Chapitre 5e
…est né de la Vierge Marie, a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort
et a été enseveli, est descendu aux enfers ;
Nous avons terminé le dernier cours sur cette citation de Bernard Sesboüé dans Croire. Invitation à la
foi catholique pour les femmes et les hommes du XXIe siècle (Droguet et Ardant, 1999, p. 218) :
"Une saine pédagogie de la foi ne doit […] pas commencer par l’affirmation de la conception
virginale. Bien des raisons, même des raisons bibliques, invitent à aborder ce thème, après avoir parlé de la vie,
de la mort et de la résurrection de Jésus. Ces récits ont été en effet écrits après la résurrection. Ils ont profité
de la lumière intense que celle-ci projette sur l’identité de Jésus et sur la totalité de son itinéraire.
Personnellement, je ne peux croire à la conception virginale de Jésus qu’à cette lumière. Il faudra donc en traiter
après l’ensemble de la vie de Jésus…" .
Tirant les conséquences de cette affirmation, B. Sesboüé traite d’abord de la Résurrection, puis finalement de la
naissance virginale de Jésus.
Cette phrase très forte doit être placée en exergue aujourd’hui, alors que nous allons effectivement aborder cet ensemble
d’articles qui apparaissent souvent comme d’une très grande complexité à nos contemporains et qui résument en quelque
sorte la vie de Jésus, le Fils de Dieu, avant de consacrer une leçon complète au mystère de la Résurrection -
à partir duquel cependant tout prend sens et c’est pourquoi nous devrons aussi dès maintenant nous y référer comme
la source de toutes les significations que nous chercherons. Nous devons contempler le mystère de l’incarnation de Dieu
dans sa totalité, pour mieux saisir ce que comporte chacun des articles de foi.
1) Le mystère de l’incarnation de Dieu
Il ne s’agit pas ici de se bloquer sur cette question de la virginité de Marie
(1), mais il s’agit de prendre mieux
la mesure de ce mystère si ancien, de voir son lien avec la Résurrection, et d’évaluer son importance dans le Credo.
C’est ainsi que nous verrons ce les Pères ont dit de l’incarnation de Dieu dans la chair en Jésus, grâce à une femme
choisie par Dieu, de toute éternité, pour donner naissance au Fils de Dieu (cf. "l’immaculée conception", par là
apparaît comme aussi nécessaire que la conception virginale).
Dès les premiers temps, les objections en tout cas ne manquent pas. C’est notamment ce que nous montre Justin
(2e siècle) : le Juif qu’il met en scène dans son Dialogue avec Tryphon fait spontanément cette objection :
"Dans les fables de ceux qu’on appelle les Grecs, on dit que Persée naquit de Danaé qui était
vierge, après que celui qui s’appelle chez eux Zeus s’était répandu sur elle sous forme d’or. Vous devriez rougir de
raconter les mêmes choses qu’eux, et il vaudrait mieux dire que ce Jésus fut un homme d’entre les hommes et démontrer par
les Ecritures qu’il est le Christ." (Dialogue avec Tryphon, LXVII, 2).
Quant à Irénée, il montre dans son Contre les hérésies, les deux tendances entre lesquelles oscillent
les "hérétiques" : les uns pensent que Jésus est né aussi de Joseph (c’est le cas par exemple des Ebionites),
les autres estiment qu’il n’est pas né du tout : c’est le cas des docètes (d’un mot grec qui signifie sembler ou paraître) ;
les docètes effectivement pensent que Jésus n’a pris que l’apparence d’un corps mais non pas la réalité de notre propre
chair.
Le païen Celse (au IIe siècle), cf. le Contre Celse d’Origène, lui aussi, prétend que Jésus a inventé
sa naissance d’une vierge, et que Marie était adultère.
Malgré ces objections, malgré les difficultés, les auteurs chrétiens pourtant ne baissent pas la garde et
n’acceptent pas de se replier sur une interprétation seulement symbolique : cette conception virginale de Marie entre
dans les formules de foi dès le tout début du IIe siècle, et les premiers Pères sans se laisser déstabilisés se
battront avec énergie pour la défendre : c’est le cas d’Ignace d’Antioche, mais aussi de Justin, d’Irénée, de Tertullien,
d’Origène…
Les Evangiles sont certes discrets sur Marie et dans les textes les plus primitifs, qui nous donnent le kérygme
(Actes, lettres d’apôtres…), il n’est guère fait mention de Marie : c’est un peu plus tard que cet article "né de la
Vierge Marie" prend forme et sens, quand la divinité de Jésus s’impose comme cœur de la foi chrétienne et précisément
à la lumière de sa résurrection affirmée et proclamée. Pour les Evangiles, si Matthieu et Luc mentionnent dans leurs
récits de la conception de Jésus la virginité de Marie, notons qu’il n’est fait aucune allusion à la naissance virginale
de Jésus en Marc et Jean. Mais relisons Matthieu :
Matthieu 1, 18 "Or telle fut la genèse de Jésus Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph :
or, avant qu'ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint…
[Joseph veut la répudier discrètement]
1, 20 " Alors qu'il avait formé ce dessein, voici que l'Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit :
"Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient
de l'Esprit Saint ;"
A part ce rappel, sans doute pourrait-on dire que la mention la plus définitive (à peu près la dernière dans les
Ecritures) du rôle tout à fait spécifique de Marie dans l’Eglise et pour notre foi a sans doute lieu au moment où
Jean nous raconte les paroles de Jésus sur la croix (Jn 19, 26-28) :
Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d'elle, le disciple qu'il aimait, dit à sa mère :
"Femme, voici ton fils." Puis il dit au disciple : "Voici ta mère." Dès cette heure-là, le disciple l'accueillit chez
lui.
Après quoi, sachant que désormais tout était achevé pour que l'Écriture fût parfaitement accomplie, Jésus dit : "J'ai soif."
Ne pas négliger le prolongement immédiat " … Sachant que désormais tout était achevé pour que l’Ecriture fût
parfaitement accomplie…" : c’est quand le Christ nous a donné en Marie une mère (que la Tradition présente comme figure
de l’Eglise, cf. notamment l’insistance de St Ambroise dans son Homélie sur Luc 2) que l’Ecriture est parfaitement
accomplie. Et cette Tradition se poursuit, comme l’atteste ce texte de Guerric d’Igny :
"Marie a engendré un fils ; et comme celui-ci est le Fils unique du Père dans les cieux, il est
le fils unique de sa mère sur la terre. Cependant cette vierge mère unique, qui eut la gloire de mettre au monde le
Fils unique de Dieu embrasse ce même Fils dans tous ses membres et ne rougit pas d’être appelée la mère de tous ceux
en qui elle reconnaît le Christ déjà formé ou en train de l’être. Eve fut moins une mère qu’une marâtre, elle qui jadis
a légué à ses enfants la condamnation à mort avant même qu’ils aient vu le jour. Elle a bien été appelée la mère des
vivants, pourtant elle s’est révélée en fait bien plutôt la meurtrière des vivants, ou la mère des mourants, puisqu’en
mettant au monde, elle mettait à mort. Ainsi, puisqu’elle n’a pas répondu au sens de son nom, c’est Marie qui en a
réalisé le mystère. Comme l’Eglise dont elle est la figure, elle est la mère de tous ceux qui renaissent à la vie.
Elle est vraiment la mère de la Vie qui fait vivre tous les hommes ; et en l’engendrant, elle a en quelque sorte
régénéré tous ceux qui allaient en vivre.
Cette bienheureuse mère du Christ, qui se sait mère des chrétiens en raison de ce mystère, se montre aussi leur
mère par le soin qu’elle prend d’eux et l’affection qu’elle leur témoigne. Elle n’est pas dure envers eux comme
s’ils n’étaient pas à elle. Ses entrailles fécondées une seule fois, mais non pas épuisées, ne cessent d’enfanter
le fruit de la bonté.
Si l’Apôtre, serviteur du Christ, continue de mettre au monde ses enfants par sa sollicitude et son ardent désir,
jusqu’à ce que le Christ soit formé en eux, combien plus cela est-il vrai de la propre mère du Christ ! Paul les a
engendrés en prêchant la Parole de vérité qui les régénérait ; Marie l’a fait de façon bien plus sainte et plus divine
en engendrant la Parole elle-même. Je loue en Paul le ministère de la prédication, mais j’admire et je vénère
davantage en Marie le mystère de la génération.
Voyez si de leur côté les fils ne reconnaissent pas leur mère. Poussés par une sorte d’instinct naturel inspiré par
la foi, ils recourent spontanément et irrésistiblement à l’invocation de son nom en toutes nécessités et dans
tous les dangers, comme des enfants se jettent dans les bras de leur mère. Aussi je ne crois pas absurde de penser
que c’est bien de ces enfants-là que parle le prophète quand il fait cette promesse : Tes fils habiteront en toi ;
sans perdre de vue que cette prophétie s’applique principalement à l’Eglise. Car dès maintenant nous habitons à l’abri
de la mère du Très-Haut, nous reposons sous sa protection et comme à l’ombre de ses ailes. Plus tard nous partagerons
sa gloire, et nous serons comme réchauffés en son sein. Alors retentira ce cri unanime et joyeux des enfants acclamant
leur mère : Nous tous qui sommes dans la joie, notre demeure est en toi, sainte Mère de Dieu." (Sermon de Guerric
d’Igny pour l’Assomption, 1, 2-4, in Livre des Jours, pp. 1750-1751)
Il est nécessaire de s’interroger quant au sens de la conception virginale avant de revenir sur son fait. Pour
cela nous pouvons retourner à B. Sesboüé car les Pères de l’Eglise, qui tiennent à défendre cette conception
virginale sont souvent écartés par nos contemporains qui les accusent de ne pas s’être posé de questions
(nous avons vu que ce n’est pas vrai !) :
"La conception virginale est mentionnée après les premières affirmations de la divinité du Christ.
Elle ne porte pas la charge de tout l’édifice de la foi.
Elle n’est donc pas une "preuve", mais un signe donné à ceux qui s’interrogent sur l’origine de Jésus. C’est une
foi déjà née qui est invitée à la reconnaître. J. Ratzinger s’est montré net sur ce point dans une formule devenue
célèbre : "La filiation divine de Jésus ne repose pas d’après la foi de l’Eglise, sur le fait que Jésus n’a pas
eu de père humain : la doctrine de la divinité de Jésus ne serait pas mise en cause, si Jésus était issu d’un mariage
normal." (Foi chrétienne hier et aujourd’hui, Mame, 1969, p. 192).
L’affirmation de la conception virginale donne du côté de l’origine de Jésus un signe de l’incarnation du Verbe.
Elle dit le caractère unique de la naissance de Jésus, don personnel de Dieu en son Fils. Tel est son sens premier.
Bien entendu, au cours des siècles cette affirmation a donné à penser. La conception virginale de Jésus concerne aussi
Marie, qui a vécu sa maternité sous un mode unique. Cette maternité virginale constitue une consécration de la mère
à son Fils et engagera la conviction que Marie est restée "toujours vierge"." (op. cit. p. 341).
Notons encore que Dieu en son Esprit est bien créateur, et non "pro-créateur" - ce qui ramènerait effectivement
la conception virginale à être une simple reprise des nombreux mythes païens d’intervention d’un dieu auprès d’une
mortelle !
C’est grâce à Marie que nous pouvons affirmer que Jésus est vraiment homme et vraiment Dieu : homme né d’une femme
(Marie) et en même temps Dieu né de Dieu. C’est là que se rejoignent "les deux signes de la conception virginale
et du tombeau vide, tous deux négatifs et très discrets – compte tenu de la priorité qu’il faut toujours donner
à la Résurrection" (Sesboüé, p. 346), mais "traces indispensables pour que l’incarnation et la Résurrection soient
perçues dans leur authenticité, c’est-à-dire comme intéressant la condition concrète de notre humanité". (ibid).
On peut dès lors lire la proclamation d’Irénée dans Contre les Hérésies, III, 19, 2 :
"… parce que, seul entre tous, il a reçu la génération éclatante qui lui vient du Père Très-Haut
et parce qu’il a accompli aussi la naissance éclatante qui lui vient de la Vierge, les Ecritures rendent de lui
ce double témoignage : d’une part, il est homme sans beauté, sujet à la souffrance, assis sur le petit d’une ânesse,
abreuvé de vinaigre et de fiel, méprisé du peuple, descendant jusque dans la mort ; d’autre part, il est Seigneur saint,
admirable Conseiller, éclatant de beauté, Dieu fort, venant sur les nuées en Juge universel."
Et St Bernard nous montre de façon très émouvante en évoquant l’Annonciation, comment le monde entier attend
la réponse de Marie :
"Tu l’as entendu, ô Vierge : tu concevras un fils, non d’un homme – tu l’as entendu – mais de
l’Esprit Saint. L’ange, lui, attend ta réponse : il est temps pour lui de retourner vers celui qui l’a envoyé.
Nous aussi, nous attendons, ô notre Dame. Accablés misérablement par une sentence de condamnation, nous attendons
une parole de pitié. Or voici, elle t’est offerte, la rançon de notre salut. Consens, et aussitôt nous serons libres.
Dans le Verbe éternel de Dieu, nous avons tous été créés ; hélas, la mort fait son œuvre en nous. Une brève réponse
de toi suffit pour nous recréer de sorte que nous soyons rappelés à la vie.
Ta réponse, ô douce Vierge, Adam l’implore tout en larmes, exilé qu’il est du paradis avec sa malheureuse descendance ;
il l’implore, Abraham, il l’implore, David, ils réclament tous instamment, les autres patriarches, tes ancêtres, qui
habitent eux aussi au pays de l’ombre de la mort. Cette réponse, le monde entier l’attend, prosterné à tes genoux.
Et ce n’est pas sans raison, puisque de ta parole dépendent le soulagement des malheureux, le rachat des captifs, la
délivrance des condamnés, le salut enfin de tous les fils d’Adam, de ta race entière.
Ne tarde plus, Vierge Marie. […] Vite, réponds à l’ange, ou plutôt, par l’ange réponds au Seigneur. Réponds une parole
et accueille la Parole ; prononce la tienne et conçois celle de Dieu ; profère une parole passagère et étreins la
Parole éternelle.
Pourquoi tarder ? Pourquoi trembler ? Crois, parle selon ta foi et fais-toi tout accueil. Que ton humilité devienne
audacieuse, ta timidité, confiante. Certes il ne convient pas en cet instant que la simplicité de ton cœur virginal
oublie la prudence ; mais en cette rencontre unique ne crains point la présomption, Vierge prudente. Car si ta réserve
fut agréable à Dieu dans le silence, plus nécessaire maintenant est l’accord empressé de ta parole. Heureuse Vierge,
ouvre ton cœur à la foi, tes lèvres à l’assentiment, ton sein au Créateur. Voici qu’au dehors le Désiré de toutes
les nations frappe à la porte. Ah ! si pendant que tu tardes il allait passer son chemin, t’obligeant à chercher
de nouveau dans les larmes celui que ton cœur aime. Lève-toi, cours, ouvre-lui : lève-toi par la foi, cours par
l’empressement à sa volonté, ouvre-lui par ton consentement.
Voici, dit-elle, la servante du Seigneur : que tout se passe pour moi selon ta parole."
(Livre des Jours, pp. 76-77)
Jésus est totalement Dieu, c’est pourquoi la proclamation de la maternité divine de Marie
(au Concile d’Ephèse, 431) est si importante : C’est ce que dit avec force Cyrille d’Alexandrie (qui fit condamner
Nestorius qui refusait à Marie le titre de Mère de Dieu) :
"Je trouve très surprenant qu’il y ait des gens pour se demander vraiment si la Sainte
Vierge doit être appelée Mère de Dieu. Car si notre Seigneur Jésus est Dieu, comment la Vierge qui l’a engendré
ne serait-elle pas la Mère de Dieu ? Telle et la foi que nous ont transmise les saints Apôtres, même s’ils n’ont
pas employé cette expression. C’est l’enseignement que nous avons reçu des saints Pères, en particulier notre Père
de glorieuse mémoire, Athanase […] Au troisième livre de l’ouvrage qu’il a composé sur la Trinité sainte et
consubstantielle, il donne constamment à la Sainte Vierge le titre de Mère de Dieu.
Je dois citer ses propres paroles. Les voici : "La sainte Ecriture, nous l’avons fait remarquer bien souvent, se
caractérise principalement en ceci, qu’elle présente, au sujet du Sauveur, une double affirmation : d’une part qu’il est
le Dieu éternel, le Fils, le Verbe, le Resplendissement et la Sagesse du Père ; d’autre part que dans les derniers
temps, pour notre salut, il a pris chair de la Vierge Marie, Mère de Dieu, et s’est fait homme."
[…] On doit donc confesser que l’Emmanuel est constitué de deux éléments : la divinité et l’humanité. Cependant,
il y a un seul Seigneur, Jésus Christ, un seul vrai Fils, qui est tout ensemble Dieu et homme ; non pas un homme
divinisé, comme ceux qui le sont par la grâce, mais vrai Dieu qui s’est manifesté dans la forme humaine pour notre salut.
C’est ce que nous affirme à ce sujet le bienheureux Paul : Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils ;
il est né d’une femme, il a été sujet de la Loi juive pour racheter ceux qui étaient sujets de la Loi et pour faire
de nous des fils adoptifs." (Lettre attribuée à St Cyrille à tous les moines d’Egypte avant le concile d’Ephèse (431),
Livre des Jours, pp. 1464-1465)
La magnifique prière de St Anselme à Marie insiste sur son rôle dans la recréation :
"Le ciel, les astres, les fleuves, le jour, la nuit, et toutes les créatures soumises au
pouvoir ou à l’utilité de l’homme se félicitent d’avoir été par toi, ô notre Dame, comme ressuscitées à leur beauté
première en étant dotées d’une grâce nouvelle et impossible à définir. Comme si toutes avaient subi la mort en perdant
leur dignité native – qui est de seconder la domination ou les travaux de ceux qui louent le Seigneur, et c’est pour
cela qu’elles avaient été créées. Elles étaient opprimées et affaiblies par l’usage mauvais que leur infligeaient
les serviteurs d’idoles, usage pour lequel elles n’avaient pas été créées.
Donc, elles ont comme bondi d’allégresse pour cette grâce nouvelle et inexprimable, lorsqu’elles ont compris que Dieu
lui-même, leur créateur, les régissait en demeurant invisiblement au-dessus d’elles, mais aussi lorsqu’elles ont vu
qu’il les sanctifiait en usant d’elles visiblement, selon leurs propres lois. Et d’aussi grands biens nous sont
advenus par le fruit béni du sein béni de Marie, la vierge bénie.
En effet, par la plénitude de ta grâce, ceux qui étaient dans le séjour des morts se réjouissent de leur libération ;
ceux qui habitent le ciel sont heureux de sa restauration. Oui, par le glorieux Fils de ta glorieuse virginité, tous
les justes qui avaient décédé avant sa mort vivifiante exultent de l’écroulement de leur prison, et les anges se
félicitent de voir rétablie leur cité à demi ruinée.
O femme pleine de grâce, comblée de grâce, dont la plénitude débordante fait reverdir toute la création ! O Vierge bénie,
et plus que bénie : par sa bénédiction est béni tout ce qui existe, non seulement la créature par le Créateur, mais aussi
le Créateur par la créature !
Ce Fils, que Dieu aimait comme lui-même, parce qu’il était le seul être engendré de son cœur qui fût son égal, ce Fils,
Dieu l’a donné à Marie et l’homme né de Marie, il en a fait son Fils, non pas un autre, mais le même, de sorte
qu’il est par nature le même Fils unique, commun à Dieu et à Marie. Toute la création est l’œuvre de Dieu, et Dieu
est né de Marie ! Dieu a tout créé, et Marie a engendré Dieu ! Dieu qui a tout fait, s’est fait lui-même à partir
de Marie, et c’est ainsi qu’il a recréé tout ce qu’il avait créé. Lui qui a pu tout faire à partir de rien, il n’a
pas voulu refaire sans Marie sa création profanée.
Dieu et donc le père de l’univers créé, et Marie la mère de l’univers recréé. Dieu est le Père de l’établissement de
toutes choses, et Marie la mère de leur rétablissement. Car Dieu a engendré celui par qui tout a été fait, et Marie
a enfanté celui par qui tout a été sauvé ! Dieu a engendré celui sans qui absolument rien n’existe, et Marie a enfanté
celui sans qui absolument rien n’est bon.
Vraiment, le Seigneur est avec toi, puisque le Seigneur t’a donné que toute la nature te serait redevable autant qu’à
lui. (Orationes sive Meditationes, 7, cité d’après Livre des Jours, pp. 1664-1665).
La proclamation "conçu du St Esprit", associée à "est né de la Vierge Marie" insiste sur la nature divine du Christ
en même temps que sur son humanité : il ne pouvait en être autrement. Si Dieu prend une chair d’homme et choisit
pour cela Marie sans péché originel, et Marie, vierge, il convenait de manifester parfaitement encore la paternité
divine. Le Christ, qui est ainsi d’ailleurs, notre frère, homme pleinement comme nous-mêmes, nous montre que
l’homme est fils de Dieu ! Ce n’est pas une simple façon de parler. Dans le Christ c’est une
réalité ; pour nous, à la suite du Christ, cette réalité advient de jour en jour :
nous sommes en quelque sorte de plus en plus fils ; après avoir perdu ce que l’homme avait reçu
à l’origine (cf. le rôle du souffle de Dieu à l’origine de la création de l’homme), nous sommes appelés à
devenir ce que nous sommes, à retrouver la ressemblance que le péché d’Adam a
cassée :
"…à tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux
qui croient en son nom, eux qui ne furent engendrés ni du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme,
mais de Dieu." (Jn 1, 12-13)
Comme "fils", nous marchons à la suite du Christ qui a vécu dans la volonté de son Père ("Père, ta volonté et non
la mienne…"), nous qui savons maintenant que nous sommes nés de la volonté de Dieu (notre créateur) et appelés à
entrer chaque jour davantage dans cette perfection de l’Amour de Dieu qui veut faire de nous de vrais "fils".
Dieu, pour manifester aux hommes son Amour plus totalement encore, est devenu semblable à nous pour que nous
puissions devenir semblable à Lui. Il a choisi pour cela de dépendre d’une femme ! Rôle exceptionnel, reconnaissance
fantastique de la femme comme nécessaire à l’Amour de Dieu, contribution à l’œuvre de salut (re-création de
l’homme pécheur). Comment avec Marie, peut-on encore souhaiter une reconnaissance plus grande de la femme comme femme ?
Le rôle de la femme dans l’Eglise n’est pas celui de l’homme, certes, mais souvent j’ai envie de penser qu’il est plus
grand encore ! A l'instar de Marie, celle qui accueille dans sa chair l’Amour de Dieu, celle par qui l’humanité
est sauvée… N'est-il pas vrai aussi que pour les êtres humains, c’est souvent par la femme que l’Amour arrive !
2) La vie du Christ telle que dans le symbole des Apôtres.
Nous pourrions dire "Vie et mort de Jésus" ! "a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli,
est descendu aux enfers".
Nous allons examiner cette vie du Christ "en raccourci" pour dégager les significations de cette proclamation de foi.
En réservant bien sûr la Résurrection pour la prochaine fois !
"a souffert sous Ponce Pilate"
C’est toute la Passion qui est ainsi résumée, la Passion dont nous connaissons le récit à travers les quatre
Evangiles. J’ai retenu ici un très beau texte de St Ambroise pour nous aider à comprendre un peu la souffrance
du Christ :
"Père s’il est possible, éloigne de moi ce calice." Je ne vois pas qu’il y ait sujet d’excuser
le Christ d’avoir dit ces mots, mais nulle part je n’admire davantage sa tendresse et sa grandeur. Le bienfait que
me procure la Passion du Seigneur eût été moindre s’il n’avait pris mes sentiments. C’est donc pour moi qu’il s’est
affligé, n’ayant en lui aucun motif d’affliction. Mettant de côté la jouissance de sa divinité éternelle, il se
laisse atteindre par la lassitude de ma faiblesse. Il a pris ma tristesse pour me donner sa joie, sur mes pas
il est descendu jusqu’à l’angoisse de la mort afin que, sur ses pas, je sois rappelé à la vie. Je n’hésite donc
pas à parler de tristesse puisque je prêche la croix. C’est que le Christ n’a pas pris de l’Incarnation seulement
l’apparence, il en a pris la réalité. Il devait donc aussi prendre la douleur, afin de triompher de la tristesse
et non de l’écarter : on ne saurait être loué pour son courage, si l’on n’a connu des blessures que l’étonnement
sans la douleur. "Homme de douleurs et connu de la souffrance", il a voulu nous instruire. L’histoire de Joseph
nous avait appris à ne pas craindre la prison ; dans le Christ, nous apprenons à vaincre la mort, mieux encore,
à vaincre l’angoisse de la mort à venir. Aussi bien, comment t’imiterions-nous, Seigneur Jésus, si nous ne te
suivions dans ton humanité, si nous ne croyions que tu es mort, si nous n’avions vu tes blessures. Comment les
disciples auraient-ils cru qu’il allait mourir, s’ils n’avaient vu l’angoisse d’un mourant ?
Ainsi, les disciples dorment et ignorent la douleur, eux pour qui le Christ est dans la douleur. C’est ce que nous
lisons : "Il porte nos péchés et il souffre pour nous." Tu souffres donc, Seigneur, non de tes blessures, mais des
miennes, non de ta mort, mais de ma faiblesse. Et nous te regardions comme un homme de douleurs, quand tu souffrais,
non pour toi, mais pour moi. Car tu es devenu faible, mais à cause de mes péchés, parce que cette faiblesse tu ne
l’as pas reçue de ton Père, tu l’as prise pour moi, parce qu’il était bon que le châtiment qui nous rend la paix soit
sur toi et que tes blessures guérissent nos plaies. Mais quoi d’étonnant si, pour tous, il a souffert, quand pour
un seul il a pleuré ? Quoi d’étonnant s’il défaille au moment de souffrir pour tous, quand il pleure au moment de
ressusciter Lazare ? Alors les larmes d’une sœur aimante ont touché son cœur, maintenant un désir profond le pousse ;
de même qu’en sa chair il détruit nos péchés, de même l’angoisse de son âme détruit l’angoisse de la nôtre.
Or, Pierre suivait de loin… Il est vrai qu’il suivait de loin, étant déjà si près de le renier, car il n’aurait pas
pu le renier s’il s’était attaché étroitement au Christ. Mais peut-être devons-nous l’admirer de ne pas avoir abandonné
le Seigneur tout en ayant peur : sa chute est le sort commun, son repentir vient de la foi. Pierre nie le lieu où
le Christ est emprisonné, où Jésus est enchaîné… Il faisait froid… Il faisait froid en ce lieu où Jésus n’était pas
reconnu, où il n’y avait personne qui vît la lumière, où l’on reniait le feu qui consume. Il faisait froid pour le cœur,
non pour le corps. Aussi bien Pierre se tenait auprès du feu car il avait le cœur transi… L’erreur de Pierre est
un enseignement pour les justes, l’achoppement de Pierre est le roc de tous. C’est le même Pierre qui a chancelé sur
la mer, mais a marché. Pierre chancelant est plus ferme que notre fermeté. Tomber lui a été meilleur que pour
d’autres rester debout : mieux lui a valu tomber puisque le Christ l’a relevé. Jésus le regarda : aussi bien ceux-là
pleurent que Jésus regarde. Regarde-nous, Seigneur Jésus, pour que nous sachions pleurer notre péché. Que nous
imitions Pierre qui dit ailleurs à trois reprises : Seigneur, tu sais que je t’aime, car ayant renié trois fois,
il confesse trois fois ; il a renié dans la nuit et a confessé le Seigneur au grand jour." (Traité sur l’Evangile
de St Luc, cité in Bouchet, 1996, pp. 174-176)
"a été crucifié"
Les textes sur la Croix sont multiples. Ils nous aident à percevoir sa signification pour les croyants :
cet objet de mépris qui devient pour nous objet de gloire. Il fallait choisir un texte. J’ai retenu celui de St
Jean Chrysostome qui explique que "le jour où notre Seigneur est monté sur la Croix est pour nous un jour de fête" :
"Le jour où notre Seigneur Jésus-Christ est monté sur la croix est pour nous un jour de fête,
car, sachez-le bien, la croix est maintenant fête et célébration dans l’Esprit. Autrefois, la croix était un signe de
condamnation, elle est maintenant principe de salut. De quels biens n’est-elle pas la source ? Elle nous a délivrés
de l’erreur, elle nous a ramenés des ténèbres à la lumière, nous étions révoltés contre Dieu : elle scelle notre
réconciliation : nous étions à ses yeux des étrangers : elle nous a ouvert les portes de sa maison ; nous étions
éloignés de lui : elle nous a rendus proches ; elle a détruit toute inimitié, elle nous a procuré la paix, elle est
devenue pour nous un trésor de biens innombrables. Grâce à la croix, nous n’errons plus dans la solitude, car
nous connaissons le Chemin véritable ; grâce à la croix, nous ne sommes plus hors de la demeure, car nous avons
trouvé la Porte ; grâce à la croix, nous ne craignons plus les traits enflammés de l’ennemi, car nous avons trouvé
la source ; grâce à la croix, l’Eglise n’est plus dans la tristesse du veuvage, car elle a reçu l’Epoux ; grâce
à la croix, nous ne craignons plus le loup ravisseur, car le Bon Pasteur est parmi nous : "Je suis, dit le Seigneur,
le Bon Pasteur."
Voilà pourquoi nous sommes en fête, voilà pourquoi nous célébrons la mémoire de la croix. C’est Paul qui nous ordonne
de célébrer dignement la croix : "Célébrons cette fête, non avec du vieux levain, mais avec des azymes de sincérité
et de vérité." Ensuite, il en donne le motif : "Le Christ, notre Pâque, a été immolé." Et où s’est donc accomplie
cette immolation ? sur un gibet. L’autel du sacrifice est nouveau, car le sacrifice lui-même est nouveau et paradoxal :
la victime et le prêtre sont une seule et même personne. Le Christ offre et il est offert. Ecoutez l’explication
qu’en donne l’Apôtre : "Tout prêtre pris parmi les hommes est établi pour intervenir en faveur des hommes dans
leur relation avec Dieu, afin d’offrir dons et sacrifices pour leurs péchés." C’est pourquoi, il s’offre lui-même.
L’Apôtre dit encore : "Le Christ, après s’être offert une seule fois pour enlever les péchés d’un grand nombre,
apparaîtra une seconde fois à ceux qui l’attendent, pour leur donner le salut." Ainsi, c’est bien lui-même qu’il a
offert et c’est lui qui offrait. Tu vois comment il était à la fois prêtre et victime et comment l’autel du
sacrifice était la croix.
Tu vas me demander encore pourquoi au lieu d’être offerte dans le Temple, la victime l’a été hors de la ville et de
ses murs. C’était afin d’accomplir cette parole : "Il a été mis au rang des scélérats…" Il est offert hors de la ville
et de ses murs, et cela vous apprend qu’il s’agit d’un sacrifice universel, d’un sacrifice offert pour la
terre entière ; cela vous apprend qu’il s’agit non pas d’une purification particulière comme pour les juifs, mais
d’une purification universelle. Nous pouvons désormais élever en tout lieux des mains pures vers le Seigneur parce
que, par le sacrifice du Christ, la terre entière a été sanctifiée et qu’elle surpasse en sainteté le Saint
des Saints. Le sacrifice offert dans le Temple était celui d’une victime sans raison. Le sacrifice offert sur la croix
est celui d’une victime spirituelle. Plus parfaite est la victime, plus parfaite est la sanctification. Telles
sont les raisons qui nous poussent à fêter la croix du Sauveur." (Homélie I sur la Croix et le Bon larron, cité
in Bouchet, pp. 160-162).
Quant à la signification de la Croix pour nous, Teilhard de Chardin, dans un texte admirable, nous aide
à méditer ce paradoxe mystérieux :
"La Croix a toujours été un signe de contradiction et un principe de sélection parmi les
hommes. C’est, nous dit la Foi, suivant l’attraction ou la répulsion consenties qu’elle exerce sur les âmes, que
se poursuit le tri du bon et du mauvais grain, la séparation des éléments élus et inutilisables, au sein de l’Humanité.
Là où elle apparaît, de l’effervescence et des oppositions sont inévitables. Encore faut-il que ce conflit ne soit
pas inutilement surexcité par une manière provocante, discordante, de prêcher la doctrine de Jésus crucifié. Trop
souvent, la Croix est présentée à notre adoration, moins comme un but sublime que nous atteindrons en nous surpassant
nous-mêmes, que comme un symbole de tristesse, de restriction, de refoulement.
Cette façon de prêcher la Passion tient simplement, dans bien des cas, à l’emploi malencontreux d’un vocabulaire pieux
où les mots les plus graves (tels que sacrifice, immolation, expiation), vidés de leur sens par la routine, sont
employés avec une légèreté et une allégresse inconscientes. On joue avec des formules. Mais cette manière de parler
finit par donner l’impression que le Règne de Dieu ne peut s’établir que dans le deuil, en prenant constamment le
contre-pied et le contre-courant des énergies et des aspirations humaines. Sous la fidélité des mots, rien n’est moins
chrétien, au fond, que cette perspective. Ce que nous avons dit, au paragraphe précédent, sur la combinaison nécessaire
du détachement et de l’attachement, permet de donner à l’ascèse chrétienne un sens beaucoup plus riche et beaucoup
plus complet.
Prise à son plus haut degré de généralité, la doctrine de la Croix est celle à laquelle adhère tout homme persuadé
qu’en face de l’immense agitation humaine il s’ouvre un chemin vers quelque issue, et que ce chemin monte…"
(Le Milieu divin, Seuils, Points "Sagesses", pp. 104-106)
"est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers
Que signifie après la mort du Christ cette "descente aux enfers" ? Y a-t-il une différence entre les enfers
(ici au pluriel) et l’enfer (où sont enfermés les damnés) ? Le Vocabulaire de Théologie biblique,
publié sous la direction de Xavier Léon-Dufour, Cerf, 1995, précise bien l’usage de ces deux mots :
"
Enfers et enfer : Jésus-Christ est descendu aux enfers, le damné descend
en enfer : ces deux expressions désignent deux gestes différents et supposent deux conditions différentes. Les portes
des enfers où est descendu le Christ se sont ouvertes
pour laisser échapper leurs captifs
(2), tandis que l’enfer où descend le damné se referme sur lui à jamais. Néanmoins,
le mot est le même, non par hasard ni par un rapprochement arbitraire, mais en vertu d’une logique profonde et
comme expression d’une vérité capitale. Les enfers comme l’enfer sont le royaume de la mort, et sans le Christ,
il n’y aurait au monde qu’un seul enfer et qu’une seule mort, la mort éternelle, la mort en possession de toute sa
puissance. S’il existe une "seconde mort" (Ap 21, 8), séparable de la première, c’est que Jésus-Christ par sa mort
a brisé le règne de la mort. Parce qu’il est descendu aux enfers, les enfers ne sont plus l’enfer, mais ils
continuent d’en porter les traits, c’est pourquoi au dernier jugement, les enfers l’Hadès rejoignent l’enfer et
leur place normale dans l’étang de feu (Ap 20, 14). Voilà pourquoi, bien que les images de l’enfer dans l’AT
demeurent ambiguës et n’aient pas encore leur caractère absolu, Jésus-Christ cependant les reprend pour désigner
la damnation éternelle ; bien plus que des images, elles sont la réalité de ce que serait le monde sans lui."
(col. 352-353).
La descente de Jésus, le Fils de Dieu, aux Enfers nous est racontée dans un magnifique texte d’Epiphane
(mort en 406) qui se passe de commentaires mais qui est riche de significations :
"Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude.
Un grand silence parce que le Roi dort. La terre a tremblé et s’est calmée parce que Dieu s’est endormi dans la chair
et qu’il est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles. Dieu est mort dans la chair et les enfers ont
tressailli. Dieu s’est endormi pour un peu de temps et il a réveillé du sommeil ceux qui séjournaient dans les enfers…
Il va chercher Adam, notre premier Père, la brebis perdue. Il veut aller visiter tous ceux qui sont assis dans les
ténèbres et à l’ombre de la mort. Il va, pour délivrer de leurs douleurs Adam dans ses liens et Eve, captive avec lui,
lui qui est en même temps leur Dieu et leur Fils. Descendons donc avec lui pour voir l’Alliance entre Dieu et
les hommes… Là se trouve Adam, le premier Père, et comme premier créé, enterré plu profondément que tous les condamnés.
Là se trouve Abel, le premier mort et comme premier pasteur juste, figure du meurtre injuste du Christ pasteur. Là se
trouve Noé, figure du Christ, le constructeur de la grande arche de Dieu, l’Eglise… Là se trouve Abraham, le père
du Christ, le sacrificateur, qui offrit à Dieu par le glaive et sans le glaive un sacrifice mortel sans mort.
Là demeure Moïse, dans les ténèbres inférieures, lui qui a jadis séjourné dans les ténèbres supérieures de l’arche de
Dieu. Là se trouve Daniel dans la fosse de l’enfer, lui qui, jadis, a séjourné sur la terre dans la fosse aux lions.
Là se trouve Jérémie, dans la fosse de boue, dans le trou de l’enfer, dans la corruption de la mort. Là se trouve
Jonas dans le monstre capable de contenir le monde, c’est-à-dire dans l’enfer, en signe du Christ éternel. Et parmi
les Prophètes il en est un qui s’écrie : "Du ventre de l’enfer, entends ma supplication, écoute mon cri !"
et un autre : "Des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur, écoute mon appel !" ; et un autre : "Fais briller sur
nous ta face et nous serons sauvés…"
[…]
Mais, comme par son avènement le Seigneur voulait pénétrer dans les lieux les plus inférieurs, Adam, en tant
que premier Père et que premier créé de tous les hommes et en tant que premier mortel, lui qui avait été tenu captif
plus profondément que tous les autres et avec le plus grand soin, entendit le premier le bruit des pas du Seigneur
qui venait vers les prisonniers. Et il reconnut la voix de celui qui cheminait dans la prison, et s’adressant à
ceux qui étaient enchaînés avec lui depuis le commencement du monde, il parla ainsi : "J’entends les pas de quelqu’un
qui vient vers nous." Et pendant qu’il parlait, le Seigneur entra, tenant les armes victorieuses de la croix. Et
lorsque le premier Père, Adam, le vit, plein de stupeur, il se frappa la poitrine et cria aux autres : "Mon Seigneur
soit avec vous !" Et le Christ répondit à Adam : "Et avec ton esprit." Et lui ayant saisi la main, il lui dit :
"Eveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera." Je suis ton Dieu, et à cause
de toi je suis devenu ton Fils. Lève-toi, toi qui dormais, car je ne t’ai pas créé pour que tu séjournes ici
enchaîné dans l’enfer. Relève-toi d’entre les morts, je suis la Vie des morts. Lève-toi, œuvre de mes mains, toi,
mon effigie, qui a été faite à mon image. Lève-toi, partons d’ici, car tu es en moi et je suis en toi.. A cause
de toi, moi ton Dieu, je suis devenu ton fils ; à cause de toi, moi ton Seigneur, j’ai pris la forme d’esclave ;
homme, je me suis fait comme un homme sans protection, libre parmi les morts. Pour toi qui es sorti du jardin,
j’ai été livré aux juifs dans le jardin et j’ai été crucifié dans le jardin…
[…]
Regarde sur mon visage les crachats que j’ai reçus pour toi afin de te replacer dans l’antique paradis. Regarde
sur mes joues la trace des soufflets que j’ai subis pour rétablir en mon image ta beauté détruite. Regarde sur mon dos
la trace de la flagellation que j’ai reçue afin de te décharger du fardeau de tes péchés qui avait été imposé sur
ton dos. Regarde mes mains qui ont été solidement clouées au bois à cause de toi qui autrefois as mal étendu tes mains
vers le bois… Je me suis endormi sur la croix et la lance a percé mon côté à cause de toi qui t’es endormi au paradis
et as fait sortir Eve de ton côté. Mon côté a guéri la douleur de ton côté. Et mon sommeil te fait sortir maintenant
du sommeil de l’enfer. Lève-toi et partons d’ici, de la mort à la vie, de la corruption à l’immortalité, des ténèbres
à la lumière éternelle. Levez-vous et partons d’ici et allons de la douleur à la joie, de la prison à la Jérusalem
céleste, des chaînes à la liberté, de la captivité aux délices du paradis, de la terre au ciel. Mon Père céleste
attend la brebis perdue, un trône de chérubin est prêt, les porteurs sont debout et attendent, la salle des noces
est préparée, les tentes et les demeures éternelles sont ornées, les trésors de tout bien sont ouverts, le Royaume
des Cieux qui existait avant tous les siècles vous attend." (Homélie sur l’ensevelissement du Christ, Extraits tirés
du Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes de Jean-René Bouchet, Cerf, pp. 186-189).
C’est ainsi que nous comprenons que par la mort et la résurrection du Christ, tous sont sauvés, même ceux
qui avaient été si profondément retenus captifs, jusqu’à sa venue pour l’Alliance définitive. Les comparaisons
symboliques nombreuses permettent de pénétrer un peu le mystère – de se laisser pénétrer par lui.
"Dieu s’est endormi pour un peu de temps et il a réveillé du sommeil ceux qui séjournaient dans les enfers…"
"Relève-toi d’entre les morts, je suis la Vie des morts."
"Je suis ton Dieu, et à cause de toi je suis devenu ton Fils.
"…à cause de toi, moi qui demeure au-dessus des cieux, je suis descendu sur la terre et sous la terre"
etc.
(1) Pour ceux qui voudraient une discussion contemporaine un peu méthodique et stimulante,
ils peuvent lire un article intéressant de Jean-Marie Moschetta (Nouvelle Revue de Théologie, 125,
2003, n° 4, pp. 555-573, accessible sur Internet :
Cet article est une synthèse théologique moderne, en relation avec les questions de l’homme moderne. On connaît par
ailleurs les thèses de E. Drewermann (De la naissance des dieux à la naissance du Christ, Paris, Seuil, 1992).
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(2) Comme nous allons le voir dans le texte suivant d'Epiphane.
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