Raimon Pannikar

L'expérience de Dieu. Icone du mystère : 2e extrait

In ipso enim vivimus, et movemur, et sumus, "C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être" (Ac 17, 28).

Les trois verbes (nous vivons, nous nous mouvons, nous sommes) de cette phrase font référence à trois aspects fondamentaux de l'expérience chrétienne de Dieu.

"Nous vivons", le premier verbe, nous renvoie à l'expérience fondamentale de Dieu comme vie. Dire que nous vivons en Lui peut s'interpréter comme une métaphore spatiale, comprenant Dieu comme une espèce d'atmosphère nous enveloppant. Cette métaphore peut nous faire dériver vers une distinction qui ne correspond pas à la véritable expérience de Dieu. Une métaphore qui rend compte de cette phrase est celle de l'eau : non pour dire que nous vivons en Lui comme un poisson dans l'eau, bien que reconnaissant l'évidente richesse symbolique de cette expression, mais comme une goutte dans l'eau. Vivre en Dieu, faire l'expérience de Dieu, c'est nous reconnaître en Lui comme nous-mêmes : nous vivons en Lui, avec Lui et de Lui. La goutte n'est visible qu'en dehors de l'eau, mais ce qu'elle est, c'est de l'eau et la tension superficielle qui la limite.

"Nous nous mouvons", ce second verbe nous parle de l'expérience de Dieu comme mouvement, comme énergie, comme principe vital. C'est la vie en tant que dynamisme incessant, c'est Dieu en tant que force non fondée en nous-mêmes. "Nous sommes mus" par Lui, et pas seulement par son attraction, comme le premier moteur immobile d'Aristote. Ici, Il nous entraîne avec Lui. Dieu est comme un espace vide qui nous permet de nous mouvoir.

Enfin, "nous sommes" exprime autant l'être que l'étant. Il ne suffit pas de dire que nous avons l'être parce que nous l'avons reçu de Lui. Dire que "nous sommes en Dieu", c'est affirmer plus que dire que notre être est reçu de Dieu. Si "nous sommes en Dieu", nous sommes dans la mesure où Il est et dans la mesure où nous participons de Lui, préciseront certains.

Cette vie, ce mouvement et cet être de moi-même en Dieu constituent la véritable expérience de Dieu. Les trois verbes nous disent la même chose à partir de trois perspectives complémentaires. Qui n'a pas vécu cette omniprésence, cette inséparabilité et, en terme ultime, cette divinité de son propre être, peut avoir une pensée de Dieu et même une idée sublime, mais il ne fait pas l'expérience de Dieu. L'homme, tout homme, est une participation, une image, un mystère de Dieu."

Traduction française, Albin Michel 2002, pp. 117-119.

Alors que Dieu vivant se meut et est tout à la fois, pour nous, ces verbes fondamentaux correspondent souvent à des temps, des attitudes différentes. Comment faire l'unité de notre vie quand nous sommes écartelés par tous les moments de notre existence ? C'est en Dieu seulement que nous pouvons atteindre, déjà en ce monde, l'unité fondatrice, retrouver l'unité de l'origine, alors que le péché, quant à lui, est dispersion, séparation, rupture...

L'élan, le désir est mouvement de Dieu en nous. "Toute la vie du chrétien est un saint désir..." dit Augustin dans le Commentaire sur la 1ère lettre de Jean (4, 6) - ce qu'il commente aussi dans la Lettre à Proba.

"L'homme, tout homme, est une participation, une image, un mystère de Dieu.", c'est-à-dire que l'homme est "lumineux", qu'il "éclaire" ce qui est caché, et peuvent être "lumière de Dieu" même ceux qui vivent dans la pénombre de la dispersion. Car le mystère de Dieu ce n'est pas l'opacité, mais la lumière éblouissante qui met Paul à bas de son cheval, qui le rend aveugle pour un moment tant s'impose à lui l'évidence de Dieu.