Dom André Louf

S'abandonner à l'amour, Méditations à Sainte-Lioba, extrait

"La douce onction de l'Esprit"

"Personne ne peut dire : Jésus est le Seigneur, sinon dans l'Esprit Saint. Petite phrase, mais qui contient l'affirmation centrale de notre foi, équivalente à "Jésus est vraiment ressuscité" ou "Jésus est le Fils de Dieu." Ou plus simplement : Amen, ou Alléluia. Sans l'Esprit saint, ces phrases n'auraient aucun sens, elles seraient même impossible. Prononcées dans la foi, elles attestent que l'Esprit saint est là, que nous l'avons vraiment reçu.
Depuis la Pentecôte, l'Esprit, ne nous quitte plus, sous mille formes : Paraclet, Consolateur, Intercession, Prière, Impulsion, Animation, Conduite, activité incessante, non seulement dans l'ensemble du corps de l'Eglise, mais en chaque croyant, notre interlocuteur privilégié, à chaque instant, inlassablement.
Même si nous ne le ressentons guère, si nous l'invoquons peu, ou tout simplement si nous sommes habitués à le traier par prétérition, risquant même, comme saint Paul nous le reprochera, de le contrister parfois ou de l'éteindre. Alors que tout l'art, si l'on peut dire, de la vie chrétienne consiste précisément à devenir de plus en plus sensibles à sa présence et à son action, discrètes et secrètes, en nous, à sa douce onction, comme saint Jean l'appelle, mélange à la foi d'instigation et de consolation, qui nous oriente constamment vers Jésus.
Reconnaître cette action est un art délicat. Le Saint-Esprit semble fait pour nous échapper. Il ne souffle pas où nous voudrions. "Il souffle où il veut", fait dire saint Jean à Jésus. Il n'est pas toujours là où nous l'imaginons : "Tu ne sais d'où il vient ni où il va". Il est d'autant plus difficile à percevoir que nous nous laissons aisément accaparer par d'autres esprits, à première vue apparemment aussi bons et même plus rassurants. L'Esprit saint a des concurrents avec lesquels nous sommes souvent plus à l'aise, en toute bonne foi. Si, par exemple, il doit devenir un jour notre Loi unique, au-dedans de nous, il existe encore des lois extérieures, de toutes sortes, qui provisoirement jouent d'ailleurs un rôle non négligeable, mais à condition qu'elles ne nous désapprennent pas à prêter progressivement l'oreille à l'Esprit. La loi extérieure n'est qu'un pédagogue qui devrait baliser notre chemin vers la Loi du Christ, celle de la liberté à laquelle nous sommes appelés.
Non pas que l'Esprit saint vienne abolir la loi, ou nous dispenser d'elle, mais il veut nous conduire bien au-delà de tout ce qu'une loi humaine, même une loi d'Eglise, pourrait nous demander : l'Esprit est à la fois exigence infinie et liberté infinie, et il ne connaît de limites que les miracles imprévisibles et proprement inimaginables de la miséricorde de Dieu.
[...] L'Esprit saint ne brise pas nos résistances, il les dissout doucement. Il est irrésistible, non par la force, mais par son extrême douceur, et par son humilité surtout. Car il est doux et humble, comme Jésus, douceur infinie, humilité incroyable. Il s'efface à la moindre résistance de notre part, mais tout aussi vite lorsque nous prétendons le devancer pour nous montrer plus généreux que lui. Il se retire alors, mais pour nous récupérer au premier faux pas, qui suivra alors immanquablement. Le Saint-Esprit ne manque pas d'humour..."

"La douce onction de l'Esprit" (Homélie pour la Pentecôte, Année A) : extrait de Méditations à Sainte-Lioba, Salvator, pp. pp. 131-133).

Dom André Louf (1929-2010) a été Abbé de la trappe du Mont des Cats pendant trente-cinq ans. Ses écrits sont devenus des classiques de la vie intérieure, et l'ont fait connaître comme l'un des maîtres spirituels du christianisme contemporain. En 1998, il s'établit à Sainte-Lioba (Monastère à Simiane, près d'Aix-en-Provence et de Marseille) pour vivre enfin dans la solitude et le silence d'un ermitage, l'attente de toute sa vie : un face-à-face dans l'intimité avec Dieu.

Dans cet ouvrage préparé par Charles Wright, sont livrés, pour la méditation de tous, les sermons de l'année A, recueillis quand il prêchait parfois le dimanche parmi les moines et moniales du Monastère. Espérons que d'autres ouvrages paraîtront (avec les sermons de l'année B, de l'année C ?) ; en attendant, ces pages exceptionnelles, récemment parues, jusqu'à maintenant inédites, nous sont précieusement offertes dans un ouvrage qui tout entier mérite d'être pris comme nourriture spirituelle majeure.