Anne Lécu

"Eloge des larmes", extrait

"De quoi les larmes sont-elles le nom ? Que peut-on percevoir à travers elles qui ne se verrait pas sans elles ? De quoi lavent-elles nos yeux ? De quoi nous délivrent-elles ? Qu'ont-elles à dire de l'homme ? Notre époque a plutôt les yeux secs, mais est-ce vraiment une chance ? Que nous disent des larmes ceux qui n'arrivent pas à pleurer ? Alors que de nos jours la transparence est sans cesse revendiquée, les larmes viennent troubler le regard, mettre du flou et de la profondeur dans la surface. Faire l'éloge des larmes, c'est se laisser entraîner dans ce trouble qui dit quelque chose de l'homme, de sa fragilité et de sa grandeur.
Qu'est-ce qui, des larmes ou de l'onguent, vient rendre la vie aux yeux morts du vieux Tobith ? Les larmes n'ont-elles pas aussi nettoyé ses yeux ? Ne sont-elles pas aussi l'onguent ? Les yeux, même aveugles, peuvent pleurer. Ce n'est pas si banal. Les larmes peuvent voiler le regard, le brouiller, le noyer, mais elles peuvent surgir des yeux obscurcis, comme si, au fond, l'oeil "n'était pas seulement destiné à voir mais aussi à pleurer"."

"Eloge des larmes", in Cinq éloges de l'épreuve**, Albin MIchel, Paris, 2014, pp. 26-27.

** Ouvrage collectif qui comporte également des articles de Sylvie Germain, Nathalie Sarthou-Lajus, Elena Lasida et Véronique Margron.

Anne Lécu, Dominicaine, est médecin en prison. Elle est auteur de magnifiques petits ouvrages publiés notamment au Cerf.