"On objectera que, d'après les récits, les disciples ont eu évidemment des visions. Assurément, seulement, il faut
ressusciter à ce mot son vrai sens. Ce que pense quelqu'un en entendant cette phrase : "Il a eu des visions" est une
chose relativement récente. Mais la proposition a aussi un sens vieux comme le monde, qui se trouve déjà dans l'Ancien
Testament. "Vision" veut dire vue, contemplation. Non pas considérée comme phénomène purement subjectif, mais comme
saisie d'une réalité supérieure et objective. Les disciples au tombeau, sur le chemin d'Emmaüs, dans la salle, au lac,
ont eu des visions, sans aucun doute, mais cela veut dire qu'ils ont vu le Seigneur vivant, comme une réalité existant
dans ce monde, sans être de ce monde ; respectant l'ordre de ce monde, mais dominant souverainement ses lois.
Voir cette réalité était davantage et autre chose que de voir un arbre au bord de la route ou un homme entrant par la
porte. Le voir, lui, le Ressuscité, c'était une expérience bouleversante, brisant toutes les routines. Voilà pourquoi
il y a dans le récit ces mots : Il disparaît subitement ; il se tient au milieu de la salle ; quelqu'un se
retourne et le voit à côté de lui, etc. (Mc 16, 9-14 ; Lc 24, 31-36). De là vient aussi que le récit est si
rapide, si brusque, si court, si contradictoire, qu'il oscille à droite et à gauche, semblant chercher une forme
convenable pour un contenu qui fait éclater toutes les vieilles formes."
(Romano Guardini : Le Seigneur, Salvator, 2009, p. 468).
Le père Romano Guardini, théologien allemand, est mort en 1968. Il a tenu une place exceptionnelle parmi les courants théologiques du XXe siècle, préparant ainsi notamment le Concile Vatican II.
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