L'aujourd'hui de Dieu
Carême 2021

Aujourd'hui, la gloire de Dieu...

(Jour de Pâques)

Jour de Pâques, jour de lumière, jour de gloire... Mais qu'est-ce exactement que la gloire de Dieu ? Bien sûr, dans l'usage religieux du mot, il ne s'agit pas de parler de la "renommée" de Dieu, comme on parlerait de la gloire d'un homme célèbre, d'un artiste, etc. mais d'évoquer la splendeur de Dieu, de son rayonnement lumineux... ce dont la Bible nous donne tant d'exemples : C'est cette gloire de Dieu, qui se reflétait tellement sur le visage de Moïse quand il avait rencontré Dieu au Sinaï, qu'il lui fallait se voiler, dissimuler son visage car sa vue, à lui Moïse, était insoutenable pour le peuple des Hébreux.

Dans les évangiles, on a aussi le récit de la transfiguration de Jésus : il apparaît aux trois disciples qui l'ont accompagné, Pierre, Jacques et Jean, revêtu d'une telle "gloire", que ses vêtements devinrent d'une blancheur fulgurante (Luc, 9, 29), "d'une telle blancheur qu'aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte..." (Marc 9, 3) et son visage devint autre, "resplendissant comme le soleil" (Matthieu 17, 2)... Luc insiste encore précisément : "ils virent sa gloire" (Lc 9, 32) : cette gloire accompagnée des paroles du Père : "celui-ci est mon fils bien aimé , écoutez-le".

Cette invitation à l'écouter, lui, la Parole de Dieu, est tout aussi importante que notre éblouissement, notre impossibilité parfois à le regarder, quand il est devenu lumière, soleil levant ! Quand nos yeux ne peuvent plus voir, qu'au moins nos oreilles, celles de notre coeur, puissent entendre ce qu'il a à nous dire... Et que nous révèle-t-il ?

Cette "gloire de Dieu" rayonnante, qui transforme tout, peut aussi être définie autrement : c'est le cas chez Irénée (2e siècle), qui déclare que "la gloire de Dieu c'est l'homme vivant" ! L'homme serait-il donc lié à la gloire de Dieu ? participerait-il à cette gloire par son existence même ?

"Car la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu. Si déjà la révélation de Dieu par la création donne la vie à tous les êtres qui vivent sur la terre, combien davantage la manifestation du Verbe par le Père donne-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu !" (Irénée, Contre les hérésies, IV, 20, 7).

Plus nous acceptons de recevoir cette gloire de Dieu, plus nous comprenons que l'homme, la créature toute spéciale de Dieu, celle à qui il a insufflé la vie, est partie prenante... et c'est bien pour cela que Dieu s'est fait homme (comme nous mais à l'exception du péché), du petit enfant dans la mangeoire, jusqu'au crucifié qui meurt entouré de malfaiteurs ... Dieu s'est fait homme pour que l'homme ne soit pas seulement sauvé par Dieu, mais sauvé par l'homme-Dieu, et qu'ainsi il lui montre le chemin", ce chemin que doit suivre tout homme qui est promis à la divinisation, à devenir Dieu", comme disaient nos Pères de l'Eglise : "Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu"... Le salut de l'homme, son entrée dans la vie éternelle, c'est sa divinisation ; c'est de pouvoir voir Dieu sans mourir, parce qu'alors, il lui est devenu semblable, en le voyant enfin tel qu'il est (cf. I Jn 3,2).

Le pape François dans son homélie des Rameaux, dimanche dernier, évoquait cette gloire si étonnante :

"Et qu’est-ce qui étonne le plus du Seigneur et de sa Pâque ? Le fait qu’il parvient à la gloire par la voie de l’humiliation. Il triomphe en accueillant la souffrance et la mort, que nous, sous l’emprise de l’admiration et du succès, éviterions."

Oui, ne sommes-nous pas étonnés par Dieu ? Est-ce un chemin pour que nous comprenions ce que l'on entend par gloire de Dieu ? ce Dieu qui veut nous devoir sa gloire ! Le Pape François continue :

"Demandons la grâce de l’étonnement. La vie chrétienne, sans étonnement, devient grisâtre. Comment peut-on témoigner la joie d’avoir rencontré Jésus, si nous ne nous laissons pas étonner chaque jour par son amour surprenant qui nous pardonne et nous fait recommencer ? Si la foi perd l’étonnement, elle devient sourde : elle ne sent plus la merveille de la Grâce, elle ne sent plus le goût du Pain de vie et de la Parole, elle ne perçoit plus la beauté des frères et le don de la création. Elle n’a d’autre moyen que de se réfugier dans les légalismes, dans les cléricalismes et dans toutes les choses que Jésus condamne au chapitre 23 de Matthieu.
En cette Semaine sainte, levons les yeux vers la croix pour recevoir la grâce de l’étonnement."

Alors que s'est-il passé en ce matin de Pâques, qui nous permet de nous étonner à nouveau, nous les hommes et les femmes, blasés, découragés ?

Les femmes ont pu manifester leur foi et leur amour : se rendant au tombeau dès l'aurore pour embaumer le corps de celui qui est mort devant leurs yeux... et qu'elles ne retrouvent pas dans la tombe dont la pierre a été roulée... C'est en y retournant pour pleurer que Marie-Madeleine, reçoit vraiment le baptême quand Jésus l'appelle par son nom, et qu'elle le reconnaît... Bien sûr, le baptême, c'est reconnaître le Christ, c'est décider de le suivre, et c'est bien à ce moment qu'on appelle chacun par son nom. Ici Jésus dit : "Marie" ! Et alors qu'elle le prend pour le jardinier, ses yeux, ses oreilles s'ouvrent et elle dit "Rabbouni" c'est-à-dire "Maître" (Jn 20, 11-18). Comme la Samaritaine, au chapitre 4, elle aussi devient apôtre et va annoncer la résurrection aux onze apôtres...

Pierre et Jean, prévenus par les femmes, eux aussi ont couru au tombeau... Jean laisse entrer Pierre, celui que Jésus a choisi pour "paître son troupeau", pour guider son Eglise, mais quand Jean entre à son tour, voyant les linges affaissés, et que le corps n'est plus là, l'évangéliste nous dit très sobrement : "Il vit et il crut" ! (Jn 20, 8).

Cela a suffi à Jean ; puisse cela nous suffire pour connaître la joie en ce matin de Pâques, et pour que Pâques désormais habite les coeurs de tous les disciples du Christ ! Le Seigneur est ressuscité, oui il est vraiment ressuscité, comme il l'a promis ; il est ressuscité pour qu'à notre tour nous entrions dans cette vie éternelle, dans la vie de Dieu...

"Comprenez-le, mes bien aimés : le mystère de la Pâque est ancien et nouveau, provisoire et éternel, corruptible et incorruptible, mortel et immortel.

Il est ancien en raison de la Loi, mais nouveau en raison du Verbe ; provisoire en ce qu'il est figuratif, mais éternel parce qu'il donne la grâce ; corruptible puisqu'on immole une brebis, mais incorruptible parce qu'il contient la vie du Seigneur ; mortel, puisque le Seigneur est enseveli dans la terre, mais immortel par sa résurrection d'entre les morts.

Oui, la Loi est ancienne, mais le Verbe est nouveau ; la figure est provisoire, mais la grâce est éternelle : la brebis est corruptible, mais le Seigneur est incorruptible, lui qui a été immolé comme l'agneau, et qui ressuscita comme Dieu.

Car il a été conduit comme une brebis vers l'abattoir, alors qu'il n'était pas une brebis ; il est comparé à l'agneau muet, alors qu'il n'était pas un agneau. En effet, la figure a passé, et la vérité a été réalisée : Dieu a remplacé l'agneau, un homme a remplacé la brebis, dans cet homme, le Christ, qui contient toute chose.

Ainsi donc, l'immolation de la brebis et le rite de la Pâque et la lettre de la Loi ont abouti au Christ Jésus en vue de qui tout arriva dans la loi ancienne et davantage encore dans l'ordre nouveau.

Car la Loi est devenue le Verbe, et, d'ancienne, elle est devenue nouvelle (l'une et l'autre sorties de Sion et de Jérusalem), le commandement s'est transformé en grâce, la figure en vérité, l'agneau est devenu fils, la brebis est devenue homme et l'homme est devenu Dieu. [...]

Le Seigneur, étant Dieu, revêtit l'homme, souffrit pour celui qui souffrait, fut enchaîné pour celui qui était captif, fut jugé pour le coupable, fut enseveli pour celui qui était enseveli. Il ressuscita des morts et déclara à haute voix : Qui disputera contre moi ? Qu'il se présente en face de moi ! C'est moi qui ai délivré le condamné ; c'est moi qui ai rendu la vie au mort ; c'est moi qui ai ressuscité l'enseveli. Qui ose me contredire ? C'est moi, dit-il, qui suis le Christ, qui ai détruit la mort, qui ai triomphé de l'adversaire, qui ai lié l'ennemi puissant, et qui ai emporté l'homme vers les hauteurs des cieux ; c'est moi, dit-il, qui suis le Christ.

Venez donc, toutes les familles des hommes, pétries de péchés, et recevez le pardon des péchés. Car c'est moi qui suis votre pardon, moi la Pâque du salut, moi l'agneau immolé pour vous, moi votre rançon, moi votre vie, moi votre résurrection, moi votre lumière, moi votre salut, moi votre roi. C'est moi qui vous emmène vers les hauteurs des cieux ; c'est moi qui vous ressusciterai ; c'est moi qui vous ferai voir le Père qui existe de toute éternité ; c'est moi qui vous ressusciterai par ma main puissante."

(Méliton de Sardes (mort avant 190) : Homélie sur la Pâque, 2, 7, 65-71, Sources Chrétiennes n° 123, pp. 60-64, 120-122)

Oraison de Pâques

Aujourd'hui, Dieu notre Père, tu nous ouvres la vie éternelle par la victoire de ton Fils sur la mort, et nous fêtons sa résurrection.
Que ton Esprit fasse de nous des hommes nouveaux pour que nous ressuscitions avec le Christ dans la lumière de la vie.
Lui qui règne avect toi et le Saint Esprit, maintenant et pour les siècles des siècles.

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Aujourd'hui, la prière

(Dimanche des Rameaux)

Ce n'est pas par hasard que nous réservons cette méditation, aujourd'hui, à la prière ! Ne pourrions-nous pas accompagner Jésus dans sa prière, lui que l'on voit si souvent prier son Père, tandis que pour nous la prière semble si difficile dans notre vie. Comme le dit St Paul : "nous ne savons pas prier comme il faut !" (Romains 8, 26) ; mais comme il le précise : "l'Esprit lui-même vient au secours de notre faiblesse" ; et il poursuit : "il intercède pour nous par des gémissements ineffables"...

Oui, c'est l'Esprit qui prie en nous, alors pourquoi nous soucier ? Acceptons simpplement de recevoir de lui tout ce qui nous entraînera à prier avec lui.

Origène (v. 185-254) nous montre dans son admirable commentaire du Cantique des Cantiques, comment la quête du bien-aimé par celle qui l'aime (et qu'il aime) est toujours à recommencer :

"[L'épouse] cherche du regard l'Epoux qui, après s'être montré, a disparu. Cela arrive souvent, dans tout ce Cantique, et peut le comprendre celui qui l'a lui-même éprouvé. Souvent, Dieu m'en est témoin, j'ai senti que l'Epoux s'approchait de moi et qu'il était autant qu'il se peut avec moi. Puis il s'en est allé soudain et je n'ai pu trouver ce que je cherchais. De nouveau, je me prends à désirer sa venue, et parfois il revient. Et lorsqu'il m'est apparu, que je le tiens de mes mains, voici qu'une fois de plus il m'échappe, et, une fois évanoui, je me mets encore à le rechercher. Il fait cela souvent, jusqu'à ce que je le tienne vraiment."
(Origène : Homélies sur le Cantique des Cantiques, Homélie I, 7).

L'important n'est-il pas de chercher Dieu ? Il va, vient, comme nous le faisons avec lui, et nous nous croyons même parfois abandnnés ! L'expérience de la rencontre inachevée est plus fréquente que la rencontre totale, ce qui nous donne soif pour continuer... N'est-ce pas là attention de Dieu à notre faiblesse, à notre petitesse...? Il se fait comme nous, pour que nous soyons comme lui...

Confidence de St Bernard :

"Je vais me livrer pour vous être utile et, si cela contribue à votre progrès, je me consolerai de ma folie ; sinon, je la reconnaîtrai. J'avoue que le Verbe m'a visité - je parle en fou (2 Co 11, 17) -, et cela plusieurs fois. Bien qu'il soit souvent entré en moi, jamais je ne l'ai senti entrer. J'ai senti qu'il était là, je me souviens de sa présence. Parfois, j'ai même pu pressentir son entrée ; la sentir, jamais, pas plus que sa sortie.
D'où est-il venu dans mon âme, où est-il allé en la quittant, par où est-il entré et sorti - j'avoue que maintenant encore je l'ignore, selon cette parole : Tu ne sais ni d'où il vient ni où il va (Jn 3, 8). Par où est-il donc entré ? Ou peut-être n'est-il pas entré du tout, parce qu'il ne vient pas du dehors ? En effet, il ne fait pas partie des réalités extérieures (1 Co 5, 12). Mais il n'est pas non plus venu du dedans de moi, puisqu'il est bon (Ps 51, 11), et je sais qu'en moi il n'y a rien de bon (Rm 7, 18). Je suis monté jusqu'à la cime de moi-même, et voici que le Verbe la dominait de très haut. Explorateur curieux, je suis aussi descendu au plus bas de mon être, et j'ai également trouvé qu'il était plus bas encore. Si j'ai regardé vers l'extérieur, j'ai découvert qu'il était au-delà de tout ce qui m'est extérieur ; si je me suis tourné vers l'intérieur, il m'était plus intérieur que moi-même.
Considérant tout cela en même temps, je suis resté épouvanté devant l'excès de sa grandeur."
(Bernard de Clairvaux : Homélies sur le Cantique des Cantiques, 74, 5-6, extraits).

Oh, si nous acceptions la patience, si nous pouvions commencer déjà à chercher Dieu ! Il n'y a rien qu'il n'aime autant qu'un coeur qui le cherche vraiment, qui, loin de l'indifférence que nous affichons souvent, ou de la routine dans laquelle nous nous complaisons - cette routine qui tue tout amour -, nous découvrions que c'est Dieu qui vient nous trouver, si nous l'attendons avec un grand désir !

"Toute la vie du vrai chrétien est un saint désir. Sans doute, ce que tu désires, tu ne le vois pas encore : mais le désir te rend capable, quand viendra ce que tu dois voir, d'être comblé.
Supposons que tu veuilles remplir quelque objet en forme de poche et que tu saches la surabondance de ce que tu as à recevoir ; tu étends cette poche, sac, outre, ou tout autre objet de ce genre ; tu sais combien grand est ce que tu as à y mettre, et tu vois que la poche est étroite : en l'étendant, tu en augmentes la capacité. De même, Dieu, en faisant attendre, étend le désir ; en faisant désirer, il étend l'âme ; en étendant l'âme, il la rend capable de recevoir.
Désirons donc, mes frères, parce que nous devons être comblés. Voyez Paul, étendant la contenance de son âme, pour être capable de saisir ce qui est à venir (voir Philippiens 3, 12-16) [...]
Suppose que Dieu veuille te remplir de miel : si tu es plein de vinaigre, où mettre le miel ? Il faut répandre le contenu du vase ; il faut purifier le vase lui-même ; il faut le purifier, fût-ce à force de peiner, à force de frotter, pour le rendre apte à recevoir cette réalité mystérieuse. Que, cette réalité, nous n'arrivions pas à lui donner son vrai nom, que nous la nommions or, que nous la nommions vin, quelque nom que nous donnions à ce qui ne peut être nommé, quelque nom que nous prétendions lui donner, son nom est Dieu. Et quand nous disons "Dieu", que disons-nous ? Ces deux syllabes [Deus en latin], est-ce là seulement ce à quoi nous aspirons ? Tout ce que nous pouvons dire est donc au-dessous de la réalité ; étendons-nous vers lui, afin que, lorsqu'il viendra, il nous remplisse. Car nous lui serons semblables quand nous le verrons tel qu'il est."
(Augustin : Commentaire sur la 1ère Lettre de Jean, 4, 6).

Comme dans le Cantique des cantiques, le bien-aimé ne peut nous trouver que si nous sommes tout à lui, tourné vers lui dans le silence et la paix. Quoi de mieux pour attendre qu'il arrive que de lire un passage biblique ? C'est là que surgira notre prière, dans le passage d'un Psaume, dans le cri d'un prophète, dans une phrase de Jésus..

"...Dans la nuit, je me souviens de toi
et je reste des heures à te parler.
Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l'ombre de tes ailes.
Mon âme s'attache à toi,
ta main droite me soutient..."
(Ps 62, 7-9).

Tant de passages bibliques peuvent nous introduire dans la prière... C'est ce que rapporte Guigues le Chartreux. Le texte n'a pas besoin d'être long... une phrase, un verset ou deux peuvent suffire. Et le plus souvent "ton désir, c'est ta prière", comme le disait également Augustin :

"Car ton désir est ta prière ; si le désir est continuel, la prière est continuelle. Ce n'est pas pour rien que l'Apôtre a dit : Priez sans relâche. Peut-il le dire parce que, sans relâche, nous fléchissons le genou, nous prosternons notre corps, ou nous élevons les mains ? Si nous disons que c'est là notre prière, je ne crois pas que nous puissions le faire sans relâche.
Il y a une autre prière, intérieure, qui est sans relâche : c'est le désir. Que tu te livres à n'importe quelle autre occupation, si tu désires ce loisir du sabbat, tu ne cesses pas de prier. Si tu ne veux pas cesser de prier, ne cesse pas de désirer.
Ton désir est continuel ? Alors ton cri est continuel. Tu ne te tairas que si tu cesses d'aimer."

(Augustin : Discours sur le Ps 37).

Alors, de jour en jour, montons vers la source : ce n'est pas en un jour que nous pouvons jouir de la rencontre, jouir de l'amour de Dieu. Profitons de la semaine sainte pour accompagner Jésus dans sa prière - lui qui se mettait à l'écart pour prier dans son chemin vers le Père. Oui, écartons-nous, laissons le bruit, l'agitation, oublions un instant les détails pratiques du quotidien qui nous occupent tant, et retrouvons pour un rendez-vous quotidien le Seigneur dans notre chambre, comme Jésus nous y invitait : "Quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme la porte et prie ton Père qui est présent dans le secret" (Mt 6, 6).

Faisons ainsi de notre semaine sainte une montée vers la lumière de la Résurrection du Christ qui est aussi la nôtre. Que le désir de Dieu transforme notre coeur et le dilate pour qu'il ne soit plus que désir d'une nouvelle rencontre !

Yann Vagneux**, qui nous livre un texte magnifique intitulé "Etre une terre de désir", rapporte les paroles d'un moine à une ermite indienne :

"Votre prière doit être un désir ardent du Seigneur. Cela est le véritable amour ici-bas. Et c'est dans cet état de prière que vous devez chercher à demeurer, malgré toutes les distractions qui vous assaillent et l'aridité continue. Attendre et désirer - voilà ce que signifie prier."

** "Etre une terre de désir", in Magnificat n° 340, mars 2021, p. 10) : Yann Vagneux est prêtre des Missions étrangères à Bénarès, en Inde.

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Aujourd'hui, la consolation et la guérison...

Voilà les oeuvres de Dieu, et c'est pour cela que le Verbe s'est fait chair et qu'il est venu parmi nous : pour partager notre chair, les souffrances de notre chair, nous consoler, nous guérir. Jésus, pendant sa vie terrestre, a poursuivi l'oeuvre pour laquelle le Père l'avait envoyé. On n'en finirait pas d'énumérer toutes les guérisons et consolations qu'il a portées aux femmes et aux hommes de son temps racontées dans les Evangiles : nous en avons tous en mémoire ; vous êtes d'ailleurs tous invités à en noter quelques-unes en commençant cette lecture : vous saurez ainsi mieux quelles sont celles qui vous ont le plus frappés.

Ce ne sont pas toujours les plus visibles ou les plus "évidentes" que nous retenons : ce sont celles qui nous touchent le plus dans notre relation à Dieu. Il peut être bon de le savoir. Souvent d'ailleurs quand il accomplit son oeuvre, Jésus ou bien se met à l'écart avec celui qu'il va guérir (ainsi en est-il du sourd et muet de Mc 7, 33-35, pour lui mettre les doigts dans les oreilles, et lui toucher la langue avec sa salive) ou bien il interdit à celui qu'il a guéri d'en parler (le lépreux en Mc 1, 40-45). Pourquoi ?

"Le prenant à part loin de la foule, à l’écart, Jésus lui mit les doigts dans les oreilles, et, ayant craché, lui toucha la langue. Et levant les yeux au ciel, il gémit et lui dit : “Ephphatha” c’est-à-dire, “ouvre-toi”. Et aussitôt ses oreilles s’ouvrirent, le lien de sa langue se délia, et il parlait correctement." (Mc 7, 33-35).

"Un lépreux vient auprès de lui ; il le supplie et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me purifier.» Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : «Je le veux, sois purifié.» À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié.
Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage.»
Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui." (Mc 1, 40-45).

Dieu n'est jamais dans la "démonstration", le spectacle... en aucun cas il ne veut forcer notre foi, notre amour, comme si, précisément, de voir quelque chose d'extraordinaire nous rendait croyant, nous attachait à lui... Quel serait la valeur d'un amour forcé ? C'est d'un homme libre, d'une femme libre que Dieu veut se faire le vis-à-vis ; il ne veut pas d'un esclave. Ce que nous montrent les interventions de Jésus, qui recherche au maximum la "discrétion" (difficile parfois au milieu du temple, au milieu d'une foule nombreuse assemblée pour écouter sa parole), c'est ce que signifie son amour pour nous, un amour personnel, un amour qui nous touche au fond du coeur, dans l'intimité d'une relation personnelle, adressée à chacun d'entre nous. On voit ainsi souvent Jésus se mettre à l'écart avec ses disciples, pour leur parler en particulier, ou pour les aider à se reposer dans le silence nécessaire, pour prier son Père...

Rappelons-nous les tentations, toutes spectaculaires, que le diable propose à Jésus dans le désert... et Jésus les refuse toutes. En revanche Jésus s'adresse à la Samaritaine (Jean 4), dans le désert, au moment même où ses disciples l'ont quitté pour aller acheter à manger, et ce dialogue avec Jésus si directement dirigé vers elle, vers ce qu'elle est dans sa vie de femme de Samarie, va transformer son coeur : de femme rejetée par le village, qui cherche l'amour sans le trouver, contrainte pour éviter les commérages de venir chercher son eau au puits à l'heure la plus chaude du jour, elle va devenir nouvel apôtre en courant appeler ceux qui la rejettent pour les inviter à venir, à leur tour, rencontrer Jésus !

"La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » Ils sortirent de la ville, et ils se dirigeaient vers lui."
(Jean 4, 28-30).

Tout s'est passé dans le secret. Jésus s'est contenté de lui demander à boire. Surprise elle s'étonne déjà qu'un juif s'adresse à une Samaritaine ! Et de surprise en surprise, elle entend Jésus lui déclarer : "Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive." (Jean 4, 10). Le dialogue se fait plus vif avec les objections normales de la part de la femme qui se dérobe, objections semblables sans doute à celles que nous opposons à Dieu quand il nous offre son amour : "tu n'as rien pour puiser", "le puits est profond"... Oui, il est loin ton coeur, Samaritaine, et caché sous des tonnes de souffrances. Mais rien ne prend sur Jésus qui demeure...

Les découvertes continuent pour la femme troublée : "Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ?" (Jn 4, 12). Jésus en révèle un peu plus et la femme alors adhère, entre dans le dialogue au niveau proposé par Jésus :

"Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle." La femme lui dit : "Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser." (Jn 4, 13-15).

C'est alors que Jésus, ayant soulevé ce qui encombre le coeur de la femme, toujours prêt cependant à aimer, la touche définitivement par cette simple phrase : "Va, appelle ton mari, et reviens." (Jn 4, 16).

Alors tout va s'effondrer dans la femme, il n'y aura plus d'obstacles ; elle découvre que rien n'est caché pour Jésus dès qu'elle a avoué : "Je n’ai pas de mari." Elle a atteint la vérité en elle, sa grande souffrance...

Jésus reprit : "Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari : des maris, tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai." La femme lui dit : "Seigneur, je vois que tu es un prophète !..." (Jn 4, 17-18).

De découverte en découverte, la femme, dont l'évangéliste Jean ne nous dit jamais le nom, va accueillir l'amour gratuit de Jésus : certes il est juif, plus grand que Jacob, mais ne serait-ce pas un prophète ? et même plus : le Messie annoncé, le Christ ? Elle court au village, oubliant qu'on ne l'y apprécie guère, et tous la suivnt et supplient Jésus de rester parmi eux.

"Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y demeura deux jours.
Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole à lui, et ils disaient à la femme : "Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde."

La femme est devenue apôtre tant est grande la force de consolation, de guérison qu'elle a trouvée dans sa rencontre avec le Christ.

Bien d'autres cas mériteraient notre attention, notre lecture : l'Aveugle-Né qui proclame avec constance ce qu'il croit, même si les pharisiens le harcèlent car ils cherchent déjà à en découdre avec Jésus (Jn 9), la femme qui a "un flux de sang" et qui s'approche au plus près de Jésus pour toucher la frange de son manteau sûre qu'elle sera guérie... (Luc 8, 43-48) et Jésus lui déclare, ému de tant de foi : "Ma fille, ta foi t'a sauvée"...

Par là Jésus nous signifie clairement pourquoi Dieu a choisi l'Incarnation (c'est-à-dire Dieu se faisant homme) pour nous sauver (que ce salut se manifeste par consolation, guérison, résurrection... et bien sûr, au coeur de tout cela, par "pardon du péché", de tout ce qui nous éloigne de Dieu qui est la source de vie) : ce n'est pas sans l'homme que Dieu nous guérit ; il s'est fait homme précisément pour nous montrer que le salut n'est pas le fait d'un Dieu lointain, solitaire, tout-puissant (mot que l'on comprend souvent mal), mais d'un Dieu associé à l'homme, qui donne un rôle à l'homme lui aussi, parce qu'il a confiance en l'homme comme participant du salut. C'est bien ce que dit Jésus quand, si souvent dans l'Evangile il dit : "Va, ta foi t'a sauvé". Dieu croit en l'homme, bien mieux que l'homme ne croit en Dieu ! Jésus nous a bien dit : "Sans moi vous ne pouvez rien faire", mais Dieu veut nous signifier aussi à chaque occasion, qu'il ne veut rien faire sans nous, sans ce qu'est l'homme pour lui ! C'est là cette grande grâce de l'amour sans limite de Dieu qui fait confiance à l'homme. Le Christ venu dans le monde a adopté l'homme comme frère ; par là nous sommes devenus fils adoptifs de Dieu... et participants au salut que Dieu veut pour tous les hommes, pour chacun d'entre nous.

Nous pouvons méditer ce très beau texte d'Irénée de Lyon (IIe siècle) :

"[Le Fils de Dieu] a donc mélangé et uni [...] l’homme à Dieu. Car si ce n’était pas un homme qui avait vaincu l’adversaire de l’homme, l’ennemi n’aurait pas été vaincu en toute justice. D’autre part, si ce n’était pas Dieu qui nous avait octroyé le salut, nous ne l’aurions pas reçu d’une façon stable. Et si l’homme n’avait pas été uni à Dieu, il n’aurait pu recevoir en participation l’incorruptibilité. Car il fallait que le "Médiateur de Dieu et des hommes", par sa parenté avec chacune des deux parties, les ramenât l’une et l’autre à l’amitié et à la concorde, en sorte que tout à la fois Dieu accueillît l’homme et que l’homme s’offrît à Dieu. Comment aurions-nous pu en effet avoir part à la filiation adoptive [Ga 4, 5] à l’égard de Dieu, si nous n’avions pas reçu, par le Fils, la communion avec Dieu ? Et comment aurions-nous reçu cette communion avec Dieu, si son Verbe n’était pas entré en communion avec nous en se faisant chair [Jn 1, 14] ? C’est d’ailleurs pourquoi il est passé par tous les âges de la vie, rendant par là à tous les hommes la communion avec Dieu."
(Irénée, Contre les Hérésies, III, 18, 7 ).

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Aujourd'hui, nous voudrions voir Jésus...

(5e dimanche de Carême)

L'Evangile du jour, aujourd'hui, nous raconte un épisode très intéressant qui éveille en notre coeur un cri caché. Des Grecs (donc des étrangers montés à Jérusalem, des juifs de la diaspora ou bien des "prosélytes", comme on dit parfois, c'est-à-dire des hommes qui sans être juifs d'origine, ont adopté la religion d'Israël), sont montés à Jérusalem "pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque". Il est important de souligner que nous sommes à peu près à la veille de la Passion : Jésus va être arrêté et crucifié, comme l'annonce clairement la suite du texte.

Or ces hommes viennent trouver les apôtres et demandent "Nous voudrions voir Jésus". On ne sait pas si finalement les hommes ont vu Jésus (l'évangile ne le dit pas): on voit seulement ses apôtres Philippe et André ensemble qui vont le dire à Jésus. Ce désir ainsi manifesté amène une ultime révélation de Jésus concernant "l'heure venue" : il annonce clairement sa mort et à la fin du passage, l'évangéliste (Jean) commente : "Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir" (Jean 12, 33).

"L'heure est venue où le Fils de l'homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera."

Effectivement Jésus explique à tous les disciples présents qu'il va bientôt connaître la mort. Et l'on sait que ses apôtres ont du mal à croire cela, et même parfois protestent vigoureusement comme Pierre qui en Marc 8, 23 se voit traiter de "Satan" par Jésus : "Passe derrière moi, Satan ! car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes !"

Comment comprendre le désir des visiteurs de rencontrer Jésus ? Bien sûr, d'abord on peut dire que la réputation de Jésus s'est étendue bien au-delà de Jérusalem et que les nouveaux venus souhaitent vérifier par eux-mêmes ce que Jésus est capable de faire : des miracles, par exemple, c'est-à-dire des "signes" que l'homme ne peut expliquer en se référant seulement à la réalité environnante). Même si ces signes par leur caractère extraordinaire nous heurtent parfois car ils sortent du cadre usuel de nos explications, ils contribuent sûrement à frapper tous ceux qui sont là autour de Jésus et qui assistent, bouleversés, aux intervention du Dieu auquel il croient, et renforcent vraisemblablement leur vie de foi, leur confiance en celui qui accomplit de si beaux gestes (guérir, consoler, aimer...). Ces visiteurs, comme bien des personnes de la foule aussi, ont sans doute été touchés particulièrement par l'Esprit Saint, qui intercède pour eux "en des gémissements ineffables" (Romains 8, 26) et dit ainsi leur désir de Dieu. Toutefois au point où nous sommes arrivés du récit de la vie de Jésus, on peut rappeler que la foule sera bien versatile quelques jours plus tard, quand elle réclamera sa mort à Pilate : "Crucifie-le ! crucifie-le !" (Mt 27, 22-23).

Si aujourd'hui, nous ne pouvons pas voir Jésus avec nos yeux de chair, ni l'entendre avec nos oreilles, nous sommmes toujours aussi bouleversés par les souffrances et la mort. Et combien de fois notre prière nous amène à prier pour un proche, malade, désespéré... Oui, nous aussi, nous voudrions voir Jésus, parfois lui demander des comptes pour tant de souffrance autour de nous, en nous ; s'il pouvait accomplir un miracle... Mais Jésus le plus souvent récuse tout pouvoir ; il est un homme d'amour, pas un homme de pouvoir ; il attend de nous une égale confiance en l'amour de Dieu gratuit, à la grâce. Souvent Jésus finit son entretien avec celle ou celui qu'il a aidé en déclarant : "Ta foi t'a sauvé(e)".Il insiste aussi parfois pour dénoncer chez ses apôtres "leur peu de foi" : "Si vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à cette montagne : “Transporte-toi d’ici jusque là-bas”, et elle se transporterait ; rien ne vous serait impossible. » (Matthieu 17, 20).

Nos Pères de l'Eglise nous expliquent qu'il est toujours possible de voir Dieu après purification du regard par la joie : c'est cette vision spirituelle que nous propose Grégoire de Nysse, quand après être monté de degré en degré à travers les Béatitudes qu'il présente comme une échelle vers Dieu, on atteint la contemplation qu'il nous décrit :

"Le brouillard qui t'aveuglait s’est dissipé et dans le ciel très pur de ton cœur, tu contemples à l’infini l’heureuse vision. Qu’est-elle ? Elle est pureté, sainteté, simplicité, lumineux rayons jaillis de la divine nature, qui nous montrent Dieu." (Grégoire de Nysse : Les Béatitudes, VI, 4 ; "Les Pères dans la Foi", p. 87).

Jésus lui-même n'a-t-il pas déclaré à Thomas après la résurrection : "Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru." (Jean 20, 29). La foi est bien le chemin qui nous fait chercher Dieu, comme ces hommes venus pour rencontrer Jésus, comme tous ceux qui venaient de toutes parts pour se faire guérir, pour retrouver la joie..."

Ayons confiance ! La présence de Dieu est toujours joie, et la joie profonde dont l'homme est capable en est le signe. Si pour les hommes de l'Ancien Testament, on ne pouvait voir Dieu sans mourir, pour nous aujourd'hui, nous savons qu'il est un autre regard sur Dieu qui nous transforme et nous sauve : Alors, méditons, seul ou en groupe, un beau texte d'Irénée de Lyon qui s'interroge avec nous : "comment vivre sans voir Dieu ?"

" … vu autrefois par l’entremise de l’Esprit selon le mode prophétique, puis vu par l’entremise du Fils selon l’adoption, [Dieu] sera vu encore dans le royaume des cieux selon la paternité, l’Esprit préparant d’avance l’homme pour le Fils de Dieu, le Fils le conduisant au Père, et le Père lui donnant l’incorruptibilité et la vie éternelle, qui résultent de la vue de Dieu pour ceux qui le voient. Car, de même que ceux qui voient la lumière sont dans la lumière et participent à sa splendeur, de même ceux qui voient Dieu sont en Dieu et participent à sa splendeur. Or vivifiante est la splendeur de Dieu. Ils auront donc part à la vie, ceux qui voient Dieu. Tel est le motif pour lequel Celui qui est insaisissable, incompréhensible et invisible s’offre à être vu, compris et saisi par les hommes : c’est afin de vivifier ceux qui le saisissent et qui le voient. Car, si sa grandeur est inscrutable, sa bonté aussi est inexprimable, et c’est grâce à elle qu’il se fait voir et qu’il donne la vie à ceux qui le voient. Car il est impossible de vivre sans la vie, et il n’y a de vie que par la participation à Dieu, et cette participation à Dieu consiste à voir Dieu et à jouir de sa bonté."
(Irénée : Contre les hérésies, 4, 20, 5).

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Aujourd'hui, la lumière...

(4e dimanche de Carême)

C'est quelquefois un peu difficile de parler de la lumière quand on est encore dans les brumes et les froids de l'hiver. Et même si le printemps précoce permet de goûter déjà, dans certaines régions, de beaux rayons de soleil, les difficultés sanitaires et tout ce qu'elles entraînent empêchent souvent de voir s'illuminer les visages.

Pourtant c'est sans doute le moment de se rappeler que le Prologue de Jean évoque la "vraie lumière" - celle du Verbe :

"Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement auprès de Dieu.
C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ;
la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.[...]
Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde."
(Jn 1, 1-5.9).

Aujourd'hui, l'évangile de ce 4e dimanche de Carême est un évangile de lumière. Pour ceux qui accompagnent les catéchumènes adultes vers le baptême qu'ils recevront à Pâques, l'évangile recommandé est celui de l'Aveugle-Né (Jean 9) : celui qui, privé de lumière depuis sa naissance, rencontrant Jésus découvre la lumière avec celui qui dit "je suis la lumière du monde." (verset 5). Un beau récit à lire en entier, plein de sens - y compris à travers les discussion sans fin avec les pharisiens qui ne veulent pas admettre la guérison de l'aveugle : leurs coeurs durcis cherchent où est le péché : de l'aveugle, de ses parents... ou de Jésus ! Coeurs privés de toute lumière.

"Jésus dit alors : "Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles." Parmi les pharisiens, ceux qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : "Serions-nous aveugles, nous aussi ?" Jésus leur répondit : "Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : "Nous voyons !", votre péché demeure".
(Jn 9, 39-41).

Terrible parole de celui qui est toute lumière !

L'autre lecture proposée pour l'année liturgique B est la rencotnre de nuit de Nicodème et Jésus. Nicodème est un pharisien, un notable parmi les juifs, et il vient trouver Jésus de nuit (dans l'obscurité), car il ne veut pas être mal vu de fréquenter Jésus qui est déjà l'objet de toutes les critiques des Pharisiens. Mais Nicodème n'oubliera pas cette soirée avec Jésus : il sera à la Croix pour descendre le corps de Jésus avec Joseph d'Arimathie et le déposer dans un tombeau neuf.

A lui, comme à l'aveugle-né, le Christ révèle qu'il est lumière : encore une explication sur le jugement :

"Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement, celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises.
Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu."
(Jean 3, 17-21).

Oui, Dieu est lumière. C'est bien en séparant la lumière des ténèbres, qu'il accomplit, à l'origine, son premier acte créateur comme le rappelle la Genèse :

"Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La terre était un chaos, elle était vide, il y avait des ténèbres au-dessus de l’abîme, et le souffle de Dieu tournoyait au-dessus des eaux. Dieu dit : Qu’il y ait de la lumière ! Et il y eut de la lumière. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière "jour", et il appela les ténèbres "nuit". Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour." Genèse 1, 1-5).

Quant à la création nouvelle, au terme de l’histoire, elle est évoquée dans l’Apocalypse et c’est Dieu qui définitivement l’éclaire, lumière sans déclin :

"La ville peut se passer de l'éclat du soleil et de celui de la lune, car la gloire de Dieu l'a illuminée, et l'Agneau lui tient lieu de flambeau." (Ap 21, 23).

"De nuit, il n'y en aura plus ; ils se passeront de lampe ou de soleil pour s'éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière." (Ap 22, 5).

L’histoire de l’homme et du monde, entre la Création et la parousie, est constamment marquée par l’affrontement entre lumière (vie) et ténèbres (mort). Pour l’homme, Dieu est lumière : pour nous aujourd'hui, il est celui qui donne couleur et harmonie au monde dans lequel nous vivons (le corps de l’homme a besoin de lumière pour avancer, grandir et tout simplement vivre), mais il est aussi celui qui éclaire l’esprit de l’homme et le guide dans la découverte des mystères : cette lumière spirituelle est tout aussi nécessaire à la vie de l’homme que la lumière physique sans laquelle il ne peut vivre.

Un beau texte de Grégoire de Nazianze(IVe siècle), théologien et poète, dont les oeuvres poétiques sont aussi prières, nous montre comment Dieu, Père, Fils et Esprit est tout entier lumière :

"Nous te bénissons maintenant, mon Christ, Verbe de Dieu, lumière de la lumière sans principe et dispensateur de l’Esprit, troisième lumière unie en une seule et même gloire !
Tu as dissipé les ténèbres, tu as produit la lumière, afin de tout créer dans la lumière et de rendre stable l’instable matière, en lui donnant forme dans le monde et sa belle harmonie d’aujourd’hui.
Tu as illuminé la pensée de l’homme par la raison et la sagesse, en plaçant ici-bas l’image de la splendeur d’en haut, afin que par la lumière il voie la lumière et devienne tout entier lumière.
C’est toi qui as fait briller le ciel de mille feux, toi qui as fait céder doucement la nuit au jour et le jour à la nuit selon ton ordre, rendant honneur à la loi de la fraternité et de l’amour.
Grâce à la nuit, tu mets fin à la fatigue de la chair qui peine tant ; grâce au jour, tu l’éveilles pour son ouvrage et pour les oeuvres que tu aimes, afin qu’en fuyant les ténèbres, nous devancions le jour, ce jour que la triste nuit ne fera pas sombrer.
Que la pensée, loin du corps, converse avec toi, Dieu, qui es Père, Fils et Saint-Esprit, à qui soit l’honneur, la gloire, la puissance dans les siècles. Amen."
(Grégoire de Nazianze : Hymne du soir, Poèmes, 1, 1, 32).

Quelle place tient la lumière dans nos vies ? Nous parlons là de "la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde", le Verbe (Jn 1, 9) ? Il est temps de nous poser la question : Qu'est-ce qui dans celui ou celle que j'ai rencontré(e) aujourd'hui a été signe pour moi de la vraie lumière de Dieu ? C'est ainsi que notre journée peut être illuminée comme la journée de l'aveugle-né, comme la nuit de Nicodème...

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"Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour"

L'aujourd'hui n'est pas inconnu du Notre-Père, cette prière donnée par Jésus à ses disciples : il en est même le coeur. Quand nous nous tournons vers Dieu, c'est toujours "aujourd'hui" : nous ne le prions ni pour hier, ni pour demain !

Cette phrase où nous demandons à Dieu "notre pain de ce jour" peut être entendue, certes, de diverses façons :

Oui, le Seigneur sait déjà tout ce dont nous avons besoin, au physique comme au mental. Mais pour nous il est bien temps de prendre conscience de nos désirs inconnus et de penser à ce que nous disons du début jusqu'à la fin de la prière du Notre-Père, et que nous n'oubliions pas, en nous adressant à celui qui est le père de tous, que nous avons une multitude de frères de par le monde. Dieu qui nous confie les uns aux autres, nous demande aujourd'hui, comme à CaÏn dans le récit de la Genèse : "Qu'as-tu fait de ton frère ?" (Gn 4, 1-12).

Il y a de très nombreuses prédications des Pères de l'Eglise sur la prière donnée par Jésus : citons par exemple, à part Augustin déjà nommé : Origène, Cyprien de Carthage, Théodore de Mopsueste, Cyrille de Jérusalem... De fait, presque tous, devrait-on dire, ont écrit sur le Notre-Père.

Que demandons-nous quand nous disons "Que ton nom soit sanctifié ?", "que ton règne vienne" ? "Que ta volonté soit faite" ? Ne sont-ce pas là des demandes qui nous laissent si souvent indifférents ? Et nos frères qui sont dans le besoin, tous ceux qui ne mangent pas à leur faim, tous ceux qui souffrent de mille maux, et que dans notre négligence nous ignorons...? Glorifions-nous le nom du Père, en eux quand nous sautons les premières demandes, sans réfléchir...? Est-ce un vrai désir chez nous que tous mangent à leur faim ? que faisons-nous pour cela ? Comment regardons-nous ceux qui ne connaissent même pas la prière au Père ? Sommes-nous fidèles à celui qui, Fils de toute éternité, nous a appris à prier son Père et notre Père, et nous engage par cette parole : "ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'aavez fait (Mt 25, 40) ?

Il faudrait indéniablement s'arrêter sur chaque demande. Un exemple avec Théodore de Mopsueste (IVe-Ve siècle) qui s'adresse aux catéchumènes, ceux qui se préparent au baptême :

"Je ne vous enseigne pas à appeler [Dieu] "notre Seigneur et notre Dieu", bien qu'il soit nécessaire, bien sûr, que vous sachiez qu'il est Dieu, maître et créateur de toutes choses - le vôtre notamment - et que c'est lui qui vous mènera à la jouissance de ces biens. Je vous commande de l'appeler "Père" afin qu'ayant compris votre liberté, l'honneur dont vous participez et la grandeur à laquelle il vous mène en tant que fils du Seigneur de toutes les créatures - et votre Seigneur - vous agissiez comme tels jusqu'à la fin.
Je ne veux pas que vous disiez "mon Père" mais "notre Père" parce qu'il est le Père commun à tous, tout comme sa grâce qui a fait de nous des fils adoptifs.
Ce n'est pas seulement vis-à-vis du Pèree que vous devez avoir une belle conduite, il faut aussi que vous soyez en accord les uns avec les autres, puisque vous êtes frères et êtes soumis à un même Père..." (Homélies catéchétiques, n° 11, 8-9).

Pour en dire plus sur le Notre-Père aujourd'hui : il faudrait au moins une retraite d'une semaine complète afin de méditer un petit peu ce texte inépuisable, comme le dit Yann Vagneux :

"Malheureusement nous nous sommes habitués au Pater, et nous pouvons le réciter si machinalement. Nous risquons d'oublier que Jésus nous a confié en lui bien plus que des mots : il nous a révélé le secret de son propre coeur. C'est là, dans l'intimité et le silence, que Jésus se tenait dans la lumière toujours plus grande de celui qu'il appelait "Abba, Père !", avec la familiarité inouïe de qui se sait être Fils de toute éternité dans le souffle d'amour de l'Esprit." [...]
Nous n'aurons pas assez d'une vie pour entrer dans la prière de Jésus et sonder l'"abîme de nouveauté" contenu dans son premier mot : "Père" [...]
[...] à nous qui ne savons pas prier comme il faut, le Ressuscité a donné son prope Esprit en qui nous crions "Abba, Père !" (Rm 8, 15). Dans le Pater, Jésus nous a laissé en héritage sa propre prière - c'est-à-dire sa relation éternelle avec le Père dans la communion de l'Esprit. Pour un chrétien, la prière n'a pas d'autre fin que de le faire entrer seconde après seconde dans la vie de la Trinité - ce mystère qui nous semble si obscur et lointain alors qu'il est la trame de toute la réalité. [...]
Tout nous a été donné dans la prière du Pater que Jésus nous a enseignée. Et contre toute tentation de chercher des techniques compliquées de méditation, il nous faut entrer comme des enfants et des pauvres dans la déroutante simplicité du mystère infini que révèlent ces mots. Ils sont les premiers que nous avons appris pour prier. Puissent-ils être les derniers que nous prononcerons à l'heure de l'abandon définitif dans les mains du Père."

(Yann Vagneux** : "Abba, Père !" : la prière de Jésus", in Magnificat, n° 339, février 2021, p. 7-9).

(** Yann Vagneux est prêtre des Missions étrangères à Bénarès, en Inde).

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Aujourd'hui, notre conversion

(3e dimanche de Carême)

"Convertissez-vous et croyez à l'Evangile" (Marc 1, 15). C'et bien ce que'on nous a dit le mercredi des Cendres, au moment de l'imposition. C'est bien "aujourd'hui" qui est concerné par cette conversion qui ne peut pas être indéfiniment reportée.

Certes, avec nous, Dieu prend toujours patience... Il nous attend, il attend que notre coeur soit prêt... "Le Seigneur ne retarde pas l'accomplissement de ce qu'il a promis, comme certains l'accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir." (2 Pierre 3, 9). Heureusement qu'il est patient, car effectivement, la première idée qui nous vient c'est que se convertir en un jour... aujourd'hui, c'est parfaitement insensé ! Déjà en toute une vie, cela paraît difficile, impossible si Dieu ne met pas une grosse part de son côté, car tout seul, on peut toujours essayer, mais devenir autre ? Il ne faut pas y compter !

Mais pourquoi se convertir serait-ce "devenir autre" ? Je dirais même que c'est plutôt le contraire : c'est devenir "plus soi", devenir enfin ce que nous sommes ! Au lieu de s'échapper de soi, de courir au dehors de soi, il s'agit de revenir en soi, de découvrir ce que nous sommes, comment Dieu nous a fait, ce qu'il attend de nous tel que nous sommes... mais Lui, Dieu, outre qu'il est patient, il n'est pas esclave de ce qu'il imaginerait de nous et voudrait que nous soyons ! Augustin nous disait bien dans la belle prière que nous avions choisie pour notre méditation il y a quelques jours, quand il s'adresse à Dieu :

"Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors,
et c'est là que je te cherchais, et sur la grâce de ces choses que tu as faites, pauvre disgracié, je me ruais !
Tu étais avec moi et je n'étais pas avec toi ;" (Confessions X, xxvii, 38)).

Alors dois-je croire qu'en "devenant plus moi", ça résoudra mon problème de "Carême" ? - Certes, je ne sais pas ce que vous mettez sous l'intitulé "problème de Carême", mais si c'est de se priver de liberté, c'est la fausse route complète - et en plus cette année avec le Covid qui la malmène beaucoup, pas question d'ajouter d'autres limitations à notre "liberté" ! Dieu nous veut libres : ne nous est-il pas dit dans l'Evangile : "La vérité vous rendra libres"... Alors oui, en revanche, un chemin de vérité pour le Carême, ce serait une bonne idée !

«... [Jésus dit :] "Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres."» (Jn 8, 31-32).

Alors, que chacun se prépare un petit "programme" de Carême, mais très librement, autour de la parole de Dieu ! La lecture biblique demeure une ressource importante pour notre Carême : occasion de reprendre et ouvrir sa Bible, et chaque jour, de se réserver un moment pour lecture, méditation, prière... Pas de mystère : c'est ainsi que s'opèrera la conversion de notre coeur trop occupé souvent par des soucis quotidiens. Nous prendrons du temps pour Dieu : n'est-ce pas la première chose à faire pour nourrir notre "aujourd'hui" ? Dans la tradition de l'Eglise, la lecture priante de la Bible (Lectio Divina) constitue l'un des chemins majeurs pour la conversion du coeur.

"Un jour, pendant le travail manuel, je commençai à penser à l'exercice spirituel de l'homme, et tout à coup s'offrirent à la réflexion de mon esprit quatre degrés spirituels : lecture, méditation, prière , contemplation. C'est l'échelle des moines, qui les élève de la terre au ciel. Certes, elle a peu d'échelons ; elle est immense pourtant et d'une incroyable hauteur. Sa base repose sur la terre, son sommet pénètre les nuées et scrute les secrets des cieux [Gn 28, 12]. Les degrés sont divers en noms et en nombre, et ils sont distincts également en ordre et en importance. Si quelqu'un étudie avec soin l'efficacité de chacun d'eux sur nous, leurs mutuelles différences et leur hiérarchie, il y trouvera tant d'utilité et de douceur qu'il estimera court et facile tout le labeur et l'application [Gn 29, 20] dépensés sur cet objet.
La lecture est l'étude attentive des Ecritures, faite par un esprit appliqué. La méditation est une opération de l'intelligence, procédant à l'investigation studieuse d'une vérité cachée, à l'aide de la propre raison. La prière est une religieuse application du coeur à Dieu pour éloigner des maux ou obtenir des biens. La contemplation est une certaine élévation en Dieu de l'âme attirée au-dessus d'elle-même et savourant les joies de la douceur éternelle. Ayant décrit les quatre échelons, il nous reste à voir leurs offices à notre égard."
(Guigues le Chartreux (XIIe siècle) : Lettre sur la vie contemplative (L’Echelle des moines), II ; SC 163, pp. 83-85).

retour

Occasion de lire tout un livre biblique, avec attention, mais selon d'assez courts passages quotidiens, ou de piocher un peu au hasard chaque jour dans notre Bible, ou de lire et méditer les textes de la messe du jour... Bien des solutions existent... Nous saurons trouver la nôtre. Comprenons surtout que la conversion du coeur implique vraiment que nous puissions écouter ce que Dieu a à nous dire, à nous : à chacun d'entre nous...

Une fois notre décision prise, ayons confiance dans l'Imprévu de Dieu : l'Esprit Saint saura bien nous surprendre à proportinon de ce que nous attendons sans le savoir, ou bien au-delà de toute proportion, car là où notre péché a abondé - qui est si souvent péché d'indifférence, d'éloignement de Dieu -, la grâce ne peut que surabonder, et Paul continue :

"Que dire alors? Qu'il nous faut rester dans le péché, pour que la grâce se multiplie ? Certes non ! Si nous sommes morts au péché, comment continuer de vivre en lui ? Ou bien ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que tous nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle. Car si c'est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable ; comprenons-le, notre vieil homme a été crucifié avec lui, pour que fût réduit à l'impuissance ce corps de péché, afin que nous cessions d'être asservis au péché. Car celui qui est mort est affranchi du péché. Mais si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivons aussi avec lui, sachant que le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus, que la mort n'exerce plus de pouvoir sur lui. Sa mort fut une mort au péché, une fois pour toutes ; mais sa vie est une vie à Dieu. Et vous de même, considérez que vous êtes morts au péché et vivants à Dieu dans le Christ Jésus." (Romains 6, 1-11).

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Aujourd'hui, le don et le pardon

C'est parce que nous avons tout reçu de l'amour de Dieu, que nous pouvons demander pardon ! Et non pas l'inverse - ce que l'on croit souvent, que Dieu nous donnerait ses dons, comme une récompense de notre aveu !

Dieu nous a aimés le premier, d'un amour gratuit, sans attendre d'oeuvres bonnes de notre part... pourtant, ainsi doté de son amour, rempli d'amour, nous ne pouvons qu'être, d'une certaine façon, "bon" comme Dieu : "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5, 48).

Luc nous dit lui aussi :

"Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieu. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l'on vous donnera : c'est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous." (Luc 6, 36-38).

Ayons le coeur "large" ! Demandons beaucouop, donnons beaucoup.

Ne sommes-nous pas, comme le dit Paul, "création nouvelle" par l'amour de notre Dieu ?

"Si quelqu'un est dans le Christ, c'est une création nouvelle : l'être ancien a disparu, un être nouveau est là. Et le tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec Lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation. Car c'était Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes, et mettant en nous la parole de la réconciliation. Nous sommes donc en ambassade pour le Christ ; c'est comme si Dieu exhortait par nous. Nous vous en supplions au nom du Christ: laissez-vous réconcilier avec Dieu."(2 Co 5, 17-20).

N'est-ce pas que l'amour est contagieux ? Pourtant nous avons plutôt le sentiment que c'est le péché qui est contagieux : Oui, s'il s'agit de manger à deux un pot de confiture... - ce qui est quand même de peu d'intérêt... Mais s'il s'agit de Dieu, de se rapprocher de lui, c'est là que nous sommes à la fois "défaillants", et précisément, d'une certaine façon, en connaisseur du mal, envoyés "en ambassade" pour lui... avec tous, bien sûr. Comment connaître Dieu, si nous ne parvenons pas à voir dans notre frère présent, le visage de Dieu, ce grand absent de nos vies ! C'est à travers nous qu'il appelle notre frère qui s'égare, et c'est à travers notre frère, qu'il nous fait comprendre, que nous aussi nous avons besoin d'être réconciliés !

Il ne s'agit pas bien entendu de "faire la morale" : ce n'est pas des péchés bien humains, inventés par l'homme que Dieu s'inquiète ! Il s'inquiète de nous voir une fois de plus, "fils prodigues" qui cherchons à nous éloigner, à rompre le lien que Dieu depuis la création, cherche à tisser : lui qui ne cherche qu'à faire alliance avec l'homme !

Les péchés dont Dieu a besoin de nous délivrer, c'est cette propension à détruire ses cadeaux, à détruire l'amour placé dans notre coeur dès notre naissance... Ces cadeaux détruits, il ne reste plus qu'un champ de guerre et de ruine et nous pouvons voir l'effet de cette destruction s'excercer tout particulièrement sur nos frères.

Quelles que soient les caractéristiques diverses du péché, il est toujours éloignement et ignorance de Dieu. Augustin nous dit ainsi, en évoquant la "quête de l'homme" qui n'a jamais fini de chercher :

"... Dieu vous disant : Demandez ce que vous désirez, qu'allez-vous lui demander ? Faites effort de tout votre esprit, lâchez la bride à votre avarice, étendez, élargissez votre convoitise, autant que vous le pourrez ; car ce n'est pas le premier venu, c'est le Dieu Tout-Puissant qui vous dit : demandez ce que vous désirez. Si vous aimez des propriétés, vous désirerez toute la terre, de sorte que tous ceux qui naîtront soient vos fermiers ou vos serviteurs. Et que ferez-vous, lorsque vous posséderez toute la terre ? Vous demanderez la mer, bien que vous ne puissiez y vivre. Dans ce genre d'avarice, les poissons seront mieux partagés que vous ; à moins que vous ne possédiez aussi les îles de la mer. Mais passez outre, demandez encore le domaine des airs, quoique vous ne puissiez pas voler. Etendez vos désirs jusqu'au ciel ; dites que le soleil, la lune et les étoiles vous appartiennent, parce que celui qui a fait toutes ces choses vous a dit : demandez ce que vous désirez. Cependant, vous ne trouverez rien qui ait plus de prix, vous ne trouverez rien qui soit meilleur que celui qui a fait toutes ces choses. Demandez donc celui qui les a faites, et en lui et par lui vous posséderez tout ce qu'il a fait. Toutes ces choses sont d'un haut prix, parce que toutes sont belles, mais qu'y a-t-il de plus beau que lui ? Elles sont fortes, mais qu'y a-t-il de plus fort que lui ? Et il n'est rien qu'il donne plus volontiers que lui-même. Si vous trouvez quelque chose de meilleur, demandez-le. Si vous demandez autre chose, vous lui ferez injure, et vous vous ferez tort à vous-même, en lui préférant sa créature, alors que le créateur aspire à se donner lui-même à vous." (Enarr. Ps. 34, 12 ; (premier discours)).

Si vous sentez que vous vous éloignez de Dieu, vite, faites un cadeau à votre frère ! Donnez, pardonnez, c'est là les formes que prend l'amour mutuel !

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L'aujourd'hui et l'amour

En ce 2e dimanche de Carême, c'est bien le bon jour pour évoquer l'amour, et l'amour fou de Dieu pour l'homme : "Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son propre Fils" (Jn 3, 16). L'évangile d'aujourd'hui, (Marc 9, 2-10, en cette année liturgique B), nous raconte la "Transfiguration" de Jésus sur le mont Thabor, devant trois de ses disciples, Pierre, Jacques et Jean. Tous n'auraient sans doute pas pu supporter de voir cette gloire de Dieu, manifestée en son Fils, Jésus, d'un éclat et d'une lumière tels qu'on ne peut en imaginer de pareils en notre monde ; et sans doute n'auraient-ils pas pu garder le silence demandé par Jésus face à cet événement si grandiose, et ces paroles de Dieu si fortes : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le". Même les trois apôtres présents, qui accompagnent Jésus partout, ne comprennent pas ce que veut dire "ressuscité d'entre les morts" ! conclut Marc.

Que ce soit au moment du baptême du Christ, ou de la transfiguration une voix se fait entendre :

Baptême de Jésus

"Or il advint, une fois que tout le peuple eut été baptisé et au moment où Jésus, baptisé lui aussi, se trouvait en prière, que le ciel s'ouvrit, et l'Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix partit du ciel: "Tu es mon fils; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré." (Luc 3, 21-22).

Transfiguration

"Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : "Celui-ci est mon fils bien-aimé ; Ecoutez-le !" (Mc 9, 7).

Pour le Baptême de Jésus, nous retrouvons l'aujourd'hui mentionné en Luc. Pas pour la Transfiguration, et quel que soit le récit évangélique retenu (Marc, Matthieu ou Luc). Mais les paroles de Pierre, qui propose de construire trois tentes, nous montrent clairement comment est reçu cet instant d'éternité qu'il leur est donné de vivre ! Que cet instant de bonheur ne cesse jamais, qu'il n'y ait pas de lendemain ! En ce sens, même si le mot n'est pas prononcé, la Transfiguration est bien une vision de l'éternité, de l'éternité en Dieu, cet aujourd'hui qui ne cesse jamais...

Le rapprochement avec le baptême n'est d'ailleurs pas fortuit : les deux passages tirent leur sens l'un de l'autre ! On entend la voix du Père et que dit-il ? Ce qui est le plus difficile à concevoir pour nous : que Jésus est son "Fils", le fils de Dieu, et le fils est identifié par l'amour du Père !

Impossible de rechercher tous les passages dans la Bible où Dieu dit son amour pour l'homme, trop nombreux, car sa puissance d'amour est infinie ! Ces passages nous obligent à nous pencher vers cet amour qui est précisément celui auquel nous sommes voués, nous ses fils par adoption : fils parce que Jésus Christ s'est fait notre frère, "amour" parce que Dieu nous a créés par amour, et qu'il nous donne la vie chaque jour, sans quoi nous ne pourrions vivre, par cet amour immense qu'il nous porte toujours, même quand nous nous éloignons de lui, quand nous "péchons", c'est-à-dire quand nous cherchons à nous débarrasser de lui... à oublier cet amour qu'il dispense sans justification valable à nos yeux humains :

"C'est en effet alors que nous étions sans force, c'est alors, au temps fixé, que le Christ est mort pour des impies ; à peine en effet voudrait-on mourir pour un homme juste ; pour un homme de bien, oui, peut-être osera-t-on mourir ; mais la preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous." (Romains 5, 6 -8).

ou Jean encore :

"Voyez quelle manifestation d'amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes ! [...] Quant à nous, aimons, puisque lui nous a aimés le premier. Si quelqu'un dit : "J'aime Dieu" et qu'il déteste son frère, c'est un menteur : celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, ne saurait aimer Dieu qu'il ne voit pas" (I Jn 3, 1 ; 4, 19-20).

Quand nous nous plaignons de n'être pas aimés comme nous le voudrions par nos frères, rappelons-nous quel est l'amour dont Jésus-Christ nous a aimés : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime". (Jn 15, 13). Jésus nous a montré la voie certes, et il ne nous demande généralement pas, d'aller jusqu'à l'extrême du don : celui de notre vie, même si quelques-uns ont pu et peuvent encore aujourd'hui parfois donner leur vie pour sauver tel ou tel frère. Pendant ce Carême, pendant cet aujourd'hui où nous rencontrons Dieu, et où tant de nos frères sont assoiffés d'amour dans l'isolement et l'abandon que beaucoup connaissent, n'oublions pas au moins de commencer à aimer celui qui est près de nous, dans la peine, dans la maladie ou la souffrance... il n'est pas nécessaire d'aller bien loin pour écouter l'appel qui nous est fait.

Dans la parabole du bon Samaritain, (Lc 10, 25-37) Jésus ne nous demande pas qui est notre prochain, mais de qui nous savons nous faire le prochain pour lui venir en aide... Voilà une belle question à nous poser, aujourd'hui, quand nous réclamons l'amour de l'autre !

Inutile de faire un programme de Carême pour cela, mais simplement d'ouvrir les yeux chaque jour pour voir ceux qui sont en manque d'amour autour de nous !

Et le pape François, lui aussi en référence à la Première Lettre de Jean, nous engage à ne pas confondre des "paroles vides" souvent sur nos lèvres, et des actes concrets, si nécessaires pour que croissent notre amour du prochain et notre amour de Dieu qui se répondent toujours mutuellement !

"Petits enfants, n'aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité" (1 Jn 3, 18). Ces paroles de l'apôtre Jean expriment un impératif dont aucun chrétien ne peut faire abstraction. La gravité avec laquelle le "disciple bien aimé" transmet, jusqu'à nos jours, le commandement de Jésus s'accentue encore davantage par l'opposition qu'elle révèle entre les paroles vides qui sont souvent sur nos lèvres et les actes concrets auxuquels nous sommes au contraire appelés à nous mesurer. L'amour n'admet pas d'alibi : celui qui entend aimer comme Jésus a aimé doit faire sien son exemple ; surtout quand on est appelé à aimer les pauvres. La façon d'aimer du Fils de Dieu, par ailleurs, est bien connue, et Jean le rappelle clairement. Elle se fonde sur deux pierres angulaires : Dieu a aimé le premier (cf. 1 Jn 4, 10.19) ; et il a aimé en se donnant tout entier, y compris sa propre vie (cf. 1 Jn 3, 16).
Un tel amour ne peut rester sans réponse. Même donné de manière unilatérale, c'est-à-dire sans rien demander en échange, il enflamme cependant tellement le coeur que n'importe qui se sent porté à y répondre malgré ses proprers limites et péchés. Et cela est possible si la grâce de Dieu, sa charité miséricordieuse sont accueillies, autant que possible, dans notre coeur, de façon à stimuler notre volonté ainsi que nos affections à l'amour envers Dieu lui-même et envers le prochain. De cette façon, la miséricorde qui jaillit, pour ainsi dire, du coeur de la Trinité peut arriver à mettre en mouvement notre vie et créer de la compassion et des oeuvres de miséricorde en faveur des frères et des soeurs qui sont dans le besoin."

(Message du pape Frnçois pour la première Journée mondiale des pauvres, 13 juin 2017, 1 ; publié dans Réformer l'Eglise, Bayard, 2018, p. 321-322).

Comme à ses disciples dans la Transfiguration, aujourd'hui le Christ nous donne nos actes d'amour pour nous préparer à la résurrection...

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L'aujourd'hui est le temps offert par la grâce

Voilà une belle expression utilisée par les Diaconesses de Reuilly, dans leur Règle, reprise dans le commentaire qui en est donné par la Soeur Evangéline (Soyez le ciel pour vos contemporains, Olivétan, 2019, 327 p.). chacun devrait le lire et le méditer - en carême... ou sans carême. Vous avez deviné qu'un chapitre est consacré à "Aujourd'hui".

"On ne rattrape pas le temps perdu
on n'efface pas la faute.
Seul le Seigneur
comme un cadeau de grand prix
nous offre son aujourd'hui
pour tout y espérer." (p. 261).

Texte un peu mystérieux, comme il en est tant quand on touche à Dieu ! Heureusement qu'il est précisé un peu plus loin (commentaire de Sr Evangéline) :

"Aujourd'hui est le temps offert par la grâce, non pas demain. Certes, l'espérance nous oriente vers demain, mais un demain dont nous n'avons pas à vouloir percer le mystère, un demain tel que le Christ nous en parle souvent : un "plus tard" qui nous convie à ne pas faire l'économie de quelques aujourd'hui successifs dont Dieu connaît le poids de vérité. Car c'est un des combats les plus durs que d'être présent(e) au présent.

La parole immense du Christ en croix au larron crucifié avec lui, en est une démonstration sans égale : aujourd'hui, avec moi dans le paradis.".

Qu'est-ce que la grâce déjà ? Eh bien : l'amour gratuit de Dieu ; cet amour qu'il a toujours pour nous, et qui fait, qu'à chaque instant, il nous donne tout. Aujourd'hui : tout !

Mais bien difficile de voir cette grâce ! Effectivement la plupart d'entre nous l'ignorent, car nous n'avons pas d'yeux pour la voir, pas d'oreilles pour l'entendre, pas de narines pour la respirer, pas de bouche pour la savourer, pas de mains pour la toucher... Et le Covid ne vient rien arranger : nous en sommes encore plus privés ! C'est tout juste si nous apercevons l'autre, masqué comme nous, mais nous ne l'entendons que très mal, nous ne parvenons plus à le sentir, difficile de manger avec lui car il faudrait se démasquer, et il nous est interdit de le toucher !

Or la grâce, l'amour de Dieu a précisément un visage pour nous : c'est celui de "l'autre", du frère, de la soeur que nous rencontrons. L'apôtre Jean nous dit bien : "Dieu, personne ne l'a jamais vu,le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître" (Jn 1, 18).

Oui c'est bien pour nous faire connaître Dieu que le Christ est venu dans le monde, c'est aussi pour cela qu'il nous a donné l'Esprit.

L'autre est le visage de Dieu pour nous ; mais arrivons-nous à concevoir que nous sommes le visage de Dieu pour lui ?

Et Soeur Evangéline nous explique comment nous pouvons être convaincus que l'aujourd'hui est de l'ordre de la grâce :

"... l'aujourd'hui est d'abord de l'ordre de la grâce : un cadeau de grand prix. [voir chapitre de la Règle : "Epreuve de la maladie"]. C'est à l'occasion de la mort que nous l'avons rencontrée. Grâce, car temps offert à l'exercice encore possible de la miséricorde, des pardons qu'il est encore temps de donner, des réconciliations qu'il est encore temps de vivre. L'expérience de l'accompagnement de personnes en fin de vie fait toucher du doigt le prix de l'aujourd'hui comme grâce ultime." "[...] C'est dans l'aujourd'hui seul, dira encore Kierkegaard, que nous pouvons être exactement ce que nous devons être". (p. 263).

L'Ancien Testament définissait déjà la grâce, la gratuité des dons de Dieu : tout est gratuit avec lui :

"Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent, sans rien payer. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi bien, et vous mangerez de bonnes choses, vous vous régalerez de viandes savoureuses. Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez. Je m’engagerai envers vous par une alliance éternelle : ce sont les bienfaits garantis à David. Isaïe, 55, 1-3).

Il suffit de se présenter, d'être présent, tous nos sens en éveil...

Nous pouvons prier avec cette belle prière d'Augustin :

Un texte d'Augustin d'Hippone (354-430) à méditer et prier :

"Bien tard, je t'ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard, je t'ai aimée !
Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors,
et c'est là que je te cherchais, et sur la grâce de ces choses que tu as faites, pauvre disgracié, je me ruais !
Tu étais avec moi et je n'étais pas avec toi ;
elles me retenaient loin de toi, ces choses qui pourtant,
si elles n'existaient pas en toi, n'existeraient pas !

Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité ;
tu as brillé, tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité ;
tu as embaumé, j'ai respiré et haletant j'aspire à toi ;
j'ai goûté, et j'ai faim et j'ai soif ;
tu m'as touché et je me suis enflammé pour ta paix."

(Confessions X, xxvii, 38).

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L'aujourd'hui et la liberté

(1er dimanche de Carême)

Avons-nous compris en méditant quelques mots et passages bibliques suggérés il y a deux jours, que l'aujour'd'hui de Dieu, c'est d'abord et toujours la liberté ? La liberté qu'il veut pour l'homme, et qu'il nous faut comprendre...

D'un coup, quand on vit dans l'aujourd'hui, on se libère du passé (toujours déformé, le plus souvent idéalisé) et du futur (toujours imaginaire)... et en plus on rencontre "l'imprévu de Dieu", autre nom de sa grâce - que nous pouvons ou non accepter - et de notre liberté ? Oui, le passé et le futur sont bien des esclavages pour l'homme ; esclavages qui nous attachent à ce que nous avons toujours fait, et à tout ce que nous rêvons toujours de faire... Alors laissons un instant les "boulets" qui nous retiennent et découvrons l'aujourd'hui que Dieu veut pour nous, dont nous retrouvons tant de traces dans la Bible !

Les reproches des disciples de Jean le Baptiste et des pharisiens à Jésus

"... les disciples de Jean le Baptiste s'approchèrent de Jésus en disant : "Pourquoi, alors que nous et les pharisiens, nous jeûnons, tes disciples ne jeûnent-ils pas ?" Jésus leur répondit : "Les invités de la noce pourraient-ils donc être en deuil pendant le temps où l'Epoux est avec eux ? Mais des jours viendront où l'Epoux leur sera enlevé ; alors ils jeûneront."

Comparons cette plainte des disciples de Jean, qui voudraient que tout le monde jeûne, comme eux, comme ils pensent que c'est "normal" de le faire, avec le prophète Isaïe qui expose ce que Dieu veut pour le peuple, et même pour tous les peuples !

"Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples et le linceul qui couvre toutes les nations. Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple. Le Seigneur a parlé.
Et ce jour-là, on dira : "Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ; c’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés !" Car la main du Seigneur reposera sur cette montagne." (Isaïe 6, 10-10a).

Bien avant la venue du Christ, Isaïe avait compris ! Et nous, après avoir entendu Jésus, nous ne comprenons pas encore ! Ce que Dieu veut pour nous, mais pour nous tous, c'est l'abondance, c'est la profusion, ce sont les dons pour tous, et partout, c'est la joie de tous ses enfants... mais la joie partagée, le festin partagé... si certains ont trop, et que les autres n'ont rien, comment Dieu pourrait-il se réjouir ?
Et nous pouvons-nous accepter que ce carême (au moins ce carême ! car c'est toute notre vie qui devrait avoir compris cela !) ne soit pas une occasion de dons ? On parle d'"aumône", et ce mot ne nous dit plus rien... alors disons "cadeaux" ! Que donnons-nous à ceux qui sont seuls, à ceux qui ont peur, à ceux qui sont malades, à ceux qui pleurent...? Ce sont là les premiers "pauvres" aujourd'hui, les pauvres près de nous... les pauvres pendant la pandémie ici et maintenant !

Certes, en carême, on nous dit bien de jeûner, de faire l'aumône, et de prier... Que nous dit encore Dieu à travers la bouche de son prophète Isaïe face à cela ?

"Ainsi parle le Seigneur Dieu : Crie à pleine gorge! Ne te retiens pas! Que ta voix résonne comme le cor ! Dénonce à mon peuple sa révolte, à la maison de Jacob ses péchés. Ils viennent me consulter jour après jour, ils veulent connaître mes chemins. Comme une nation qui pratiquerait la justice et n’abandonnerait pas la loi de son Dieu, ils me demande des ordonnances justes, ils voudraient que Dieu soit proche : "Quand nous jeûnons, pourquoi ne le vois-tu pas ! Quand nous faisons pénitence, pourquoi ne le sais-tu pas ?" Oui, mais le jour où vous jeûnez, vous savez bien faire vos affaires, et vous traitez durement ceux qui peinent pour vous. Votre jeûne se passe en disputes et querelles, en coups de poings sauvages. Ce n’est pas en jeûnant comme vous le faites aujourd’hui que vous ferez entendre là-haut votre voix. Est-ce là le jeûne qui me plaît ? Est-ce là votre jour de pénitence ? Courber la tête comme un roseau, coucher sur le sac et la cendre, appelles-tu cela un jeûne, un jour agréable au Seigneur ?
Le jeûne qui me plaît, n'est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N'est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l'aurore, et tes forces reviendont vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : "Me voici." (Is 58, 1-9a).

Voilà la liberté de Dieu, voilà son aujourd'hui. Ce sont là "ses chemins" : voulons-nous les prendre, voulons-nous avancer à ses côtés, et avec tous nos frères les hommes, librement? Il est tellement important de connaître l'aujourd'hui qui nous est donné pour prendre notre décision en sachant mieux quel est le "jeûne" qui plaît à Dieu, toutes ses facettes, en commençant par la découverte de ce que "l'autre", "le frère" est vraiment !

Un texte à méditer de Théodore de Mospsueste (IVe-Ve siècle : v.350-428).

"Cet aujourd'hui signifie maintenat, car nous existons aujourd'hui et non pas demain, et même si nous parvenons au jour suivant, nous serons "aujourd'hui" quand nous y serons. La divine Ecriture appelle aujourd'hui ce qui existe maintenant ou ce qui est proche. Ainsi chez le bienheureux Paul [citant le Ps 94,8 ; on attribue alors à Paul la "Lettre aux Hébreux"] : Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcisses pa votre coeur comme au temps du défi - mais encouragez-vous les uns les autres chaque jour tant que vous appellerez ce jour "aujourd'hui" (He 3, 7-8.13). Cela veut dire que tant que nous sommes en ce monde, nous devons continuellement penser à entendre cette parole. Progressons, jour après jour, tant que nous sommes en ce monde et que nous avons le temps..."

(Théodore de Mopsueste : Homélies catéchétiques 11, 14, Migne, "Les Pères dans la foi n° 62-63, Migne, 1996, pp. 183).

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Petite introduction

En ce Carême 2021, c'est avec une méditation sur "L'Aujourd'hui de Dieu", que nous allons cheminer vers Pâques. De nombreux textes bibliques nous accompagneront, commentés parfois par les Pères de l'Eglise. Souvent nous trouverons des paroles un peu mystérieuses comme celles-ci, fort utiles pour notre Carême : "Encouragez-vous les uns les autres tant que dure la proclamation de l'aujourd'hui" (He 3, 13).

Il est vaste, l'aujourd'hui de Dieu ! Ne peut-on pas le confondre avec ce que nous appelons son éternité ? Ni passé, ni futur en Dieu - alors que pour notre part, nous en sommes toujours si soucieux !

Notre passé, qui rappelle de bons et de mauvais souvenirs, lesquels nous orientent souvent vers les remords : d'avoir mal vécu, d'avoir choisi telle voie dont nous croyons payer les conséquences "aujourd'hui"; ou ce passé qui, un peu naïvement nous fait dire "C'était le bon temps", "Le vert paradis des amours enfantines...". Ce retour sur le passé est aussi très biblique : l'homme de la Bible est souvent convaincu qu'il paye même les fautes de ses parents jusqu'à la troisième ou la quatrième génération ! Ce n'est pas seulement notre propre vie qui est insuffisante, mais aussi la vie de nos Pères et elle nous rejoint ! Terrible !

Le futur, l'avenir ? quant à eux : souvent inquiétants, car nous n'en savons rien. Nous espérons, comme nous disons, nous délivrer de ce qui est difficile dans notre présent, tout ce qui fait notre malheur actuel, nous rêvons de "demain", d'"après-demain"... où tout sera effacé. Notre foi souvent nous engage dans cette voie, quand nous ne comprenons pas bien ce que nous disons, mais ça ne fait jamais de mal de rêver, n'est-ce pas ? Cependant les réveils sont parfois difficiles... Alors même si l'on attend beaucoup de l'avenir, qui nous prouve qu'il sera bon, beau...? Nous vieillissons et c'est souvent notre principale déception ! "Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait..." comme on dit !

Et notre "aujourd'hui" d'humain, coincé entre le passé et l'avenir, n'est jamais l'aujourd'hui de Dieu, cet aujourd'hui éternel ("ce pauvre Dieu" ! ajoutent certains ; "surtout ne pas vivre éternellement comme nous vivons aujourd'hui : pauvres, solitaires, et en outre confinés... privés de tout ce qui donnait un peu sans à nos vies... hier !"

Nous voici repartis dans l'hier et ensuite le lendemain auquel nous nous accrochons comme à un espoir essentiel... (Tiens ! ne faudra-t-il pas réfléchir à l'espoir, à l'espérance... si c'est la même chose ?), ces temps (hier, demain) qui écrasent toujours le présent de l'homme... avec cette belle question : l'aujourd'hui de Dieu est-il rempli d'espérance ? Dieu connaît-il même "l'espérance"... Nous aimons bien lui prêter nos sentiments. St Paul ne nous dit-il pas (1 Co 13, 4-13) :

"L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. L’amour ne passera jamais. Les prophéties seront dépassées, le don des langues cessera, la connaissance actuelle sera dépassée. En effet, notre connaissance est partielle, nos prophéties sont partielles. Quand viendra l’achèvement, ce qui est partiel sera dépassé. Quand j’étais petit enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Maintenant que je suis un homme, j’ai dépassé ce qui était propre à l’enfant. Nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un miroir ; ce jour-là, nous verrons face à face. Actuellement, ma connaissance est partielle ; ce jour-là, je connaîtrai parfaitement, comme j’ai été connu. Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois, c’est la charité [l'amour]."

Que cherchons-nous en parlant de l'Aujourd'hui de Dieu ?

Essayons !

Déjà une petite phrase à méditer pour occuper ces premiers jours de Carême... et peut-être prendre la décision de continuer ?

"C’est pourquoi, comme le dit l’Esprit Saint dans un psaume : "Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas votre cœur comme au temps du défi, comme au jour de l’épreuve dans le désert, quand vos pères m’ont mis à l’épreuve et provoqué. Alors ils m’ont vu à l’œuvre pendant quarante ans ; oui, je me suis emporté contre cette génération, et j’ai dit : Toujours ils ont le cœur égaré, ils n’ont pas connu mes chemins." (Hébreux 3, 7-10).

Mais aussi à partir du Psaume 94, 8 :

"Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas votre cœur, comme au jour de tentation et de défi dans le désert".

[voir Exode 17,7 : Moïse donna à ce lieu le nom de Massa (Tentation) et Meriba (Défi), parce que les Israélites cherchèrent querelle et parce qu'ils mirent le Seigneur à l'épreuve en disant: "Le Seigneur est-il au milieu de nous, ou non?".]

Bien des éléments déjà pour s'engager sur la route, pour écouter (très important dans la Bible "écouter" !). Et qu'est-ce qu'évoque Dieu quand il parle de [ses] chemins : quels sont les chemins de Dieu ? Quent aux coeurs endurcis, est-ce que nous connaissons ? En quoi nous concernent Massa et Mériba, tentation et défi ?

La vraie, l'unique question : qu'est-ce que nous attendons de ce Carême ? Comment le vivre chaque jour, et non pas dans le souvenir de nos mauvais carêmes, ou en annonçant chaque jour, que ce sera mieux demain ou après-demain ?

Alors à dimanche, pour réfléchir d'abord à "l'Aujourdhui et la liberté" !

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