Dom André Louf

La joie vive. Méditations à Sainte-Lioba II

"L'hymne à l'amour"

L'hymne à l'amour

"Lorsque le Fils de Dieu s'est incarné, il est venu auprès de nous, revêtu, enveloppé, drapé dans cet amour de son Père : "En toi est tout mon amour". Un amour qui normalement aurait dû rejaillir, dès le premier instant, sur le corps d'homme qu'il avait assumé, en une blancheur éclatante, aveuglante, qu'aucun foulon sur terre n'aurait pu obtenir. Car Jésus revêtu de l'amour de son Père, c'est aussi Jésus revêtu de la gloire de Dieu, "cette gloire qu'il avait eu depuis toujours auprès de son Père, avant la création du monde", dira-t-il lui-même au moment de s'engager dans sa Passion (Jn 17, 5). Une gloire que les disciples n'auraient pas pu supporter, qui les aurait aveuglés, qui aurait d'ailleurs empêché Jésus d'accomplir le parcours pascal qu'il est maintenant sur le point d'entreprendre : "S'ils l'avaient connu, dira saint Paul en parlant de ses bourreaux, jamais ils n'auraient mis en croix le Seigneur de la gloire" (1 Co 2, 8). Cette lumière et cette gloire, Jésus les a habituellement soustraites aux yeux de ses disciples, en attendant le matin de Päques. Mais il en laisse entrevoir une petite lueur sur le Thabor, et encore seulement à trois disciples choisis parmi les autres, pendant une pause sur le chemin de Jérusalem. Trois disciples qui en sont bouleversés, qui sont pris de peur, qui ne savent plus ce qu'ils disent - Pierre surtout qui comme d'habitude ne peut se retenir de prendre la parole - et qui finalement ne comprendront pas ce que veut dire "ressusciter d'entre les morts".

Ils comprendront plus tard, notamment le sens de la parole qu'ils ont alors entendu à travers la nuée, de la bouche du Père : "Voici mon Fils bien aimé". Il s'agit à nouveau d'une histoire d'amour, la plus passionnante et aussi la plus tragique qui jamais fût. Il s'agit d'un Père qui les aime tellement qu'il n'a pas voulu épargner ce Fils bien-aimé, mais qui l'a livré pour eux. Et saint Paul pourra alors entonner cet hymne magnifique à l'amour qui termine le chapitre 8 de sa Lettre aux Romains [...] : "Comment avec le Christ ne nous aurait-il pas tout donné ? [...] Qui nous séparera de l'amour du Christ ? la tribulation, l'angoisse, la persécution, [...]. Mais en tout cela nous sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés. Oui, j'en ai l'assurance, ni mort ni vie... ni présent ni avenir... ni aucune créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus, notre Seigneur" (Rm 8, 31-39). Quel que soit notre propre chemin de Pâques, nos déserts, nos tentations, quelquefois aussi notre Thabor, il suffira toujours de demeurer dans cet amour, car il n'y a pas de plus grand amour que de donner son propre fils, que de donner sa propre vie, pour ceux qu'on aime".

Dom André Louf : "L'hymne à l'amour", in La joie vive. Méditations à Sainte-Lioba II ; Salvator, 2017, pp. 80-81).

Dom André Louf (1929-2010) a été Abbé de la trappe du Mont des Cats pendant trente-cinq ans. Ses écrits sont devenus des classiques de la vie intérieure, et l'ont fait connaître comme l'un des maîtres spirituels du christianisme contemporain. En 1998, il s'établit à Sainte-Lioba (Monastère à Simiane, près d'Aix-en-Provence et de Marseille) pour vivre enfin dans la solitude et le silence d'un ermitage, l'attente de toute sa vie : un face-à-face dans l'intimité avec Dieu.