Les Pères de l'Eglise et le mystère de la foi

Chapitre 8e

Je crois en l'Esprit Saint, à la sainte Eglise catholique, à la communion des saints, à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle.

Si nous en sommes déjà arrivés là dans le Credo, c’est d’une certaine façon que nous avons déjà tout dit ; ce dernier "Je crois" récapitule tous les autres et explicite la foi à l’Eglise et de l’Eglise comme Corps : de fait tous les articles sont contenus dans chacun, puisqu’il s’agit toujours de Dieu : envisagé d’abord comme Père, puis comme Fils enfin comme Esprit (avec toutes ses manifestations dans notre vie d’homme, c’est-à-dire d’abord dans l’Eglise). Grégoire de Nazianze disait bien que Dieu ne pouvait pas se révéler trop brutalement à l’homme, ou plus exactement, que si sa révélation est unique, il sait prendre le temps qu’il faut pour que l’homme puisse percevoir un tout petit peu ce qu’est ce mystère insondable de la Trinité ; c’est là la "pédagogie divine" :

"Dieu n’a pas voulu que ses bienfaits nous fussent imposés de force, mais qu’ils fussent reçus volontairement. Aussi a-t-il agi comme un pédagogue ou un médecin, supprimant quelques traditions ancestrales, en tolérant d’autres… Ainsi, par des changements partiels, les hommes se sont trouvés comme furtivement entraînés vers l’Evangile. L’Ancien Testament a clairement manifesté le Père, obscurément le Fils. Le Nouveau a révélé le Fils et fait entendre la divinité de l’Esprit. Aujourd’hui, l’Esprit vit parmi nous et se fait plus clairement connaître. Il eût été périlleux, en effet, alors que la divinité du Père n’était point reconnue, de prêcher ouvertement le Fils ; et tant que la divinité du Fils n’était point admise, d’imposer, si j’ose dire, en surcharge, le Saint-Esprit. On eût pu craindre que, comme des gens chargés de trop d’aliments ou comme ceux qui fixent sur le soleil des yeux encore débiles, les fidèles ne perdissent cela même qu’ils avaient déjà acquis. Il fallait, au contraire, par des additions partielles et, comme dit David, par des ascensions de gloire en gloire, que la splendeur de la Trinité rayonnât progressivement." (Grégoire de Nazianze : Discours théologiques, cité in Jean-René Bouchet : Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes, Cerf, 1994, pp. 235-236).

Mais Hans Urs von Balthasar insiste : même si nous tentons d’appeler avec certains Pères "pédagogie divine" cet étalement des manifestations, il ne faut pas se prendre aux mots :

"Il serait absolument faux, d’après ce que nous avons dit, de vouloir décomposer en phases une auto-interprétation du Dieu trinitaire, comme s’il y avait d’abord un âge du Père (soit le monde de la création, soit l’Ancien Testament), puis un âge du Fils (depuis l’incarnation, mais jusqu’à quand ?), et finalement un âge de l’Esprit (qui commence pourtant au plus tard avec l’Incarnation du Christ et ne peut nullement – comme le voudrait Joachim de Flore(1) – être placé dans l’avenir). Cette division en phases, sans cesse tentée d’une manière orthodoxe ou hétérodoxe, n’est pas possible, parce que Dieu dans ses trois hypostases est toujours l’Un, et par conséquent ne peut jamais s’interpréter que comme l’Un." ("Dieu est son propre exégète" in Je crois en un seul Dieu, sous la direction d’Olivier Boulnois, 2005, Communio-PUF, pp. 284-285).

Alors, reprenant ici chacun des articles explicités dans le Symbole des Apôtres, nous allons tenter d’aller plus loin pour notre vie de foi. Avec cette invitation explicite : ce que nous avons proclamé sur Dieu, comment le vivons-nous concrètement pour notre vie d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, insérés dans une culture et une société, héritiers d’une longue tradition qui a forgé ce vocabulaire (que nous appelons parfois "technique") et que nous ne comprenons pas toujours clairement ? Autrement dit : que disons-nous aujourd’hui quand nous affirmons :

Je crois en l'Esprit Saint,
à la sainte Église catholique,
à la communion des saints,
à la rémission des péchés,
à la résurrection de la chair,
à la vie éternelle.
.

En pointant tous ces mots et expressions "complexes" : Esprit-Saint, Eglise catholique, communion des saints, rémission des péchés, résurrection de la chair, vie éternelle…, nous espérons avancer un peu plus, un peu mieux, pour rejoindre tous ceux qui nous ont précédés dans l’expression fondamentale de la foi chrétienne.

Je crois en l’Esprit Saint

Notons tout de suite que dans le magnifique article cité plus haut, Hans Urs von Balthasar souligne la difficulté de séparer les actions des personnes de la Trinité, même dans une perspective "pédagogique". "Dieu est son propre exégète", comme le dit le titre de sa première partie, et Dieu se révèle véritablement à l’homme : il y a moyen pour l’homme d’entrer dans le mystère de Dieu dès lors que l’on ne considère pas la révélation comme une "vérité théorique" :

"… de même que l’interprète Jésus révèle toujours le Père en agissant, ainsi la réception intelligente de son message n’est possible que comme acte, c’est-à-dire comme accompagnement, qui est une grâce et montre l’aspect de grâce de la révélation. L’expression « théo-logie » signifie primitivement que Dieu lui-même s’exprime par grâce dans son Logos, et que cette ouverture dans l’homme Jésus peut être appréhendée, suivie, méditée et exprimée par nous en termes et en concepts humains, en raison de son intelligibilité, mais aussi en raison de la communication de la grâce divine (c’est-à-dire grâce au Saint-Esprit). (Je crois en un seul Dieu, pp. 278-279).

Dieu "s’interprète dans l’homme" dans l’incarnation de son Fils, et la "réception de cette interprétation dans l’homme suppose l’effusion de l’amour de Dieu dans nos cœurs par le Saint-Esprit" (Romains 5, 5).

Hans Urs von Balthasar ajoute :

"L’Esprit n’est pas une seconde interprétation de Dieu, mais seulement l’achèvement de la première et unique interprétation." […] "Et la tendance foncière de l’authentique Esprit d’interprétation sera toujours reconnaissable en ce qu’elle reste une force d’incarnation. Elle sculpte l’image et l’être de Jésus dans le croyant." (op. cit. p. 283).

Quant au tarissement de la compréhension de Dieu que nous redoutons parfois, il ne doit pas nous soucier : avec le miracle de la Pentecôte tous les peuples comprennent le même contenu chacun dans sa propre langue. On peut souligner que "Les aspects de l’interprétation de l’Esprit sont infinis, et puisque l’Esprit est toujours et chaque fois de nouveau présent et que Jésus aussi demeure avec nous "tous les jours jusqu’à la fin du monde", il n’existe aucun danger que le fleuve tarisse et que ce qui est absolument actuel disparaisse dans le passé historique." (p. 284).

L’action de Dieu en nous, clairement commencée par l’Incarnation (Dieu devenant homme) ainsi se poursuit jusqu’à notre déification (pour que l’homme devienne Dieu). Un extrait du Cantique spirituel de Saint Jean de la Croix montre cette participation de l’homme à la vie divine :

"Une fois que l’âme est unie à Dieu, transformée en lui, elle aspire Dieu en Dieu, et cette aspiration est celle même de Dieu, car l’âme étant transformée en lui, il l’aspire elle-même en lui. C’est là, je pense, ce que saint Paul a voulu dire par ces mots : Voici la preuve que vous êtes des fils : envoyé par Dieu, l’Esprit de son Fils est dans nos cœurs, et il crie vers le Père en l’appelant : Abba ! Voilà ce qui a lieu chez les parfaits. Ne nous étonnons pas toutefois de savoir l’âme capable de parvenir à une telle élévation. Dès lors en effet que Dieu lui donne la grâce de devenir déiforme et unie à la Très Sainte Trinité, elle devient Dieu par participation ; comment serait-il incroyable qu’elle exerce ses œuvres d’entendement, de connaissance et d’amour dans la Sainte Trinité, avec elle, comme elle, quoique d’une manière participée, Dieu les opérant en elle ? Puisqu’il en est ainsi, il est impossible d’atteindre une plus haute sagesse, une plus haute puissance ; on peut seulement donner à entendre comment le Fils de Dieu nous a obtenu d’arriver à un état si sublime et nous a mérité cette faveur si précieuse, comme dit saint Jean, de pouvoir être les enfants de Dieu. Aussi, dit encore saint Jean, il a adressé à son Père cette supplique : Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée. Cela veut dire : Qu’ils accomplissent par leur participation en nous la même œuvre que j’accomplis par nature, c’est-à-dire qu’ils aspirent le Saint-Esprit.
[…]
…l’âme participe à la nature de Dieu, en accomplissant en lui et avec lui l’œuvre de la Très Sainte Trinité, de la manière dont nous avons parlé, à cause de l’union substantielle qu’il y a entre l’âme et Dieu. Ces merveilles, sans doute, ne s’accomplissent d’une manière parfaite que dans l’autre vie. Néanmoins quand l’âme arrive ici-bas à cet état de perfection, elle en voit les grands traits, elle en goûte les prémices…"(Cantique spirituel, 38).

L'unité de l'Eglise

"Catholique" veut dire "universelle", c’est-à-dire que la vocation de l’Eglise, malgré les déchirures qu’elle connaît, malgré les séparations et exclusions, est bien de s’étendre jusqu’aux extrémités de la terre. Quant aux coupures entre chrétiens dans l’Eglise elle-même, douloureuses, pour certaines anciennes, pour d’autres plus récentes (les séparations continuent toujours avec de nouveaux schismes …), elles doivent surtout nous apprendre que c’est tous ensemble que nous cherchons la vérité, et qu’aucun groupe ne la tient en totalité.

L’unité de l’Eglise est fondée dans l’unité/unicité de Dieu (cf. Hans Urs von Balthasar). Même si nous ne parvenons que difficilement à vivre cette unité, elle est fondamentale, et comme telle est l’horizon qui s’imposera dans le retour du Christ.

Augustin rappelle toujours l'unité fondamentale de l'Eglise. Divers symboles servent cette proclamation : par exemple la référence à la tunique du Christ (tunique en une seule pièce) :

"Il y avait une tunique. Voyons comment elle était : tissée depuis le haut. Que signifie cette tunique tissée depuis le haut, sinon la charité ? Que signifie cette tunique tissée depuis le haut, sinon l'Unité ? Considère cette tunique que les bourreaux du Christ eux-mêmes n'ont pas partagée. Il est écrit en effet : Ils se disent entre eux : Ne la partageons pas, mais tirons-la au sort [Jn 19, 23-24]. Voilà bien ce que vous avez entendu dans le Psaume. Les bourreaux n'ont pas déchiré le vêtement, des chrétiens divisent l'Eglise." [cf. les Donatistes].

Cette idée est d'ailleurs fortement reprise dans les Enn. In Ps. 21, 2, 19 :

"Ils se sont partagés mes vêtements. Ses vêtements, ce sont ses sacrements. Ses vêtements, ses sacrements ont pu être divisés par les hérésies, mais il y avait là un vêtement que personne n'a divisé. Et ils ont tiré mon vêtement au sort (Ps., 21, 19). Il y avait là, dit l'Evangéliste, une tunique tissée depuis le haut. Par conséquent du ciel, par conséquent du Père, par conséquent du Saint-Esprit. Quelle est cette tunique sinon la charité, que personne ne peut diviser ? Quelle est cette tunique sinon l'Unité ? On la tire au sort, personne ne la divise. Les hérétiques ont pu se diviser les sacrements, ils n'ont pas divisé la charité. Et parce qu'ils n'ont pas pu la diviser, ils se sont éloignés, mais elle-même demeure absolument intacte. Par le sort elle est octroyée à certains : celui qui la possède est en sécurité ; personne ne le pousse hors de l'Eglise catholique et, s'il commence à la posséder au dehors, il est introduit en elle, comme le rameau d'olivier par la colombe." (cité in Hom. sur l'Ev. de Jn, note 92, p. 938, vol. 71).

L’Eglise, trace de la Trinité, rappelle nécessairement par sa structure hiérarchique les rôles différenciés des personnes de la Trinité : même si elles sont "un" ("Moi et le Père nous sommes un", Jn 10, 30 ou, "Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un", Jn 17, 22), le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas l’Esprit… Il n’y a pas confusion des personnes ; chacune accomplit son "rôle" dans la plénitude de l’unité des personnes. Comme le précise Walter Kasper dans "L’Eglise comme sacrement de l’unité", article repris également dans Je crois en un seul Dieu Olivier Boulnois éd. Communio-Puf, 2005, pp. 314-315, en insistant sur l’importance du Père :

"Ce modèle trinitaire ne peut certes pas être appliqué immédiatement par une voie purement déductive à l’Eglise. Du moins l’Eglise, comme icône de la Trinité, doit de manière analogue, c’est-à-dire sur le mode d’une dissemblance encore plus grande, être un vestigium trinitatis (une trace de la Trinité). C’est seulement ainsi qu’elle peut être un signe sacramentel pour un monde sans père, qui proteste contre toute autorité paternelle, et qui, par-delà son émancipation du Père, est parvenu, non pas à une pacifique égalité des droits, mais à une mortelle querelle entre frères, et récemment même à une querelle entre les frères et les sœurs."

Cette unité de l’Eglise nous apparaît souvent comme plus difficile maintenant, mais rappelons-nous un instant les querelles qui ont séparé l’Eglise, les hérésies qui l’ont traversée, les haines qui se sont manifestées. Les Pères, appelant à la concorde et à l’unité en sont témoins. Nous retiendrons tout particulièrement saint Cyrille d’Alexandrie (v. 380-444) dans son Commentaire sur l’Evangile de Jean (11, 11) qui évoque ce mystère de l’unité de l’Eglise :

"Si nous formons tous entre nous un même corps dans le Christ, et non pas seulement entre nous, mais avec lui, puisque évidemment il est en nous par sa propre chair, comment donc notre unité entre nous et dans le Christ n’est-elle pas déjà visible ? Car le Christ est le lien de l’unité, étant en lui-même Dieu et homme.
Quant à l’unité dans l’Esprit, nous suivrons le même chemin et nous dirons encore qu’ayant tous reçu un seul et même Esprit, je veux dire l’Esprit Saint, nous sommes en quelque sorte mêlés intimement les uns avec les autres et avec Dieu. En effet, bien que nous soyons une multitude d’individus, et que le Christ fasse demeurer en chacun de nous l’Esprit de son Père qui est le sien, il n’y a cependant qu’un seul Esprit indivisible, qui rassemble en lui-même les esprits distincts les uns des autres du fait de leur existence individuelle, et qui les fait apparaître pour ainsi dire comme ayant tous une seule existence en lui.
De même que la vertu de la chair sacrée fait un seul corps de tous ceux en qui elle est venue, de la même manière, à mon avis, l’Esprit de Dieu un et indivisible qui nous habite nous conduit tous à l’unité spirituelle. C’est pourquoi saint Paul nous exhortait à l’unité spirituelle. C’est pourquoi saint Paul nous exhortait ainsi : Supportez-vous les uns les autres avec amour ; rassemblés dans la paix, ayez à cœur de garder l’unité dans un même Esprit, comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance. Il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, parmi tous, et en tous. Si l’unique Esprit habite en nous, le Dieu unique, Père de tous, sera en nous, et il conduira par son Fils à l’union mutuelle et à l’union avec lui tout ce qui participe de l’Esprit.
Que nous soyons unis au Saint-Esprit par une participation, cela aussi est visible, et voici comment. Si nous abandonnons une vie purement naturelle pour obéir une bonne fois aux lois de l’Esprit, ne sera-t-il pas évident pour tous qu’après avoir pour ainsi dire renoncé à notre vie propre, et réalisé l’union avec l’Esprit, nous avons obtenu une condition céleste, si bien que nous avons comme changé de nature ? Nous ne sommes plus seulement des hommes, mais en outre nous sommes des fils de Dieu, des hommes célestes, puisque nous sommes devenus participants de la nature divine.
Tous, nous sommes donc un seul être dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Un seul être, dis-je, dans une identité d’état, […] un seul être dans un progrès conforme à la piété, par notre communion à la chair sacrée du Christ, par notre communion à l’unique Esprit Saint." (cité in Livre des Jours, pp. 445-447).

Et Saint Fulgence de Ruspe (v. 467-533) dans une "lettre à Monime", 2, 11 :

"La construction spirituelle du corps du Christ se fait dans l’amour puisque, selon les paroles de saint Pierre, les pierres vivantes servent à construire le Temple spirituel pour former un sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus. Cette construction spirituelle, on ne peut la demander avec plus d’à-propos que lorsque le corps même et le sang du Christ sont offerts par le corps même du Christ, qui est l’Eglise, dans le sacrement du pain et de la coupe. La coupe que nous buvons est communion au sang du Christ ; le pain que nous rompons est participation au corps du Seigneur. Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain. C’est pourquoi nous demandons que, par la grâce qui a fait de l’Eglise le corps du Christ, tous les membres de la charité, par le maintien de leur cohésion, persévèrent dans l’unité du corps.
Nous demandons à juste titre que cela se réalise en nous par le don du Saint-Esprit ; celui-ci est l’unique Esprit du Père et du Fils, car la sainte Trinité est, par nature, unité, égalité et amour ; elle est un seul Dieu vrai et unique. Cette sainte Trinité, donc, sanctifie ceux qu’elle adopte en leur communiquant son unanimité. C’est pourquoi il est dit : L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné." (cité in Livre des Jours, pp. 354-355)

L’Eglise, épouse bien aimée de Dieu, corps du Christ, projet éternel de Dieu, ne peut être qu’une à l’image de la Trinité divine. Cette unité, malmenée par nos conflits, nos séparations, nos déchirures a son fondement en Dieu, en Dieu seul : par l’Esprit qui nous est donné et qui se manifeste tout particulièrement dans l’Eucharistie, alors que nous consommons un même pain, un même vin, nous sommes entraînés vers cette unité de l’Eglise : Eglise qui doit unir tous les hommes, jusqu’aux extrémités de la terre.

La communion des saints

"Communion" ("Koinonia / communio") a pour premier sens celui de "participation aux mêmes biens sacrés", à l’unique Esprit, à l’unique Evangile, à l’unique baptême, l’unique eucharistie… : sens profondément "religieux", en lien avec la foi. Cette participation aux biens sacrés fonde en retour la communauté et la "communauté des saints", c’est-à-dire ceux qui ont été sanctifiés.

Conséquences importantes : chaque Eglise locale ne peut exister isolément (participation au même baptême, à la même eucharistie), pas plus que "l’on ne peut être chrétien tout seul" (phrase de Tertullien in Apol., XVIII). Mais il s’agit d’une communion non à l’horizontale, mais d’une communion qui est induite par communion à l’unique Vérité.

Autre conséquence : de même que Dieu est relation (cf. la Trinité, relation du Père, du Fils, de l’Esprit), l’Eglise doit être, à l’image de la Trinité, relation entre diverses Eglises et personnes localement situées. Ainsi se trouve justifiée et même fondée l’unité de l’Eglise. Cyprien, cité in Lumen Gentium 4, disait que l’Eglise apparaît comme "un peuple qui tire son unité de l’unité du Père et du Fils et du St-Esprit" [De Grat. Dom. 23]. C’est d’ailleurs ainsi que l’Eglise est "sacrement", c’est-à-dire signe de l’unité et de la réconciliation à l’œuvre dans le monde du fait de l’unique Alliance (LG 1).

Autre conséquence encore : la communion des saints implique enfin que c’est ensemble que nous sommes sauvés : il n’y a pas de salut individuel, affirmons-nous, mais salut de l’Eglise toute entière, salut de toute l’humanité (dans cette perspective, on soulignera cette réelle difficulté de l'ecclésiologie du protestantisme quand il défend le "salut individuel").

C’est bien pourquoi nous rappelons que la communion des saints est non seulement union de tous les croyants, mais union des vivants et des morts, union de tous les hommes, même s’ils ne se savent pas encore "saints" car toute sainteté vient de Dieu, et Dieu la veut pour tous, et pas seulement pour ceux que nous pouvons considérer comme visiblement appelés. Les formes de l’appel de Dieu sont multiples, les manifestations de la sainteté de Dieu dans tous les hommes sont multiples, et si les sacrements sont donnés à l’Eglise visible pour avancer sur une route balisée, il est des routes non balisées qui mènent également à Dieu. N’oublions pas que nous sommes aussi en communion avec tous les hommes, et avec les pécheurs comme avec ceux que nous voudrions appeler "saints". Nous portons le péché des autres comme ils portent notre propre péché : nous portons mutuellement nos fardeaux du fait précisément de cette communion des saints - d’où la notion d’accompagnement : le plus fort aide le plus faible, mais le plus fort n’est pas toujours le même et n’est pas toujours celui que l’on imagine fort : "lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort", nous disait St Paul (2 Co, 12, 10).

Quant à St Augustin, reprenant les paroles du Christ au paralytique il commente :

"En disant : Prends ton grabat, le Seigneur me semble donc avoir dit : Aime ton prochain." (Hom. sur l’Evangile de Jn, Tr XVII, 8).

Il poursuit :

"… il est nécessaire d’expliquer pourquoi c’est l’amour du prochain qui est recommandé dans l’ordre de prendre son grabat ; peut-être même sommes-nous choqués d’entendre que le prochain soit représenté par le grabat, une chose stupide et insensible. Que le prochain ne s’irrite pas de nous être présenté par une chose sans âme ni sentiment. Notre Seigneur et sauveur Jésus Christ lui-même a été appelé la pierre angulaire établie pour unir en lui les deux peuples [Eph 2, 20 et 14]. Il a été appelé aussi le rocher d’où l’eau a jailli : Le rocher était le Christ [I Cor, 10, 4]. Si le rocher était le Christ, pourquoi donc s’étonner que le bois soit le prochain ? Non pas pourtant n’importe quel bois : de même qu’il ne s’agissait pas de n’importe quel rocher, mais du rocher d’où l’eau avait jailli pour les assoiffés, ni de n’importe quelle pierre, mais de la pierre angulaire qui a uni en elle les deux murs venant de côtés différents, de même ce n’est pas n’importe quel bois que tu dois regarder comme le prochain, mais le grabat.
Qu’y a-t-il donc à remarquer dans le grabat, je t’en prie, qu’y a-t-il si ce n’est que cet homme, quand il était malade, était porté par le grabat et qu’une fois guéri il porte le grabat. Que dit l’Apôtre ? Portez les fardeaux les uns des autres et vous accomplirez ainsi la loi du Christ [Gal, 6, 3]. La loi du Christ est donc la charité et la charité n’est accomplie que si nous portons mutuellement nos fardeaux : nous supportant, est-il dit les uns les autres dans la dilection, attentifs à garder l’unité de l’esprit dans le lien de la paix [Eph 4, 2-3]. Quand tu étais malade, ton prochain te portait ; tu es guéri, porte ton prochain. Portez les fardeaux les uns des autres et vous accomplirez la loi du Christ. C’est ainsi, ô homme, que tu accompliras ce qui te manquait. Par conséquent, porte ton grabat.
Mais quand tu l’auras pris, ne reste pas en place, marche. En aimant ton prochain, en prenant soin de ton prochain, tu fais du chemin. Où diriges-tu tes pas sinon vers le Seigneur ton Dieu, vers celui que nous devons aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit [Mt 22, 37] ? Nous ne sommes pas encore parvenus jusqu’au Seigneur, mais nous avons le prochain avec nous. Porte donc celui avec qui tu marches afin de parvenir jusqu’à celui avec qui tu désires demeurer. Donc, prends ton grabat et marche." (Hom. Sur l’Evangile de Jean Tr XVII, 9).

La rémission des péchés

La miséricorde de Dieu est déjà affirmée dans l’Ancien Testament. Mais ce que le Christ vient nous dire dépasse le message traditionnel des prophètes. Cette miséricorde de Dieu, une fois que Jésus s’est chargé des péchés du monde, s’étend à toute l’humanité, et pas seulement au peuple juif. Il insiste même pour dire que la foi des païens est souvent plus grande que celle des membres du "peuple élu" (cf. Mt 8, 10 ; 15, 28). La mission du serviteur de Dieu est de ce fait "universelle" : elle concerne tous les hommes, et nous ne pouvons nous taire ; nous devons annoncer "la bonne nouvelle du salut".

Que signifie la "rémission des péchés" ? Qu’est-ce que le péché ? Rémi Brague dans un article stimulant, "A tout péché, miséricorde" in Je crois en un seul Dieu (op. cit., pp. 341-351, paru primitivement dans Communio, 1989) écrit :

"Qui veut parler de "rémission des péchés" se heurte dès le début à une difficulté de vocabulaire. Elle porte sur chacun des deux termes qui composent cette expression.
Le mot de "rémission", d’une part, n’est pas de nos jours sans prêter à confusion. En effet, dans le langage actuel, on n’emploie plus guère les dérivés du verbe "remettre" que dans un contexte juridique ou médical : on parle d’une remise de peine, et l’on parle aussi d’une rémission dans l’évolution, par exemple, d’un cancer. Ce n’est pas alors la guérison, mais son piètre substitut dans une maladie dont on considère, que, comme on le dit très bien, elle "ne pardonne pas". Or, parler de "rémission des péchés", dire "tes péchés te sont remis", c’est au contraire parler de pardon, au sens le plus propre – même si, comme on le verra, le terme de pardon est encore insuffisant à rendre compte de la rémission.
Le mot de péché est, de son côté, encore plus difficile à employer sans risquer de contresens. Il véhicule en effet, chez la plupart de nos contemporains, une masse de représentations vagues, voire troubles. Quant à l’image aujourd’hui répandue de ce que l’Eglise enseigne à ce sujet, elle est le plus souvent fausse, si ce n’est le contraire même de la vérité. A tel point qu’il me semble impossible d’espérer parler de la rémission des péchés sans commencer par détruire ces représentations qui d’emblée barrent la route à la compréhension de ce qu’est ce péché dont les chrétiens confessent que Dieu le remet." (pp. 341-342).

L’auteur précise surtout – ce sur quoi ont insisté les Pères à maintes reprises :

"Dieu nous remet nos péchés non pour récupérer ce que nous lui aurions fait perdre, mais pour nous permettre de recouvrer, nous, notre intégrité perdue. Il ne nous accorde pas cette rémission sous condition, par exemple en nous demandant de l’aimer au préalable. Pour la simple raison que le péché nous prive de la capacité d’aimer, et qu’il faut que la rémission des péchés nous rende d’abord cette capacité : c’est au regain de l’amour chez la femme qui lui oint les pieds que Jésus reconnaît que ses péchés lui ont été remis (Luc 7, 47), qu’elle s’ouvre à l’espérance, encore obscurément pressentie, de sa réintégration dans le plan de salut que Dieu a sur elle." (op. cit. p. 351).

Et il conclut :

" Dieu ne nous demande pas non plus de l’aimer en retour. Comme si, une fois supposé que nous savons aimer (et un examen de soi un peu exigeant suffit à nous convaincre du contraire), nous avions à choisir entre divers objets, tous également dignes de notre amour. Et comme si Dieu réclamait un privilège, eu égard aux services rendus. En réalité, il n’a pas à nous demander de l’aimer. En un sens, il nous demande d’aimer, tout court, ou plutôt, il nous permet de le faire. Et l’amour qu’il libère en nous s’oriente spontanément vers le champ où il peut prendre son essor et vivre de sa logique propre, champ qui est justement Dieu.
Le fait que la rémission soit au passé est en un sens rassurant, puisqu’elle est acquise (et à quel prix !) définitivement. Mais, en un autre sens, il a quelque chose d’effrayant. Reste en effet à savoir si j’accepte ce pardon, si j’accepte de recevoir ce qui nous est depuis toujours offert. Et suis-je sûr de vouloir le bien ? Suis-je sûr que c’est vraiment Dieu qui m’intéresse, et que, une fois face à Lui, je ne me trouverai pas plus intéressant moi-même ?" (p. 351).

St Bernard nous dit la confiance du croyant qui, malgré son péché, n’a plus d’effroi car selon le mot de St Paul "Là où le péché s’était multiplié, la grâce a surabondé" (Rm 5, 20) :

"Où donc notre fragilité peut-elle trouver repos et sécurité, sinon dans les plaies du Sauveur ? Je m’y sens d’autant plus protégé que son salut est plus puissant. L’univers chancelle, le corps pèse de tout son poids, le diable tend ses pièges : je ne tombe pas, car je suis campé sur un roc solide. J’ai commis quelque grave péché : ma conscience se trouble, mais elle ne perd pas courage, puisque je me souviens des plaies du Seigneur, qui a été transpercé à cause de mes fautes. Rien n’est à ce point voué à la mort que la mort du Christ ne puisse le libérer. Dès que je pense à cette médecine si forte et efficace, la pire des maladies ne m’effraie plus.
Il se trompait donc celui qui a dit : Mon péché est trop grand pour que j’en obtienne pardon. Il est vrai qu’il n’était pas un membre du Christ, et que les mérites du Christ ne le concernaient pas ; il n’avait pas le droit de les revendiquer pour lui, comme un membre peut dire siens les biens de la tête.
Pour moi, ce qui me manque par ma faute, je le tire hardiment des entrailles du Seigneur, car la miséricorde y abonde, et elles sont percées d'assez de plaies pour que l'effusion se produise. Ils ont percé ses mains, ses pieds, et d'un coup de lance son côté. Par ces trous béants, je puis goûter le miel de ce roc et l'huile qui coule de la pierre très dure, c'est-à-dire goûter et voir combien le Seigneur est bon. Il formait des pensées de paix et je ne le savais pas. Qui, en effet, a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ? Mais le clou qui pénètre en lui est devenu pour moi une clef qui m’ouvre le mystère de ses desseins. Comment ne pas voir à travers ces ouvertures ? Les clous et les plaies crient que vraiment, en la personne du Christ, Dieu se réconcilie le monde. Le fer a transpercé son être et touché son cœur afin qu’il n’ignore plus comment compatir à mes faiblesses.
Le secret de son cœur paraît à nu dans les plaies de son corps ; on voit à découvert le grand mystère de sa bonté, cette miséricordieuse tendresse de notre Dieu, Soleil levant qui nous a visités d’en haut. Et comment cette tendresse ne serait-elle pas manifeste dans ses plaies ? Comment montrer plus clairement que par tes plaies que toi, Seigneur, tu es doux et compatissant et d’une grande miséricorde, puisqu’il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour des condamnées à mort ?
Tout mon mérite, c’est donc la pitié du Seigneur, et je ne manquerai pas de mérite tant que la pitié ne lui fera pas défaut. Si les miséricordes de Dieu se multiplient, mes mérites seront nombreux. Mais qu’arrivera-t-il si j’ai à me reprocher quantité de fautes ? Là où le péché s’était multiplié, la grâce a surabondé [Rm 5, 20]. Et si la bonté du Seigneur s’étend de toujours à toujours, de mon côté je chanterai sans fin les miséricordes du Seigneur. Est-ce là ma justice ? Seigneur, je ferai mémoire de ta seule justice, car c’est elle ma justice, puisque pour moi tu es devenu justice de Dieu." (Homélies sur le Cantique des cantiques, 83, 4-6).

L’accomplissement de l’absolution se fait dans le mystère pascal. Le Christ est la porte unique qui mène au salut. Il promet que ceux qui demeureront dans sa parole connaîtront la vérité et la liberté (Jn 8, 31-32) : "vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera."

Le Christ se tourne préférentiellement vers les "publicains et les pécheurs" (Luc 7, 34, Cf. aussi Lc 19, 10 : "le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu"). Les justes ne sont pas exclus du salut, mais mis en garde car son enseignement est souvent inaccessible aux pharisiens, aveuglés par leur sécurité (Jn 9) : "votre péché demeure".

La résurrection de la chair

Malgré la difficulté de ce qu’implique la foi en la résurrection de la chair, il est utile de rappeler ce qu’affirme Mgr Claude Dagens : "Refuser la résurrection de la chair, c’est mettre en doute la liberté qu’a Dieu de "faire toutes choses nouvelles"." ("Notre corps promis à la résurrection", in Je crois en seul Dieu, déjà cité, p. 354).

Nos difficultés à croire s’expliquent précisément par la nouveauté qui est attachée à la résurrection par rapport à notre monde tellement marqué par la mort et la souffrance. Rappelons que en affirmant la résurrection de la chair on combat contre la gnose et toutes les gnoses qui méprisent et rejettent le corps :

"Si l’Eglise des premiers siècles a affirmé avec tant de netteté "J’attends la résurrection de la chair", c’est qu’elle avait compris la menace énorme que constituait la gnose pour la foi et pour le sens chrétien de l’homme : Irénée de Lyon, face aux gnostiques de Valentin ou de Marcion, consacrera un livre entier de son Traité contre les hérésies à démontrer que c’est l’homme tout entier, tel qu’il est sorti des mains de Dieu, qui est appelé à la résurrection. Cette résurrection de la chair, expliquera-t-il, se situe dans le sillage de l’acte créateur du Père ; et, en même temps, elle prolonge l’Incarnation du Verbe qui s’achève dans la Résurrection du Christ." (Claude Dagens, op. cit., p. 356).

Claude Dagens ajoute, réglant aussi le sort des "réincarnations" tant prisées, par nos contemporains [j’avoue, pour ma part, que la croyance en la réincarnation ne me semble a priori pas "plus facile" que la foi en la résurrection !] :

"Chaque être humain, avec son corps et jamais sans son corps, vient de Dieu et est promis à la vie éternelle, à travers ce que la foi appelle la résurrection. Imaginer des réincarnations successives, c’est refuser ce caractère unique de chaque personne." (op. cit., p. 357)

Dans l’Ecriture, et notamment dans les Actes des Apôtres, l’espérance prend ce contenu plus spécifique et plus explicite de la résurrection de la chair :

Actes 2, 26 : "Aussi mon coeur est dans la joie, et ma langue dans l'allégresse ; Et même ma chair reposera avec espérance."
Actes 23, 6 : "Paul, sachant qu'une partie de l'assemblée était composée de sadducéens et l'autre de pharisiens, s'écria dans le sanhédrin : Hommes frères, je suis pharisien, fils de pharisiens ; c'est à cause de l’espérance et de la résurrection des morts que je suis mis en jugement." [NB les saducéens ne croient pas à la résurrection de la chair]
Actes 24, 15 : "et ayant en Dieu cette espérance, comme ils l'ont eux-mêmes, qu'il y aura une résurrection des justes et des injustes."

Si la croyance en la résurrection de la chair était déjà ancienne et était objet de foi pour beaucoup de pharisiens à l’époque de Jésus, c’est avec le Christ que cette résurrection prend toute sa signification. Grégoire de Nazianze (dans une Homélie sur la Pâque) nous montre comment cette foi en la résurrection de la chair prend une nouvelle dimension avec l’Incarnation et la Résurrection du Christ :

"Le Verbe de Dieu qui est éternel, invisible, incompréhensible, incorporel, principe né du principe, lumière née de la lumière, source de la vie et de l'immortalité, empreinte exacte du premier modèle, marque ineffaçable, ressemblance identique du Père, intention et pensée de celui-ci, progresse vers son image. Il prend chair pour sauver la chair, il s'unit à une âme raisonnable pour sauver mon âme ; il veut purifier le semblable par le semblable et il devient totalement homme, sauf en ce qui concerne le péché.
Il est conçu par la Vierge, préalablement purifiée par le Saint-Esprit dans son âme et dans sa chair, car, s'il fallait honorer la génération, il fallait honorer davantage la virginité. Il se présente comme Dieu incarné, formant un seul être de deux principes opposés, la chair et l'esprit. L'esprit donnait la divinité, la chair était divinisée.
Lui qui enrichit les autres s'appauvrit, car il adopte la pauvreté de ma chair pour que moi je m'enrichisse de sa divinité. Lui qui est plénitude s'anéantit, il se dépouille de sa propre gloire pour un peu de temps, afin que moi, je participe à sa plénitude.
Quel trésor de bonté ! Quel grand mystère en ma faveur ! J'ai reçu l'image, et je ne l'ai pas gardée. Le Verbe a participé à ma chair afin de sauver l'image et de rendre la chair immortelle ! Il s'unit à nous par une deuxième union, beaucoup plus étonnante que la première.
Il fallait que l'homme soit sanctifié par un Dieu devenu homme ; après avoir terrassé notre tyran, il nous délivrerait et nous ramènerait vers lui, par la médiation du Fils, pour l'honneur du Père. C'est ainsi que le Fils se montre obéissant en toutes choses envers lui pour accomplir son plan de salut.
Ce bon Pasteur est venu rechercher la brebis égarée, en donnant sa vie pour ses brebis, sur les montagnes et les collines où tu offrais des sacrifices. il a retrouvé celle qui était égarée, il l'a chargée sur ces épaules qui ont porté aussi le bois de la croix et, après l'avoir saisie, il l'a ramenée à la vie d'en haut.
Cette lumière éclatante du Verbe est précédée par la lampe qui brûle et qui éclaire ; la parole, par la voix qui crie dans le désert ; l'Epoux, par l'ami de l'Epoux, celui qui prépare pour le Seigneur un peuple choisi en le purifiant dans l'eau en vue de l'Esprit.
Il nous a fallu un Dieu qui s'incarne et qui meure pour que nous vivions. Nous sommes morts avec lui pour être purifiés ; morts avec lui, nous sommes ressuscités avec lui ; ressuscités avec lui, avec lui nous sommes glorifiés."
(Grégoire de Nazianze, Homélie pour la Pâque (Hom. 45), 9.22.26.28).

La vie éternelle…

La vie éternelle est de Dieu : elle se situe au-delà de toutes les expériences et les pensées humaines. Elle n’est proprement pas concevable pour nous. Ce n’est qu’en devenant Dieu que l’homme peut entrer dans la vie éternelle, c'est-à-dire en participant à la vie divine.

Grégoire de Nysse, qui établit le lien entre la vision de Dieu et la vie éternelle, nous dit clairement que "voir Dieu, c’est la vie éternelle" (Homélies sur les Béatitudes, 6, in Livre des Jours, pp. 772 -773) :

"L’impression que l’on éprouve lorsque, du haut d’un promontoire, on jette les yeux sur la mer immense, mon esprit la ressent lorsque, du haut de la parole du Seigneur, comme du sommet d’une montagne, il regarde la profondeur insondable des pensées divines.
Souvent, au bord de la mer, on voit s’élever une montagne qui présente à l’océan une pente abrupte du haut jusqu’en bas, et dont le sommet surplombe l’abîme. Mon âme souffre du même vertige lorsqu’elle est emportée par cette grande parole du Seigneur : Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.
Dieu se fait voir à ceux qui ont purifié leur cœur. Or Dieu personne ne l’a jamais vu, dit le grand saint Jean. Et saint Paul, cet esprit sublime, renforce cette affirmation en disant que personne ne l’a jamais vu, et que personne ne peut le voir. Il est ce rocher lisse et abrupt qui n’offre aucune prise à nos pensées, et que Moïse, dans ses enseignements déclare inaccessible à notre esprit. Il détournait de l’approcher tous ceux qui essayaient de le saisir, en affirmant : Il n’y a personne qui puisse voir le Seigneur sans mourir.
Et pourtant, voir Dieu, c’est la vie éternelle. Mais ces colonnes de la foi, Jean, Paul et Moïse déclarent que c’est impossible ! Tu vois quel vertige s’empare de l’âme attirée par la profondeur de ce que nous découvrons dans les discours du Seigneur ! Si Dieu est la vie, celui qui ne le voit pas ne voit pas la vie. Et les prophètes, comme les Apôtres, qui sont remplis de Dieu, attestent qu’on ne peut voir Dieu. Dans quelles limites l’espérance des hommes est-elle enfermée ?
Mais le Seigneur soutient cette espérance défaillante. C’est ainsi qu’il s’est comporté envers Pierre. Celui-ci était en péril de se noyer, mais Jésus le fit tenir sur l’eau comme sur une matière ferme et consistante. Si donc la main du Verbe s’étend vers nous, alors que nous sommes chancelants à cause de la profondeur de ces considérations, si elle nous établit fermement sur l’une de ces pensées, nous serons rassurés parce que le Verbe nous aura comme saisis par la main. Car il dit : Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.".

Ainsi, la promesse de voir Dieu, est aussi promesse de vie éternelle, même si nous ne pouvons en savoir les modalités. Laissons-nous simplement "tenir par la main" !

Conclusion

Après ces semaines de réflexion consacrées au Credo, on peut essayer momentanément de conclure sur la foi avec une phrase magnifique et difficile d’Hans Urs von Balthasar : "La foi [de l’homme] doit se préparer à ‘connaître l’épreuve du feu’, car cette foi est ‘beaucoup plus précieuse que l’or périssable’ auquel une telle purification ne peut être épargnée afin de le débarrasser des scories. Il lui faut se heurter à la pierre de la contrariété, y faire ses preuves, et être amené jusqu’à la limite où la force de sa propre foi ne lui est plus sensible et où il ne continue à croire encore que par la force de Dieu." ("L’homme et la vie éternelle", in Je crois en un seul Dieu, op. cit., p. 384).


(1) 1132-1202 : ascète réputé, abbé cistercien fort austère, qui s’est appliqué à l'étude de la Bible, pour en trouver le sens caché en cherchant les correspondances entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Exégète qui a consacré sa vie à la lecture et l’interprétation de la Bible, dont les idées (mais pas la personne) furent condamnées car elles n’étaient pas en accord avec celles de Pierre Lombard, le théologien le plus en renom au XIIe siècle, et qu’il a été soupçonné de "trithéisme", hérésie qui affirme l'existence de trois essences divines distinctes et non unies au sein de la Trinité.

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