A propos d'Augustin et les Psaumes...

(quelques éléments, citations, remarques…)

Dans les Confessions, IX, 4, 8, Augustin raconte les effets sur lui de la lecture des Psaumes :

"Quels cris, mon Dieu, j'ai poussés vers toi en lisant les psaumes de David, chants de foi, accents de piété où n'entre aucune enflure d'esprit ! J'étais alors un novice dans ton authentique amour, un catéchumène en vacances dans la maison de campagne avec le catéchumène Alypius ; ma mère, se joignant à nous, était là avec un extérieur de femme, une foi d'homme, une assurance de vieillard, une tendresse de mère, une piété de chrétienne.
Quels cris je poussais vers toi dans ces psaumes, et comme je prenais feu pour toi à leur contact ! Et je brûlais de les déclamer, si j'avais pu, à toute la terre, face aux bouffées d'orgueil du genre humain. Et d'ailleurs on les chante par toute la terre, et il n'est personne qui se soustraie à la chaleur."

Augustin poursuit en méditant le Ps 4, en regrettant son passage par le Manichéisme :

"Je lisais et je brûlais, mais je ne trouvais que faire à ces âmes sourdes et mortes dont j'avais fait partie, moi, le fléau, l'aboyeur hargneux et aveugle dressé contre les Saintes Lettres, ruisselantes de miel, du miel des cieux, et lumineuses de ta lumière. Et songeant aux ennemis de ces Ecritures, je me desséchais de dégoût.

Comment Augustin lit et surtout prie les psaumes, comment il les commente pour son auditoire ? A.G. Hamman précise (in Saint Augustin prie les Psaumes, Introduction, Desclée de Brouwer, 1980, p. 8-9) :

"Augustin n'est pas un exégète au sens moderne du mot. Il n'est même pas exégète à la manière de Jérôme ou d'Origène. Jamais il ne recourt au sens originel qu'il ignore, il se contente du texte grec, traduit par les Septante, qui souvent infléchit le sens, et d'une traduction latine, encore moins satisfaisante, qui a cours en Afrique.
Si l'évêque d'Hippone connaît et interroge les exégètes qui ont commenté les Psaumes avant lui, Hilaire, Ambroise, rarement les Grecs, Augustin n'est pas préoccupé d'exactitude littérale. Il aborde l'Ecriture moins en tâcheron appliqué qu'en enfant de Dieu, qui s'ébroue dans le verger de la divine munificence, où il cueille les fruits succulents de l'Esprit."

On peut souligner la longueur parfois de telle homélie sur un Psaume (parfois deux heures !) : Augustin parle de ce qu'il aime et ne se soucie ni d'un plan très rigoureux, ni du temps qui passe. A l'intérieur du commentaire d'un psaume particulier, sont nombreuses les citations qui renvoient d'un psaume à l'autre, à propos d'un thème particulier (Augustin connaissait bien sûr tout le psautier par cœur). Les commentaires peuvent être d'ailleurs d'un intérêt inégal, on a parfois des longueurs, parfois Augustin passe très brièvement, presque sèchement sur un passage qui ne l'inspire pas.

Pour Augustin les Psaumes reprennent toute l'histoire du Christ : à lire et méditer en pensant que le Christ les a redits et médités : "Tantôt parle la tête seule, tantôt il parle au nom de son corps, qui est l'Eglise, répandue sur toute la terre. Et nous qui sommes son corps nous percevons notre propre voix." (En. In Ps. 37, 6). Ou encore : "Faut-il s'étonner si, n'ayant qu'une seule chair, ils n'ont qu'une seule voix et disent les mêmes paroles" (Ps 37, 6) ? "Car que la tête parle, que les membres parlent, c'est le Christ qui parle" (En. In Ps 74, 4).

A.M. Besnard (in A.M. Besnard et J. Perret, 1964 : Saint Augustin. Prier Dieu, 1964, p. 33) le dit de la sorte :

"Le secret de la prière chrétienne, c'est qu'elle est partout et toujours la prière du Christ de quelque lèvre qu'elle jaillisse et en quelque situation qu'elle s'élève. Voilà ce qui la fait une et multiple, exaucée par avance et toujours suppliante, déjà dite et toujours à dire."

De même dans les Psaumes c'est toute l'Eglise qui s'exprime par la voix du psalmiste, et quand l'un chante un psaume c'est toute l'Eglise qui chante par sa voix :

"Cet homme gémit et crie vers Dieu, et chacun de nous pour sa part crie dans le corps de cet homme. Durant tout le jour le corps n'a cessé de crier, un membre remplaçant l'autre, quand il se taisait. Il y a donc un homme unique qui dure jusqu'à la fin des temps, et ce sont toujours ses membres qui crient" (En. In Ps 85, 5).
"Qu'il monte alors, celui qui chante notre psaume. Mais qu'il chante dans le coeur de chacun de vous, et que chacun de vous soit cet homme. Quand chacun de vous le récite, comme vous ne formez qu'un seul homme en Jésus-Christ, c'est un seul homme qui parle; aussi n'est-il point dit : "Seigneur, nous avons levé les yeux vers vous", mais bien: "Seigneur, j'ai levé les yeux vers vous (1)". Il faut donc vous figurer que c'est chacun de vous qui parle, mais que le principal interlocuteur est cet homme répandu dans l'univers entier." (En. in Ps. 122,2).

Les Psaumes sont ce cantique toujours nouveau qu'Augustin invite l'homme nouveau (celui qui a reçu le commandement nouveau) à chanter :

"Chantez avec la voix, chantez avec le cœur, chantez avec la bouche, chantez par toute votre vie : Chantez au Seigneur un chant nouveau. Vous cherchez comment chanter celui que vous aimez ? Car, sans aucun doute, tu veux chanter celui que tu aimes. Tu cherches quelles louanges lui chanter ? Vous avez entendu : Chantez au Seigneur un chant nouveau. Vous cherchez où sont ses louanges ? Sa louange est dans l'assemblée des fidèles. La louange de celui que l'on veut chanter, c'est le chanteur lui-même. Vous voulez dire les louanges de Dieu ? Soyez ce que vous dites. Vous êtes sa louange, si vous vivez selon le bien." (En. In Ps. 149 - Livre des Jours, p. 378 [mais tout le commentaire du Ps 149 est à lire et savourer]).

Ici se trouve résumée la valeur liturgique des Psaumes : en accueillant cette prière de louange, voix de l'Esprit, l'assemblée devient elle-même ce cantique nouveau qui monte vers Dieu en action de grâce. Augustin dit encore à propos des Psaumes :

"C'est la voix de l'Esprit de Dieu, puisque ces paroles-là, si lui ne nous les inspirait pas, nous ne les dirions pas… En fin de compte elles sont nôtres, parce qu'elles expriment notre misère, et en même temps, elles ne le sont pas, puisqu'elles sont un don de l'Esprit Saint" (En. In Ps, 26, 1).
On retrouve dans les Commentaires des Psaumes ce thème cher à Augustin de la présence de Dieu "intimior intimo meo" (cf. Les Confessions) : Si tu veux crier, crie au-dedans, c'est là que Dieu t'écoute, c'est dans ta "chambre" que Dieu se trouve.

"De ma voix, j'ai crié vers le Seigneur". Il me suffirait de dire : "J'ai crié de la voix vers le Seigneur", et néanmoins il n'est peut-être pas inutile d'ajouter : ma voix. Plusieurs, en effet, crient vers le Seigneur, non de leur voix, mais de la voix de leur corps. Quant, à l'homme intérieur en qui le Christ a commencé d'habiter par la foi(2), il crie vers Dieu, non par le bruit des lèvres, mais par l'élan du coeur. Car l'oreille de Dieu diffère bien de l'oreille de l'homme, qui n'entend qu'à la condition que les poumons, la poitrine et la langue formeront un son; tandis que pour Dieu notre cri c'est notre pensée. "De ma voix j'ai crié vers Dieu, de ma voix j'ai invoqué le Seigneur.". Le Prophète nous explique le mot crier, en ajoutant : j'ai invoqué." (En. in Ps. 141, 2).
"J'ai cherché le Seigneur, et il m'a exaucé(3)". Où a-t-il exaucé? à l'intérieur. Où donne-t-il sa grâce ? à l'intérieur, C'est là que tu pries, là que tu es exaucé, là que tu obtiens le bonheur. Tu as prié, tu as été exaucé, tu es heureux; et celui qui est près de toi ne le sait point. Tout s'est fait dans le secret, selon cette parole du Seigneur dans l'Evangile : "Entrez dans votre chambre, fermez-en la porte, priez en secret, et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra(4)". Mais entrer dans votre chambre, c'est entrer dans votre coeur. Bienheureux ceux qui rentrent avec joie dans leur coeur, et qui n'y trouvent rien de mauvais." (En. In Ps. (2e commentaire) 33, 8)

On connaît ce magnifique texte sur le cri qui dans la prière exprime le désir :

"Le gémissement de mon coeur me faisait rugir [...] Et qui connaissait la cause de mon rugissement ? Il ajoute [le psalmiste] : Tout mon désir est devant toi. Non pas devant les hommes, qui ne peuvent pas voir le coeur, tandis que si tout ton désir est devant le Père, lui qui voit l'invisible te le revaudra.
Car ton désir est ta prière ; si le désir est continuel, la prière est continuelle. Ce n'est pas pour rien que l'Apôtre a dit : Priez sans relâche. Peut-il le dire parce que, sans relâche, nous fléchissons le genou, nous prosternons notre corps, ou nous élevons les mains ? Si nous disons que c'est là notre prière, je ne crois pas que nous puissions le faire sans relâche.
Il y a une autre prière, intérieure, qui est sans relâche : c'est le désir. Que tu te livres à n'importe quelle autre occupation, si tu désires ce loisir du sabbat, tu ne cesses pas de prier. Si tu ne veux pas cesser de prier, ne cesse pas de désirer.
Ton désir est continuel ? Alors ton cri est continuel. Tu ne te tairas que si tu cesses d'aimer. Quels sont ceux qui se sont tus ? Ceux dont il est dit : A cause de l'ampleur du mal, la charité de beaucoup se refroidira.
La charité qui se refroidit, c'est le coeur qui se tait ; la charité qui brûle, c'est le coeur qui crie. Si la charité dure toujours, tu cries toujours ; si tu cries toujours, tu désires toujours ; si tu désires, c'est au repos que tu penses.
Tout mon désir est devant toi. Que se passe-t-il si ton désir est devant lui, mais non pas le gémissement ? D'où cela peut-il venir, quand le désir lui-même s'exprime par le gémissement ?
C'est pourquoi le psaume continue. Et mon gémissement ne t'échappe pas. Il ne t'échappe pas, alors qu'il échappe à la plupart des hommes. Il semble parfois que l'humble serviteur de Dieu dise : Et mon gémissement ne t'échappe pas. Il semble aussi parfois que le serviteur de Dieu se mette à rire : est-ce que ce désir est mort dans son coeur ? Non, s'il y a désir, il y a gémissement ; il ne parvient pas toujours aux oreilles des hommes, mais il ne cesse jamais de frapper les oreilles de Dieu." (Enarat. in Ps. 37).

A propos de la "rumination", on pourra citer :

"C'est ainsi "qu'un trésor précieux repose dans la bouche du sage, tandis que l'insensé le digère aussitôt(5)"; en un mot, que le sage rumine et que l'insensé ne rumine pas. Qu'est - ce à dire, en termes plus clairs et en latin ? Le sage réfléchit sur ce qu'il a entendu, l'insensé l'oublie aussitôt. Car ce n'est point pour un autre motif que la loi appelle animaux purs ceux qui ruminent et impurs ceux qui ne ruminent point(6), puisque toute créature de Dieu est pure. Devant Dieu qui les a créés, le porc est aussi pur que l'agneau; car tout ce qu'il fit était éminemment bien(7), et "toute créature de Dieu est bonne(8)", a dit l'Apôtre, comme "tout est pur pour ceux qui sont purs". Tout est donc pur, dans sa nature même, et néanmoins l'agneau est le symbole de ce qui est pur, comme le pourceau est le symbole de ce qui est impur; l'agneau marque l'innocence du sage qui rumine, qui réfléchit; le pourceau, l'impureté d'une folie oublieuse." (En. In Ps. 141, 1)

Augustin dans les Enarationes in Psalmos , a commenté les 150 psaumes, s'arrêtant parfois très longuement sur certains. Cette oeuvre considérable qui était malheureusement à peu près inaccessible sous forme "papier" (on ne pouvait que renvoyer au web, où elle est accessible grâce au travail remarquable effectué par l'Abbaye St-Benoît de Port-Valais), a été publiée en avril 2007 par les éditions du Cerf, en deux très gros volumes (l'oeuvre est énorme), sous le titre Discours sur les Psaumes, dans la collection "Sagesses chrétiennes". L'édition en question, reprend l'une des traductions du XIXe siècle, celle qui a été publiée chez Guérin, Bar-le-Duc, dans les Oeuvres complètes de Saint Augustin en 17 volumes - édition qui date des années 1864-1873. En l'absence de toute traduction contemporaine, l'éditeur lui-même (Père Renaud Escande, o.p.) souligne que cette traduction un peu ancienne garde toute sa qualité intrinsèque et toute sa beauté.

L'édition en question est précédée d'une introduction de Jean-Louis Chrétien.


(1) : Ps. CXXII, 1.
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(2) : Eph. III, 17
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(3) : Ps. XXXIII, 5.
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(4) : Matt VI, 6.
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(5) : Prov. XXI, 20.
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(6) : Lévit. XII, 2-8.
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(7) Gen. I, 31.
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(8) I Tim. IV, 4.
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