Dom André Louf

La joie vive

"Le temple caché du coeur".

(Homélie pour le 5e dimanche de Pâques, Année B.)

"Hors de moi, vous ne pouvez rien faire." (Jn 15, 5). Autrement dit, vous n'existez même plus, au sens fort du mot. Ces paroles de Jésus ne s'adressent pas seulement aux croyants dont la vie serait irréprochable, mais à tout le monde. Pas seulement aux justes, mais aussi aux pécheurs, comme saint Jean nous le rappelle (1 Jn 3, 20)... : "Si notre coeur venait à nous condamner, apaisons-le devant lui, car Dieu est plus grand que notre coeur, et il connaît tout", allusion à peine voilée à sa miséricorde infinie.
D'ailleurs Jésus ne vise pas les croyants, qui seraient des pécheurs, c'est-à-dire nous tous, mais encore les incroyants, et ceux qui n'auraient jamais entendu parler de lui, et même ceux qui le persécutent dans ses disciples. "Pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font", avait dit Jésus en faveur de ses propres bourreaux (Lc 23, 34). Eux aussi n'existent plus qu'en lui, sont reliés avec lui comme le sarment à la vigne, mais d'une façon à nos yeux bien mystérieuse, inexplicable, presque improbable. Et cependant, ils sont ces "autres brebis" dont Jésus avait dit qu'il les lui fallait ramener à l'unique bercail (Jn 10, 16), d'une façon qu'il est seul à connaître.
"Hors de moi vous ne pouvez rien faire." Grâce à Dieu, nous faisons partie de ceux que Dieu a choisis pour entendre cela, et pour essayer non seulement d'en pénétrer le sens, mais encore de nous disposer à ce que la sève de la vigne qu'est Jésus puisse porter tout son fruit dans les sarments que nous sommes, et sans laquelle aucun fruit ne pourrait être escompté.
Cette communion entre Jésus et nous est pour nous une question de vie ou de mort spirituelles. Jésus l'a décrite à plusieurs reprises avec une formule d'une grande simplicité, et en même temps d'une densité infinie, à proprement parler inépuisable. "Demeurez en moi, comme moi je demeure en vous." (Jn 15, 4) [...].
Comment est-ce possible ? C'est encore tout simple. Jésus ne nous demande pas seulement de demeurer en lui. Il ajoute : "Comme je demeure en vous.". Il n'y a pas à chercher Jésus au loin. C'est lui qui est venu établir en nous sa demeure, qui se tient tous les jours à la porte de notre coeur, et qui frappe, dit-il, dans l'Apocalypse (Ap 3, 20) ; ou encore dans l'Evangile de Jean : "Si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera, et nous viendrons vers lui, et nous ferons en lui notre demeure" (Jn 14, 23).".

Extrait de "Le temple caché du coeur" (5e dimanche de Pâques, année B) in La joie vive. Méditations à Sainte-Lioba II, Salvator, 2017, pp. 120-121.)

Dom André Louf (1929-2010) a été Abbé de la trappe du Mont des Cats pendant trente-cinq ans. Ses écrits sont devenus des classiques de la vie intérieure, et l'ont fait connaître comme l'un des maîtres spirituels du christianisme contemporain. En 1998, il s'établit à Sainte-Lioba (Monastère à Simiane, près d'Aix-en-Provence et de Marseille) pour vivre enfin dans la solitude et le silence d'un ermitage, l'attente de toute sa vie : un face-à-face dans l'intimité avec Dieu.

Dans cet ouvrage préparé par Charles Wright, avec une préface de Benoît Standaert (Ermitage Saint-Antoine, Malmedy, Belgique) et une postface ("André Louf, mon ami et mon maître...") d'Enzo Bianchi (le Fondateur de Bose), sont livrés, pour la méditation de tous, plusieurs sermons de l'année B, recueillis quand il prêchait parfois le dimanche parmi les moines et moniales du Monastère de Sainte-Lioba (Simiane, dans les Bouches-du-Rhône en France). Une nourriture spirituelle majeure pour tous les temps...