Les Pères de l'Eglise et le mystère de la foi

Introduction

Croire...

Qu’est-ce que croire ?

Croire et/ou comprendre ?

P.J. Labarrière (sj) insiste sur l’opposition, voire les contradictions qu’il y a entre ces termes :

"Entendons : entre l’acte de comprendre, qui est à la charge de la raison, et celui de croire les vérités révélées, il n’y a pas seulement une différence de procédure ni même de fondement, mais encore, de façon plus radicale, une différence de contenu ; deux procédures aussi distinctes par conséquent que le sont la recherche sans limites et la soumission à ce qui est proposé comme vrai, mais surtout l’intérêt porté d’une part à ce qui se présente dans le champ de l’expérience commune et l’accueil d’autre part d’une série de réalités communiquées à l’homme dans l’émerveillement de l’inattendu et de l’inouï." (Pierre-Jean Labarrière, Croire et comprendre, Cerf, 1999, p. 60).

Développer l’image du point et de l’anneau chez Maître Eckhart.

Une idée forte chez Augustin (il l’a reprendra très souvent) :

Homélies sur l'Evangile de Jean, Tract. XXIX, 6, p. 707)

Guillaume de Saint-Thierry (v. 1085-1148) insiste sur le rôle de l’Esprit Saint : c’est lui qui connaît les "secrets de Dieu" et peut nous les révéler. L’intelligence de la foi vient avec l’Esprit que l’on invoque dans la prière, c’est lui qui nous enseigne toute vérité. C’est grâce à lui que nous pouvons comprendre, dès lors que nous croyons assez pour invoquer celui qui éclaire les croyants en leur révélant la justice de Dieu :

"Pour toi, âme fidèle, lorsque ta nature hésite devant les mystères trop profonds de la foi, dis sans crainte, non pour t’opposer, mais avec le désir d’obéir : Comment cela arrivera-t-il ? Que ta question soit une prière, qu’elle soit amour, piété, humble désir. Qu’elle ne scrute pas avec hauteur la majesté divine, mais cherche le salut dans les moyens de salut du Dieu de notre délivrance. Alors l’Ange du grand Conseil te répondra : Lorsque viendra le consolateur que je vous enverrai du Père, il rendra témoignage de moi et vous enseignera toutes choses : toute vérité vous viendra de l’Esprit de vérité. Qui donc connaît les secrets de l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. Hâte-toi donc de communier à l’Esprit Saint. Il est là dès qu’on l’invoque ; si on l’invoque, c’est qu’il est déjà présent. Appelé, il vient ; il arrive dans l’abondance des bénédictions divines. C’est lui le fleuve impétueux qui réjouit la cité de Dieu. Lors de sa venue, s’il te trouve humble et sans inquiétude, mais tremblant à la parole de Dieu, il reposera sur toi et te révélera ce que Dieu cache aux sages et aux prudents de ce monde. Commenceront à briller pour toi toutes ces vérités que la Sagesse pouvait dire aux disciples alors qu’elle était sur terre, mais qu’ils ne pouvaient porter avant la venue de l’Esprit de vérité qui leur enseignerait toute vérité.
Pour recevoir et apprendre cette vérité, il est vain d’attendre de la bouche d’un homme ce qu’il n’a pu recevoir ni apprendre des lèvres de la Vérité elle-même. Car, selon l’affirmation de cette vérité, Dieu est Esprit ; et, de même que ceux qui l’adorent doivent nécessairement l’adorer en esprit et en vérité, de même ceux qui désirent le connaître ne doivent chercher que dans l’Esprit Saint l’intelligence de la foi et le sens de cette vérité pure et sans mélange. Parmi les ténèbres et l’ignorance de cette vie, il est lui-même pour les pauvres en esprit la lumière qui éclaire, la charité qui attire, la douceur qui saisit, il est l’accès de l’homme auprès de Dieu, l’amour de celui qui aime, la piété de celui qui se livre sans réserve. C’est lui qui, de conviction en conviction, révèle aux croyants la justice de Dieu ; il donne grâce pour grâce, et à la foi qui s’attache à l’écoute de la Parole, il donne en retour la foi illuminée. » (Guillaume de St Thierry, Le miroir de la foi, 6).

La foi, un don de Dieu ?

C’est ce qu’ont souvent affirmé les Pères de l’Eglise.

St Bonaventure (1217-1274) dans son Breviloquium (1) (Prologue, 2), accessible sur jesusmarie.com souligne :

"L’origine de l’Ecriture ne se situe pas dans la recherche humaine, mais dans la divine révélation qui provient du Père des lumières, de qui toute paternité au ciel et sur terre tire son nom. De lui, par son Fils Jésus Christ, s’écoule en nous l’Esprit Saint. Par l’Esprit Saint, partageant et distribuant ses dons à chacun de nous selon sa volonté, la foi nous est donnée et, par la foi, le Christ habite en nos cœurs. Telle est la connaissance de Jésus Christ de laquelle découle, comme de sa source, la fermeté et l’intelligence de toute la sainte Ecriture.
Il est donc impossible d’entrer dans la connaissance de l’Ecriture sans posséder d’abord, insérée en soi, la foi du Christ, comme la lumière, la porte et le fondement de toute l’Ecriture. Car, aussi longtemps que nous vivons en exil loin du Seigneur, la foi est elle-même le fondement stable, la lumière directrice et la porte d’entrée dans toutes les illuminations surnaturelles. Selon la mesure de cette foi, doit être mesurée la sagesse qui nous est donnée par Dieu afin de ne pas goûter plus qu’on ne doit, mais de goûter avec sobriété et selon la mesure de foi que Dieu départit à chacun."

Sans ce don initial, mais qui est offert à tous les hommes, il n’y a pas de connaissance de Dieu : la foi est ce qui nous donne l’impulsion pour connaître Dieu, pour accueillir cette connaissance à travers l’Ecriture et à travers la vie de l’Esprit en nous, pour être toujours plus croyant et confiant. Noter que le mot "foi" en français, que nous mettons légitimement en relation avec "je crois" - plutôt que "croyance", maintenant autrement connoté -, vient du latin fides (le latin chrétien exprime clairement par là la "confiance en Dieu, ce terme étant effectivement à rattacher à une racine indo-européenne qui signifie "avoir confiance"). Quant à "fidélité", il est construit à partir d’un dérivé de fides (fidelitas). Le fidèle est une personne unie à une Eglise par sa foi, spécialement une personne qui professe la religion considérée comme vraie.

Foi et adhésion

Forts de cette idée fondamentale de la foi comme don (mais don accordé à tous les hommes, don qui est inscrit dans le cœur de l’homme), nous examinerons avec prudence la conception qui est celle de la foi comme adhésion à une doctrine. C’est vrai qu’il y a une "doctrine" chrétienne, avec ses "docteurs"(2) - ce sont précisément ceux que nous suivons quand nous étudions les pères de l’Eglise- , mais la connaissance de la doctrine, des discussions et théories, n’est pas indispensable à la foi. Il ne s’agit bien sûr pas de prôner "la foi du charbonnier" (cf. ci-dessous) qui se complairait dans l’ignorance, ou qui même – comme cela a existé – jugerait l’ignorance comme favorable à la foi ! mais de rappeler qu’imparfaite est toujours notre connaissance, et que s’il fallait tout connaître de l’histoire de l’Eglise, de la théologie, de la sacramentaire, du droit canonique, de la morale, etc. pour être croyant, il n’y aurait pas beaucoup de croyants dans le monde. En outre même les plus grands spécialistes qui sont spécialistes d’une question ont des ignorances dans le domaine voisin : souvent on dit travailler en théologie fondamentale, ou en pastorale, ou en patristique, ou en sacramentaire ; on est moraliste ou historien de l’Eglise, etc. Croire, ce n’est pas adhérer à une doctrine au sens strict, réciter une leçon bien apprise : on croit avec tout son être, et pas seulement avec son cerveau…

Peut-on plutôt préciser qu’il s’agit d’une "adhésion à une personne", Jésus-Christ ? Oui, bien sûr, mais le terme adhésion utilisé ainsi ne nous avance pas beaucoup plus que le terme de "foi" ! Il convient de le préciser dans le sens d’une relation (inter)-personnelle, c’est-à-dire beaucoup plus en termes de "confiance", de "se fier à", qu’adhésion au sens strict – qui relève sans doute de ce que l’on pourrait appeler le "vocabulaire catho" actuel (nous d’adhérons pas au Club des Chrétiens, nous ne cotisons pas – c’est d'ailleurs peut-être pour cela que nous sommes si infidèles !) et lorsque nous avançons sur ce chemin que suivent avec nous tous ceux qui sont l’Eglise, nous ne savons pas où commence et où s’arrête cette immense foule des hommes. Toutes les idées qui consisteraient précisément à délimiter et circonscrire l’Eglise comme un groupe d’adhérents, sont précisément fausses et dangereuses. L’Eglise du Christ qui accueille les boiteux et les infirmes, les prostituées et les pécheurs que nous sommes, va aux extrémités de la terre, et s’est étendue et s’étend chaque jour, bien au-delà des limites que nous sommes tentés de lui donner… Nous ne savons pas ce qu’est l’Eglise (nous reviendrons là dessus avec "Je crois à la sainte Eglise catholique, à la communion des saints…" - catholique voulant dire, ne l'oublions pas, "universelle") : si nous aimons dire que les sacrements de l’initiation (baptême, confirmation, eucharistie) en sont la porte d’entrée, nous nous reprenons très vite aussi en disant qu’en font partie les catéchumènes dès lors qu’ils ont fait précisément leur entrée en catéchuménat ou entrée en Eglise, puis nous ajoutons que nous ne savons pas ce qui se passe dans le secret des consciences et qu’il y a des adhésions à l’Eglise dans le silence et le secret que Dieu seul connaît ; Dieu accorde ses grâces (son Amour gratuit) à tous les hommes et celles-ci ne peuvent être enfermées dans les seuls sacrements (même s’il s’agit de lieux privilégiés de réception de la grâce) ; l’Eglise invisible dépasse largement l’Eglise visible…

Foi et confiance

Les deux mots sont proches, et cela peut nous aider à mieux comprendre le sens du mot foi, quand nous voulons le rapprocher de compréhension : car nous sommes un peu comme St Thomas : nous sommes tentés de ne croire … que ce que nous comprenons.

Croire et faire confiance, se fier à…
Bien sûr, il ne s’agit pas de nous renvoyer à ce que l’on appelle "la foi du charbonnier" : croire sans comprendre, et en se prémunissant même de toute science ; être persuadé même que l’on ne peut croire que si l’on n’essaye surtout pas de comprendre… La foi pour les petits enfants et les vieilles femmes, "comment peut-on croire quand on est intelligent ?" - phrase trop souvent entendue chez les intellectuels.

Quand je parle de foi et de confiance, ce n’est pas pour évoquer une foi aveugle, c’est au contraire pour proposer de construire notre foi personnelle sans oublier tous ceux qui nous ont précédé : construire notre foi sur le roc de la foi des apôtres, des pères et de tous ceux qui ont cru avant nous. Eclairer notre foi par la leur, au sens où ils seraient pour nous des "éclaireurs" - ceux qu’on envoie en avant. Bien des difficultés de notre foi apparaissent précisément lorsque nous nous arrêtons de découvrir Dieu : l’homme qui reste seul avec sa foi, très vite ne peut plus croire(3) ; on ne peut croire vraiment qu’avec tous les autres ; on ne peut croire vraiment que parce que l’on continue à chercher Dieu. La foi passe nécessairement, au fur et à mesure que nous devenons adulte, par une réappropriation de la tradition, par une découverte des grands témoins de la foi… Nous ne pouvons vraiment croire qu’en Eglise ! Eglise : ce terme qui signifie que nous sommes tous convoqués par Dieu, tous ensemble, et non pas dans l’isolement de notre conscience. Le don de Dieu, la semence lancée par le semeur doit tomber sur la bonne terre, c’est-à-dire sur une terre qui a été nourrie (engraissée), qui est arrosée (vivifiée au quotidien), non pas sur un terrain où elle serait étouffée par les épines (l’agitation et le bruit du monde, le découragement, voire le désespoir…) : on ne croit pas tout seul ; nous devons bâtir notre maison sur le roc de la foi des apôtres…

St Grégoire le Grand (v. 540-604) rappelle que si nous pouvons croire sans hésiter c’est parce que Thomas a douté : son incrédulité confirme notre foi :

"Thomas, l’un des douze (dont le nom signifie Jumeau) n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Ce disciple était le seul absent. A son retour, quand on lui raconta ce qui s’était passé, il ne voulut pas le croire. Le Seigneur vint une seconde fois, et il présenta au disciple incrédule son côté à toucher, lui montra ses mains et, en lui montrant les cicatrices de ses blessures, guérit en lui la blessure de l’incrédulité. Que remarquez-vous en tout cela, frères très chers ? Croyez-vous que tout cela se soit produit par hasard ? Que ce disciple choisi ait été d’abord absent ; qu’en arrivant ensuite il entende ce récit ; qu’en l’entendant, il doute ; qu’en doutant, il touche, et qu’en touchant il croie ?
Non, cela ne s’est pas produit par hasard, mais selon un plan divin. En effet, la clémence divine agit alors d’une manière admirable pour que ce disciple qui doutait, tandis qu’il touchait les blessures que son maître portait dans la chair, guérisse en nous les blessures de l’incrédulité. En effet l’incrédulité de Thomas a été plus avantageuse pour notre foi que la foi des disciples qui ont cru. Car, tandis que ce disciple, en touchant, est ramené à la foi, notre esprit, en dominant toute hésitation, est confirmé dans la foi ; […] ce disciple, en doutant et en touchant, est devenu témoin de la réalité de la résurrection […]
Il toucha donc, et il s’écria : Mon Seigneur et mon Dieu. Jésus lui dit : Parce que tu m’as vu, tu crois. Or ; l’Apôtre Paul a dit : La foi est la manière de posséder déjà ce qu’on espère, et de connaître des réalités qu’on ne voit pas. Il est donc bien clair que la foi fait connaître ce qui ne peut pas se voir. Ce qu’on voit, en effet, ne produit pas la foi mais la constatation. Alors que Thomas a vu, lorsqu’il a touché, pourquoi lui est-il dit : Parce que tu m’as vu, tu as cru ? Mais ce qu’il a cru n’était pas ce qu’il a vu. Car la divinité ne peut être vue par l’homme mortel. C’est donc l’homme qu’il a vu, et c’est Dieu qu’il a reconnu en disant : Mon Seigneur et mon Dieu. Il a donc cru tout en voyant, puisqu’en regardant un vrai homme, il a proclamé que celui-ci était Dieu, et cela, il n’avait pas pu le voir.
Ce qui suit nous donne de la joie : Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Par cette phrase, c’est nous qui sommes spécialement désignés, nous qui nous attachons par l’esprit à celui que nous n’avons pas vu dans la chair. […] Car celui-là croit véritablement qui met en pratique, par ses actions, ce qu’il croit. Au contraire, Paul dit de ceux dont la foi est purement nominale : Ils font profession de connaître Dieu, mais par leurs actes ils le renient. Et Jacques : La foi sans les œuvres est morte. (Homélie sur l’Evangile de Jean, 26, 7-9,)

C’est ainsi d’ailleurs que l’Ascension du Seigneur, sa disparition aux yeux des hommes fortifie notre foi [Noter au passage l’ambiguïté de la vision : ce n’est pas parce qu’on voit quelque chose qu’on y croit – déjà présente dans le texte de Grégoire le Grand : Thomas voit l’homme et il croit en Dieu].

St Léon le Grand (406-461) :

Dans la solennité pascale, la Résurrection du Seigneur était la cause de notre joie ; de même, sa montée au ciel nous donne lieu de nous réjouir, puisque nous commémorons et vénérons comme il convient ce grand jour où notre pauvre nature, en la personne du Christ, a été élevée plus haut que toute l’armée des cieux, plus haut que tous les chœurs des anges, plus haut que toutes les puissances du ciel, jusqu’à s’asseoir auprès de Dieu le Père. C’est sur cette disposition des œuvres divines que nous sommes fondés et construits. La grâce de Dieu devient en effet plus admirable lorsque les hommes ayant vu disparaître ce qui leur inspirait de l’adoration, leur foi n’a pas connu le doute, leur espérance n’a pas été ébranlée, leur charité ne s’est pas refroidie.
Voici en quoi consiste la force des grands esprits, telle est la lumière des âmes pleines de foi : croire sans hésitation ce que les yeux du corps ne voient pas, fixer son désir là où le regard ne parvient pas. Mais comment une telle piété pourrait-elle naître en nos cœurs, comment pourrait-on être justifié par la foi, si notre salut ne consistait qu’en des réalités offertes à nos yeux ? […]
Ce qui était visible chez notre Rédempteur est passé dans les mystères sacramentels. Et pour rendre la foi plus pure et plus ferme, la vue a été remplacée par l’enseignement : c’est à l’autorité de celui-ci que devaient obéir les cœurs des croyants, éclairés par les rayons du ciel." (Homélie sur l’Ascension, 2, 1-4)

Croire aujourd’hui

Croire aujourd’hui, est-ce plus difficile ? C'est une question à soulever dès le départ car elle habite nombre d’entre nous.

On évoque toujours à ce propos la place du rationnel, le scientisme, le rôle dévolu à la causalité… Nous ne croyons pas à ce que nous ne voyons pas, et pourtant combien de choses existent que nous ne voyons pas ? L’infiniment petit, ou l’infiniment grand, mais aussi tout ce qui relève des sentiments… Sans y penser, de fait, toute notre vie, nous faisons confiance : nous croyons à l’amour de ceux qui nous aiment, même si nous ne voyons pas cet amour ; nous devons au mieux nous contenter de paroles, de gestes, et parfois de rien du tout… Certes, ces "signes" facilitent, mais ils ne sont pas vraiment indispensables dans le domaine de l'amour.

Plus banalement, nous croyons ce que nous disent les historiens (il y a eu un roi qui s’appelait Louis XIV : pourtant nous ne l’avons jamais vu !). Pourquoi croyons-nous les historiens, et refusons-nous de croire les Pères, les apôtres ?
l'argument le plus généralement avancé est que tout le monde est d’accord pour dire que Louis XIV a existé : est-ce le grand nombre qui fait notre foi ? Mais alors il y a eu et il y a encore de nombreux croyants : mettons-nous avec eux, rencontrons-les (c’est précisément l’Eglise).
Autre argument : c’est plus logique et il n’y a guère d’enjeu à croire que Louis XIV a existé. Certes, mais est-ce que c’est parce que la venue de Dieu parmi les hommes est trop merveilleuse que nous n’y croyons pas vraiment, que nous refusons d’être sûr ? Avons-nous peur des enjeux, avons-nous peur de parier pour Dieu (cf. le pari pascalien), mais pouvons-nous un instant comparer notre bonheur de croire à notre malheur de ne pas croire ? Que risquons-nous à croire ? D’être déjà heureux en ce monde ?

Bernard Sesbouë (Croire, Droguet et Ardant, 1999) se situe directement dans cette perspective du "croire aujourd’hui". Il présente cela comme un "désir" : comment donner le désir de croire à nos contemporains [sans désir, et très explicitement : sans désir de bonheur, pourquoi chercherions-nous Dieu ?]. Et il insiste : croire, c’est un itinéraire (alors même que la "foi" peut sembler statique). Croire c’est aussi chercher un sens : sens pour notre vie. Croire c’est sortir de soi, pour aller à la rencontre de l’Autre. Voilà comment il dépeint l’homme contemporain, sans repères, pris dans "l’ère du vide"(4) :

"L’individu se retrouve […] face à lui-même dans une sorte de désert où rien n’a plus de sens. Il vit l’épreuve de la solitude et se voit imposer une forme nouvelle de narcissisme que la vie économique avec la publicité, la vie artistique avec la chanson, le roman et le théâtre, la vie médiatique dans ses innombrables expressions, la vie politique elle-même ne cessent d’entretenir et de flatter. Tout cherche à nous séduire de la manière la plus élémentaire et la plus immédiate. Dans ce "nihilisme" passif, la question même du sens de notre existence se trouve obturée : "Vivre sans idéal, sans but transcendant est devenu possible." (Gilles Lipovetsky, 1993, p. 57). On ne se pose plus les questions ultimes, comme celles du vrai et du faux, du bien et du mal, mais on se contente de résoudre les problèmes du quotidien au mieux ou au moins mal. Cela est vécu le plus souvent sans drame, dans la détente et la décontraction. Mais on n’en est pas "heureux" pour autant." (Sesbouë, op. cit., p. 9)

Le contenu de la foi : ce que je crois

Quand on parle du "contenu de la foi" - c’est-à-dire de "ce que je crois" -, il faut se rappeler que je parle de ce qui m’a été donné. Tout vient de Dieu.

Mais il y a un véritable contenu de la foi (non pas seulement des actes quotidiens qui manifestent gentillesse ou moralité(5)). Souvent nous sommes en peine pour "dire" notre foi… et pourtant nous avons toujours à la dire, à nos contemporains assoiffés, mais aussi pour rendre grâce (cf. la pauvreté de nos prières, regret de beaucoup de fidèles chrétiens).

St Paul ne confond pas la foi et les œuvres ; il nous faut comprendre des formules qui apparaissent parfois un peu obscures, en Rm 4, 2 par exemple (cf. commentaire de Jean Chrysostome ci-dessous(6)) :

"Si Abraham tint sa justice des oeuvres, il a de quoi se glorifier. Mais non au regard de Dieu !"

Mais lisons plus loin :

Romains 9, 32 : "Pourquoi ? Parce qu'au lieu de recourir à la foi ils comptaient sur les oeuvres. Ils ont buté contre la pierre d'achoppement".
Romains 11, 6 : "Mais si c'est par grâce, ce n'est plus en raison des œuvres ; autrement la grâce n'est plus grâce."

Ce dernier passage éclaire Rm 4, 2 : les œuvres qu’évoque Paul c’est ce que nous appelons nos mérites : si nous croyons être justifiés par nos seuls mérites, il n’y a plus besoin de la grâce, et la grâce est vaine. En revanche la foi (qui est précisément de faire confiance à Dieu, de se reposer sur Lui, de penser que tout vient de Lui, et que rien n’est possible sans son amour gratuit - sa grâce) est ce qui permet notre salut (ce qui permet que Dieu nous sauve : car il ne veut pas agir malgré nous !). Cf. toute la question de la liberté de l’homme.

Et St Jean Chrysostome commente :

"En effet qu’un homme qui n’a pas les œuvres soit justifié par la foi n’est pas du tout invraisemblable, mais qu’un homme qui se glorifie d’une bonne conduite, ne le soit pas de ce fait, et qu’il devienne juste par la foi, voilà qui est étonnant et qui met en lumière la puissance de la foi. C’est pourquoi, laissant de côté tous les autres cas, Paul mène son propos sur celui d’Abraham. Il l’a appelé "Père selon la chair" pour éviter que les Juifs ne s’accaparent le titre de légitime parenté, et pour ouvrir aux nations la voie d’une descendance directe. Puis il dit : Si Abraham a été justifié par ses œuvres, il a de quoi se vanter, mais pas devant Dieu (Rm 4, 2). […]
Il y a deux vanteries possibles : par les œuvres ou par la foi. En disant s’il a été glorifié par les œuvres, il a de quoi se vanter, mais pas devant Dieu, il a prouvé qu’Abraham aurait pu se vanter par la foi à bien plus juste titre. Toute la force de Paul apparaît ici au mieux : il retourne la question et montre que ce que comporte le salut par les œuvres, c’est-à-dire « la vanterie et l’assurance » sont impliquées à bien plus forte raison dans le salut par la foi. Car celui qui se glorifie de ses belles œuvres peut mettre en avant ses efforts personnels, mais celui qui se glorifie de croire en Dieu présente un motif bien plus grand de vanterie, vu qu’il glorifie et magnifie le Seigneur. Ce que la nature des choses visibles ne lui a pas enseigné, sa foi en Dieu lui en a livré le secret. Il a montré par là un amour véritable envers Dieu et proclamé de façon éclatante sa puissance. C’est la marque d’une âme très généreuse, d’un véritable esprit amoureux de la "sagesse" et d’une réflexion supérieure. Ne pas voler, ne pas tuer est chose banale, mais croire que Dieu peut l’impossible suppose une âme de grande envergure, fortement tendue vers Dieu…" (pp. 60-61)

Jean Chrysostome insiste sur la grandeur de celui qui met sa confiance en Dieu, qui reconnaît que tout vient de Dieu.

La foi ainsi est au-dessus de la loi (Jean Chrysostome, pp. 67 sq.) :

"Paul prouve […] qu’il n’est pas possible d’obtenir l’héritage par la loi. Après avoir comparé la foi à la circoncision et remporté la victoire avec elle, il met encore face à face la foi et la loi en disant : Si ceux qui se réclament de la loi sont héritiers, vide devient la foi. Et pour qu’on ne dise pas qu’il est possible d’avoir la foi et d’observer la loi, il montre que cela est impossible. Car celui qui tient à la loi comme à) une planche de salut, méprise la puissance de la foi. C’est pourquoi il dit : "Vide devient la foi", c’est-à-dire qu’il n’y a plus besoin du salut par la foi puisque la foi ne peut plus montrer sa force, et puis il dit encore : et abolie la Promesse (Rm 4, 15). Car le Juif aurait peut-être pu dire : "Qu’ai-je besoin de la foi ?" Et donc si c’était là la vérité, avec la foi disparaîtrait tout ce qui concerne la promesse."

La foi et le symbole

Certes la foi ne se dit que "symboliquement"(7), c’est-à-dire que ce que l’on dit est toujours dépassé par le mystère de Dieu : l’objet (terme malencontreux) de notre foi (c’est-à-dire Dieu) est trop grand pour nous. Ainsi le "Symbole des Apôtres" dit toujours plus que ce qu’il semble dire. Il ne prétend pas être un "résumé" exhaustif de la foi, mais dire de façon symbolique ce qu’est Dieu et l’homme – car les deux sont profondément liés. Quand on parle de Dieu, dans le Credo, c’est de l’homme que l’on parle, et quand on parle de l’homme en vérité, c’est encore de Dieu que l’on parle.

Sur le symbole, on recourra à une citation de Denis Villepelet :

"… le langage symbolique a la force et la capacité inouïe et mystérieuse de dire autre chose que ce qu’il exprime littéralement ! Pour l’être humain, le monde des significations est aussi vital que le monde des choses : il lui est essentiel de donner du sens à la réalité. On peut parler à cet égard de la force de symbolisation du langage humain dans la mesure où le symbole est moins le mot que le mouvement même de la signification littérale qui offre le sens évoqué. Le symbole rend présent ce qui est impossible à percevoir. Il redécrit la réalité sous des aspects qui ne sont pas immédiatement perceptibles, il la recrée et l’invente. Il permet de décoller de l’univers des choses et de faire venir au langage ce que les êtres humains éprouvent, ressentent ou croient."(Villepelet, Denis, 2003 : L’avenir de la catéchèse, Editions de l’Atelierp. 23-24)

J’aime utiliser cette citation pour montrer la force du symbole dès lors qu’il y a langage : tout langage à propos de Dieu est nécessairement symbolique, car Dieu est bien au-delà des pauvres mots des hommes. Mais nous devons cependant dire Dieu, comme nous essayons de le faire précisément dans le "symbole de la foi" ; Dieu advient en chacun comme chacun peut le recevoir ; les mots ne sont que "symboliques" mais ouvrent à un mystère infiniment grand.

En abordant le credo, plusieurs difficultés doivent être évoquées : d’abord le vocabulaire, les mots que nous "récitons" mais qui souvent nous semblent bien compliqués, ou dépourvus de sens… Notre travail ici sera de leur "redonner du sens", car ils sont de fait pleins de sens : sens de toute la tradition de l’Eglise, mais sens qui n’apparaît plus toujours à nos contemporains, tant on a usé ces mots par une récitation mécanique.

J’insiste sur le terme de "mystère" avant de parler d’un commentaire sur le credo et je tiens au titre retenu "Les pères et le mystère de la foi". Il ne s’agit pas de limiter le rôle des pères à l’élaboration du credo (à Nicée, à Constantinople par exemple) mais également de découvrir leur enseignement du credo, d’entrevoir le commentaire sans cesse repris et renouvelé dans l’histoire de l’Eglise de ce qu’implique la foi chrétienne. A propos de mystère nous rappelerons ce que disait François Varillon : loin d’être une réalité incompréhensible, le mystère est une réalité que l’on n’a jamais fini de comprendre (cité par Michel Quesnel, 1998, dans L’éternité qui m’est offerte, DDB, p. 35). M. Quesnel commente :

"Il est toujours possible de pénétrer plus avant dans sa [du mystère] connaissance ou sa compréhension. Cette façon de voir ne vaudrait-elle pas pour la pénétration du mystère de Dieu à laquelle nous sommes appelés dès cette vie, et plus encore dans l’autre monde." (pp. 35-36)

Conclusion :

Au sens strict il n’y a pas de conclusion, car cette "introduction", ne peut s’achever que sur un chemin qui commence. Mais nous pouvons tenir quelques points comme acquis :
Croire ce n’est pas comprendre ; c’est bien plus qu’adhérer ou même faire confiance ; c’est pouvoir dire d’une certaine façon, avec St Paul, dans une union si totale à Dieu que : "ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vis en moi… " (Ga 2, 20).

Cette union n’est pas acquise du premier coup : ce fut un chemin pour l’Eglise des siècles passés, c’est un chemin pour nous, et de fait chacun d’entre nous doit re-faire ce chemin, guidé par ceux qui nous ont précédés. C’est en ce sens que nous pouvons très réellement parler de "symbole de la foi", car ce texte que nous récitons, et que nous ne comprenons qu’imparfaitement, nous ne le vivons jamais assez, il n’est que "symbolique", que découverte progressive mais trop partielle d’un sens qui nous dépasse infiniment.

Le symbole de la foi (texte du symbole des Apôtres)

Je crois en Dieu, le Père tout-puissant,
Créateur du ciel et de la terre.
Et en Jésus Christ, son Fils unique, notre Seigneur;
qui a été conçu du Saint Esprit,
est né de la Vierge Marie,
a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié,
est mort et a été enseveli,
est descendu aux enfers ;
le troisième jour est ressuscité des morts,
est monté aux cieux,
est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant,
d'où il viendra juger les vivants et les morts.
Je crois en l'Esprit Saint, à la sainte Église catholique,
à la communion des saints, à la rémission des péchés,
à la résurrection de la chair, à la vie éternelle.

Amen.

Selon le sens de départ du mot "Symbole"» (mot qui vient d’un verbe grec qui signifie "jeter ensemble" et renvoie à une pratique courante dans l’antiquité : pour sceller une alliance entre partenaires on brisait une poterie en autant de morceaux que d’associés et chacun en recevait un morceau qui pouvait servir ultérieurement de signe de reconnaissance permettant d’authentifier un représentant éventuel), quand on qualifie le credo de "symbole" de la foi, on en souligne la fonction identitaire : sont chrétiens ceux qui tiennent ensemble ces affirmations concernant Dieu le Père, Jésus de Nazareth reconnu comme Christ et Fils de Dieu, et l’Esprit Saint.

On parle de "symbole des Apôtres" pour souligner l'ancienneté de cette proclamation de foi : effectivement, ce "symbole" était déjà en usage à Rome au IIIe siècle. A noter : la proclamation du credo au cours de l’eucharistie est tardive ; c’est d’abord une prière liée au baptême. Le "symbole de la foi" est donné aux catéchumènes à l’issu d’un enseignement où les divers articles auront été commentés et expliqués (c’est la "traditio symboli") et ils doivent le rendre ("redditio symboli") après l’avoir appris par cœur. La récitation du credo au cours de la messe (souvent alors celui dit "de Nicée-Constantinople") sera inséré (à des places variables d’ailleurs), d’abord en Orient, dans le premier quart du VIe siècle, en Occident un peu plus tard et de façon non systématique (cette insertion était désapprouvée par exemple par le Pape Léon III), au cours des luttes confuses contre l’arianisme. Ce n’est qu’en 1014 que l’Eglise de Rome accepta le Credo dans l’eucharistie sous la pression de l’empereur saint Henri – mais ce ne fut jamais à toutes les messes(8).


(1) Breviloquium, cela veut dire "bref discours" : de fait "résumé de la foi catholique" : à part le prologue sur l’Ecriture, on a six parties :1 - La Trinité de Dieu, 2 – Le monde créature de Dieu, 3 – La corruption du péché, 4 – L’incarnation du Verbe, 5 – La grâce du Saint-Esprit, 6 – Les remèdes sacramentels.

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(2) Le mot doctrine qui vient de doctrina = l’enseignement, la formation théorique, appartient effectivement au groupe des mots fabriqués à partir de "docere", et qui a aussi donné docteur.

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(3) On rappellera la phrase de Tertullien, si souvent citée, qui dit qu’on n’est pas croyant tout seul !

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(4) Référence au titre de Gilles Lipovetsky, 1993 : L’ère du vide. Essais sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard.

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(5) Mgr Rouet dit un peu brutalement – mais combien c’est vrai : "Il ne suffit pas qu’une catéchiste soit aimable et attentive aux enfants ! Il faut quand même s’assurer que le contenu de sa foi ne contredit pas l’Evangile. Je dis bien "le contenu de sa foi", car on voit mal comment une catéchiste pourrait croire en son for interne de manière différente de ce qu’elle enseignerait." (Rouet, Albert : Autour du Credo, Médiaspaul, 2003, p. 12).

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(6) Tous les commentaires de St Paul ici sont tirés de Jean Chrysostome commente saint Paul, Collection les Pères dans la Foi, Desclée de Brouwer, 1988

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(7) Mais cette "réinterprétation" du terme symbole, pleine de sens, est moderne. Au sens primitif le "symbole" (terme grec) désigne un objet que se partagent des partenaires d’un contrat, les signataires d’un accord pour une future identification : cf. annexe sur le Symbole.

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(8) On peut se reporter pour des explications plus détaillées à Martimort, A.G., 1983, L’Eglise en prière (4 volumes, Desclée) : en particulier le volume II – L’Eucharistie).

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