Les Pères de l'Eglise et le mystère de la foi

Chapitre 1er

Je crois en Dieu...

Nous commencerons par une citation d’Augustin d’Hippone (354-430), l’un des plus grands parmi les Pères de l’Eglise. Augustin, après une jeunesse passionnée, marquée par de très nombreuses expériences et surtout par la recherche de Dieu à laquelle il consacrera finalement sa vie, a reçu le baptême à plus de 30 ans ; moine et prêtre très rapidement après, et appelé comme évêque auprès du peuple d’Hippone (l’actuelle Annaba en Algérie), il a laissé une œuvre considérable qui reste la référence constante de la foi chrétienne. Même ceux qui ne connaissent pas St Augustin et qui donc ignorent ce qu’il a aidé à formuler dans la foi chrétienne, sont encore, à leur insu, nourris de sa pensée et de sa conception du monde et de Dieu.

Qu'est-ce donc que mon Dieu ?
Qu'est-ce, je le demande, sinon le Seigneur Dieu ?
Qui est en effet Seigneur, hormis le Seigneur ?
et qui est Dieu, hormis notre Dieu ?

O très grand, très bon,
très puissant, tout-puissant,
très miséricordieux et très juste
très retiré et très présent,
très beau et très fort ;

stable et insaisissable,
ne pouvant changer et changeant tout ;
jamais neuf, jamais vieux,
mettant tout à neuf et conduisant à vétusté les superbes
et ils l'ignorent ;

toujours en action, toujours en repos,
amassant sans avoir de besoin,
portant et remplissant et protégeant,
créant et nourrissant et parachevant,
cherchant bien que rien ne te manque ;

tu aimes et ne brûles pas ;
tu es jaloux et plein d'assurance ;
tu te repens et ne souffres pas ;
tu t'irrites et restes calme ;

tu changes d'oeuvre, sans changer de dessein ;
tu reprends ce que tu trouves et n'as jamais perdu
jamais sans ressources, tu te réjouis de tes gains ;
jamais avare, tu réclames les intérêts ;
on te donne en trop si bien que tu es en dette,
et qui possède rien qui ne soit à toi ?
tu acquittes les dettes, sans devoir à personne ;
tu remets les dettes sans perdre rien.

Et qu'avons-nous dit, mon Dieu,
ma vie, ma sainte douceur ?
Ou que dit-on, quand on dit quelque chose sur toi ?
Et malheur à ceux qui se taisent sur toi
puisque, bavards, ils sont muets.

(Les Confessions I, iv, 4 )

Le mystère de Dieu

Comment dire qui est Dieu ? Il est d’abord sans doute celui qui de toutes façons nous dépasse infiniment, que nous ne pouvons saisir ni "comprendre" - sans cela il ne serait plus Dieu. Bien loin des définitions de catéchisme, Augustin dit la grandeur de Dieu, et il la dit, comme souvent les Pères ont essayé de le faire, à travers les contraires qui trouvent leur solution en Dieu : "toujours en action, toujours en repos", "très retiré et très présent"… Beaucoup de Pères et d’auteurs chrétiens ont tenté de faire comprendre un petit peu de l’incommensurable de Dieu en maniant des paradoxes(1). Tout le mystère de l’homme est en Dieu, mais n’oublions pas que tout le mystère de Dieu habite l’homme qui doit en rendre compte : "Malheur à ceux qui se taisent sur toi…".

La Bible, avec toutes les interprétations qu’elle suscite, est là pour nous aider à découvrir progressivement, au long d’une lecture régulière et méditative, qui est Dieu, ce Dieu unique et Trinité, présent comme tel dès l’origine(2), et qui sera à la fin des temps, "l’alpha et l’omega", comme on le dit en reprenant la première et la dernière lettre de l’alphabet grec(3), ce Dieu "qui est, qui était et qui vient"(4). Ce Dieu dont il faut dire surtout qu’il s’est fait proche de l’homme, "plus intime à moi même que moi-même" – comme dira encore Augustin, ou "qui était en moi tandis que j’étais en-dehors de moi"(5). Dieu invisible, Dieu secret, mais Dieu très présent, tellement présent que les religions, dans notre monde matérialiste, ont encore de beaux jours devant elles ! Il est vrai qu’à travers des démarches fort diverses, à travers des "sectes" ou de nouvelles religions, l’homme contemporain essaye de s’affranchir des formes religieuses plus anciennes et traditionnelles, mais ces démarches mêmes, alors que l’homme pense "réinventer" des chemins vers Dieu et alors qu’il cherche la Paix, l’Amour, la Joie, sont encore le signe du désir infini qui est en l’homme, désir dont précisément l’objet, inatteint et inatteignable, est Dieu.

"L'homme, avant de croire au Christ n'est pas en route, il erre. Il cherche sa patrie mais il ne la connaît pas. Que veut dire : il cherche sa patrie ? Il recherche le repos, il cherche le bonheur. Demande à un homme s'il veut être heureux, il te répondra affirmativement sans hésiter. Le bonheur est le but de toutes nos existences.
Mais où est la route, où trouver le bonheur, voilà ce que les hommes ignorent. Ils errent. Errer est déjà une recherche. Mais le Christ nous a remis sur la bonne route : en devenant ses fidèles par la foi, nous ne sommes pas encore parvenus à la patrie, mais nous marchons déjà sur la route qui y mène. L'amour de Dieu, l'amour du prochain sont comme les pas que nous faisons sur cette route." (Sermon Mai, 12, extraits, d'après A.G. Hamman, 1980 : Saint Augustin prie les Psaumes, Desclée de Brouwer, p. 41).

Dieu Trinité

Nous croyons en un Dieu Trinité – point sur lequel il faut insister dès maintenant en relation avec la structure "trinitaire" du Credo :

C’est ce Dieu – Trinité qui oppose fondamentalement le christianisme aux autres religions monothéistes. Les musulmans sont particulièrement choqués lorsque nous disons que Jésus, pour eux un prophète, est le Fils de Dieu (ils parlent d’associationnisme, puisqu’ils ne conçoivent pas, comme nous le disons que "Dieu a envoyé son Fils…" : d’où d'ailleurs découle pour les catholiques la conception virginale de Marie, enceinte de l’Esprit Saint) ; mais les Musulmans n’admettent pas davantage ce que nous disons lorsque nous affirmons que "Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu" (cf. St Irénée et citation en note 6) : l’homme – et c’est le cœur de notre foi chrétienne – est promis à cette vie éternelle en Dieu, au cœur même de la Trinité d’Amour. Les Juifs, de même, qui attendent toujours le Messie, ne peuvent concevoir comme nous la Trinité traversée en quelque sorte par l’Incarnation, même si bien sûr, la révélation de Dieu dans l’Ancien Testament est déjà "trinitaire" (cf. le visiteur mystérieux d’Abraham, etc.)

Lorsque nous disons que Jésus le Christ, vrai homme de l’histoire des hommes, est le Fils de Dieu, nous disons qu’il s’est fait chemin pour nous conduire à Dieu. L’Incarnation (Dieu fait homme) est au cœur du mystère de notre Dieu. Et "Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu" disaient déjà Irénée (au 2e siècle), Hippolyte de Rome (3e siècle) ou Athanase d’Alexandrie (4e siècle)(6). Dieu a donné sa vie en son Fils Jésus, mort sur la croix, ressuscité et maintenant près du Père pour que nous sachions que nous aussi serons un jour près du Père, au cœur de cette Trinité d’Amour. Ce message d’Amour, cœur du message chrétien, est la clef principale, à méditer infiniment – ce que nous essayerons de faire ici : clef qui nous révèle Dieu plus véritablement que tout discours. "Ce que vous avez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait" (Mt 25,40). Mais encore : "Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés" (Jn 13, 34) … "Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons en lui et nous ferons en lui notre demeure…" (Jn 14, 23). "Si quelqu'un dit : "J'aime Dieu" et qu'il déteste son frère, c'est un menteur : celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas." (1 Jean 4, 20)…

On ne peut donc parler de Dieu sans parler de l’homme, et c’est dans l’Autre, dans notre frère que nous pouvons voir Dieu. Si l’Ancien Testament déjà nous disait qu’on ne peut voir Dieu Lui-même sans mourir, dans le Nouveau Testament il nous est effectivement rappelé qu’il n’est pas de plus grand amour que de donne sa vie pour ceux qu’on aime(7). Savons-nous donc voir nos frères, les regarder, les aimer jusqu’à en mourir ? Savons-nous dire l’amour de Dieu gratuit (ce que nous appelons la grâce), l’amour de ce Dieu qui est au cœur du monde comme il nous l’a promis : "Et moi, je suis avec vous jusqu’à la fin des temps"(8) ?

Dieu un et trine(9). Mystère insondable, mystère obligatoire. Il y a tout sauf écartèlement en Dieu : Lui qui est et aime en même temps, lui qui est et qui fait (crée) en même temps. Les Pères nous expliquent que fondamentalement Dieu est celui qui crée, mais le Père crée par sa Parole (le Christ), dans l’Esprit :

…le Père n’avait pas besoin d’anges pour faire le monde et modeler l’homme en vue duquel fut fait le monde, et il n’était pas davantage dépourvu d’aide pour l’ordonnance des créatures et l’"économie" des affaires humaines, mais il possédait au contraire un ministère d’une richesse inexprimable, assisté qu’il est pour toutes choses par ceux qui sont tout à la fois sa Progéniture et ses Mains, à savoir le Fils et l’Esprit, le Verbe et la Sagesse, au service et sous la main desquels sont tous les anges. Ils sont donc vains ceux qui, à cause de la phrase "Nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils" (Mt 11, 27 ; Lc 10, 22), introduisent un autre Père inconnaissable." (Saint Irénée : Contre les Hérésies, IV, 7, 4)

Dieu créateur = le Père,
Dieu avec nous = le Fils, qui s’est fait homme (Emmanuel),
Dieu en nous = l’Esprit, qui est à l’œuvre dans l’Eglise et nous embrase de son feu pour que nous vivions de l’Amour de Dieu.

St Colomban demande, après avoir affirmé que "Dieu est partout, tout entier, immense" que "Partout il est proche" ou encore que "Le Dieu que nous cherchons ne demeure donc pas loin de nous : nous l’avons parmi nous si nous en sommes dignes. Il habite en nous comme l’âme dans le corps, si du moins nous sommes pour lui des membres sains que le péché n’a pas tués…" :

Qui donc est Dieu ? Père, Fils et Esprit Saint, Dieu est un. Ne te demande rien de plus au sujet de Dieu. Que ceux qui veulent savoir le fond des choses concernant Dieu commencent par considérer l’ordre naturel. Le savoir concernant la Trinité est en effet justement comparé à la profondeur de la mer, dont la Sagesse a dit : Ce qui est profond, qui peut l’atteindre ? Comme le fond des mers est invisible aux regards des hommes, ainsi la divine Trinité demeure insaisissable à la compréhension humaine. C’est pourquoi, si quelqu’un veut comprendre ce qu’il doit croire, qu’il ne s’imagine pas pouvoir le faire davantage par des raisonnements que par la foi ; car la sagesse divine ainsi recherchée se retirera plus loin encore.
Recherche donc la suprême connaissance non en discutant mais en menant une vie parfaite, non par la langue mais par la foi qui jaillit d’un cœur simple et n’est pas le résultat des conjectures d’une docte impiété. Si tu cherches l’ineffable par des raisonnements, il s’éloignera davantage de toi ; si c’est par la foi, la sagesse se tiendra où elle demeure : à ta porte ; et où elle se tient, elle peut être vue, ne fût-ce qu’en partie. En toute vérité, elle est atteinte dès l’instant où l’on croit à l’invisible, sans pour autant le comprendre. Puisque Dieu est invisible, nous devons croire en lui ; et cependant Dieu peut être vu en quelque manière par le cœur pur. (Colomban, Instruction 1 sur la foi).

Athanase d’Alexandrie, quant à lui, dans un Sermon pour le temps de Pentecôte (in Bouchet, Jean-René, Lectionnaire pour les dimanches et fêtes, pp. 251-252), Cerf, 1994, à travers diverses images, s’efforce d’illustrer les relations du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. On notera la place du registre de la lumière :

Le Père est dit dans l’Ecriture source et lumière : "Ils m’ont délaissé, moi la source d’eau vive", et encore, en Baruch : "D’où vient, Israël, que tu es dans le pays de tes ennemis ? Tu as abandonné la source de la sagesse", et selon Jean "notre Dieu est lumière". Or, le Fils, en relation avec la source, est appelé "fleuve", car "le fleuve de Dieu, selon le psaume, est rempli d’eau", et en relation avec la lumière, il est appelé "resplendissement". Selon Paul, en effet, il est "le resplendissement de sa gloire et l’effigie de sa substance". Le Père est donc lumière, le Fils le resplendissement, et c’est par l’Esprit que nous sommes illuminés. "Puisse Dieu vous donner, dit Paul, un Esprit de sagesse et de révélation qui vous le fasse vraiment connaître, puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur." Mais quand nous sommes illuminés, c’est le Christ qui est notre lumière, car "il était la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde". De même, le Père étant source et le Fils fleuve, on dit que nous buvons l’Esprit : "Tous nous avons été abreuvés d’un seul Esprit", mais abreuvés de l’Esprit, nous buvons le Christ car "ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait et ce rocher c’était le Christ."

Quant à Hilaire de Poitiers, dans son Traité sur la Trinité, il résume :

"Le Seigneur a ordonné de baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, c’est-à-dire dans la profession de foi au Créateur, au Fils unique et à celui qui est le Don.
Le Créateur de tous est unique. Il y a un seul Dieu Père, de qui tout provient ; il y a un seul Fils unique, notre Seigneur Jésus Christ, par qui tout existe ; il y a un seul Esprit, le don de Dieu répandu en tous.
Toutes choses sont donc organisées par les vertus et les attributions divines : une puissance unique de qui tout provient ; une descendance unique par qui tout existe ; une grâce unique donnant une parfaite espérance. Et rien ne peut manquer à une telle perfection, puisqu’on y trouve l’infinité dans le Père éternel, la vision dans son image qui est le Fils, la pratique de la vie chrétienne dans le don de l’Esprit." (La Trinité, 2, 1)

Dieu et les images de Dieu

Dans notre difficulté à croire, ne confondons-nous pas Dieu avec les images que nous nous faisons de lui ? Certes, il est bien difficile de "se représenter" Dieu, mais il ne s’agit pas tant de se le représenter – ce qui bien sûr est impossible – que de nous présenter devant lui, de (re)trouver ce vis-à-vis qui s’offre à nous, qui a créé l’homme à son image – que nous ne savons pas trouver vraiment dans l’autre, notre semblable, notre frère.

Cette recherche de Dieu, dont notre péché nous écarte sans cesse (trouver Dieu est littéralement impossible à l’homme car le péché voile Celui dont l’éclat brille sans cesse et dont nous tentons en quelque sorte de nous protéger, comme Adam et Eve qui se cachent en entendant le pas de Dieu dans le jardin d’Eden), est le sens de notre vie, ce qui donne sens à notre vie (cf. deux significations du mot sens) : "de commencements en commencements, vers des commencements qui n’ont pas de fin" (pour citer Grégoire de Nysse, 8e Homélie sur le Cantique des cantiques).

Alors réfléchissons un instant à ces "images de Dieu" qui s’interposent entre nous et Celui qui est au-delà de toute image (repensons au mot de Voltaire : "Dieu a fait l’homme à son image, mais l’homme le lui a bien rendu" !).

Par avance, St Bonaventure lui répond dans le Breviloquium :

"L’origine de l’Ecriture ne se situe pas dans la recherche humaine, mais dans la divine révélation qui provient du Père des lumières, >de qui toute paternité au ciel et sur terre tire son nom. De lui, par son Fils Jésus Christ, s’écoule en nous l’Esprit Saint. Par l’Esprit Saint, partageant et distribuant ses dons à chacun de nous selon sa volonté, la foi nous est donnée et, par la foi, le Christ habite en nos cœurs. Telle est la connaissance de Jésus Christ de laquelle découle, comme de sa source, la fermeté et l’intelligence de tout la sainte Ecriture.
Il est donc impossible d’entrer dans la connaissance de l’Ecriture sans posséder d’abord, insérée en soi, la foi du Christ, comme la lumière, la porte et le fondement de toute l’Ecriture. Car, aussi longtemps que nous vivons en exil loin du Seigneur, la foi est elle-même le fondement stable, la lumière directrice et la porte d’entrée dans toutes les illuminations surnaturelles. Selon la mesure de cette foi, doit être mesurée la sagesse qui nous est donnée par Dieu, afin de ne pas goûter plus qu’on ne doit, mais de goûter avec sobriété et selon la mesure de foi que Dieu départit à chacun.
L’aboutissement ou le fruit de la sainte Ecriture n’est pas n’importe quoi, c’est la plénitude de l’éternelle félicité. Car elle est l’Ecriture dans laquelle sont les paroles de la vie éternelle ; elle est donc écrite, non seulement pour que nous croyions, mais aussi pour que nous possédions la vie éternelle dans laquelle nous verrons, nous aimerons et où nos désirs seront universellement comblés. Alors, nos désirs étant comblés, nous connaîtrons vraiment la charité qui surpasse la connaissance et ainsi nous serons remplis de toute la plénitude de Dieu. C’est à cette plénitude que la divine Ecriture s’efforce de nous introduire selon la vérité du passage de l’Apôtre Paul qui vient d’être cité. C’est donc en vue de cette fin, c’est dans cette intention que la sainte Ecriture doit être étudiée, enseignée et entendue.
Pour que nous parvenions à ce fruit et à ce terme directement en progressant par la route droite des Ecritures, il faut commencer par le commencement, c’est-à-dire accéder d’une foi pure au Père des lumières en fléchissant les genoux de notre cœur, afin que par son Fils, dans son Esprit Saint, il nous donne la vraie connaissance de Jésus Christ et, avec sa connaissance, son amour. Le connaissant et l’aimant et comme consolidés dans la foi et enracinés dans la charité, il nous sera alors possible de connaître la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de la sainte Ecriture et, par cette connaissance, de parvenir à la connaissance entière et à l’amour extatique de la bienheureuse Trinité. Là tendent les désirs des saints, là se trouvent l’aboutissement et l’achèvement de toute vérité et de tout bien." (Breviloquium, Prologue, 2-5)

L’athée n’est-il pas quelqu’un qui n’a pas découvert le vrai Dieu ? Il rejette – à juste titre – les images de Dieu, il attaque un Dieu imaginaire.

Dieu est au-delà de tout image ; nous le connaissons (un peu), nous commençons à le découvrir, quand notre cœur et notre corps s’ouvrent au désir, que nous comprenons cette aspiration fondamentale en nous : aspiration à plus, toujours plus… Aspiration qui nous fait chercher le souffle de vie… Aspiration à la vie…

Dieu ? = le sens de notre vie, loin des images traditionnelles qui ont la vie dure (du bon grand-père perché dans son paradis, au sadique lointain qui sourit impassible devant la souffrance de l’homme).

Pour commencer à découvrir Dieu, le bon, le bien… (cf. citation d’Augustin ci-dessus), il faut

Ne pas être comme ces idoles qui ne voient pas et n’entendent pas… qu’évoque le Psaume 134 :

Les idoles des païens : de l’or et de l’argent
Un ouvrage que font des mains d’homme.

Elles ont une bouche mais ne parlent pas,
Elles ont des yeux mais ne voient pas.

Elles ont des oreilles et n’entendent pas,
Et pas un son ne sort de leur bouche.

(Trad. Daniel Bourgeois)

Il y a l’athée qui proteste, qui cherche à nier Dieu, mais peut-être plus terrible, il y a l’athée indifférent(10)

: celui qui, au lieu de s’élever et de se révolter contre Dieu tout en prononçant encore le nom de Dieu, n’a plus du tout besoin de Dieu. C’est là le plus tragique qu’examine un instant Karl Rahner, car sans Dieu : plus d’homme :

"A proprement parler, l’homme n’existe en tant qu’homme que là où, au moins comme question qui nie et qui est niée, il dit "Dieu" (Rahner, Traité fondamental de la foi, Paris, Centurion, 1983, p. 64, cité in Bernard Sesboüé, 1999 : Croire. Invitation à la foi catholique pour les femmes et les hommes du XXIe siècl, Droguet et Ardant, p. 97)

Le nom de Dieu peut disparaître, l’homme peut bien essayer de se suffire, reste la promesse de Dieu : Is 49, 14-15 :

"Sion avait dit: "Le Seigneur m'a abandonnée ; il m'a oubliée."
Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles.
Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t'oublierai pas."

Ce Dieu qui dit à l’homme "Vois, je t'ai gravée sur les paumes de mes mains" (ibid.).

Conclusion

"Je crois en Dieu..." : phrase terrible, dont nous mesurons difficilement tout le sens, mais phrase vitale pour l’homme qui, sans le souffle de Dieu, ne serait que terre et poussière. Phrase par laquelle l’homme est introduit dans le mystère de Dieu, voit pénétrer en lui le mystère de ce Dieu qui vient faire en lui sa demeure. Mystère de ce Dieu trinitaire, de ce Dieu d’Amour qui semble se dérober, alors que c’est nous, comme le disait Augustin, qui sommes "loin de nous" quand il est au plus intime de nous-même. Homme qui cherche à se représenter "un Dieu à son image", un Dieu comme lui, un Dieu anthropomorphique…, alors que Dieu, par définition même, est le Tout-Autre.

Certes, il est difficile pour l'homme de concevoir Dieu sans se le "représenter", sans se forger des "images" de Lui. Alors, nous nous rappellerons que c’est Dieu lui-même, dans l’Ecriture, qui nous suggère des images de Lui, se présentant aux patriarches ou aux prophètes - images sur lesquelles nous pourrons méditer -, Dieu comme


(1) Dans cette ligne, tout récemment, un ouvrage de P. Descouvemont est paru aux Presses de la Renaissance : Les apparents paradoxes de Dieu.

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(2) "L’Esprit planait sur les eaux", Gn 1, 2.

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(3) Ceci se trouve dans l’Apocalypse, le dernier livre de la Bible, qui a été écrit en grec : par exemple : Ap 22, 13 : Je suis l'Alpha et l'Oméga, le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin.

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(4) Apocalypse 1, 8.

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(5) Confessions, X, xxvii, 38.

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(6) On pense par exemple à : "Le Verbe de Dieu s'est fait homme, celui qui est Fils de Dieu s'est fait Fils de l'homme pour que l'homme devienne fils de Dieu, en communiant au Verbe de Dieu et en recevant l'adoption" (Irénée, Contre les hérésies).
"Le Père de l'immortalité a envoyé dans le monde son Fils immortel, son Verbe. Celui-ci est venu vers l'homme pour le laver dans l'eau et l'Esprit. Il l'a fait renaître pour rendre incorruptibles son âme et son corps, il a éveillé en nous son souffle de vie, il nous a revêtus d'une armure incorruptible. Si donc l'homme est devenu immortel, il deviendra Dieu aussi. Et s'il devient Dieu par l'eau et l'Esprit Saint après avoir reçu la nouvelle naissance par le baptême, il sera aussi cohéritier du Christ après la résurrection des morts." Homélie sur la Sainte Théophanie, attribuée à Hippolyte de Rome.

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(7) Jn 15, 13.

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(8) Mt 28, 20.

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(9) On sait toutes les comparaisons que l’on a essayé de déployer dans l’Eglise pour essayer de faire comprendre la complexité de ce Dieu un et trine : la flamme de trois bougies réunies, l’océan : si on regarde les vagues de l'océan, il est impossible de dire ou commence la vague, ou elle finit, et de distinguer ce qui est de la vague ou de l'océan. La vague fait partie de l'océan tout en étant distincte de l'océan, comme les personnes de la Trinité sont Dieu, tout en étant chacune distincte des autres...

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(10) Augustin disait : "Donne-moi quelqu'un qui aime, et il sentira la vérité de ce que je dis. Donne-moi un homme tourmenté par le désir, donne-moi un homme passionné, donne-moi un homme en marche dans ce désert et qui a soif, qui soupire après la source de l'éternelle patrie, donne-moi un tel homme, il saura ce que je veux dire… " (Homélies sur l’Evangile de Jean, Tr. XXVI, 4).

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