"La vie du vrai chrétien : un saint désir..."
extrait

"Toute la vie du vrai chrétien est un saint désir. Sans doute, ce que tu désires, tu ne le vois pas encore : mais le désir te rend capable, quand viendra ce que tu dois voir, d'être comblé.

Supposons que tu veuilles remplir quelque objet en forme de poche et que tu saches la surabondance de ce que tu as à recevoir ; tu étends cette poche, sac, outre, ou tout autre objet de ce genre ; tu sais combien grand est ce que tu as à y mettre, et tu vois que la poche est étroite : en l'étendant, tu en augmentes la capacité. De même, Dieu, en faisant attendre, étend le désir ; en faisant désirer, il étend l'âme ; en étendant l'âme, il la rend capable de recevoir.

Désirons donc, mes frères, parce que nous devons être comblés

Augustin : Sermon sur la 1ère Lettre de Jean, 4, 6

Les évêques, lors d'une de leur assemblée à Lourdes, en novembre 2008, ont essayé de faire le point sur l’indifférence, et en particulier "l'indifférence religieuse", considérée comme le mal de notre époque.

Le désir, c’est le contraire de l’indifférence ; ne faut-il pas de ce fait méditer d'abord sur le désir, question développée par bien des Pères de l’Eglise (et notamment par Augustin), afin de trouver est notre propre désir : car là où est notre désir, là est Dieu ! Et on pourrait dire que quand on parle d’indifférence de nos contemporains, cela veut dire simplement que l’on n’a pas su ou que l’on a renoncé à toucher chacun au lieu de son désir. Cela remet plus en cause celui qui n’a pas su écouter le désir de l'autre, que celui qui est prétendu "indifférent" !

Personne n’est de toutes façons vraiment indifférent, même si "ce que tu désires, tu ne le vois pas encore" : il y a toujours un désir dans le coeur de l'homme, dans le coeur de tout homme, signe le plus sûr de la présence de Dieu – présence précisément en creux ! Dans le désir de l'homme, on peut lire la recherche de Dieu, du vrai Dieu, que nous ne connaissons pas, ou si peu !

Certes ce nom, "Dieu", pose souvent des questions à nos contemporains, qui veulent récuser Dieu dans leur vie, à cause de tous les imaginaires que ce nom entraîne avec lui, et notamment parce qu'en utilisant ce mot à tort et à travers, au lieu d'avoir les précautions des Juifs qui ne disent pas sans précaution le nom de Dieu, nous suscitons chez les hommes de bonne volonté des réactions négatives face au cortège d'inepties et de médiocrités dont ce nom a été, hélas, chargé au cours de l'histoire - selon une démarche profondément injuste qui est prolongée par les prétendues informations (qui ne sont que des opinions) que beaucoup de médias, ignorants et vengeurs (pourquoi ?), essayent de donner sur celui qu'ils prétendent "Dieu" ! Mais nous pouvons dire que "là où est ton désir, c'est là qu'est Dieu", ce Dieu qui est au secret du coeur, souvent caché (Dieu est fondamentalement discret comme le vrai amoureux qui ne veut pas s'imposer, comme celui qui attend que l'amour naisse et se développe en celle/celui qu'il aime) : Dieu, plus intime à moi-même que moi-même, disait encore St Augustin (Conf., III, vi, 11). Dans le Commentaire de la 1ère Epitre de Jean, juste après le texte cité en référence, il précise encore : "Parlons de miel, d'or ou de vin : nous pouvons désigner de n'importe quel nom ce qui est indicible, mais son vrai nom est Dieu. Et quand nous disons : "Dieu", que disons-nous ? Ce mot désigne tout ce que nous attendons. Tout ce que nous pouvons dire est en dessous de la réalité ; élargissons-nous, en nous portant vers lui, afin qu'il nous comble, quand il viendra. Nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est." (Commentaire sur la 1ère épitre de Jean, 4, 6)).

Tout homme, toute femme est habité(e) par le désir (qui peut prendre des formes très diverses) – désir souvent secret, qui n'ose s'avouer, qui n'ose se révéler, désir qui fait souvent souffrir, mais qui est aussi susceptible d'être comblé : il est important de creuser le désir, d'étendre la capacité de notre coeur, pour qu'il puisse accueillir tout ce que Dieu veut lui donner...

Augustin parle de la prière comme moyen d'exciter notre désir : "[Le Seigneur] veut que notre désir s'excite par la prière, afin que nous soyons capables d'accueillir ce qu'il s'apprête à nous donner. Car cela est très grand, tandis que nous sommes petits et de pauvre capacité !" (cf. dans la Lettre à Proba dont nous relirons quelques extraits) : la prière n'est donc pas tant le moyen de dire à Dieu notre désir (qu'il ne peut ignorer), mais surtout le moyen d'accroître ce désir pour pouvoir recevoir encore plus le moment venu !

Au lieu de parler d'"évangéliser" (autre mot qui fait peur), - on devrait dire "faire découvrir à chacun le lieu de son désir" -, car évangéliser ce n'est que savoir entendre en chacun le cri de son désir, et peut-être, avec beaucoup de douceur, et surtout beaucoup d'émerveillement, l'accompagner sur le chemin où il pourra enfin dire son désir - que souvent il n'ose pas formuler ! Cette révélation, action de l'Esprit qui fait que chacun peut prendre la parole pour dire qui est "Dieu" (ce Dieu qui est avec nous et en nous, ce Dieu si proche (1)), suppose toujours d'avoir trouvé le lieu du désir. "Là où est votre trésor, là aussi sera votre coeur." (Luc 12, 34)

Rappelons-nous que, baptisés, nous vivons déjà de "la vie éternelle", expression tout aussi incomprise de nos contemporains que le mot Dieu(2)! La définition en est donnée par St Jean - qui a reposé sur la poitrine du Christ lors du repas pascal, buvant à la source même(3) cet évangile qu'il a rapporté -, "La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ." (Jn 17, 3).

Qu'est-ce qu'un chrétien, un vrai chrétien, dès lors ? Un homme de désir ! Non pas celui qui a appris une doctrine, mais celui qui a trouvé le chemin de son désir et qui est bien décidé à l'emprunter. Ce désir insatiable, placé en l'homme par Dieu créateur, est également orienté vers Dieu, à l'image et à la ressemblance de qui nous sommes faits - image que nous voulons, que nous devons retrouver pour être comblés (cf. 1 Jn 3, 2 : "Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est."). En attendant, Dieu revêt pour chacun la forme qu'Il veut prendre, à son heure, en son lieu, pour révéler à tous, dès maintenant, son Amour infini.

Si Jésus, en son temps, parle en paraboles, c'est parce que déjà certains symboles de l'Ancien Testament sont à renouveler ou à expliquer aux hommes de son époque. Apprenons à parler en paraboles à nos contemporains qui ont soif.

Sans doute appartient-il à ceux qu'on appelle catéchistes, catéchètes, ou tout simplement accompagnateurs de favoriser l’éclosion de la parole, de la "bonne nouvelle", de l’évangile en chacun, c'est-à-dire précisément en ce lieu du désir le plus intime. Le catéchiste n'annonce pas grand'chose ! c'est le "catéchisé" qui découvre. Si nous sommes sûrs (n'est-ce pas ce que l'on appelle la foi ?) que Dieu est en chaque homme (qu'il est venu "y faire sa demeure" Jn 14, 23), comment douter que c'est Lui qui se révèle en chacun, sans qu'il soit vraiment nécessaire pour le catéchiste d'enseigner ?

Partir du désir de l’homme, et non pas de son indifférence. C’est ce que nous apprend de façon magnifique St Augustin qui montre comment Dieu est venu le trouver au sein même de son péché, dans la ligne même de St Paul qui dit en 2 Co 5, 20 : « [Dieu] l’a fait péché pour nous ».

Dès lors, rappelons que le Christ est toujours notre modèle pour l’annonce de la bonne nouvelle, pour l’évangélisation ! Jésus vient trouver la Samaritaine dans son désir d’eau vive, ou d’époux, ce qui est la même chose ! De même il trouve Zachée perché sur son sycomore : Zachée qui désire voir, parce qu’il a besoin d’être regardé en vérité, et Jésus s’invite chez lui... Sa conversion est immédiate parce que Jésus a trouvé le lieu de son désir !

A nous d'aider chaque homme et chaque femme de notre entourage à trouver son chemin, le chemin de son désir...


(1) "Quelle est en effet la grande nation dont les dieux se fassent aussi proches que le Seigneur notre Dieu l'est pour nous chaque fois que nous l'invoquons ?" (Dt 4, 7)
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(2) De symboles en symboles, on finit parfois par oublier le sens ; surtout, les symboles deviennent obscurs quand on oublie qu'un "symbole" a toujours deux faces, une face visible et une face invisible : cette face invisible est si riche de sens, qu'elle ne se laisse deviner qu'à condition que les symboles ne soient pas devenus fous, et qu'ils soient toujours bien ancrés dans la réalité de l'homme.
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(3) Comme le dit Augustin dans les Homélies sur l'Evangile de Jean :
-"Il reposait à la Cène sur la poitrine du Seigneur pour indiquer par là en signe qu'il buvait les plus profonds secrets à l'intime de son cœur" (Tr 18, 1)
- "L'évangéliste Jean ne reposait pas sans cause sur la poitrine du Seigneur, mais pour y boire les secrets de sa plus haute sagesse et reprêcher dans son Evangile ce qu'il avait bu dans son amour." (Tr 20, 1)
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