"Au moment où Jésus entre dans l'eau du Jourdain, au milieu des autres baptisés, le ciel s'ouvre, l'Esprit Saint descend sur lui
sous la forme d'une colombe, et la voix du Père se fait entendre. L'évangéliste Luc a noté que Jésus était alors en train de prier.
Il disait donc quelque chose à son Père, et la Parole du Père est la réponse à ce que Jésus lui disait, mais que nous ignorons.
Nous connaissons seulement la réponse à ce que Jésus venait de lui dire. Or, cette réponse est une déclaration d'amour : "Toi, tu
es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie."
Elle reprend en partie ce que le prophète Isaïe avait mis dans la bouche de Dieu au sujet de son Serviteur [...], et que Jésus, un
jour, s'appliquera à lui-même. Mais en partie seulement car, dans la réponse du Père, un mot a changé. Le Père n'appelle plus
Jésus son serviteur, mais infiniment plus : "Tu es mon Fils". C'est la déclaration d'amour que le Père ne cesse de proférer
éternellement au coeur de la Trinité, et à laquelle, sans aucun dout, le Fils répond, lui aussi sans cesse, qui trouve maintenant un
écho sur terre, qui résonne désormais dans un langage d'hommes, enfin audible pour nous et immédiatement compréhensible. Quoi de plus
compréhensible, en effet, quoi de plus attendu même, et quoi de plus souvent secrètement souhaité que ces simples paroles :
"Je t'aime, tu es tout mon amour."
Les disciples de Jésus avait besoin de cette parole du Père qui confirmait avec éclat ce que Jean-Baptiste avait annoncé à son
sujet. Mais Jésus aussi avait besoin de cette Parole d'amour de la part de son Père. Homme comme il l'était, et maintenant arrivé
à l'âge adulte, saint Joseph, son père nourricier, étant probablement déjà décédé, comme on l'admet communément, il avait besoin
de recevoir de son Père du ciel sa véritable identité, dans une parole d'amour proféré en langage d'hommes. Comme tout fils, un
jour ou l'autre, a besoin d'être pareilleemnt identifié par son père d'ici-bas, à travers un signe ou une parole d'amour et de totale
confiance.
Ce que cette reconnaissance par son Père a dû signifier pour Jésus, nous ne pouvons guère nous le figurer : tout ce que nous vivons
ici-bas, dans nos relations avec les autres, n'est qu'un lointain reflet de l'amour qui circule au coeur de la Trinité. Saint Paul
ne dira-t-il pas que c'est de cet amour paternel-là que toute paternité sur terre tire son nom (Ep 3, 14-15) ? Peut-être est-ce même
là le premier objet de la fête du Baptême de Jésus [...] : non pas d'abord ce que nous-mêmes nous pouvons y apprendre, mais plutôt
cette joie indescriptible de Jésus de se savoir reconnu et aimé par son Père. Une joie qui ne le quittera désormais plus jamais,
et qui l'accompagnera tout au long de sa vie sur terre, dans les épreuves comme lors de ses succès, sur la montagne de la
Transfiguration, où le Père se fera de nouveau entendre pour lui répéter la même déclaration d'amour (Mt 17, 5), comme sur le Calvaire
lors de l'abandon apparent sur la Croix - "Pourquoi m'ams-tu abandonné ?" (Mt 27, 46) -, suivi sans tarder par une remise plus
totale encore du Fils à son Père à travers la mort elle-même : "Entre tes mains, je remets mon esprit" (Lc 23, 46)..."
(La liturgie du coeur. Méditations à Sainte-Lioba III, Salvator, pp. 57--59).
Dom André Louf (1929-2010) a été Abbé de la trappe du Mont des Cats pendant trente-cinq ans. Ses écrits sont devenus des classiques de la vie intérieure, et l'ont fait connaître comme l'un des maîtres spirituels du christianisme contemporain. En 1998, il s'établit à Sainte-Lioba (Monastère à Simiane, près d'Aix-en-Provence et de Marseille) pour vivre enfin dans la solitude et le silence d'un ermitage, l'attente de toute sa vie : un face-à-face dans l'intimité avec Dieu.
Dans cet ouvrage préparé par Charles Wright, sont livrés, pour la méditation de tous, plusieurs sermons de l'année C, recueillis quand il prêchait parfois le dimanche parmi les moines et moniales du Monastère. Une nourriture spirituelle majeure...