"Ce que nous apprend notre incarcération subtile, c'est que nous n'avons besoin que d'une seule chose : aimer et être aimé.
Nous commençons, nous recommençons à appeler avec des mots de bénédiction les vivres les plus simples de notre vie :
la lumière du jour, le trille de l'oiseau, la voix de l'enfant dans la rue, le visage des proches, le vin et le rire des amis,
la carresse de l'être aimé. Au sortir de l'arche, nous cultiverons un carpe diem ("cueille le jour"), car il
existe - j'en suis de plus en plus persuadé - un carpe diem parfaitement chrétien. L'on cueille, non ce qui est
défendu, mais ce qui est donné. La suspension de tout ce dont nous usons et abusons d'ordinaire n'est là que pour nous
révéler à nouveau - à neuf - la magnificence de tout ce qui nous est donné.
Le deus ex machina est mort : le Dieu des explications, des réparations, des compensations faciles, le Dieu
"tout-puissant" des châtiments et des craintes primitives, le Dieu terrible que l'on cherche à modifier, à fléchir, par
un surcroît maladroit de pratiques. Pour nous, en ce moment, il ne s'agit pas d'ajouter des pratiques, mais d'approfondir,
avec Jésus-Christ et en lui, le mystère crucial de notre vie et de notre mort, autrement de grandir en gravité. Et n'allon
pas soupçonner, de la part des autorités civiles, quelque complot prémédité contre le culte catholique : la clandestinité de
notre Pâque 2020 n'est pas l'effet d'une revanche, mais, en un sens, la condition naturelle et "natale" de la Pâque, mais
une occasion d'explorer et de partager fraternellement, avec l'humanité entière, la condition souterraine de la vie.
En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul, mais s'il meurt, il porte
beaucoup de fruit (Jn 12, 24). Le Dieu de notre fabrication est mort, mais LE CHRIST NOTRE PÂQUE EST VRAIMENT
RESSUSCITÉ, Celui qui affleure, à ras de terre et d'horizon et d'aurore, un Dieu non pas écrasant, mais germinal, non pas
jaloux, mais dépouillé..."
Extrait tiré de Chroniques du temps de peste. Donner un sens à ce que nous vivons, Tallandier, 2021, pp. 21-22).
[Livre à poursuivre tout au long de nos confinements... et un nouveau temps pascal !].