La joie chez les Pères de l'Eglise...
(et quelques auteurs chrétiens ultérieurs)

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Chapitre 6e

Joie et vérité (suite)

2) Joie et lumière de la vérité

Après avoir déclaré Dieu Vérité et Véridique, nous pourrions nous contenter de rappeler que Dieu est joie, qu’il est de ce fait source de toute Joie, pour comprendre l’union de joie et vérité, qui toutes deux viennent de Dieu, mais nous allons essayer d’aller plus loin pour expliciter les rapports de la joie et de la vérité dans nos vies d’hommes.

D’abord, l’annonce de la Parole (Vérité) se fait dans la joie. C’est l’hilaritas d’Augustin (De Catechizandis rudibus). Les théologiens sont peut-être souvent tristes mais pas les Pères !

On rappellera les conseils donnés par Augustin aux catéchistes ; on pourrait commenter le souci qu’il exprime en disant que la vérité enseignée passera d’autant mieux que le catéchiste sera dans la joie.

"Aussi l’affaire difficile n’est pas de fixer, dans les matières de foi que nous enseignons, les points où doit commencer et finir le récit, ni la manière de varier le récit, de sorte que, tantôt plus court, tantôt plus long, il soit toujours complet et achevé, ni quand il faut le faire ou plus court ou plus long ; mais le souci principal concerne les moyens à mettre en œuvre pour que chaque catéchiste travaille dans la joie, - car il sera d’autant plus attrayant qu’il y réussira -. Et, en vérité, le précepte sur ce point est à portée de la main : si, lorsqu’il s’agit d’argent matériel, Dieu aime qui donne avec joie, combien plus lorsqu’il s’agit d’argent spirituel ! Mais la présence de cette joie à l’heure dite relève de la miséricorde de celui qui donne ces préceptes." (2, 4, pp. 53-55).

St Grégoire de Nysse parle, quant à lui, de l’humanité pétrifiée qui s’attache aux idoles, mais le Verbe brille pour l’Eglise : il n’y a plus d’ombre avec la Vérité.

""Les idoles des païens, des œuvres faites de main d’homme. Comme elles, seront ceux qui les firent, quiconque met en elles sa foi." De même, en effet, que ceux qui tournent leur visage vers le Vrai Dieu reçoivent en eux les propriétés de la divinité, de même ceux qui s’attachent à des idoles illusoires sont transfigurés en ce qu’ils contemplent, et d’hommes deviennent pierres. Ainsi, l’humanité pétrifiée par le culte des idoles et figée par la glace du paganisme avait perdu toute agilité vers le bien. C’est pourquoi le Soleil de Justice s’est levé sur ce rigoureux hiver et a amené le printemps. En même temps que ses rayons montent à l’Orient, le vent du sud fait fondre la glace afin que l’homme pétrifié par le froid de l’infidélité soit pénétré de chaleur par l’Esprit et fonde sous les rayons du Verbe et qu’il devienne à nouveau une source jaillissante pour la vie éternelle. "Il souffle son vent et les eaux coulent", est-il écrit et : "Il change le rocher en étang et la pierre en source d’eau vive."

La Vérité fait d’abord briller le Verbe pour l’Eglise par les Prophètes, puis la révélation de l’Evangile dissipe tout le spectacle d’ombres et de figures. Par elle, le mur de séparation est détruit et l’air dans la maison est envahi par la lumière céleste. Point n’est besoin désormais de recevoir la lumière par des fenêtres, puisque la vraie lumière éclaire tout ce qui est à l’intérieur des rayons de l’Evangile.
C’est pourquoi le Verbe, qui redresse tous ceux qui sont courbés, crie à l’Eglise à travers les fenêtres : "Relève-toi, toi qui avais glissé dans la boue du péché, toi qui avais été enchaînée par le Serpent, qui étais tombée à terre et que la désobéissance avait entraînée dans la chute. Relève-toi. Il ne suffit pas de te relever de ta chute, dit-il, avance et progresse dans le bien jusqu’au bout de ta course vers la perfection. Lève-toi, viens." A peine a-t-elle entendu la puissance du Verbe qu’elle se lève, s’avance et s’approche de la lumière.
"Lève-toi, ma bien-aimée, ma belle, ma colombe." Elle entend l’ordre, elle est revêtue de la puissance du Verbe, elle s’éveille, s’avance, s’approche et devient belle ; elle est appelée colombe. Comment un miroir peut-il renvoyer une belle image si rien ne s’y mire ? Il en est ainsi du miroir de l’humanité. Il n’était pas beau, mais dès qu’il s’est approché du Beau, il a été transfiguré par l’image de la beauté de Dieu. De même que l’épouse avait pris l’apparence du Serpent, après la chute, lorsqu’elle gisait à terre et fixait les yeux sur lui, de même lorsqu’elle s’est levée, elle a pris l’apparence de ce vers quoi elle se tournait. Elle se tourne vers la beauté du Principe, c’est pourquoi s’approchant de la lumière, elle devient lumière, et dans la lumière, elle réfléchit l’image de la colombe, dont la forme révèle la présence de l’Esprit Saint.
Ainsi au fur et à mesure qu’elle progresse vers ce qui est toujours en avant d’elle, son désir augmente et l’excès des biens qui lui apparaissent lui fait croire qu’elle est toujours au début de sa route. C’est pourquoi le Verbe dit à nouveau : "Lève-toi" à celle qui est déjà levée, et : "Viens" à celle qui est déjà venue. En effet, à celui qui se lève vraiment il faudra toujours se lever et à celui qui court vers le Seigneur jamais ne manquera le large espace. Ainsi, celui qui monte ne s’arrête jamais, allant de commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin." (Homélie V sur le Cantique des Cantiques, citée in Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes, pp. 260-262).

Paul VI dira plus tard comment l’évangélisation, tâche fondamentale de l’Eglise qui est chargée d’annoncer la vérité, est joie :

Exhortation apostolique de Paul VI "Evangelii Nuntiandi" :
"L'Église est toute entière évangélisatrice. Cela signifie que pour l'ensemble du monde et pour chaque portion du monde où elle se trouve, l'Église se sent responsable de la tâche de diffuser l'Evangile... Que le monde de notre temps qui cherche, tantôt dans l'angoisse, tantôt dans l'espérance, puisse recevoir la Bonne Nouvelle, non d'évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux mais de ministres qui ont les premiers reçus en eux la joie du Christ et qui acceptent de jouer leur vie pour que le royaume leur soit annoncé et l'Église implantée au cœur du monde."

On retrouve la thématique développée par Augustin dans La catéchèse des débutants (cf. ci-dessus).

Mais la vérité doit être accompagnée de l’Amour, thème cher à St Jean : la vérité sans l’Amour n’est rien ; rappelons-nous Jn 15, 17 :

"Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres."

Mais on n'oubliera pas non plus ce cri : "De la vérité même ils se sont fait une idole." Et on reliera la Pensée 582 de Pascal :

"On se fait une idole de la vérité même; car la vérité hors de la charité n'est pas Dieu, et est son image et une idole, qu'il ne faut point aimer, ni adorer, et encore moins faut-il aimer ou adorer son contraire, qui est le mensonge."

Comment pourrait-il en être autrement, quand la Vérité c’est le Christ – le Christ notre joie. Les commentaires de "Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie" sont nombreux chez les Pères : Par exemple, Augustin, dans un Sermon sur Noël, évoque joie et vérité ; la Vérité c’est le Christ, cet enfant qui nous est donné :

"Nous appelons Noël, ce jour où la Sagesse de Dieu s’est manifestée sous les traits d’un enfant et où le Verbe de Dieu vagit sans savoir parler. Nous célébrons l’anniversaire solennel de ce jour où fut accomplie la prophétie qui disait : "La Vérité a germé de la terre et des cieux s’est penchée la Justice." La Vérité qui est dans le sein du Père a germé de la terre pour être aussi dans le sein d’une mère. La Vérité, que le ciel ne peut contenir, s’est levée de la terre pour être déposée dans une crèche. Pourquoi donc une telle hauteur en est venue à une telle petitesse ? Eveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera." Pour toi, dis-je, Dieu s’est fait homme. Tu serais mort à jamais si, un jour, pour toi, il n’était né. Tu n’aurais jamais été libéré du péché, s’il n’était venu dans une chair semblable à celle du péché. Une misère sans fin t’aurait écrasé, s’il n’avait accompli cette miséricorde. Tu n’aurais jamais été rendu à la vie, s’il ne s’était soumis à ta mort. Tu aurais succombé s’il ne t’avait secouru. Tu aurais péri, s’il n’était venu.
Célébrons dans la joie la venue de notre salut et de notre rédemption. La Vérité s’est levée de la terre : le Christ qui dit : « Je suis la Vérité », est né de Marie… La Vérité s’est levée de la terre, parce que le Verbe s’est fait chair. Et des cieux s’est penchée la justice, parce que tout don excellent, tout don parfait, vient d’en haut et descend du Père des Lumières.
Quelle plus grande grâce de Dieu pouvait éclater à nos yeux ? Dieu avait un fils unique, il en a fait le fils de l’homme, pour pouvoir, en retour, faire du fils de l’homme un fils de Dieu." (St Augustin : Sermon 185, dans Lectionnaire…, déjà cité, pp. 64-65)

Commentant le "sermon après la Cène" (au ch. 14 de Jean), Saint Hilaire de Poitiers montre comment l’Esprit-Saint est celui qui illumine nos âmes (illuminer est aussi bien en relation avec "joie" qu’avec "vérité", "l’âme lumineuse", l’âme illuminée manifeste la joie, "l’esprit illuminé", qui touche au vrai manifeste la vérité) :

"Quelle est en nous l’action de l’Esprit ? Ecoutons les paroles du Seigneur lui-même : "J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant. Il vous est bon que je m’en aille, car si je m’en vais, je vous enverrai un avocat." Il dit encore : "Je prierai le Père et il vous enverra l’Avocat pour qu’il soit avec vous à jamais, l’Esprit de vérité qui vous conduira à la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il vous le dira, et il vous annoncera les choses à venir." En ces mots nous sont révélés la volonté du donateur, ainsi que la nature et le rôle de celui qu’il nous donne. Car notre infirmité n’étant capable de connaître ni le Père ni le Fils, et difficile notre Foi en l’Incarnation de Dieu, le don de l’Esprit nous illumine, se faisant notre allié par son intercession. ?" (De Trinitate, XXXIII, in Lectionnaire…, pp. 221-222).

…le Paraclet que Jean appelle aussi - ne l'oublions pas ! - "l’Esprit de Vérité" (15, 26 ; 16, 13).

St Bernard enfin, dans le Sermon sur l’Ascension du Seigneur évoque explicitement "le chemin, la vérité, la vie" :

"Heureux, Seigneur Jésus, celui dont tu es partout le guide ! Puissions-nous, nous ton peuple et les brebis de ton pâturage, te suivre, aller par toi à toi, parce que tu es la voie, la vérité, la vie. La voie par l’exemple, la vérité par tes promesses, la vie : car c’est toi notre récompense. Tu as l es paroles de la vie éternelle, nous savons, nous et nous croyons que tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, Dieu lui-même, plus haut que toutes choses, béni à jamais." (in Lectionnaire…, p. 234)

Il faut dire un mot pour finir à propos de Splendeur de la vérité : cette belle encyclique de 1993, mais texte essentiellement de théologie morale… C'est l'occasion pour nous de nous demander avec humour si ce sont les théologiens ou les moralistes qui sont tristes ! Dans ce texte, la joie n’apparaît guère qu’une fois quand on évoque la joie du "pardon". La vérité ici n’est pas envisagée au sens dogmatique (qui correspond davantage à notre présentation dans ce chapitre), mais au sens moral : il est question du bien et du mal, du péché qui égare. Certes il y est fait mention de la parole du Christ "Je suis le chemin, la vérité, la vie", mais là encore dans la perspective des actes bons. Il ne s’agit pas de nier l’importance du propos qui s’élève contre le relativisme ambiant, qui dénonce l’homme qui se prend pour mesure de toute chose, etc. Mais de montrer que derrière ce titre, c’est d’abord le débat entre liberté et vérité qui est soulevé ; on y rappelle l’importance et le sens de la morale "naturelle" (c’est-à-dire celle qui est la loi propre de l’homme, de fait, selon St Thomas(1)).

Conclusion

Nous laisserons le dernier mot à St Jean (après avoir donné le premier à St Paul) - et d'abord à St Augustin, commentant St Jean ; Cette vérité pleine qui est joie n’est pas vérité abstraite : elle nous est donnée dans la communion au Christ, communion avec Celui qui est vérité : Le Christ s’est révélé pour que notre joie soit parfaite :

" Vous avez entendu, très chers, le Seigneur qui disait à ses disciples : Je vous ai dit ces choses pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit entière. [Jn 15, 11] Quelle est la joie du Christ en nous sinon qu’il daigne se réjouir de nous ? Et quelle est notre joie dont il dit qu’elle deviendra entière sinon d’avoir communion avec lui ? C’est pour cette raison qu’il avait dit au bien heureux Pierre : Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi.
Sa joie en nous est donc la grâce qu’il nous a accordée ; cette grâce est aussi notre joie, mais de cette grâce lui se réjouissait même de toute éternité quand il nous a élus avant la création du monde, et nous ne pouvons pas dire avec vérité que sa joie n’était pas entière car Dieu ne se réjouissait jamais imparfaitement. Mais cette joie qui était la sienne n’existait pas en nous puisque nous, en qui elle pourrait exister, nous n’existions pas encore et que nous n’avons pas commencé à être avec lui quand nous avons commencé à exister. En lui, au contraire, cette joie existait toujours puisque dans la vérité très certaine de sa prescience, il se réjouissait de ce que nous serions à lui. Par conséquent il avait déjà de nous une joie parfaite quand il se réjouissait en nous voyant d’avance et en nous prédestinant, car à sa joie ne pouvait se mélanger aucune crainte que ne se réalise pas ce qu’il savait d’avance qu’il allait faire et, quand il a commencé à faire ce qu’il avait prévu de faire, la joie qui le rend heureux n’a pas augmenté non plus ; sinon, il serait devenu plus heureux parce qu’il nous a faits. Loin de nous cette idée, frères : parce qu’il n’avait pas été moins grand sans nous, le bonheur de Dieu ne devient pas plus grand avec nous.
La joie donc qu’il a de notre salut, joie qui a toujours été en lui quand il nous a vus d’avance et qu’il nous a prédestinés, cette joie a commencé à exister en nous quand il nous a appelés, et cette joie, par laquelle, nous aussi, nous serons heureux, nous l’appelons nôtre avec raison, mais cette joie qui est nôtre croît, et progresse et tend vers sa perfection grâce à la persévérance. Elle commence donc dans la foi de ceux qui renaissent, elle sera entière dans la récompense de ceux qui ressuscitent.
Voilà, je pense, en quel sens il a été dit : Je vous ai dit ces choses pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit entière, que soit en vous la joie qui est la mienne, que soit entière la joie qui est la vôtre. Ma joie en effet était toujours entière avant même que vous soyez appelés, quand je sais d’avance que je vous appellerais, mais elle se produit aussi en vous quand vous devenez ce que d’avance j’ai su de vous. Que votre joie soit entière parce que vous serez bienheureux, ce que vous n’êtes pas encore, de même que vous avez été créés alors que vous n’existiez pas. (Homélies sur l’Evangile de Jean, Tract 83, 1, Bibliothèque Augustinienne, 74b, pp. 105-109).

On se rappelera les passages-clefs de St Jean :

Jn 15, 15 : "Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père."

qui fait suite à Jn 15, 11 :

"Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite."

A retenir et méditer :

  • On ne peut chercher la vérité qu’avec une plus profonde compréhension de la liberté – et ceci pas seulement en terme de morale. Sens profond de la liberté, la liberté vraie des enfants de Dieu, à ne pas confondre avec le libéralisme, les attitudes libertaires…
  • La Vérité c’est le Christ : Phrase-clef : "Je suis le chemin, la vérité, la vie" que St Jean articule avec la joie.
  • De fait, il n’y a pas de vérité sans joie : joie lumineuse du Christ-Vérité dans nos vies. Il n’y a pas de joie véritable sans vérité : c'est alors la joie parfaite. La Vérité est ce qui rend notre joie parfaite...

Suite du cours


(1) :La loi naturelle "n’est rien d’autre que la lumière de l’intelligence mise en nous par Dieu. Grâce à elle, nous savons ce que nous devons faire et ce que nous devons éviter. Cette lumière et cette loi, Dieu les a données par la création". (St Thomas d’Aquin, In duo praecepta caritatis et in decem legis praecepta, Prologus : Opuscula theologica, II, n. 1129, Turin, Marietti (1954) p. 245).

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