St Augustin lit et commente St Jean

Chapitre 3e : Le Christ (fin)

d) Le Christ pasteur

Enchaînement explicité par St Augustin de l'Aveugle-né et de la porte par laquelle passe les brebis. Rappelons le texte de St Jean (Jn 10, 1-17) :

"En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre pas par la porte dans l'enclos des brebis, mais en fait l'escalade par une autre voie, celui-là est un voleur et un brigand ;
2 celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis.
3 Le portier lui ouvre et les brebis écoutent sa voix, et ses brebis à lui, il les appelle une à une et il les mène dehors.
4 Quand il a fait sortir toutes celles qui sont à lui, il marche devant elles et les brebis le suivent, parce qu'elles connaissent sa voix.
5 Elles ne suivront pas un étranger; elles le fuiront au contraire, parce qu'elles ne connaissent pas la voix des étrangers."
6 Jésus leur tint ce discours mystérieux mais eux ne comprirent pas ce dont il leur parlait.
7 Alors Jésus dit à nouveau: "En vérité, en vérité, je vous le dis, Moi, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands; mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Moi, je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé; il entrera et sortira, et trouvera un pâturage.
10 Le voleur ne vient que pour voler, égorger et faire périr. Moi, je suis venu pour qu'on ait la vie et qu'on l'ait surabondante.
11 Moi, je suis le bon pasteur; le bon pasteur dépose sa vie pour ses brebis.
12 Le mercenaire, qui n'est pas le pasteur et à qui n'appartiennent pas les brebis, voit-il venir le loup, il laisse les brebis et s'enfuit, et le loup s'en empare et les disperse.
13 C'est qu'il est mercenaire et ne se soucie pas des brebis.
14 Moi, je suis le bon pasteur; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,
15 comme le Père me connaît et que je connais le Père, et je dépose ma vie pour mes brebis.
16 J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos; celles-là aussi, il faut que je les mène; elles écouteront ma voix; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur;
17 c'est pour cela que le Père m'aime, parce que je dépose ma vie, pour la reprendre.
18 Personne ne me l'enlève; mais je la dépose de moi-même. J'ai pouvoir de la déposer et j'ai pouvoir de la reprendre; tel est le commandement que j'ai reçu de mon Père."

Comment déterminer qui sont les brebis ? Il y en a dedans et dehors, comme il y a des loups dehors mais aussi dedans. Les brebis entrent et sortent par le Christ.

Qui est le portier ?

"Nous tenons que la porte est le Seigneur Christ et qu'il est aussi le Pasteur ; qui est le portier ? Les deux premières dénominations, lui-même les a expliquées en effet, il nous a laissé le soin de chercher qui est le portier. Que dit-il du portier ? Le portier lui ouvre. A qui ouvre-t-il ? Au Pasteur ? Qu'ouvre-t-il au Pasteur ? La porte. Et qui est cette porte ? Le Pasteur lui-même. Si le Seigneur Christ n'avait pas expliqué, s'il n'avait pas dit lui-même : Je suis le Pasteur et : Je suis la porte, est-ce que quelqu'un d'entre nous oserait dire que le même Christ est à la fois le Pasteur et la porte ? S'il disait en effet : Je suis le Pasteur sans dire : Je suis la porte, nous aurions cherché quelle est la porte et peut-être en pensant à autre chose, serions-nous demeurés devant la porte. Par sa grâce et sa miséricorde, il nous a expliqué quel est le Pasteur, il a dit que c'était lui, il a expliqué quelle est la porte, il a dite que c'était lui ; il nous a laissé le soin de chercher quel est le portier.
De qui allons-nous dire qu'il est le portier ? Quel que soit celui que nous découvrirons, il faut prendre garde de ne pas l'estimer supérieur à la porte sous prétexte que dans les maisons des hommes le portier est supérieur à la porte : en effet, c'est le portier qui est préposé à la garde de la porte, non la porte à la garde du portier. Je n'ose pas dire que quelqu'un est supérieur à la porte car j'ai déjà entendu expliquer quelle est la porte ; je ne l'ignore plus, je n'ai pas été abandonné à mes conjectures, les liens qui laisseraient libre cours à mes suppositions humaines n'ont pas été desserrés : c'est Dieu qui a parlé, c'est la Vérité qui a parlé, ce que l'Immuable a dit ne peut pas être changé.

Je vais donc dire ce qui me semble sur cette question profonde ; que chacun choisisse ce qui lui plaît ; qu'il ait néanmoins des sentiments religieux selon qu'il est écrit : Ayez sur le Seigneur des pensées conformes à la bonté et dans la simplicité du cœur cherchez-le. [Sg 1, 1]
Peut-être devons-nous regarder le Seigneur lui-même comme le portier. Dans les choses humaines en effet, il y a beaucoup plus de différence entre le pasteur et la porte qu'entre le portier et la porte, et pourtant le Seigneur a déclaré qu'il était tout ensemble le Pasteur et la porte. Pourquoi ne comprendrions-nous donc pas qu'il est aussi le portier ? Si nous considérons en effet ce qui est propre à chacun, le Seigneur Christ n'est pas un pasteur comme les pasteurs que nous avons l'habitude de connaître et de voir ; il n'est pas non plus une porte, car il n'a pas été fabriqué par un artisan ; mais si, selon quelque similitude, il est à la fois la porte et le Pasteur, j'ose le dire, il est aussi une brebis ; la brebis sans doute est soumise au pasteur, lui pourtant est tout ensemble pasteur et brebis. Où voyons-nous qu'il est pasteur ? Tu le vois dans ce passage, lis l'Evangile : Je suis le bon Pasteur. Où voyons-nous qu'il est brebis ? Interroge le prophète : Comme une brebis, il a été mené à l'immolation, interroge l'ami de l'Epoux : Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui enlève le péché du monde. Je vais encore vous dire quelque chose de plus étonnant dans la ligne de ces similitudes. L'agneau, la brebis et le pasteur sont en effet amis entre eux, mais les pasteurs sont habitués à garder les brebis contre les lions, et cependant nous lisons qu'il est dit du Christ bien qu'il soit brebis et pasteur : Le lion de la tribu de Juda a remporté la victoire. Prenez tout cela, frères, comme des similitudes, ne le prenez pas au sens propre. Nous sommes habitués à voir les pasteurs s'asseoir sur une pierre et garder de là les bêtes qui leur sont confiées ; le pasteur vaut mieux assurément que la pierre sur laquelle il est assis, et pourtant le Christ est à la fois le Pasteur et la Pierre [I Co, 10, 4]. Tout cela est dit en similitude. Mais si tu me demandes ce qui lui appartient en propre, au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Si tu me demandes ce qui lui appartient en propre, il est le Fils unique engendré du Père de l'éternité à l'éternité, égal à celui qui l'engendre, par qui tout a été fait, immuable avec le Père et qui n'a pas été changé par la forme d'homme qu'il a prise, devenu homme de par son incarnation, Fils de l'homme et Fils de Dieu. Tout ce que je viens de dire n'est pas une similitude, mais la réalité.

Ne faisons donc point de difficulté, frères, pour admettre que, selon certaines similitudes, il est la porte et il est le portier. Qu'est-ce que la porte en effet ? Ce par quoi nous entrons. Qu'est-ce que le portier ? Celui qui ouvre. Quel est donc celui qui s'ouvre lui-même sinon celui qui s'explique sur lui-même ? Vous le voyez, le Seigneur ayant parlé de la porte, nous n'avions pas compris ; quand nous ne comprenions pas, la porte était fermée ; celui qui a ouvert, c'est le portier. Il n'y a donc aucune nécessité de chercher quelque autre explication, il n'y a pas de nécessité, mais peut-être y a-t-il volonté.
S'il y a volonté, ne sors pas du chemin, ne t'éloigne pas de la Trinité. Si tu cherches une autre personne pour le portier, que le Saint-Esprit se présente à ta pensée : l'Esprit Saint ne dédaignera pas en effet d'être le portier quand le Fils a daigné être lui-même la porte. Regarde peut-être le Saint-Esprit comme le portier : le Seigneur lui-même dit à ses disciples au sujet du Saint-Esprit : Il vous enseignera toute la Vérité [Jn 16, 13]. Quelle est la porte ? Le Christ. Qu'est-ce que le Christ ? La Vérité [cf. J n, 14, 6]. Quel est celui qui ouvre la porte sinon celui qui enseigne toute la Vérité ?" (Tract. XLVI, 2-4)

e) Le Christ Lumière

On aimerait lire tout l'admirable Tract. 34, commentaire à la fois de "Je suis la Lumière du monde : qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie" (Jn 8, 12), mais aussi de "Je suis le chemin, la vérité, la vie" (cf. ci-dessous).

Augustin, après avoir dénoncé les croyances des Manichéens (Le soleil = le Christ), souligne les rapports entre le passage de Jn et le Ps 35 :

"Seigneur ton amour est fondé dans les cieux
Et ta fidélité s'étend jusqu'aux nuées du ciel.

Ta bonté est forte comme les montagnes de Dieu
Et ta bienveillance profonde comme le grand abîme.

Tu viens sauver l'homme et tout ce qui vit :
Seigneur, qu'il est précieux ton amour !

Les anges et les fils des hommes
Cherchent refuge à l'ombre de tes ailes.

Tu les rassasies d'un grand festin dans ta maison ;
Au torrent du paradis Tu les abreuves.

Auprès de Toi est la source de la vie,
En ta lumière, nous voyons la lumière."

A propos de "il aura la lumière de la vie" [c'est nous qui soulignons], Augustin précise que ce temps est celui du désir : temps où nous devons brûler du désir de la Lumière du Seigneur :

"Mais maintenant, frères, que pensons-nous qui convient au temps présent sinon ce qui est encore dit dans un psaume : Chaque nuit, je laverai ma couche et de mes larmes j'arroserai mon lit ? [Ps 6, 7) Chaque nuit, dit-il, je pleurerai, je brûlerai du désir de la Lumière. Le Seigneur voit mon désir, puisqu'un autre psaume lui dit : Devant toi est tout mon désir et mon gémissement ne t'est pas caché. [Ps 37, 10] Tu désires de l'or ? Tu peux être vu, car, en cherchant de l'or, tu te feras voir des hommes. Tu désires du blé ? Tu t'informes pour savoir qui en a et tu lui fais connaître ce que tu veux dans l'espoir d'obtenir ce que tu désires. Tu désires Dieu ? Qui le voit sinon Dieu ? A qui demandes-tu Dieu en effet comme tu demandes du pain, de l'eau, de l'or, de l'argent, du blé ? A qui demandes-tu Dieu sinon à Dieu ? C'est à lui qu'on demande celui qui se promet lui-même. Que l'âme dilate son désir, qu'en élargissant sa capacité elle cherche à saisir ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté au cœur de l'homme [I Co 2, 9]. Il peut être désiré, il peut être convoité, il peut être l'objet de nos soupirs, il ne peut être ni pensé comme il convient ni expliqué avec des mots." (Trac. XXXIV, 7)

Augustin file la métaphore : le Christ est la lumière et il éclaire la lampe de ceux qui lui rendent témoignage (Jean-Baptiste, par exemple, et les prophètes), il éclaire notre lampe ; à cause de notre faiblesse, nous avons besoin du témoignage des lampes :

"Voilà donc que les lampes, elles aussi, rendent témoignage au Jour à cause de notre faiblesse, puisque nous ne pouvons pas supporter et voir la clarté du Jour. Car nous-mêmes, chrétiens, par comparaison, c'est vrai, avec les incroyants, nous sommes déjà des lumières ; aussi l'Apôtre dit-il : Naguère vous avez été ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur ; marchez comme des fils de lumière [Eph. 5, 8], et il dit ailleurs : La nuit est avancée et le jour s'est approché ; rejetons donc les œuvres des ténèbres et revêtons-nous des armes de la lumière ; marchons dignement comme en plein jour." [Rm 13, 12-13]. (Tract. XXXV, 8)

En comparaison de cette Lumière à laquelle nous viendrons, le jour où nous sommes est encore nuit, mais :

"… quand notre Seigneur Jésus Christ sera venu et que, comme le dit encore l'apôtre Paul, il aura éclairé ce qui est caché dans les ténèbres et manifesté les pensées des cœurs pour que chacun reçoive de Dieu sa louange [I Co 4,5], alors en présence d'un tel Jour, les lampes ne seront plus nécessaires, on ne nous lira plus le Prophète, on n'ouvrira plus le livre de l'Apôtre, nous ne rechercherons plus le témoignage de Jean, nous n'aurons plus besoin de l'Evangile lui-même. Disparaîtront par conséquent toutes les Ecritures, qui étaient allumées pour nous comme des lampes dans la nuit de ce siècle pour que nous ne restions pas dans les ténèbres. Quand toutes ces Ecritures auront disparu, pour qu'elles ne brillent plus pour nous comme si nous en avions besoin, et quand les hommes de Dieu eux-mêmes qui en ont été pour nous les ministres verront avec nous la véritable et éclatante Lumière, donc, quand ces secours auront été enlevés, que verrons-nous ? ? Quelle sera la nourriture de notre esprit ? Quelle sera la joie de notre regard ? D'où proviendra cette joie que l'œil n'a pas vue, que l'oreille n'a pas entendu, qui n'est pas montée au cœur de l'homme ? Que verrons-nous ? Je vous en supplie, associez-vous à mon amour, courez avec moi par la foi ; désirons la patrie d'en haut, soupirons après la patrie d'en haut, prenons conscience que nous sommes ici des pèlerins. Que verrons-nous alors ? Que l'Evangile maintenant le dise : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Tu viendras à la Source d'où une rosée s'est répandue pour toi ; alors que ses rayons étaient envoyés à ton cœur rempli de ténèbres obliquement et par réfraction, tu verras à découvert la Lumière elle-même…"

e) Le Christ chemin

Parmi les autres similitudes offertes pour notre avancée dans la compréhension du mystère du Christ, Augustin commente ce passage de Jean :

(Jn 14, 6) "Jésus lui dit : Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père sinon par moi."

La Lumière incarnée est le Chemin vers la Vérité et la Vie :

"J'aime, dis-tu, mais par quel chemin dois-je suivre ? Si le Seigneur ton Dieu t'avait dit : Je suis la Vérité et la Vie, dans ton désir de la Vérité, dans ta poursuite de la Vie, tu chercherais de suite le chemin pour parvenir à ces biens et tu te dirais : C'est un grand bien que la Vérité, c'est un grand bien que la Vie ; si seulement il existait un chemin pour mener mon âme jusque-là ! Tu cherches par où aller ? Ecoute celui qui dit en premier lieu : Je suis le Chemin. Avant de te dire où aller, il a commencé par te dire par où aller : Je suis, dit-il, le Chemin ; où mène ce Chemin ? Et la Vérité et la Vie. Il t'a dit d'abord par où aller, il t'a dit ensuite où aller : Je suis le Chemin, je suis la Vérité, je suis la Vie. Demeurant auprès du Père, il est la Vérité et la Vie ; en se revêtant de la chair, il s'est fait le Chemin. Il ne t'est pas dit : Travaille pour chercher le chemin qui te mènera à la Vérité et à la Vie ; non, ce n'est pas là ce qui t'est dit. Lève-toi, paresseux, le Chemin est venu lui-même jusqu'à toi et il t'a réveillé de ton sommeil, toi qui dormais, si du moins il t'a réveillé : lève-toi et marche. Tu essaies peut-être de marcher et tu ne peux pas parce que tes pieds te font mal. Pourquoi les pieds te font-ils mal ? Ont-ils couru sous les ordres de l'avarice à travers des terrains raboteux ? Mais le Verbe de Dieu a guéri aussi les boiteux. Regarde, dis-tu, j'ai les pieds en bon état, mais je ne vois pas le chemin. Il a aussi illuminé les aveugles." (Tract. XXXIV, 9)

      

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