La joie chez les Pères de l'Eglise...
(et quelques auteurs chrétiens ultérieurs)

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Chapitre 1er

Joie et sainteté (fin)

Au-delà des premiers siècles, on retrouvera cette thématique de la sainteté présence de Dieu, tout au long de l'histoire de l'Eglise. Il est intéressant de suivre un instant ce thème de la joie dans la sainteté (présence de Dieu) au-delà des Odes (présence de Dieu, pleine et entière, en un homme, une femme, qui L'ont choisi totalement), thème que nous verrons revenir chez de très nombreux Pères. Quelques exemples particulièrement significatifs :

St Léon le Grand (406-461) souligne la pureté du regard qui permet de voir Dieu et donc d'être dans la joie de cette intense présence :

"C'est à juste titre que la béatitude de voir Dieu est promise à la pureté du coeur. En effet, un regard souillé ne pourra pas voir la splendeur de la vraie lumière ; et ce qui sera la joie des âmes limpides sera le châtiment des âmes boueuses. Il faut donc détourner ses yeux des vanités terrestres qui les obscurcissent et nettoyer notre oeil intérieur de toute souillure d'iniquité ; c'est ainsi qu'un regard paisible se rassasiera de l'incomparable vision de Dieu." (Sermon de Saint Léon le Grand sur les Béatitudes, 95, 8)

Plus tard encore, un Père reprendra cette thématique du bonheur lié à la présence de Dieu, dans un sermon sur la Transfiguration. Il s'agit d'Anastase du Sinaï (mort après 700) :

"Certainement, Pierre, il est vraiment bon d'être ici avec Jésus, et d'y être pour toujours. Qu'y a-t-il de plus heureux, qu'y a-t-il de plus sublime, qu'y a-t-il de plus noble que d'être avec Dieu, que d'être transfiguré en Dieu dans la lumière ? Certes, chacun de nous possédant Dieu dans son cœur, et transfiguré à l'image de Dieu doit dire avec joie : Il nous est bon d'être ici, où tout est lumineux, où il y a joie, plaisir et allégresse, où tout, dans notre cœur, est paisible, calme et imperturbable, où l'on voit Dieu : là il fait sa demeure avec le Père et il dit, en y arrivant : Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison. Là tous les trésors des biens éternels sont présents et accumulés. Là sont présentées comme dans un miroir les prémices et les images de toute l'éternité à venir."

Vers la même époque, on retrouve ce thème chez St André de Crète (v. 660-740) : "La joie est entrée dans le monde avec le Christ" ; c'est avec le Christ, achèvement, accomplissement de la Loi que la joie entre dans le monde :

"Après avoir réduit la loi en servitude, il y a joint harmonieusement la grâce. Il n'a pas mélangé ni confondu les propriétés de l'une avec celles de l'autre ; mais, d'une façon divine, il a changé ce qu'il pouvait y avoir dans la loi de pénible, de servile et de tyrannique, en ce qui est léger et libre dans la grâce. Ainsi nous ne vivons plus sous l'esclavage des éléments du monde, comme dit l'Apôtre, nous ne sommes plus asservis au joug de la lettre de la loi." (Homélie de S André de Crète pour la Nativité de la Sainte Mère de Dieu, I)

De fait, il a fallu que "la splendide et très manifeste habitation de Dieu parmi les hommes fût précédée par une introduction à la joie, d'où découlerait pour nous le don magnifique du salut."

Et cette joie se manifeste en premier lieu dans la nativité de la Vierge Marie (Homélie de St André de Crète pour la nativité de la Sainte-Mère de Dieu, id.) :

"Tel est l'objet de la fête que nous célébrons : la naissance de la Mère de Dieu inaugure le mystère qui a pour conclusion et pour terme l'union du Verbe avec la chair […] En effet, c'est en cela que consiste l'essentiel des bienfaits du Christ ; c'est là que le mystère se manifeste, que la nature est renouvelée : Dieu s'est fait homme et l'homme assumé est divinisé.
C'est alors que nous recevons du Verbe un double bienfait : il nous conduit à la Vérité, et il nous détache de la vie d'esclavage sous la lettre de la loi. De quelle manière, par quelle voie ? Sans aucun doute, parce que l'ombre s'éloigne à l'avènement de la lumière, parce que la grâce substitue la liberté à la lettre. La fête que nous célébrons se trouve à cette frontière, car elle fait se rejoindre la vérité avec les images qui la préfiguraient, puisqu'elle substitue le nouveau à l'ancien. […]
Que toute la création chante et danse, qu'elle contribue de son mieux à la joie de ce jour. Que le ciel et la terre forment aujourd'hui une seule assemblée. Que tout ce qui est dans le monde et au-dessus du monde s'unisse dans le même concert de fête. Aujourd'hui, en effet, s'élève le sanctuaire créé où résidera le Créateur de l'univers ; et une créature, par cette disposition toute nouvelle, est préparée pour offrir au Créateur une demeure sacrée."

St Anselme (1033-1109) qui naquit dans le Val d'Aoste, fut moine au Bec en Normandie, puis archevêque de Cantorbery. Toute sa vie consiste dans une recherche ardente de Dieu. Contemplatif qui sut aussi se battre pour défendre la liberté de l'Eglise. Dans une prière qui mérite d'être lue longuement, il dit que le bonheur de l'homme est dans la présence de Dieu :

"Mon âme, as-tu trouvé ce que tu cherchais ? Tu cherchais Dieu, et tu as trouvé qu'il était supérieur à tous les êtres et tel qu'on ne peut rien penser de meilleur que lui ; qu'il était la vie même, la lumière, la sagesse, la bonté, l'éternelle béatitude et la bienheureuse éternité ; et qu'il l'était toujours et partout. […]

Seigneur mon Dieu, qui m'as créé et racheté, réponds au désir de mon âme, en lui déclarant ce qui diffère en toi de ce qu'elle a vu, afin qu'elle contemple à découvert l'objet de son désir. Elle s'applique à mieux voir et elle ne voit que ténèbres au-delà de ce qu'elle a vu ; ou plutôt elle ne voit pas de ténèbres, car il n'y en a pas en toi, mais elle voit qu'elle ne peut voir davantage, bornée qu'elle est par ses propres ténèbres. […]

Vraiment, Seigneur, elle est inaccessible, la lumière où tu habites. Nul autre que toi, vraiment, ne peut pénétrer en cette lumière, et là te contempler à découvert. C'est pour cela, en vérité, que je ne peux la voir : elle est trop éclatante pour ma vue. Et pourtant, tout ce que je vois, c'est grâce à elle que je distingue, comme un œil trop fragile voit, grâce au soleil, tout ce qu'il aperçoit, sans pouvoir cependant regarder le soleil lui-même.

Mon intelligence demeure impuissante devant ta lumière ; elle est trop éclatante. L'œil de mon âme est incapable de la recevoir, et il ne supporte même pas de rester longtemps fixé sur elle. Mon regard est blessé par son éclat, dépassé par son étendue ; il se perd dans son immensité et reste confondu devant sa profondeur.

O lumière souveraine et inaccessible ! O vérité totale et bienheureuse ! Que tu es donc loin de moi, et pourtant je suis si près de toi. Tu échappes presque entièrement à ma vue, tandis que je suis, moi, tout entier sous ton regard.

En tout lieu rayonne la plénitude de ta présence, et je ne te vois pas. C'est en toi que j'agis et que j'ai l'existence, pourtant je ne puis atteindre jusqu'à toi. Tu es en moi, tu es tout alentour de moi et je ne puis te percevoir.

Je t'en prie, mon Dieu, fais que je te connaisse, fais que je t'aime pour que ma joie soit en toi. Et si je ne le peux pleinement en cette vie, puissé-je du moins y progresser tous les jours, jusqu'à parvenir à la plénitude. Qu'en cette vie ta connaissance croisse en moi, et qu'elle soit achevée au dernier jour ; que grandisse en moi ton amour et qu'il soit parfait dans la vie à venir, pour que ma joie, déjà grande ici-bas en espérance, soit alors achevée dans la réalité.

Seigneur Dieu, par ton Fils tu nous as donné l'ordre, ou mieux, le conseil, de demander ; et tu as promis que nous serions exaucés, afin que notre joie soit parfaite. Je te fais, Seigneur, la prière que tu nous suggères par celui qui est notre Conseiller admirable. Puissé-je recevoir ce que tu as promis par ta Vérité, pour que ma joie soit parfaite. Dieu vrai, je te fais cette prière ; exauce-moi pour que ma joie soit parfaite.

Que désormais ce soit la méditation de mon esprit et la parole de mes lèvres. Que ce soit l'amour de mon cœur et le discours de ma bouche, que ce soit la faim de mon âme, la soif de ma chair et le désir de tout mon être, jusqu'à ce que j'entre dans la joie du Seigneur, Dieu unique en trois Personnes, béni pour les siècles. Amen. (Proslogion, 14.16.26 : in Livre des Jours, pp. 1397-1398)

Et voilà une supplication de St Anselme :

"Et toi, Seigneur, jusques à quand ? Jusques à quand, Seigneur, nous oublieras-tu ? Combien de temps nous cacheras-tu ton visage ? Quand nous regarderas-tu et nous exauceras-tu ? Quand éclaireras-tu nos yeux et nous monteras-tu ta face ? Quand reviendras-tu à nous ? Regarde-nous, Seigneur, exauce-nous, éclaire-nous, montre-toi à nous. Rends-nous ta présence, pour notre bonheur, toi dont l'absence est pour nous un tel malheur. Aie pitié de nos laborieux efforts vers toi, nous qui ne pouvons rien sans toi.
Enseigne-moi à te chercher et montre-toi quand je te cherche ; car je ne puis te chercher si tu ne me l'enseignes, ni te trouver si tu ne te montres. En mon désir, puissé-je te chercher, et, dans ma recherche, te désirer ; dans mon amour, puissé-je te trouver et, en te trouvant, t'aimer. " (Proslogion, 1 in Livre des Jours, p. 19).

Pour conclure provisoirement : la sainteté, ce n'est donc pas la "vie morale" : c'est la proximité du Seigneur, vivre avec lui, en communion : savourer sa Parole (ce que nous livre l'Ecriture, mais aussi ce que nous donne le Christ, Parole incarnée, et l'Esprit qui est à l'œuvre en ce monde), L'aimer parce qu'il nous a aimé le premier. Amour, source de toute joie.

La conclusion ultime sera à Mgr André Dupleix qui dans un article récent écrivait :

"Les saints sont à l'Église ce que le jour est au soleil, ce que l'Amour est à Dieu. Ils nous révèlent toutes les possibilités d'une vie sous le regard de Dieu. Possibilités de naissance, de confiance, de réconciliation, de conversion. Les saints sont, dans le souffle de l'Esprit, la respiration de l'Église. Leurs figures humaines nous disent la proximité de Dieu. Leurs fragilité nous rapproche d'eux. Leur fidélité et leur persévérance nous encouragent. Ils sont le terrain fertile de l'Église.
Les saints nous disent à leur manière le paradoxe de l'Église car ils sont pétris d'humanité et transparents de la gloire de Dieu. Aucun ne se ressemble mais chacun, comme chacun de nous, est indispensable à la réalisation du Royaume."
("Aimer l'Eglise", Chercheurs de Dieu, n° 143, septembre 2002).

Puissions-nous tous être "respiration de l'Eglise", "transparents à la gloire de Dieu", sa joie lumineuse !

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