"Les Béatitudes, en tant qu'acte initial préparent l'annonce de l'Evangile. Dans ces phrases, Jésus
confie son plus intime secret, la joie qui emplit sa vie, parce qu'il accomplit la mission du Père qui
l'a envoyé. Il habite la générosité de Dieu. Son premier mot ne peut eêtre qu'"heureux". Heureux, parce
qu'il apporte aux hommes la parole du Père. Il donne à ses disciples sa joie de Fils, celle qu'ils auront
à vivre et à transmettre. "Heureux" est le mot de l'appel et du partage, le mot de la marche et de l'envoi.
Les Béatitudes constituent les paroles inaugurales, adressées non pas aux puissants ni aux sages, mais à
ceux que la vie malmène (les pauvres, les affligés, les persécutés) et à ceux qui s'efforcent d'en adoucir
les peines (les miséricordieux, les pacifiques, les coeurs limpides). Elles s'adressent à ceux que l'histoire
officielle néglige (cf. Mt 11, 25-27).
Au début de la vie publique de Jésus, les Béatitudes ouvrent son ministère. Elles ouvrent son coeur. Paroles
de naissance et paroles acérées comme un glaive (He 4, 12), elles transpercent les existences pour que
jaillisse une vie nouvelle, celle que Jésus donne à ceux qui les reçoivent. En cela, elles dépassent le
résumé et même les annonces des promesses antérieures. Elles sont d'une autre nature qu'un programme
moralisateur pour des âmes romantiques. Car elles révèlent la logique profonde de la personne du Christ.
La pauvreté et la justice, la paix et les persécutions, la pureté et la douceur offrent autant de portes
d'entrée pour comprendre le Christ. Il a porté les peines des hommes, il a pleuré de leurs larmes (Mt 8, 17),
parce que sa compassion manifeste la miséricorde du Père, ce Père que le Fils connaît et révèle.
[...] Le bonheur que dévoilent les Béatitudes ne demande ni retrait du monde, ni privations, ni raideur afin
de l'obtenir en le payant de ses efforts. Ce n'est pas pour le conquérir qu'il faudrait accomplir des actes
héroïques en sorte que le bonheur se vendrait au plus offrant. C'est l'inverse qui est ici annoncé : le
bonheur est premier, gratuitement donné, comme déjà là secrètement, il suffit que quelqu'un d'autre le
fasse émerger. C'est bien parce que cet "heureux" est inaugural qu'on le reçoit quitte à tout laisser quand
il arrive (Ph 3, 8-9). La joie ne peut être qu'au commencement, sinon la satisfaction de nos efforts serait
plus grande qu'elle. Cette joie n'a d'autre raison qu'elle-même. Un tel bonheur peut ainsi être proposé au
dernier des méprisés et des pécheurs. Il touche en lui la part, peut-être infime mais réelle, du bien
qu'il porte en lui..."
Rouet, Albert :Et il dit : Heureux ! Une lecture des Béatitudes selon saint Matthieu, Salvator-forum, 2024, pp. 38-39.
[Le texte des Béatitudes selon saint Matthieu se trouve au début du ch. 5 de cet évangile, mais au-delà des "Heureux", à lire et méditer tout particulièrement, c'est avec profit qu'on lira au moins tout le ch. 5, et même tout le Sermon sur la montagne jusqu'à Mt 7, 29... et pourquoi pas : tout l'évangile de Matthieu pour ceux qui ne le connaissent pas suffisamment... Guidés par Mgr Rouet, c'est une lecture qui s'impose comme "nouvelle" et désaltérante - pour homme nouveau ou femme nouvelle... Chaque mot de Mgr Rouet commentant ces textes est à peser, à savourer pour en retirer toute la profondeur... et saisir cette joie qui nous est donnée.]