, etc.
- Enfin, après la Résurrection, avec le don de l'Esprit, il est à nouveau question de la
Trinité, en particulier dans le Tract. 121.
- 1. A partir du Prologue de Jean
Le commentaire du Prologue est surtout l'occasion de montrer la fausseté des thèses des
Ariens(1) : C'est Dieu Trinité qui procède à la création
du monde. Ce sont ensemble les trois personnes qui créent le monde et tout ce qu'il contient.
Ainsi à propos de "La Parole était Dieu" Augustin discute du "Verbe" et s'oppose aux Ariens
qui prétendent que "la Parole de Dieu a été faite", que le Fils est créature du Père.
L'argument d'Augustin est de rappeler que c'est par la Parole que tout a été fait : cf. le
début de la Genèse :
"Au commencement Dieu créa le ciel et la terre… l'Esprit de Dieu planait sur les eaux.
Dieu dit "Que la lumière soit" et la lumière fut."
Ces versets nous montrent qu'au commencement était la Trinité : l'Esprit, la Parole…
Et que dit Jean ?
"Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. Il était
au commencement avec Dieu. Tout fut par lui et sans lui rien ne fut. De tout être il était la
vie et la vie était la lumière des hommes et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres
n'ont pu l'atteindre." (Jn 1, 1-5).
Dieu créateur est Trinité. Augustin alerte à ce propos ses auditeurs pour qu'ils ne croient
pas que quand on dit "Tout a été fait par lui, et sans lui rien n'a été fait" que "rien" est
quelque chose !
Cette question de la création par Dieu (Père, Fils, Esprit) est reprise dans le Tract. 8
à propos des noces de Cana (Jn 2, 1-11) :
"Quand donc nous voyons de telles merveilles accomplies par le Dieu Jésus, pourquoi nous
étonner de l'eau changée en vin par l'homme Jésus ? Car il ne s'est pas fait homme de telle
manière qu'il en perdrait d'être Dieu : l'homme s'est joint à lui, le Dieu n'a pas disparu"
(Tract. VIII, 3).
(1)
: L'arianisme est la doctrine professée par Arius, né
vers 260 : Arius estime que le Fils n'est ni éternel ni égal au Père : le Fils, première
créature de Dieu, est supérieur aux hommes mais inférieur au Père.
S'il est " vrai homme ", il n'est pas véritablement Dieu :
"La doctrine qu'Arius se mit à prêcher à Alexandrie vers 320 apparaît comme plus philosophique
que théologique. Pour lui, les personnes divines, au sein de la Trinité, ne peuvent être ni
égales ni confondues. La marque absolue de la divinité est, en effet, d'être non seulement
incréée mais inengendrée: seule la personne du Père correspond à une telle définition. Le Fils
de Dieu ne peut donc pas être aussi pleinement Dieu, puisqu'il a été engendré par le Père.
Dieu second, il occupe une place intermédiaire entre le Dieu le plus transcendant et la création.",
Meslin, Michel, article "arianisme" dans l'Encyclopedia Universalis.

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