Cassingena-Trévedy, François

"Ce n'est pas vous qui parlerez..."

"Tu prieras le Père... Vous direz : "Père !"... Mais Seigneur, je ne sais pas parler ! Comment m'y prendre ? De cela même pourtant si simple, je ne suis pas capable. Et de fait, Tu l'as dit Toi-même : "Sans moi vous ne pouvez rien faire" (Jn 15, 5). Vous ne pouvez même rien dire sans Moi ; sans Moi vous ne pouvez même pas dire : "Père !" Cela, vous ne pouvez le dire qu'avec Moi, par Moi et en Moi, depuis le foyer divin de l'Invocation même, conjoints vitalement à l'Organe qui profère cet "Abba !".
Oui, nous disons : "Père !", mais cela ne nous appartient pas, cela n'est pas de notre ressort, cela vient en réalité de beaucoup plus loin, de beaucoup plus profond. Et voilà comment l'apparente banalité du conseil cache un abîme, l'insondable profondeur de notre condition filiale et adoptive dont la vie spirituelle et l'oraison ne sont que le déploiement.
- "Père !" Tel est le mot de passe qui nous est donné, telle est la clef de la prière. Mais revenons inlassablement à cette parole, questionnons-la et disons-lui, comme à Celui qui nous l'a apprise : "D'où viens-tu ?" (Jn 19, 9). Est-ce nous qui l'avons inventée ? Est-ce vraiment de nous qu'elle fuse comme de son ultime origine ? Ecoutons-la donc, cette parole, déclarer à notre prétoire, comme Celui qui nous l'a apprise : "Moi, je suis d'en haut" (Jn 8, 23). De Très-haut ou de Très-bas, comme l'on veut, en tout cas d'Ailleurs, d'un Autre. Dire "Père !", prier le Père, ne nous appartient pas : c'est un prêt, oh certes, un prêt consenti de grand Coeur, mais un prêt tout de même, ne l'oublions pas : c'est une grâce.
"Ce n'est plus moi qui vis, dit Paul, mais c'est Christ qui vit en moi" (Ga 2, 20). Si ce n'est plus moi qui vis, eh bien, tirons la conséquence : ce n'est plus moi qui prie non plus, mais c'est un Autre qui prie en moi ; ma prière ne m'appartient pas. Cette conscience nette de la désappropriation de notre prière est le préalable obligé de toute vraie prière ; c'en est le secret. Nous commençons à prier dès l'instant où nous avons compris que notre prière n'est ni à nous ni de nous."

"Ce n'est pas vous qui parlerez..." in "Pour toi quand tu pries...", Abbaye de Bellefontaine/Editions du Cerf, "Vie monastique" n° 37, [1ère Ed. 2000] 2019, p. 134-135.