St Augustin lit et commente St Jean

Chapitre 8e : L'Eglise

L'Eglise est très présente dans les Homélies sur l'Evangile de Jean, et même dans le Commentaire sur la 1ère Epître.

Augustin est encore très pris par la querelle avec les donatistes qu'il accuse de déchirer l'Eglise. On retrouvera un peu partout exposé ce thème fondamental de l'unité et de l'universalité de l'Eglise.

Les donatistes prétendaient que seul un ministre saint pouvait donner un sacrement valide. Augustin comprend que par là les donatistes dépossèdent le Christ de ses prérogatives au profit de l'Eglise et de ses évêques : y a-t-il encore salut dans le Christ avec de telles thèses ? Augustin qui exprime sa souffrance de voir ainsi l'Eglise déchirée rappelle sans relâche que le baptême est don du Christ, que sa valeur et sa sainteté ne dépendent que des mérites du Christ : c'est en eux que les baptisés doivent placer leur espérance.

De nombreux symboles sont utilisés par Augustin pour représenter l'Eglise : la colombe, l'épouse, l'arche, la pierre, la pêche miraculeuse…

L'Eglise, épouse du Christ

Augustin s'interroge dans le Commentaire sur la 1ère Epître, Tr. II, 2, sur ce que l'on peut dire de l'Epouse quand on sait de l'Epoux qu'il "fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour." :

"Au sujet de l'Epouse, voyons ce qu'il dit : connaissant l'Epoux et l'Epouse, c'est en connaissance de cause que tu viendras aux noces. Car toute célébration est célébration nuptiale : on y célèbre les noces de l'Eglise. Le Fils du Roi doit prendre femme, et le Fils du Roi est lui-même Roi ; et ceux qui assistent aux noces sont eux-mêmes l'Epouse. Il n'en est point comme des noces charnelles : autres y sont les assistants, autre l'épouse ; dans l'Eglise, les assistants, s'ils sont dans les dispositions voulues, deviennent l'Epouse. Toute l'Eglise en effet est l'Epouse du Christ, elle dont l'origine et les prémices sont la chair du Christ : c'est là que l'Epouse s'est unie à l'Epoux dans la chair. C'est à juste titre que, nous montrant le prix de sa chair, il a rompu le pain ; et c'est à juste titre que, à la fraction du pain, s'ouvrirent les yeux des disciples et qu'ils le reconnurent." (p. 155)

Il insiste : l'Eglise, commencée à Jérusalem, s'est étendue à toutes les Nations : le Christ l'a placée en plein soleil, l'a plantée à la vue de tous, cette Eglise qui est sa chair ; le Christ, Tête, montant au ciel, laisse son Corps demeurer ici-bas, sur toute la terre (op. cit., X, 9) :

"Garde-toi de le frapper, garde-toi de lui faire violence, garde-toi de le fouler aux pieds : telles sont les dernières paroles du Christ au moment d'aller au ciel."

Augustin insiste sur l'importance de respecter les dernières paroles du Christ :

"Frères, pensez-y avec votre cœur de chrétien. Si les paroles de celui qui va au tombeau sont pour ses héritiers si douces, si chères, d'un si grand poids, que ne doivent pas être pour les héritiers du Christ les dernières paroles qu'il ait dites, alors qu'il allait, non pas pour retourner au tombeau, mais monter au ciel ! (Commentaire sur la 1ère Ep., X, 9, p. 435).

Et Augustin dénonce ainsi ceux qui divisent l'Eglise : "la langue est une épée plus acérée que le fer." Il affirme à la fin de ce Traité (X, 10) :

"Où est la rémission des péchés, là est l'Eglise. Comment, l'Eglise ? C'est en effet à elle qu'il a été dit : "Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux [Mt 16, 19]." Jusqu'où s'étend cette rémission des péchés ? "A toutes les nations, à commencer par Jérusalem". [Lc 24, 47]. Voilà : crois au Christ !" (p. 439).

L'Eglise est mêlée de justes et de pécheurs (Tr VI), comme Tertullien l'avait déjà souligné en notant que, comme dans l'arche, il y a dans l'Eglise "le corbeau et la colombe, le loup, le chien et le serpent" (De idolatria, 24). Augustin dénonce ainsi les donatistes qui veulent se séparer des pécheurs, prétendant que cette rupture les garde de toute contamination.

"Il était juste que le corbeau fut lâché de l'arche et qu'il n'y revînt pas ; la colombe aussi fut lâchée de l'arche et elle revint ; ce sont ces deux oiseaux que Noé a lâchés. Il avait un corbeau dans l'arche, il avait aussi une colombe. L'arche renfermait ces deux espèces d'oiseaux et, si l'arche était une figure de l'Eglise, vous voyez dès lors que dans le déluge de ce siècle l'Eglise doit nécessairement contenir ces deux espèces d'hommes, le corbeau et la colombe. Qui sont les corbeaux ? Ceux qui recherchent leurs propres intérêts. Qui sont les colombes ? Ceux qui recherchent les intérêts du Christ." (Homélies sur l'Evangile de Jean, Tr. VI, 2, pp. 345-347).

Augustin précise d'ailleurs que ce ne sont pas seulement les schismatiques et les hérétiques qui représentent le corbeau, "mais encore ceux qui tout en étant mêlés corporellement à son Unité en sont séparés par une vie mauvaise" (De baptismo, 1, 10, 14).

On trouve ici toute la question de la "sainteté du ministre" : son péché n'empêche pas le passage de la grâce : c'est le Christ qui baptise dans l'Esprit Saint :

"Que Pierre baptise, c'est lui [le Christ] qui baptise ; que Paul baptise, c'est lui qui baptise ; que Judas baptise, c'est lui qui baptise" (Tr VI, 7, p. 357).

Cette prérogative du Christ assure l'unité du baptême :

"Comment donc se fait-il que si l'un [un saint de l'Eglise], par exemple, est baptisé par un ministre juste et saint, et l'autre par un ministre d'un moindre mérite devant Dieu, d'un rang moins élevé dans la hiérarchie, d'une moindre continence, d'une moindre sainteté de vie, ils reçoivent cependant l'un et l'autre quelque chose d'identique, d'égal et de pareil, sinon parce que c'est lui qui baptise ?" (Tr. Vi, 7, p. 359).

Le baptême, en outre, ne produit ses fruits que dans l'Eglise : le baptême est inutile hors de l'Eglise (cf. Tr VI, 13-16). Augustin distingue le baptême de ses effets : or ses effets sont nuls sans la charité.

L'unité de l'Eglise.

Augustin rappelle toujours l'unité fondamentale de l'Eglise. Divers symboles servent cette proclamation : par exemple la référence à la tunique du Christ (tunique en une seule pièce) :

"Il y avait une tunique. Voyons comment elle était : tissée depuis le haut. Que signifie cette tunique tissée depuis le haut, sinon la charité ? Que signifie cette tunique tissée depuis le haut, sinon l'Unité ? Considère cette tunique que les bourreaux du Christ eux-mêmes n'ont pas partagée. Il est écrit en effet : Ils se disent entre eux : Ne la partageons pas, mais tirons-la au sort [Jn 19, 23-24]. Voilà bien ce que vous avez entendu dans le Psaume. Les bourreaux n'ont pas déchiré le vêtement, des chrétiens divisent l'Eglise." (Hom. sur l'Ev. de Jean, Tr. XIII, 13) [cf. les Donatistes].

Cette idée est d'ailleurs fortement reprise dans l'Enn. In Ps. 21, 2e discours, 19 :

"Ils se sont partagés mes vêtements. Ses vêtements, ce sont ses sacrements. Ses vêtements, ses sacrements ont pu être divisés par les hérésies, mais il y avait là un vêtement que personne n'a divisé. Et ils ont tiré mon vêtement au sort (Ps., 21, 19). Il y avait là, dit l'Evangéliste, une tunique tissée depuis le haut. Par conséquent du ciel, par conséquent du Père, par conséquent du Saint-Esprit. Quelle est cette tunique sinon la charité, que personne ne peut diviser ? Quelle est cette tunique sinon l'Unité ? On la tire au sort, personne ne la divise. Les hérétiques ont pu se diviser les sacrements, ils n'ont pas divisé la charité. Et parce qu'ils n'ont pas pu la diviser, ils se sont éloignés, mais elle-même demeure absolument intacte. Par le sort elle est octroyée à certains : celui qui la possède est en sécurité ; personne ne le pousse hors de l'Eglise catholique et, s'il commence à la posséder au dehors, il est introduit en elle, comme le rameau d'olivier par la colombe."

L'Eglise est bâtie sur la pierre.

Au Tr. VII, Augustin nous précise que dans le nom de Pierre donné par Jésus, le nom de l'Eglise est figuré.

"S'il écoute et met en pratique, il bâtit sur la pierre ; s'il écoute et ne met pas en pratique, il bâtit sur le sable." (Tr. VII, 14, p. 439)

puis :

"Il y a deux sortes de bâtisseurs, ceux qui bâtissent sur la pierre et ceux qui bâtissent sur le sable. Que dire dès lors de ceux qui n'écoutent pas ? Sont-ils en sécurité ? Le Seigneur les déclare-t-il en sécurité parce qu'ils ne bâtissent rien ? Ils sont nus sous la pluie, en face des vents et des torrents : quand ceux-ci se déchaînent, ils les emportent avant de renverser les maisons. Il n'y a donc de sécurité qu'à bâtir, et à bâtir sur la pierre. Si tu veux écouter sans mettre en pratique, tu bâtis sans doute, mais tu bâtis une ruine et, quand la tentation vient, elle renverse la maison et elle t'emporte avec ta ruine. Mais si tu n'écoutes pas, tu restes sans abri et c'est toi-même qui seras emporté par ces tentations. Ecoute donc et mets en pratique : c'est l'unique remède. Combien peut-être aujourd'hui, parce qu'ils ont écouté sans mettre en pratique, ont été emportés par le torrent de cette fête ? Ils écoutaient en effet et ne mettaient pas en pratique, cette fête annuelle est arrivée comme un fleuve, le torrent a débordé, il passera et se desséchera, mais malheur à celui qu'il aura emporté ! Que votre Charité le sache donc, à moins d'écouter et de mettre en pratique on ne bâtit pas sur la pierre et on ne relève pas de ce nom si grand, que le Seigneur a ainsi recommandé ! "

Et Augustin dit à propos de Pierre :

"Le Seigneur a donc voulu qu'il porte d'abord un autre nom, afin que le changement même de son nom fasse mieux ressortir la force du mystère."

En outre, le Christ a bâti l'Eglise sur la pierre et non sur l'injustice ; il a donné le pouvoir de baptiser aux évêques et non aux injustes (cf. en particulier, ce sont encore les donatistes qu'Augustin vise ici !). La pierre qui porte l'Eglise est la foi en la divinité du Christ, telle qu'elle a été confessée par Pierre.

L'Eglise et les pêches miraculeuses.

      

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