Hans Urs von Balthasar

Extrait de Pâques, le mystère, "Foi vivante", Cerf, 1996, p. 153.

L'Eglise tout entière, dans la mesure où elle est vraiment le corps du Christ (par l'eucharistie), doit être crucifiée avec sa Tête, et cela d'abord sans considération de la souffrance subjective des chrétiens, mais par le simple fait de son existence et la logique de la foi elle-même. Car le contenu de cette foi est que le pécheur en tant que pécheur est attaché à la croix du Christ, réellement et pas seulement selon une vague représentation, et qu'ainsi le Christ meurt "de ma mort de péché", pendant que moi, au-delà de moi-même, j'obtiens par cette mort la vie de l'amour de Dieu. Paul exprime donc avec la plus grande précision la situation de l'Eglise totale quand il déclare : Je vis, mais ce n'est plus moi [en tant que moi demeurant centré sur lui-même], c'est le Christ qui vit en moi (Ga 2, 20), ce qui signifie : "Je suis crucifié avec le Christ. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m'a aimé et s'est livré pour moi. Je n'annule pas le don de Dieu." C'est l'expression de la constitution essentielle de l'existence ecclésiale. Devenir chrétien signifie venir à la croix."

Hans Urs von Balthasar (1905-1988), l'un des plus grands théologiens du XXe siècle, est né et a vécu en Suisse. Jésuite, jusqu'en 1950, prêtre du diocèse de Coire, il a laissé une oeuvre immense. Créé cardinal par Jean-Paul II en 1988, reconnaissance tardive, il est mort quelques jours avant d'en recevoir les insignes.

A noter que toute sa vie a été marquée par des renoncements (il n'était guère adepte des honneurs), en même temps que par des mises à l'écart, notamment dans l'Eglise d'avant Vatican II, comme tant d'autres théologiens (on pense à un très proche de lui : Henri de Lubac).

Ainsi, ordonné prêtre en juillet 1936, Hans Urs von Balthasar refuse un poste qui lui est proposé à l'Université pontificale grégorienne de Rome. Il préfère s'installer à Bâle, donnant des conférences, et se liant d'amitié avec le théologien protestant Karl Barth. Il fonde un institut séculier, la Communauté Saint-Jean, avec Adrienne von Speyr, protestante, qui se convertit au catholicisme, dont il devient "l'accompagnateur spirituel" ("confesseur" et "directeur spirituel" comme on dit encore à l'époque).

C'est alors que H. Urs von Balthasar commence à avoir des difficultés au sein de l'Eglise pré-conciliaire. Quand celle qu'il dirige, Adrienne von Speyr, mystique, fait état de visions - ce qui ne convient guère aux autorités religieuses catholiques et luthériennes -, la Compagnie de Jésus, par peur de conflits avec Rome, ne veut plus prendre sous sa responsabilité l'Institut Saint-Jean (fondé autour d'Adrienne von Speyr). H. Urs von Balthasar, dont les propos consonnent avec la "nouvelle théologie" d'Henri de Lubac, est en outre alors l'objet de nombreuses critiques à Rome. En 1950, il décide de quitter la Compagnie de Jésus. Bien que toujours prêtre, la Congrégation suisse pour l'éducation catholique le bannit des instituts et universités où il enseignait. Il doit vivre alors des conférences qu'il continue à donner et de ce qu'il publie.

Pourtant la théologie d'Urs von Balthasar fait de plus en plus d'adeptes, mais il ne participe pas à Vatican II (alors même que, par exemple, Henri de Lubac y est invité comme expert).

La santé d'Hans Urs von Balthasar se dégrade rapidement dans les années quatre-vingt. C'est ainsi que malgré la reconnaissance tardive qui lui est faite (par sa nomination comme Cardinal par Jean-Paul II en 1988), il ne pourra pas recevoir la barrette de Cardinal qui lui était destinée, sa mort intervenant quelques jours avant le Consistoire.

Aujourd'hui encore, et notamment dans la perspective des chemins vers l'unité des chrétiens, sa parole résonne très fort pour nos contemporains. Pensons au très beau titre d'un ouvrage du grand théologien, réédité en 2000 : La vérité est symphonique" !