"Aucune réalité spirituelle ne devrait être plus familière au croyant que la paix. Elle lui fut annoncée dès la naissance de Jésus
durant la nuit de Noël : "Paix aux hommes, aimés par Dieu". Après sa résurrection, Jésus se présente à ses disciples avec le même
souhait sur les lèvres : "Que la paix soit avec vous", comme s'il voulait leur assurer la fin de tout conflit, de tout trouble, de
toute inquiétude. Pareillement, l'apôtre Paul commencera toutes les lettres qui sont directement de sa main en souhaitant grâce
et paix à ses lecteurs : "grâce et paix", c'est la traduction par Paul du souhait des anges pendant la nuit de Noël : la grâce
de Dieu n'est-elle pas identique à son Amour ?
C'est d'ailleurs ce que Jésus avait solennellement annoncé à ses apôtres durant le repas précédant son arrestation : "Je vous laisse
ma paix, c'est ma paix que je vous donne." Et il ajoute ce que cette paix est censée opérer chez ses disciples : "Que votre coeur
ne se trouble ni ne s'effraie."
Et pourtant, depuis que Jésus a promis cette paix, depuis que les apôtres l'ont abondamment certifiée, le monde en a vu de ces
conflits, de ces guerres, de ces conflagrations, toutes plus sanglantes les unes que les autres. La promesse de Jésus serait-elle une
illusion ?
Or, il se fait que ce même Jésus nous a aussi promis des conflits et des guerres, autant que la grâce et la paix : "On se dressser
nation contre nation et royaume contre royaume [...]. Ils tomberont sous le tranchant du glaive et ils seront emmenés captifs
dans toutes les nations." La paix promise par Jésus ne supprimera pas les conflits, mais pour ses disciples, elle changera leur
façon de les subir. Jésus ajoute, en effet : "Lorsque vous entendrez parler de guerres, ne vous effrayez pas."
Car la paix de Jésus n'est pas celle que le monde prétend donner, et qu'elle réussit si peu à réaliser. Cela aussi, Jésus l'a dit
expressément. Cette paix qu'il promet, il l'a appelée "ma" paix, c'est-à-dire sa paix à lui ; et il ajoute on ne peut plus clairement,
pour la distinguer de l'autre : "Je ne vous la donne pas comme le monde la donne."
Cette différence est d'abord dans le fait qu'elle est une réalité intérieure au disciple de Jésus : elle est d'abord au-dedans de lui.
Ce n'est qu'après coup, une fois qu'il l'aura repérée dan son coeur, qu'elle pourra éventuellement rayonner à l'extérieur, sur
des événements sur lesquels les croyants ont généralemeent peu de prise. Tout comme le royaume de Jésus n'est pas de ce monde, mais
qu'il est "au-dedans de vous", dit Jésus à ses disciples, ainsi la paix de Jésus est au coeur de ses disciples, elle est un trésor
caché qui attend d'être découvert."
(Dom André Louf : "La paix du coeur. Un don et une contagion", in L'homme intérieur. Au coeur de l'expérience spirituelle chrétienne, Salvator, 2021, pp.59-60).
Dom André Louf (1929-2010) a été Abbé de la trappe du Mont des Cats pendant trente-cinq ans. Ses écrits sont devenus des classiques de la vie intérieure, et l'ont fait connaître comme l'un des maîtres spirituels du christianisme contemporain. En 1998, il s'établit à Sainte-Lioba (Monastère à Simiane, près d'Aix-en-Provence et de Marseille) pour vivre enfin dans la solitude et le silence d'un ermitage, l'attente de toute sa vie : un face-à-face dans l'intimité avec Dieu.
Dans ce nouvel ouvrage préparé par Charles Wright, sont rassemblées de très belles méditations retrouvées dans les papiers de l'auteur et publiées par Salvator en 2021 : Une nourriture spirituelle majeure...