Blaise Arminjon

Le Pain de Vie

"Des propos de Jésus, les Galiléens retiennent uniquement qu'il est en son pouvoir de leur fournir quotidiennement le pain de la table. Ils lui disent donc, par manière de défi semble-t-il : "Seigneur, donne-nous toujours de ce pain (6, 34). C'était déjà la requête, mais plus humble alors et plus confiante, de la Samaritaine : Signeur, donne-moi de cette eau, que je n'aie plus soif et ne vienne plus puiser ici (Jn 4, 15).
Le moment est venu pour Jésus de lever toute ambiguïté : Je suis, moi, le Pain de Vie. A quatre reprises au cours de l'échange, l'affirmation est renouvelée par lui avec vigueur (6, 34.48.50.51). Quiconque vient à moi n'aura pas faim, qui croit en moi n'aura pas soif, jamais !(6, 35). C'est là, dans l'Ecriture, le langage de la Sagesse.

Les Juifs reconnaissent bien ce langage. Peu à peu, en effet, prophètes et sages d'Israël avaient vu dans la Parole de Dieu l'accomplissement de la manne. La manne, jadis tombait comme la rosée du ciel dans le camps du désert (Nb 11, 9). Que ma parole tombe comme la rosée, pouvait-on lire au livre du Deutéronome (Dt 32, 2). Plus parfaitement et plus durablement que de la manne mangée par leurs pères, la Sagesse invitait les hommes à se nourrir de la Parole de Dieu : Venez, mangez, disait-elle, gratuitement, sans payer (Is 55, 1) ; Venez manger de mon pain et boire de mon vin (Pr 9, 5). De la Parole de Dieu ainsi accueillie, le psalmiste pouvait chanter : Qu'elle est délicieuse à mon palais, ta Parole (Ps 119, 103).

Jésus se donne aujourd'hui comme la personnification même de la Sagesse. Il est cette Parole descendue du ciel (6, 33), qui comble toute faim. Je suis le Pain de la Vie, répète-t-il. Qui vient à moi n'aura pas faim, qui croit en moi n'aura pas soif, jamais ! (6, 35).
Encore faut-il que l'homme consente à venir à lui, ouvre les yeux de l'âme et croie en lui. Car vous, vous avez vu, et pourtant vous ne croyez pas (6, 36). A travers le signe du pain multiplié sur la montagne, vous n'avez pas perçu l'identité de Celui qui vous le donnait, l'Envoyé du Père, le véritable Pain de Vie. Et vous n'êtes pas venus à moi.

Pourtant, je l'atteste, celui qui vient à moi, je le reçois comme don que me fait le Père : je ne le jetterai pas dehors. Comment pourrais-je être infidèle à la mission de salut universel que le Père m'a confiée ? De tout ce qu'Il m'a donné, je ne perds rien... Car telle est Sa volonté, que tout homme qui voit le Fils et qui croit en lui ait la vie éternelle. Et je le ressusciterai, moi, au dernier jour (6, 37-40).

Arminjon, Blaise, s.j. :Nous voudrions voir Jésus. Avec St Jean, Jn 1 - 11, Desclée de Brouwer/Bellarmin, coll. Christus n° 82, 1995, pp. 122-123.

Blaise Arminjon (1917-1998) jésuite, a publié chez Desclée de Brouwer trois commentaires bibliques, dont cet ouvrage magnifique (en deux volumes) sur l'Evangile de Jean : La Cantate de l'Amour, une lecture suivie du Cantique des Cantiques, avec le soutien des Pères de l'Eglise et grands spirituels qui l'ont commenté avant lui ; puis Sur la lyre à dix cordes (à l'écoute des Psaumes au rythme des Exercices de saint Ignace). Il a exercé dans son ordre des charges importantes de formation et de gouvernement, donnant inlassablement, à des frèrs et soeurs, religieux et laïcs, les Exercices de St Ignace.