"... si nous nous laissons porter par le texte biblique et par l'Evangile, nos questions sont déplacées. Voilà que joie et larmes sont mêlées, que la distinction que nous avions forgée entre le "bien" et le "mal" n'est plus si claire. Les questions avec lesquelles nous sommes venus à l'église étaient-elles nos vraies questions ? Pourquoi, pour qui sommes-nous là vraiment ? La Parole de Dieu, si nous la prenons au sérieux, nous met au pied du mur, car elle nous prend au sérieux. "Elle pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit, des articulations et es moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du coeur" (Hébreux, 4, 12). Nous devons lui rendre compte. Mais il faut se laisser conduire jusqu'au bout de l'écoute. Se livrer à la parole, sans choisir en son sein ce qui nous convient mieux. Cela risque de nous entraîner sur des chemins déroutants. Peut-être serons-nous désarçonnés dans ce que nous croyions être le coeur de notre foi [...] Si c'est vraiment Dieu que nous voulons chercher, alors peut-être que nous devrons quitter nos certitudes, nos convictions, nos représentations de Dieu, et quelques petites idoles domestiques ? Sur ces paroles certains ont quitté leur pays, d'autres ont résolument voulu vivre une forme de vie écologique après avoir entendu Paul : "Toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement" (Romains 8, 22). Les uns ont changé de métier pour vivre avec plus de cohérence, d'autres ont déménagé, d'autres encore ont choisi de donner de leur temps. Chaque fois, c'est la force de la Parole qui les a mis en mouvement, c'est le Christ qui, par l'Evangile, les a rejoints. Les questions que nous adresse la Parole nous font entendre nos propres questions et nous aident à les porter..."
(Anne Lécu : "Nous laisser porter par le texte biblique et par l'Evangile", extraits in Ceci est mon corps, Cerf, 2018, pp. 48-49).
Pour retrouver quelques-unes de ces questions que chacun se pose en entrant dans une église, on peut se reporter aux pages 17-18 de ce même petit livre qui, tout entier mérite d'être lu ; nous y trouverons quelques questions posées par Anne Lécu elle-même...
"Nous ne sommes pas différents des Hébreux au désert. Nous sommes comme nos contemporains. Ce qui nous
traverse et nous brûle fondamentalement, ce sont les questiosn ultimes de l'existence ; qu'en est-il de la
mort et de la vie, de la mort dans la vie ? Pourquoi la maladie et la mort de ceux que nous aimons ?
Pourquoi les conflits et les déchirements ? Pourquoi notre si grande fragilité ? Pourquoi est-ce si dur
de se réconcilier ? Qu'est-ce que vivre dans la vérité ? Se peut-il que nous nous soyons trompés de vie ?
Comment réparer l'irréparable ? Quel fardeau ai-je à porter et que dois-je au contraire laisser ? Que
transmettre à nos enfants et comment ? Sommes-nous condamnés à la dispersion, des opinions, des religions,
à une sorte de relativisme face auquel nous sommes désarméms ? Qu'allons-nous devenir ? Qu'est-ce qui nous
arrive ? Comment est-il possible de supporter d'exister ? Pour quoi, pour qui je compte vraiment ? A qui
est-ce que je manquerai le jour où je mourrai ? Est-ce vrai qu'il y a un socle à ces questions, une terre
où la justice est pour tous, un ciel qui verra toutes les larmes effacées ? Est-ce vrai ? Et plus encore,
est-ce vraiment vrai pour maintenant ? Qu'est-ce qui tient bon dans notre histoire ? Si nous attendons
Dieu, est-ce que Lui nous attend ?
Lorsque nous nous retrouvons dans l'église le dimanche, ce sont ces questions-là qui nous accompagnent,
même si elles ne sont pas présentes tout le temps à notre esprit (et en ce cas il faudrait pouvoir les
réveiller), avec l'espérance que la complexité de nos vies, de nos errances, de nos doutes, sera honorée,
entendue, reconnue, portée, transportée, et qui sait transfigurée ?" (ibid., pp. 17-18).
Anne Lécu, Dominicaine, Docteur en philosophie et en médecine, est médecin en milieu carcéral. Elle est auteur de magnifiques petits ouvrages publiés au Cerf, tous d'une profonde spiritualité.