Chapitre 9e : Le baptême et l'eucharistie (fin)
La différence entre les catéchumènes et les fidèles (à propos de l'Aveugle-Né)
De fait le baptême fait le partage parmi les chrétiens, entre les catéchumènes et les fidèles
et Augustin reviendra sur cette question au Tr 44, 2, à propos de l'Aveugle-né. Si les "catéchumènes"
sont de petits enfants encore "inconscients" il faut rappeler que dès qu'ils reçoivent
le baptême celui-ci inscrit en eux des virtualités qui s'épanouiront normalement avec l'éveil
de l'intelligence et de leur volonté : point essentiel pour affirmer l'efficacité du baptême.
A propos de l'Aveugle-Né Augustin reprend ce qu'il disait déjà à propos de Nicodème :
le catéchumène croit dans le Christ, mais le Christ ne se confie pas à lui de la même manière
qu'il se révèle et se confie à ceux qui acceptent de recevoir de Lui les sacrements de
l'initiation chrétienne.
Augustin souligne le symbolisme du Christ qui donne la vue, qui illumine (cf. sacrement de
l'illumination) celui qui est aveugle. C'est aussi une invitation aux catéchumènes à ne pas
retarder indéfiniment leur baptême : "…qu'ils se hâtent vers le baptême s'ils cherchent la
lumière" (Tr 44, 2).
Augustin va faire des développements à propos de tous les symboles ayant une signification autour
du baptême : principalement la nuit, la lumière, le jour… boire (à la nuit des impies,
Augustin oppose le Seigneur qui est la lumière venue en ce monde, invite le croyant à travailler
pour les œuvres de lumière - pour la charité, à boire à la source de la lumière…) :
"Ce jour qui s'accomplit par la course du soleil n'a que quelques heures ;
le jour de la présence du Christ s'étend jusqu'à la consommation des siècles." (Tr 44, 6, p. 23)
Le catéchumène (comparé à l'Aveugle-Né) se trompe sur Dieu. Il dit de Jésus : "C'est un
prophète" et non pas encore "c'est le Fils de Dieu". Augustin relève aussi dans les propos
de l'Aveugle-Né "Dieu n'écoute pas les pécheurs", et il commente ce qu'il considère comme une
"limitation" dans la réponse de l'Aveugle, encore aveugle, c'est-à-dire la réponse de celui
qui n'est pas encore "baptisé", parvenu à la lumière. S'il y a limitation dans la réponse
de l'Aveugle c'est parce que Dieu, nous le savons, exauce aussi les pécheurs (cf. la prière
du publicain).
Alors que les pharisiens chassent l'Aveugle, le Seigneur l'accueille et "lave le visage de
son cœur". Augustin dépeint les "effets" du baptême :
"De fait, le visage de son cœur lavé, sa conscience purifiée,
reconnaissant maintenant qu'il était non pas seulement le Fils de l'homme, comme il l'avait cru
auparavant, mais le Fils de Dieu qui avait pris une chair, il dit : je crois, Seigneur.
C'est peu qu'il dise : Je crois, veux-tu savoir quel est celui en qui il croit ?
Se prosternant, il l'adora. [Jn 9, 38]" (Tr 44, 15, p. 39).
Le baptême et le lavement des pieds
Augustin donne un enseignement sur le baptême également à propos du Lavement des pieds :
A partir de "Jésus lui dit [à Pierre] : celui qui est baigné a besoin seulement de se laver les
pieds, il est pur tout entier." [Jn 13, 10], Augustin commente :
"Mais qu'est-ce que cela signifie ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Quelle
nécessité y a-t-il de le chercher ? Le Seigneur dit, la Vérité enseigne que même celui qui est
baigné a besoin de se laver les pieds. Que pensez-vous, mes frères, que pensez-vous sinon que,
dans le saint baptême, l'homme est sans doute lavé tout entier, sans excepter les pieds,
absolument tout entier, mais que cependant, lorsque l'on vit ensuite au milieu des choses
humaines, on foule évidemment de la terre ? Les dispositions de l'âme humaine sans lesquelles
on ne vit pas dans cette mortalité sont comme les pieds où nous sommes affectés en raison des
choses humaines, et nous sommes affectés de telle sorte que, si nous disons que nous n'avons
pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est pas en nous. [I Jn 1, 8]
Chaque jour donc, celui qui intercède pour nous nous lave les pieds et, chaque
jour, dans la prière même du Seigneur, nous confessons que nous avons besoin de laver nos
pieds, c'est-à-dire de redresser le chemin de notre marche spirituelle […] C'est pourquoi
l'Eglise que le Christ purifie par un bain d'eau dans la parole est sans tache ni
ride [Eph. 5, 26-27] non seulement en ceux qui, aussitôt après le bain de la
régénération, sont enlevés aux contaminations de cette vie et ne foulent pas la terre de façon
à avoir besoin de se laver les pieds, mais également en ceux à qui le Seigneur a accordé cette
miséricorde de sortir de ce siècle en ayant aussi les pieds lavés. Cependant, même si elle est
pure en ceux qui demeurent ici parce qu'ils vivent justement, ils ont besoin néanmoins de laver
leurs pieds puisqu'il ne sont pas évidemment sans péché." (Tr LVI, 4-5, pp. 81-83)
De quelle manière l'Eglise peut-elle craindre de se salir les pieds "alors qu'elle est en
marche vers le Christ et qu'elle les avait lavés par le baptême du Christ ?"
(Tr LVII, 1, p. 89) : L'Eglise dit comme la bien-aimée du Cantique : "J'ai lavé mes pieds,
comment les salirai-je ?" [Cant. 5, 3] :
"Elle dit cela en ceux qui, purifiés de toute souillure, peuvent dire :
J'ai le désir de mourir et d'être avec le Christ, mais demeurer dans la chair est plus
nécessaire à cause de vous [Ph. 1, 23-24]. Elle dit cela en ceux qui prêchent le Christ
et qui lui ouvrent la porte pour qu'il habite par la foi dans les cœurs des
hommes [Eph. 3, 17]. Elle dit cela en eux quand ils se demandent s'ils se chargeront
d'un ministère tel qu'ils se croient incapables de le remplir sans faute, craignant qu'en
prêchant aux autres ils ne deviennent eux-mêmes rejetés [I Co 9, 27]. On est en effet
plus en sûreté en écoutant la vérité qu'en la prêchant, parce que l'humilité est gardée quand
on l'écoute, mais que quand on la prêche, il est difficile que ne se glisse pas en tout homme
quelque petite vanité dans laquelle évidemment les pieds se salissent." (Tr LVII, 2, p. 91-93).
Mais d'autres tentations, perpétuelles et inévitables guettent tous les croyants. Et Augustin
prie :
"Lave nos pieds [Seigneur] qui ont été purifiés auparavant, mais qui se
sont salis quand nous allons à travers la porte pour t'ouvrir.
Que ces paroles vous suffisent aujourd'hui, très chers. Si nous avons trébuché en disant
peut-être quelque chose autrement qu'il n'aurait fallu ou si nous avons été exaltés par vos
louanges plus immodérément qu'il n'aurait fallu, obtenez-nous la purification de nos pieds
par vos prières qui plaisent à Dieu." (Tr LVII, 6, p. 101)
Nécessité du baptême et de l'eucharistie pour la vie éternelle.
Augustin soutient avec vigueur la nécessité du baptême en raison de Jn 3 : "Nul, s'il ne
renaît de l'eau et de l'Esprit, ne verra le Royaume de Dieu". Il récuse avec vigueur
l'interprétation de Jn 14,2 "Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures", qui
verrait dans ces demeures multiples le moyen de se passer du baptême et d'être malgré tout
sauvé :
"C'est pourquoi un cœur chrétien doit rejeter ceux qui pensent qu'il a
été parlé de demeures nombreuses parce que, en dehors du Royaume des cieux, il y aura quelque
endroit où demeureront les bienheureux innocents qui sont sortis de cette vie sans avoir reçu
le baptême… […] Allez-vous donc oser séparer du Royaume des cieux, non pas la maison de
n'importe quel frère baptisé, mais la maison de Dieu le Père lui-même à qui nous disons tous,
nous qui sommes frères : Notre Père qui es dans les cieux ou allez-vous oser
la diviser de telle sorte que certaines de ses demeures se trouvent dans le Royaume des cieux
et certaines en dehors du Royaume des cieux ? Loin de nous, loin de nous l'idée que ceux qui
veulent habiter dans le Royaume des cieux veuillent habiter avec vous dans cette sottise !
Loin de nous, dis-je, l'idée que, alors que toute la maison des enfants du Royaume ne se
trouve pas ailleurs que dans le Royaume, une partie quelconque de la maison royale elle-même
ne se trouve pas dans le Royaume !" (Tr LXVII, 3, pp. 225-227).
Il en est de même pour l'eucharistie : Augustin entend au sens absolu l'affirmation de Jésus
(Jn 6, 53) : "Celui qui ne mange pas la chair [du Fils de l'Homme] et qui ne boit pas son sang
n'a pas la vie en lui, la vie éternelle." :
"Le sacrement de cette réalité qu'est l'unité du corps et du sang du
Christ se trouve préparé sur la table du Seigneur et est pris à la table du Seigneur, en
certains lieux, chaque jour et, en d'autres à certains intervalles de temps [voir ci-dessous] ;
il mène certains à la vie et certains à la mort, mais la réalité même à quoi se réfère ce
sacrement mène tout homme à la vie et ne mène personne à la mort, quels que soient ceux qui y
participent.
Et de peur qu'on ne s'imagine que la vie éternelle est promise dans cette nourriture et cette
boisson de telle sorte que ceux qui les prendraient ne mourraient plus corporellement, le
Seigneur a daigné prévenir cette opinion, car, après avoir dit : Celui qui mange ma chair
et qui boit mon sang a la vie éternelle, il a ajouté aussitôt : Et moi, je le
ressusciterai au dernier jour [Jn 6, 54], de telle sorte que dans l'intervalle, il
possède selon l'esprit la vie éternelle dans ce repos qui reçoit les esprits des saints ;
quant à son corps, sa chair ne sera pas, elle non plus, privée de la vie éternelle, mais elle
la possèdera à la résurrection des morts, au dernier jour.
Car, dit-il, ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment
une boisson. [Jn 6, 55] En effet, puisque les hommes attendent de la nourriture et de
la boisson de n'avoir plus faim et de n'avoir plus soif, ce résultat n'est produit
véritablement que par cette nourriture et cette boisson qui rendront immortels et incorruptibles
ceux qui les prennent, c'est-à-dire par cette société même des saints où règneront la paix et
l'unité totale et parfaite. C'est pourquoi, comme des hommes de Dieu l'ont déjà compris avant
nous, notre Seigneur Jésus Christ a présenté son corps et son sang sous des réalités dont
l'unité provient d'éléments multiples, car il faut de multiples grains pour qu'il soit fait
un seul pain, il faut de multiples grappes pour que coule un seul vin." (Tr XXVI, 15-16, pp. 523-525)
Le symbolisme du pain et du vin
Augustin insiste dans les Tractatus sur le fait que le pain et le vin sont avant tout signes
de l'unité : éléments multiples (grains, grappes) unis pour former un seul pain, un seul vin…
Cette idée était déjà présente dans la Didachè, mais aussi chez Cyprien :
"Que les âmes chrétiennes soient unies entre elles par le lien ferme et
indissoluble de la charité, c'est ce que montrent les sacrifices mêmes du Seigneur. En effet,
quand le Seigneur appelle son corps le pain fait de la réunion d'un grand nombre de grains,
il marque l'unité de notre peuple qu'il figurait. Et quand il appelle son sang le vin exprimé
d'un grand nombre de grappes et de grains et formant une liqueur unique, il marque que notre
troupeau est fait d'une multitude ramenée à l'unité." (Epist. 69, 5, 2) [Citée vol. 72,
note 64, p. 822]
Manger et boire, c'est demeurer dans le Christ et vivre pour le Christ :
"Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi et je
demeure en lui [Jn 6, 56]. Manger cette nourriture et boire cette boisson, c'est donc demeurer
dans le Christ et avoir le Christ demeurant en soi. Il est par conséquent hors de doute que
celui qui ne demeure pas dans le Christ et en qui le Christ ne demeure pas ne mange pas sa
chair et ne boit pas song sang, alors même qu'il mange et boit pour sa
condamnation [I Co 11, 29] le sacrement d'une si grande réalité.
[…] Nous vivons [aussi] pour lui en le mangeant, c'est-à-dire en le recevant, lui qui est la
Vie éternelle, cette Vie que nous n'avions pas de par nous-mêmes…" (Tr, XXVI, 18-19, pp. 527-529)
Insistant sur la valeur symbolique du pain et du vin, Augustin insiste pour que l'on ne
confonde pas l'eucharistie avec un repas d'anthropophages et rappelle les tendances déjà à
l'époque du Christ (scandale suscité par les paroles de Jésus devant des gens qui ne songent
qu'à la chair dans sa réalité matérielle). L'argumentation d'Augustin repose sur :
- il ne faut pas "juger selon la chair" (Rm 8,6) : fausse interprétation du mot chair
(pas corps coupé en morceaux !)
- le Christ a bien annoncé qu'il remonterait auprès du Père avec son corps d'homme et non pas
privé de son corps : c'est d'ailleurs le gage que nous serons sauvés avec notre corps.
- Rappel : c'est l'Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien (Jn 6, 63) : rôle de l'Esprit
qui fait du corps du Christ qui est l'Eglise (les hommes vivifiés par la communion
eucharistique) un corps vivant.
"La charité de Dieu […] a été répandue dans nos cœurs par
l'Esprit-Saint qui nous a été donné [Ro 5, 5] C'est donc l'Esprit qui
vivifie [Jn 6, 63], car c'est l'Esprit qui rend les membres vivants et l'Esprit ne rend
vivants que les membres qu'il trouve dans le Corps que lui-même anime. En effet, l'esprit qui
se trouve en toi, ô homme, et qui fait de toi un homme communique-t-il la vie à un membre qui
se trouve séparé de ta chair ? En parlant de ton esprit, je veux parler de ton âme. Ton âme
ne communique la vie qu'aux membres qui sont dans ta chair ; arraches-en un, il ne reçoit plus
la vie qui vient de ton âme parce qu'il n'est plus lié à l'unité de ton corps. Ces paroles ont
pour but de nous faire aimer l'Unité et craindre la séparation. Ce que le chrétien doit en
effet redouter plus que tout, c'est d'être séparé du Corps du Christ, car s'il est séparé du
Corps du Christ, il n'est plus membre du Christ et, s'il n'est plus membre du Christ, il n'est
plus animé par son Esprit. Quiconque, dit l'Apôtre, n'a pas l'Esprit du
Christ n'appartient pas au Christ [Rm 8, 9]." (Tr. XXVII, 6, pp. 545-547)
A propos des rites (du baptême et de l'eucharistie)
Peu de chose dans les Tractatus. On notera toutefois qu'il ne faut pas prendre au pied de
la lettre les "symbolismes" développés quand Augustin dit que l'Aveugle a été oint par le
Christ qui met de la boue sur ses yeux ; ils ne renvoient pas à un "onction" des catéchumènes.
On sait que le rite d'entrée en Eglise au temps d'Augustin comportait la signation et le rite
du sel (cf. De catechizandis rudibus, 26, 50, par ex.)
A propos de la célébration eucharistique au temps d'Augustin, nous apprenons la variété des
pratiques :
"Les uns communient chaque jour au corps et au sang du Seigneur, d'autres
les reçoivent à certains jours ; en quelques lieux, il ne se passe pas de jour sans que soit
offert le sacrifice eucharistique, en quelques autres il est offert seulement le samedi et
le dimanche, en d'autres seulement le dimanche." (Epist. 54, 2, 2)
En conclusion, on pourra rappeler quelques points essentiels concernant les sacrements, qui se
dégagent déjà à la lecture des Homélies sur l'Evangile de Jean ; pour aller plus avant
sur le baptême et l'eucharistie, il faudrait lire quelques-uns des grands textes plus "spécialisés"
d'Augustin (Sur le Baptême, De Catechizandis rudibus...), mais les
Tractatus sont déjà une source importante en insistant sur :
- La sainteté des sacrements : ils viennent du Christ lui-même qui nous les donne)
- La nécessité des sacrements qui seuls nous donnent la vie (l'Esprit de Dieu) et donc
la vie éternelle
- Les sacrements comme marque de l'unité de l'Eglise : l'unité du Corps du Christ dont
nous sommes partie.
.
On retiendra, enfin, que ces points ont été dégagés à partir des commentaires faits par
Augustin sur les quatre grands passages de Jean suivants :
- Nicodème (Jn 3).
- L'Aveugle-né (Jn 9).
- Le lavement des pieds (Jn 13)
- Le pain de vie (Jn 6).
Ce site a été réalisé et est remis à jour par Marie-Christine Hazaël-Massieux.