Conseils de St Augustin à Deogratias,
diacre chargé de l'accueil et de la première instruction des adultes :
La catéchèse des débutants (1)

Introduction

1. Tu m'as prié, cher frère Deogratias, d'écrire quelque chose d'utile sur la manière de présenter la doctrine chrétienne à des débutants. Tu me dis que souvent à Carthage, où tu es diacre, on te confie des personnes auxquelles tu dois enseigner les premiers principes de la foi chrétienne, parce que l'on connaît le talent, la facilité et le charme de ta parole pour apprendre aux autres tout ce qui concerne la foi. Mais tu es presque toujours embarrassé de savoir comment t'y prendre, pour enseigner ce qu'il faut croire afin d'être chrétien ; par où il faut commencer le récit et jusqu'à quel point il faut aller. Doit-on terminer son discours par quelque exhortation, ou bien faut-il se contenter d'exposer à celui à qui l'on parler les préceptes qu'il doit observer pour mener et professer la vie chrétienne ?

Tu avoues et tu te plains que souvent il t'est arrivé de trouver ton langage diffus et monotone pour toi-même et, par conséquent, ennuyeux pour celui que tu veux instruire et pour ceux qui t'écoutent. C'est là, me dis-tu, ce qui t'a forcé de recourir à moi, afin que la charité que je te dois, m'engageât à dérober du temps à mes occupations pour te faire réponse. 2. Ce n'est pas l'affectueuse charité seulement que je te dois, mais celle que réclame de moi la sainte Eglise, notre mère commune, qui m'oblige à prêter, avec l'aide de Dieu, mon concours à ceux que le Seigneur m'a donnés pour frères, à les aider en toute occasion, et même à aller au-devant de leurs désirs avec autant de promptitude que de dévouement. Plus je désire, en effet, voir se répandre les trésors du Seigneur, plus aussi j'en vois les intendants mes compagnons de service embarrassés dans l'accomplissement de cette ^tache : je dois faire tous mes efforts pour leur faciliter d'exécuter avec aisance ce qu'ils ont courageusement assumé.

3. Pour ce qui te concerne personnellement, ne sois pas en peine, si quelquefois ton langage te paraît trop plat et même ennuyeux, car il peut se faire qu'il n'en soit pas de même pour celui que tu instruis : mais comme tu désires faire entendre quelque chose de mieux, tu crois aussi que ta parole ne paraît pas assez digne à ceux qui t'écoutent.

Moi-même, je suis presque toujours insatisfait de ce que je dis : je voudrais quelque chose de mieux, que je savoure intérieurement avant de l'exprimer par la parole, et quand je reconnais que mon langage n'est pas à la hauteur de ma pensée, je m'attriste de ce que ma langue ne se montre pas à la mesure de mon coeur. Je désirerais que tout ce que j'ai dans l'esprit passât dans celui de mon auditeur, et je sens que ma parole n'y parvient pas. Cela vient surtout de ce que nos pensées se forment dans notre intelligence avec la rapidité de l'éclair, alors que lente et longue en est l'élocution, souvent même fort différente ; et pendant que l'expression de la pensée se déroule peu à peu par les mots, l'éclair qui traversait notre intelligence s'est déjà affaibli et a disparu. Mais comme la mémoire en a gardé des traces, qui s'y impriment merveilleusement au moyen de syllabes et de mots, ce sont ces traces que nous exprimons par la parole, ou en grec, ou en latin, ou en hébreu, ou en toute autre langue, soit qu'elles se présentent seulement à notre pensée, soit que nous les rendions sensibles par la voix. Cependant ces traces ne sont ni latines, ni grecques, ni hébraïques, ni particulières à aucune autre nation ; mais elles se forment dans l'esprit, comme les mouvements de l'âme se manifestent sur le visage.

[...]

L'histoire

5. Le récit [de l'histoire du salut] est complet lorsque la catéchèse remonte au premier verset de la Genèse : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre" (Gn 1, 1), et s'achève par les temps présents de l'Eglise. On ne doit pas pour cela réciter tout le Pentateuque, tous les livres des Juges, des Rois, d'Esdras, tout l'Evangile et les Actes des Apôtres, quand bien même nous les saurions par coeur, ni leur développer et leur expliquer, même sans citer le texte, tout ce qui est contenu dans ces livres. Le temps n'y suffirait pas, et il n'y a d'ailleurs aucune nécessité en cela.

Il faut simplement donner une vue d'ensemble à la fois générale et sommaire de tous ces faits ; choisir ceux qui sont les plus merveilleux, et qu'on écoute avec le plus de plaisir, ceux qui marquent les articulations de l'histoire. Il ne suffit pas de les montrer comme des rouleaux dans leur étui, et de les faire passer rapidement sous les yeux des auditeurs. Il faut prendre le temps de les étaler, de les dérouler, de les offrir au regard et à l'admiration des auditeurs. Les autres faits sont à insérer dans la trame du récit par une simple évocation. Par là nous ferons ressortir ce que nous voulons mettre en relief, laissant le reste à l'arrière-plan. Nous arriverons ainsi à dégager l'essentiel sans fatigue, ni surcharge pour la mémoire de ceux que nous voulons instruire.

6. Dans toutes les instructions, nous ne devons pas seulement avoir en vue "la fin du précepte, qui est la charité, partant d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère" (1 Tm 1, 5), il faut encore toucher le coeur et diriger vers ce but les regards et les aspirations de ceux que nous voulons instruire par nos paroles. Tout ce qui a été écrit dans les saintes Ecritures avant l'avènement du Seigneur, ne l'a été que pour signaler cet avènement et annoncer la future Eglise, qui est son corps, c'est-à-dire le peuple de Dieu répandu sur toute la terre, en y comprenant tous les saints qui ont vécu avant la venue du Christ, et qui ont cru qu'il viendrait, comme nous croyons maintenant qu'il y est venu.

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7. Quelle a été la raison ultime de Dieu en nous envoyant son Fils, sinon de nous faire comprendre toute l'étendue de son amour envers nous ? Il nous en a donné la preuve la plus certaine, puisque "c'est dans le temps où nous étisons sans force que le Christ est mort pour des impies" (Rm 5, 6). Dieu a voulu nous montrer par là "que la charité est la fin du précepte, et l'accomplissement de la loi" (1 Tm 1, 5 ; Rm 13, 10) c'est-à-dire que nous devons nous aimer mutuellement, et qu'à l'exemple de "celui qui a donné sa vie pour nous, nous devons aussi donner la nôtre pour nos frères " (1 Jn 3, 16) afin que si nous avons négligé d'aimer Dieu auparavant, nous l'aimions désormais de tout notre coeur, "lui qui nous a aimés le premier" (1 Jn 4, 10), "lui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais l'a livré à la mort pour nous" (Rm 8, 32). Pouvait-il nous inviter à l'aimer plus ardemment, autrement qu'en prenant les devants, en aimant. Trop dur serait le coeur qui, sans avoir rien donné, ne rendrait pas désormais à Dieu amour pour amour.

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A la vérité, il arrive rarement, ou plutôt jamais, que certains veuillent se faire chrétiens, sans y être poussés par la crainte de Dieu. Car si c'était dans l'espoir de quelque avantage de la part des hommes, auxquels ils ne trouveraient pas d'autres moyens de plaire, ou pour échapper à la méchanceté de ceux qu'ils craignent d'offenser, et dont ils redoutent l'inimitié, qu'ils se feraient chrétiens, ce ne serait pas le devenir mais le feindre. la foi n'est pas dans les courbettes du corps, mais dans le coeur qui croit.

Souvent la miséricorde de Dieu vient à notre secours quand nous catéchisons les autres, afin que, touchés par notre entretien, ils veuillent réellement devenir ce qu'ils avaient décidé de feindre. Ce n'est qu'à l'instant où cette volonté aura commencé à germer en eux, que nous pourrons croire qu'ils viennent sincèrement à nous. Sans doute, nous demeure caché si ceux que nous voyons présents de corps viennent également avec leur esprit. Il nous faut veiller néanmoins à faire naître en eux cette volonté si elle faisait encore défaut. Rien n'est donc perdu : s'ils l'ont, nous l'affermissons, mais l'heure ou le moment où cette volonté prend naissance nous demeurent inconnus.

Tâchons toutefois de savoir, s'il est possible, par ceux qui les connaissent, quelles sont leurs dispositions, et quels motifs les ont poussés à embrasser notre religion. Si ces renseignements nous manquaient, il faudrait les interroger personnellement afin de trouver par leur réponse le point d'ancrage de notre enseignement.

Si c'est un simulateur qui vient à nous, dans l'espoir d'avantages humains ou pour éviter des désagréments, il mentira sans doute. Que ce mensonge te serve d'entrée en matière pour commencer l'instruction, sans chercher à le confondre, comme si tu étais certain qu'il dit la vérité. Que le motif qu'il met en avant soit vrai ou faux, peu importe, faisons en sorte par nos louanges et notre approbation qu'il trouve du plaisir à devenir tel qu'il a envie de paraître. Si ses paroles ne sont pas celles d'un homme qui désire sincèrement embrasser la foi, il faut le reprendre avec douceur, comme s'il n'était qu'ignorant, et lui faire découvrir le sens véritable de la foi chrétienne, le lui démontrer fortement, en peu de mots, sans paroles inutiles, sans prendre le temps qu'exige le récit qui doit suivre pour ne pas le livrer à un esprit mal disposé. Fais-lui vouloir ce que, par ignorance ou par dissimulation, il ne voulait pas encore.

10. Si celui que nous interrogeons nous répond que c'est un effroi ou un avertissement du ciel qui l'a porté à se faire chrétien, il nous offre ainsi un moyen facile d'entrer en matière en lui faisant voir combien grand est l'amour de Dieu pour nous. De ces faits miraculeux, de ces songes, il faut ramener son esprit sur le terrain plus solide des Ecritures et à leurs oracles fermes, afin qu'il reconnaisse toute la grandeur de la miséricorde de Dieu qui, par ces avertissements, l'a appelé à lui, avant même qu'il s'attachât à ces Ecritures sacrées.

Il faut surtout lui démontrer que le Seigneur ne l'aurait point poussé par ces avertissements à entrer dans l'Eglise s'il n'avait pas voulu, par de telles révélations, lui ouvrir et lui préparer la voie plus sûre des saintes Ecritures, afin qu'il ne cherchât plus des miracles visibles, mais qu'il s'accoutumât à espérer les choses invisibles et spirituelles, où il recevrait des avertissements non plus en rêve, mais en l'état de veille.

[...]

Créer la joie

14. Peut-être désires-tu que je te donne maintenant un modèle de discours pour mettre en pratique les règles que j'ai établies précédemment. Je le ferai du mieux que je peux avec l'aide de Dieu.

Mais auparavant, je dois te parler, comme je te l'ai promis, de la façon de susciter une atmosphère de joie. Sur les règles à respecter dans l'entretien catéchétique avec celui qui se présente pour se faire chrétien, je crois m'être suffisamment expliqué, comme je l'avais promis. Je me suis appliqué, bien sûr, à faire moi-même dans ce livre ce que tu me demandais de faire. Je le fais donc par surcroît. Mais comment payer un surcroît sans avoir d'abord versé l'intégralité de la dette ?

Augustin va examiner successivement six causes de découragement pour le catéchiste : (pp. 49-61)

Augustin va ensuite donner deux modèles d'instruction.


Note (1) : Ces extraits sont tirés de l'ouvrage qu'il faut recommander à tous ceux qui commencent à accompagner des catéchumènes, pour leur montrer comment se déroulait le catéchuménat à l'époque des premiers chrétiens : Le catéchuménat des premiers chrétiens, "Les pères dans la foi", Migne, diffusion Brépols, pp. 29 sq. [De fait, en ce qui concerne ces modèles d'instruction de St Augustin, ils proviennent du texte La catéchèse des débutants (ou Catechizandis rudibus, en latin)].

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