Maurice Zundel

"Un Dieu plus intime à soi que soi-même"

Ce beau titre qui évoque la célèbre phrase d'Augustin dans les Confessions (livre III, vi, 11) est l'occasion d'une méditation très profonde de Maurice Zundel. Sans doute fragment d'une homélie, prononcée à Pully (commune du Canton de Vaud en Suisse) en 1961 ou page écrite en ce lieu, ce texte se trouve inséré dans Je ne crois pas en Dieu, je le vis (Ed. Le Passeur 2017), un ensemble de textes du grand mystique suisse. Cet ouvrage constitué de courts fragments, astucieusement regroupés par France-Marie Chauvelot, est ainsi une édition revue et corrigée de ce que cette spécialiste de Maurice Zundel avait publié sous le titre Vivre Dieu, en 2007 aux Presses de la Renaissance - ouvrage constitué principalement d'inédits.

"L'homme est au centre des préoccupations de Jésus. La religion de Jésus, c'est la religion de l'homme parce que justement, le royaume de Dieu est au-dedans de nous et jamais cette religion de l'homme n'éclate de manière plus émouvante et plus tragique qu'au lavement des pieds. C'est un des derniers gestes de Jésus et c'est là que nous pouvons lire l'éternel et nouveau Testament : Jésus est à genoux devant ses disciples, à genoux devant Judas qui l'a vendu, à genoux devant Pierre qui va le trahir, à genoux devant Jean qui va s'endormir au jardin de l'Agonie, à genoux devant tous les autres qui vont s'enfuir quand ils verront la partie perdue.

Pourquoi est-il à genoux ? Justement parce qu'il veut dans un dernier élan d'amour, il veut mettre ses disciples du côté de l'amour, du côté de la rédemption. Il veut les associer au mystère qui va s'accomplir et où il va s'enfoncer tout seul dans la nuit effroyable qui fera jaillir de ses lèvres un cri de désespoir. Il tente une dernière fois de bousculer les idoles et de les mettre en face d'un Dieu intérieur à eux-mêmes - il n'y en a pas d'autre -, un Dieu au-dedans de nous, un Dieu dont la caractéristique est justement d'être un pur dedans. Il n'a pas de dehors. Il est là, comme une musique silencieuse, au plus profond de nos coeurs. Il ne cesse de nous attendre pour nous transformer en lui.

C'est à ce Dieu-là que Jésus veut conduire l'homme mais, pour que l'homme découvre ce Dieu, il faut que l'homme se transforme, qu'il naisse de nouveau, qu'il consente à l'amour, qu'il se donne à dieu comme Dieu se donne à lui."

(Pully, 1961)

[in Je ne crois pas en Dieu, je le vis, Le Passeur, 2017, pp. 194-195]